Matouminou
Matou avait longuement réfléchi et pesé sa décision. Il lui fallait se rendre à l'évidence, il ne lui était plus possible de garder la forge de son époux. Non pas que Rody, qui avait été formé par Horloger, ne convenait plus. Bien au contraire, aujourd'hui, Horloger serait fier de ce jeune garçon travailleur et volontaire. Non, tout simplement, il lui avait annoncé son projet de s'en aller. Il voulait faire le tour du royaume de France, mettre son savoir faire au service des autres, s'améliorer encore et encore et surtout apprendre toujours plus.
Peinée? mais comprenant parfaitement le projet de Rody, Matou avait tout de même demandé:
- Tu es sur de toi?
Il avait hoché la tête avec véhémence et elle avait su, en regardant briller son regard, qu'il était temps, en effet, qu'il prenne son envol.
Elle était alors allée jusqu'à son petit bureau et avait pris une bourse dans un tiroir. Elle l'avait tendue au jeune homme en disant:
- Tiens Rody, il y a là 500 écus, fais-en bon usage. Tu peux aussi prendre les outils de mon époux. Après tout, toi seul saura en faire bon usage.
Elle détourna les yeux, se souvenant avec tristesse de toutes ces occasions où elle les avait offerts à son époux. Elle se souvint aussi qu'il en avait acheté pas mal à la grande foire ducale de Rouen, où ils aimaient aller.
Elle lui avait encore souhaité un bon voyage, lui avait fait promettre d'être prudent et l'avait embrassé avec affection. Elle l'avait toujours un peu considéré comme son fils ainé.
En le regardant s'éloigner par la fenêtre, elle avait essuyé les larmes qu'elle avait réussi à contenir jusque là. Une page se tournait, encore une.
Puis, elle n'avait pas tardé à appeler son serviteur Clément, le priant de préparer la carriole afin qu'il l'emmène jusqu'à la forge.
Moins d'une heure plus tard, ils étaient en route.
Matou s'était armée de courage, tout ce qui touchait à son époux était encore tellement douloureux. Devant la forge, de nouveau , les souvenirs l'assaillirent, l'obligeant à sagripper à la carriole, tant la douleur était vive. Elle se calma et entra dans l'échoppe.
Elle regarda la lourde enclume, la forge où aucun feu ne brulait...Elle fit le tour de la pièce, récupéra quelques documents. Dans un tiroir, elle trouva un vélin plié en deux et l'ouvrit machinalement. Elle le lut et les larmes jaillirent de ses yeux. C'était un mot qu'elle avait envoyé à son époux il y a bien longtemps. Elle caressa du bout des doigts le papier songeant que Horloger l'avait eu entre ses mains, l'avait lu, avait sans doute souri. Elle ne put se résoudre à le jeter et le mit machinalement dans sa poche.
Elle se reprit et se tournant vers Clément, elle lui dit:
- Je voudrais récupérer l'enseigne, pouvez vous la démonter?
Il acquiesça avec un air triste.
Pendant qu'il s'acquittait de cette tâche, Matou écrivit sur un parchemin:
Citation:
QUE TOUT LE MONDE PRENNE CONNAISSANCE DE LA DÉCISION SUIVANTE:
FERMETURE DÉFINITIVE DE LA FORGE DE FEU SEIGNEUR HORLOGER.
SI QUELQU'UN EST INTÉRESSÉ POUR RÉCUPÉRER UNE ENCLUME, UNE FORGE, OU QUELQUES OUTILS, VEUILLEZ CONTACTER DAME MATOUMINOU
A FECAMP LE 14 décembre 59
Dame Matouminou de Gulberville, veuve du seigneur Horloger de Saint Amand de Thorigni
FERMETURE DÉFINITIVE DE LA FORGE DE FEU SEIGNEUR HORLOGER.
SI QUELQU'UN EST INTÉRESSÉ POUR RÉCUPÉRER UNE ENCLUME, UNE FORGE, OU QUELQUES OUTILS, VEUILLEZ CONTACTER DAME MATOUMINOU
A FECAMP LE 14 décembre 59
Dame Matouminou de Gulberville, veuve du seigneur Horloger de Saint Amand de Thorigni
La lourde enseigne représentant un forgeron tapant sur une enclume fut posée dans la carriole. Matou referma la forge et cloua l'affiche sur la porte.
Le coeur lourd, elle remonta dans la carriole. Clément fit claquer sa langue, signal pour le cheval de se mettre en route. Le regard perdu dans le lointain, Matou se retint de se retourner. Elle pressa son mouchoir pour ne pas crier. jaais, elle n'aurait pensé avoir à faire cela et pourtant...
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