Ellya
Prologue
Ils étaient sept. Ou huit. Partis de Marmande ou d'ailleurs, le cur plein de foy ou d'ennui, le corps subissant les assauts acharnés du froid et du vent à cause de la pauvre chemise qui couvrait leur peau, humilité oblige.
Ils partaient en pèlerinage.
Pour certains, c'était l'occasion de voyager, pour d'autres de lire, pour d'autres encore d'être en compagnie.
Comme dans tout bon pèlerinage, il y avait eu des révélations de foy, des peines de coeur, des prières endiablées, des aveux blessants, des pieds abîmés.
Ils n'étaient plus que deux. La Prieure du Prieuré du Rivet et son spinoziste d'époux, bien que son cas était gardé secret.
Au matin du 3 juillet 1460
Le regard perdu dans la contemplation de l'horizon, la nonnette ruminait les paroles du quinquagénaire, la veille.
"Nous passerons par la Bourgogne dans un mois. Ce pèlerinage sera l'occasion de faire mon chemin de croix. La croix s'appelle Isandre et elle est ma rejetone...."
La fin de la phrase, elle l'avait oubliée. La suite aussi, concernant son fils, à elle, à lui. Pas même la pensée de ce nourrisson rose et plein de vie, gargouillant d'amour et d'envie de savoir ne parvenait à la détourner de ces mots crus, de cette vérité acide.
Il avait une fille.
Une fille.
Elle ne savait même plus comment elle avait réussi à étouffer ses sanglots - ou était-ce des hurlements de rage?- et par quel miracle elle avait atteint la porte en ne se formalisant que d'un "nous partons ce soir". Ce même soir, les deux compagnons de route qu'il leur restait avait choisi de partir - ou était-ce le couple Watelse qui les avait abandonnés? Qu'importait.
Ellya se consumait.
Ellya bouillonnait.
Ellya se désagrégeait.
Sans un mot, elle quitta le charriot, s'en partit sombrer dans les livres angevins. Mais elle dut rentrer, quand les portes fermèrent. Et affronter son ivrogne d'orfèvre parisien. Il la regardait, silencieux. Elle baissa les yeux. Puisant en elle une sagesse qu'elle avait perdue. Alors les mots, elle les cracha, pleine de haine et de rancune, d'incompréhension.
Que faites-vous encore ici, Watelse? Qu'attendre encore de cette pauvre femme à qui vous avez déjà tout pris? Un autre fils? Non. Vous avez toujours cette gamine de secours.
Une pause, légère. Amère.
Je ne veux pas.
Sa voix se brisa.
Je ne veux pas voir 'cela'. Vous auriez pu vous en contenter. Que ne l'avez-vous fait?
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Ils étaient sept. Ou huit. Partis de Marmande ou d'ailleurs, le cur plein de foy ou d'ennui, le corps subissant les assauts acharnés du froid et du vent à cause de la pauvre chemise qui couvrait leur peau, humilité oblige.
Ils partaient en pèlerinage.
Pour certains, c'était l'occasion de voyager, pour d'autres de lire, pour d'autres encore d'être en compagnie.
Comme dans tout bon pèlerinage, il y avait eu des révélations de foy, des peines de coeur, des prières endiablées, des aveux blessants, des pieds abîmés.
Ils n'étaient plus que deux. La Prieure du Prieuré du Rivet et son spinoziste d'époux, bien que son cas était gardé secret.
Au matin du 3 juillet 1460
Le regard perdu dans la contemplation de l'horizon, la nonnette ruminait les paroles du quinquagénaire, la veille.
"Nous passerons par la Bourgogne dans un mois. Ce pèlerinage sera l'occasion de faire mon chemin de croix. La croix s'appelle Isandre et elle est ma rejetone...."
La fin de la phrase, elle l'avait oubliée. La suite aussi, concernant son fils, à elle, à lui. Pas même la pensée de ce nourrisson rose et plein de vie, gargouillant d'amour et d'envie de savoir ne parvenait à la détourner de ces mots crus, de cette vérité acide.
Il avait une fille.
Une fille.
Elle ne savait même plus comment elle avait réussi à étouffer ses sanglots - ou était-ce des hurlements de rage?- et par quel miracle elle avait atteint la porte en ne se formalisant que d'un "nous partons ce soir". Ce même soir, les deux compagnons de route qu'il leur restait avait choisi de partir - ou était-ce le couple Watelse qui les avait abandonnés? Qu'importait.
Ellya se consumait.
Ellya bouillonnait.
Ellya se désagrégeait.
Sans un mot, elle quitta le charriot, s'en partit sombrer dans les livres angevins. Mais elle dut rentrer, quand les portes fermèrent. Et affronter son ivrogne d'orfèvre parisien. Il la regardait, silencieux. Elle baissa les yeux. Puisant en elle une sagesse qu'elle avait perdue. Alors les mots, elle les cracha, pleine de haine et de rancune, d'incompréhension.
Que faites-vous encore ici, Watelse? Qu'attendre encore de cette pauvre femme à qui vous avez déjà tout pris? Un autre fils? Non. Vous avez toujours cette gamine de secours.
Une pause, légère. Amère.
Je ne veux pas.
Sa voix se brisa.
Je ne veux pas voir 'cela'. Vous auriez pu vous en contenter. Que ne l'avez-vous fait?
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