Vilmain
En fait, à bien y réfléchir, tout avait commencé avec la révolte sur Albi. Le jeune maire s'était fait botter les fesses avec une insouciance juvénile. Mais ce qui s'en était ensuivi l'avait bouleversé. De dépité, il était devenu honteux. De honteux, il était redevenu faible. De faible, il était devenu désabusé. Ne croyant plus trop en ce qui était bon. Et sentant toute la misère du monde sur ses frêles épaules.
Puis la pente, il avait commencé à la remonter. Les claques qu'ils s'étaient mises, d'abord ; les courriers de soutien, mais également d'invective, ensuite ; et enfin, finalement, il était ressorti de chez lui. S'était mis en quête d'acheter de la viande. Avait acquis une épée. Avait ressenti profondément en lui l'envie de devenir un jour celui qui les ferait tous trembler, ces faquins, celui qui leur mettrait corrections sur dérouillées, fessées sur humiliations. Ah, le sens était revenu.
Puis, il fut élu Bailli.
Enfin non, d'abord il fit rapide retraite. Le temps de préciser ce qu'il ferait dans sa tête. Revenant au milieu de nulle part dans un conflit où le Castel venait de tomber, où d'autres villes avaient été pillées, où son Comté Toulousains s'entredéchirait. Où Sa Majesté avait été appelée à l'aide, où plus rien n'avait de sens hors l'envie de s'en sortir. Et là, présent sur une liste, le jeune blond, à peine plus d'une quinzaine d'étés au compteur, fut élu Bailli. Pour sombrer dans le chaos.
Car tout était pourri ; le Conseil était difficile, les opposants étaient virulents, le métier était invivable. Il en arrivait presque à conjuguer Bailli, Commissaire et Porte Parole. Ou pas, vu qu'il n'y connaissait rien. Mais quelque part, à force de vouloir tout donner, il s'était éloigné de son idée post-pubère : vouloir mettre des raclées à tout ce qui était méchant en ce monde. Comment ferait-il, lui ? Et puis, que pouvait-il ? ... qui était-il ?
L'esprit avait conservé sa jovialité, mais on percevait, à bien le connaître, des tourments diffus en lui. Des craintes, des doutes, des peurs. Tout cela, il l'avait connu ou plutôt découvert sur le tas. Abandonné de son précepteur, laissé pour évoluer et devenir un Homme, un vrai. Pour rencontrer l'Autre, pour changer. Et finalement, il était retour case départ. Ou presque.
Enfin pas vraiment. Car il y en avait bien une qui l'avait troublé. La seule avec qui il échangeât, un soir de folie, un court mais si fort baiser. Une à qui il avait confié tant de choses. Et qui aujourd'hui ... n'était plus là. Elle s'était mariée, apparemment. Ce sentiment l'avait laissé perplexe, pour le moins. Mais ainsi était la vie, il était heureux pour elle. Peut-être que, quelque part, il eût aimé ... il n'en savait rien après tout. Mais une chose, il la sentait bien. Il aurait besoin d'avoir de ses nouvelles. Alors un midi, lassé des querelles interminables, voyant ces chiffres qui le terrifiaient, il mit tout de côté. Et écrivit ce courrier sans réfléchir.
Puis la pente, il avait commencé à la remonter. Les claques qu'ils s'étaient mises, d'abord ; les courriers de soutien, mais également d'invective, ensuite ; et enfin, finalement, il était ressorti de chez lui. S'était mis en quête d'acheter de la viande. Avait acquis une épée. Avait ressenti profondément en lui l'envie de devenir un jour celui qui les ferait tous trembler, ces faquins, celui qui leur mettrait corrections sur dérouillées, fessées sur humiliations. Ah, le sens était revenu.
Puis, il fut élu Bailli.
Enfin non, d'abord il fit rapide retraite. Le temps de préciser ce qu'il ferait dans sa tête. Revenant au milieu de nulle part dans un conflit où le Castel venait de tomber, où d'autres villes avaient été pillées, où son Comté Toulousains s'entredéchirait. Où Sa Majesté avait été appelée à l'aide, où plus rien n'avait de sens hors l'envie de s'en sortir. Et là, présent sur une liste, le jeune blond, à peine plus d'une quinzaine d'étés au compteur, fut élu Bailli. Pour sombrer dans le chaos.
Car tout était pourri ; le Conseil était difficile, les opposants étaient virulents, le métier était invivable. Il en arrivait presque à conjuguer Bailli, Commissaire et Porte Parole. Ou pas, vu qu'il n'y connaissait rien. Mais quelque part, à force de vouloir tout donner, il s'était éloigné de son idée post-pubère : vouloir mettre des raclées à tout ce qui était méchant en ce monde. Comment ferait-il, lui ? Et puis, que pouvait-il ? ... qui était-il ?
L'esprit avait conservé sa jovialité, mais on percevait, à bien le connaître, des tourments diffus en lui. Des craintes, des doutes, des peurs. Tout cela, il l'avait connu ou plutôt découvert sur le tas. Abandonné de son précepteur, laissé pour évoluer et devenir un Homme, un vrai. Pour rencontrer l'Autre, pour changer. Et finalement, il était retour case départ. Ou presque.
Enfin pas vraiment. Car il y en avait bien une qui l'avait troublé. La seule avec qui il échangeât, un soir de folie, un court mais si fort baiser. Une à qui il avait confié tant de choses. Et qui aujourd'hui ... n'était plus là. Elle s'était mariée, apparemment. Ce sentiment l'avait laissé perplexe, pour le moins. Mais ainsi était la vie, il était heureux pour elle. Peut-être que, quelque part, il eût aimé ... il n'en savait rien après tout. Mais une chose, il la sentait bien. Il aurait besoin d'avoir de ses nouvelles. Alors un midi, lassé des querelles interminables, voyant ces chiffres qui le terrifiaient, il mit tout de côté. Et écrivit ce courrier sans réfléchir.
Citation:
A vous, Ondine, M'dame Ondine, je ne sais plus même comment vous appeler ...
Comment allez-vous ?
Je ne sais pas trop pourquoi ni à quelles fins je vous écris ce courrier. Je crois que, l'un dans l'autre, j'ai surtout envie d'avoir de vos nouvelles. Vous m'avez dit il y a peu que vous vous étiez mariée ... comment tout cela se passe-t-il ? Décrivez-moi votre mari, si vous le voulez bien ! Est-il à la hauteur de votre personne ? Vous êtes-vous installés ensemble ?
Tant de choses ont changé, ici ... je ne sais si vous avez été tenue au courant, mais on a subi, on a vécu ... des moments absolument insupportables. Des révoltes, pillages, des, des moments que j'aimerais tant oublier aujourd'hui, ou esquiver, mais qui s'imposent à nous avec la force de la tragédie. Il m'arrive de penser à ce qui était notre époque, jadis ! Quel âge d'or. Quels souvenirs. Quand je me rappelle mon arrivée en cette ville, les premières rencontres, nos discussions, je me dis que quelque part, l'insouciance me rendait heureux. Enfin, je crois.
Vous savez, je reste convaincu quelque part que demain tout ira mieux. A une époque où vous étiez traquée par ceux que je ne qualifie qu'à contre-coeur de vos frères, je me souviens avoir cherché à vous convaincre que cela ne pouvait pas être autrement - car sinon, à quoi bon vivre ? C'est drôle, car aujourd'hui, j'ai le sentiment de chercher moi-même à me convaincre ... comme si j'avais senti ou effleuré la petitesse des choses, leur fébrilité, leur fragilité.
Ah, aujourd'hui, croyez-moi Ondine, tout est différent. Peut-être est-ce mieux, probablement est-ce pire. Mais c'est là, impérieux, impétueux. C'est là, je le sens chaque matin que je me réveille pour aller aux mines, chaque jour que j'entends et vois le Comté se déliter toujours plus, chaque soir que je m'endors seul, au Castel ou en Albi, et que je repense à tout ce qui brise ce monde. Et l'enfonce un peu plus.
M'dame Ondine, je suis désolé, me voilà redevenu trop bavard. Comme à la belle époque.
Je ne voulais qu'avoir de vos nouvelles, ou peut-être voulais-je simplement coucher sur le vélin ce qui se trame dans mon coeur. Je ne sais pas, et à vrai dire, qu'importe ? Je ne suis même pas sûr que ce courrier vous trouvera après tout ! Donc pourquoi réfléchirais-je plus ?
M'dame Ondine, j'espère que vous ne m'avez pas oublié, et qu'il vous arrive d'avoir une pensée agréable pour moi.
Portez-vous bien.
V.
Comment allez-vous ?
Je ne sais pas trop pourquoi ni à quelles fins je vous écris ce courrier. Je crois que, l'un dans l'autre, j'ai surtout envie d'avoir de vos nouvelles. Vous m'avez dit il y a peu que vous vous étiez mariée ... comment tout cela se passe-t-il ? Décrivez-moi votre mari, si vous le voulez bien ! Est-il à la hauteur de votre personne ? Vous êtes-vous installés ensemble ?
Tant de choses ont changé, ici ... je ne sais si vous avez été tenue au courant, mais on a subi, on a vécu ... des moments absolument insupportables. Des révoltes, pillages, des, des moments que j'aimerais tant oublier aujourd'hui, ou esquiver, mais qui s'imposent à nous avec la force de la tragédie. Il m'arrive de penser à ce qui était notre époque, jadis ! Quel âge d'or. Quels souvenirs. Quand je me rappelle mon arrivée en cette ville, les premières rencontres, nos discussions, je me dis que quelque part, l'insouciance me rendait heureux. Enfin, je crois.
Vous savez, je reste convaincu quelque part que demain tout ira mieux. A une époque où vous étiez traquée par ceux que je ne qualifie qu'à contre-coeur de vos frères, je me souviens avoir cherché à vous convaincre que cela ne pouvait pas être autrement - car sinon, à quoi bon vivre ? C'est drôle, car aujourd'hui, j'ai le sentiment de chercher moi-même à me convaincre ... comme si j'avais senti ou effleuré la petitesse des choses, leur fébrilité, leur fragilité.
Ah, aujourd'hui, croyez-moi Ondine, tout est différent. Peut-être est-ce mieux, probablement est-ce pire. Mais c'est là, impérieux, impétueux. C'est là, je le sens chaque matin que je me réveille pour aller aux mines, chaque jour que j'entends et vois le Comté se déliter toujours plus, chaque soir que je m'endors seul, au Castel ou en Albi, et que je repense à tout ce qui brise ce monde. Et l'enfonce un peu plus.
M'dame Ondine, je suis désolé, me voilà redevenu trop bavard. Comme à la belle époque.
Je ne voulais qu'avoir de vos nouvelles, ou peut-être voulais-je simplement coucher sur le vélin ce qui se trame dans mon coeur. Je ne sais pas, et à vrai dire, qu'importe ? Je ne suis même pas sûr que ce courrier vous trouvera après tout ! Donc pourquoi réfléchirais-je plus ?
M'dame Ondine, j'espère que vous ne m'avez pas oublié, et qu'il vous arrive d'avoir une pensée agréable pour moi.
Portez-vous bien.
V.