--Nizam.
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[14 mars 1462 - Campagne Champenoise]
Dans une charrette, entre tonnelets, vivres, et peaux tannées, les fortes effluves de cuir bruni piquaient le blair tailladé du mercenaire vautré là tel un chat repu après sa chasse, sa carcasse étendue et calée contre un sac de maïs. Les épis avaient un confort préférable à celui des planches de bois bosselées du chariot. Le Blondin grattait à la pointe confuse du fusain un papier. Le parchemin, noirci par l'écriture et par la poussière grasse du charbon, fut lu à plusieurs reprises, assez pour que les doigts masculins y laissent malgré eux leur trace, la destinatrice saura peut-être que cette mauvaise tenue n'était pas signe de mépris, mais d'un Balafré indolent souhaitant écrire au milieu de la brousse. Hélas, encre et plume n'ont jamais su pousser d'une motte de terre.
Citation:
- A la noble Rousselotte,
Avec le temps, tu devrais savoir que j'ai l'âme salie, mais chevillée au corps, ma carne ne croupira pas si aisément au creux d'une fosse, et puis le port des armes oblige souvent à voyager au bon vouloir du fer et de l'or. Ainsi je traîne dans le royaume, et hier je quittais l'Artois. Y as-tu déjà été ? Notre venue fut fructueuse, en commerce, bien sûr, et a su secouer le lard fat et engourdi de certains villageois. Nous avons eu droit à la Comtesse en personne dans les bouges péronnais, et à la plupart de nos noms sur des affiches du Comté. On me traîne sans preuve dans un semblant de procès, moi, l'honnête Balafré. Encore aujourd'hui, j'ignore comment la douane fait pour savoir autant sans sorcellerie. Quoiqu'il en soit, si tu désires gonfler tes bronches d'un air qui n'est pas empuanti d'idioties, évite ces terres-là.
Le grelot plait à ta fille, tu m'en vois ravi. La confier à une nourrice pour le lait ne fait pas de toi une mauvaise mère, on lit entre tes mots l'amour que tu lui portes, c'est preuve que l'héritière de ta rousseur n'est pas à plaindre avec ses parents.
Je connais Arthaud, ça ne m'étonne guère si ta guérison fut rapide entre ses mains. Je ne sais pas si cette femme se souvient de moi, elle a sauvé l'une de mes connaissances à Guéret, et grâce à elle, je n'ai pas cumulé balafres et boiterie. Elle avait un baume qui faisait des miracles... As-tu l'occasion de la voir ? Sinon je lui écrirai. J'aimerais lui en acheter. Vois-tu, la promenade artésienne fut amusante, mais l'on n'empêche pas une ou deux entailles de peau, ni la chair de rougir.
Concernant les houppelandes, prends ton temps. Je foulerai certainement le sol limousin dans les mois à venir, mais je ne peux te le dire avec précision. J'ai tes tarifs, je te préviendrai de ma venue si l'envie de tissus se confirment chez les italiennes. J'ai partagé des verres avec leur frère, Gabriele, et sa trogne attire moins mon poing. Nous sommes souvent cernés par les donzelles du clan, alors entre mâles, faut-il bien apaiser les querelles et se soutenir.
J'aimerais rencontrer ce Comte intelligent que tu décris, surtout si tu lui accordes ton amitié, une raison de plus pour que mes bottes fassent un détour par ta chère Limoges. Rien de nouveau en son sein ? Tu pourrais me raconter les dernières rumeurs que les blasonnés se bavent à l'oreille ?
Que l'on veille sur toi, et ta graine de rousse.
N.
PS : J'ai vu, et que de lettres ! C'est là ton blason et ta devise ? Par mon reste de latin, si je la comprends, je crois qu'elle te va bien. Nul ne dicte les actes d'une flamme.