Sindanarie
Un frisson glacé avait parcouru l'échine de la Carsenac quand un vélin couvert d'une écriture bien connue lui était parvenu. Une douche froide, voilà ce qu'avait été cette lettre. A la joie de voir - enfin ! - son Etincelle se livrer avait succédé l'ébahissement, presque une sorte d'effroi. Aristote, dans quel tissu de fautes inventées s'empêtrait-elle donc ? Avec la candeur de son âge, la jeune cousine retrouvée se flagellait, allègrement, et redoublait d'efforts quand il s'agissait de se trouver coupable. La première plume qui passa fut la bonne. Qu'importait, l'usage était qu'une réponse parvienne au plus tôt à Limoges. Selon le rituel désormais bien rodé, la missive, rédigée d'un trait, scellée d'une rose et de ses épines, fut portée au relais-courrier pour filer vers sa destinataire. Le plus tôt serait le mieux... Dès le lendemain, Elric aurait pour consigne de faire en sorte d'accueillir Théobald et de lui expliquer la situation. Pendant le tour du Comté aurait sans doute lieu un tour aux Cars...
Citation:
A Marie-Amelya d'Elicahre-Kierkegaard,
De Sindanarie Carsenac d'Elicahre.
Votre Lys,
De Sindanarie Carsenac d'Elicahre.
- Mon Etincelle,
Debout ! Et haut la tête ! En un mot comme en cent, voilà mon message.
Vous vous êtes donnée avant mariage ? La belle affaire ! C'était par amour, vos mots ne le laissent que trop entendre, et c'est le plus beau don que vous auriez pu accorder. Vous aimez, ma cousine : c'est là votre force. Les insensibles se rient de l'union des corps et la considèrent uniquement pour le plaisir qu'elle procure. Vous, je sais, je sens que vous l'avez vécu comme une véritable union. C'est la force de ce lien, même éphémère, qui donne sa valeur à ce que vous avez vécu. Voyons, vous auriez la même répugnance pour l'acte d'amour que pour ce à quoi vous avez échappé de la part du Paillard ? Quelle est cette folie ? Ce n'est point fauter que d'aimer ! Les vertus de l'amour sont bel et bien présentes dans nos Saintes Ecritures, les renier serait pécher. Luxure, me répondrez-vous ? Non, don de vous-même. Faute ? Non, don de vous-même encore.
Et quand bien même, qu'importe, en vérité, la faute que cela peut représenter ! Si chaque pécheresse devait ne serait-ce que se flageller pour quelques instants de bonheur hors des liens du mariage, notre famille de sang ou de coeur aurait l'échine bien rouge. Voyons, mon Etincelle... Ma mère me donna naissance le jour même de ses épousailles : croyez-vous bien qu'elle n'avait point fauté auparavant ? Et ma cousine Aldraien, que vous aimez comme une mère, la croyez-vous donc si chaste ? Elle eut au moins deux compagnons ou amants, je ne sais quel terme est le plus approprié, entre son arrivée en Limousin et son mariage avec Hannibal, dont un qui fut pour moi une véritable épine dans le pied... Imaginez, un Breton, fils de prince de cette contrée ou équivalent, qui menace de représailles pour un passage à tabac par l'armée de Limoges ! Cela vous fait-il jeter l'opprobre sur elle ? Moi-même ai eu nombre d'amants et ai été fiancée par trois fois, non, quatre... Sans compter Gabin. Et à l'issue de cette quatrième fois, vous vous souvenez de ce qui est arrivé dans cette ruelle de Limoges, derrière chez vous. M'avez-vous alors considérée comme impure, fautive, méritant pire que la mort ? Vous m'avez aidée, mon Etincelle, vous m'avez sauvée !
Si vous ne voulez vous sauver vous-même, je le ferai, moi. Rejoignez-moi à Guéret. Ne prenez que le nécessaire. Nous partons en voyage. Depuis des mois nous parlons de voyager ensemble dans toutes les villes de notre beau Comté, voilà l'occasion, voilà l'instant. Vous viendrez avec Anna Jagellon et moi. Et s'il faut que j'aille vous dénicher de la rue de la Justice, croyez-moi, je le ferai !
Vous êtes une Elicahre, et ce n'est pas ce que vous avez fait de votre corps qui le changera. Vous êtes ma cousine, vous êtes mon sang, et mon sang se bat. Votre père était soldat, votre oncle mon père mercenaire, je suis Licorne : obéissez à la loi du sang, battez-vous, à votre manière, survivez et vivez. Vous venez de franchir un obstacle délicat pour la conscience, pour le corps, pour le coeur et pour l'esprit. Je pourrais vous citer nombre de proverbes tirés de la sagesse populaire sur les obstacles et leurs effets. Il faut reculer pour mieux sauter, ce qui ne tue pas rend plus fort... Des mots, tout cela. Des mots qui sonnent creux avant que l'on en fasse l'expérience. Cette expérience, vous la vivez actuellement... Et vous avez tout mon soutien.
Debout, mon Etincelle, et relevez la tête, vous dis-je ! Vous êtes une femme, vous êtes ma filleule, vous êtes ma vassale, vous êtes ma cousine, et ce n'est pas parce que vous avez cédé à l'amour que je vous renierai. Jamais ! Plutôt mourir moi-même ! Et ne baissez plus jamais les bras comme vous venez de le faire. N'oubliez plus ce que vous êtes...
Etincelle, qui deviendra Flamme flamboyante. Vous aurez la noblesse du Chevalier que je ne serai jamais, la prestance de ces immenses souverains des temps passés, la fermeté du granit et la douceur de la soie la plus fine.
Si vous ne croyez plus en vous-même, moi, je crois en vous. Courez donc faire vos bagages. Je vous attends ou irai vous chercher. Mais, quoi qu'il en soit, je vous chéris, ma Cousine, et ne vous laisserai pas sombrer.
Que le Très-Haut vous garde d'ici à nos retrouvailles, et après également.
Votre Lys,