Anaon
- Anjou
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Les lignes dansent. Ce sont des sillons en perpétuels mouvances qui se perdent en arabesques éclatés. Course instable. Absurdités. Le ciel est un bois ébranlé d'une houle nauséeuse. Aucune ligne n'est droite, c'est tout le monde qui tangue. Distorsion des sens. Les méandres fibreux se piquent parfois de points de lumières, de flashs incongrus. Anomalies chromatiques. C'est la vision qui déraille d'une conscience en déroute. C'est l'écho fantasmagorique d'un esprit qui dévie.
Frémissement des paupières. L'il brûle de trop voir sans jamais embrasser le repos. La peau se pare d'un frisson inexpliqué. Il ne fait pas froid. L'air est immobile de la chaleur épaisse des langueurs estivales. Épave de chair, elle a livré sa nudité parfaite à la lueur qui veut bien apparaître. Unique ouverture sur le monde, les interstices des volets clos qui épanchent leurs lumières incertaines. Clarté du jour ou rais de velours d'une nuit de pleine lune? L'esprit n'est plus à même de le distinguer. Étendue dans des draps éprouvés de ne plus draper aucun sommeil, elle demeure, comme un gisant dans son linceul de pierre. Statue hiératique aux fébriles mouvements. Offerte, en posture du Christ en pâture sur sa croix, bras écartelés pour accueillir le néant. Une main pend du bord de la paillasse jusqu'à frôler le sol de la pulpe des doigts. Unique contact avec la réalité.
Frémissement des paupières. Dans les nuds du plafond se dessinent des visages. Il y a des yeux dans le bois, des sourires dans les courbes. Dans la clameur du silence on entend des murmures aux timbres du cristal. L'oreille s'éveille. Échos d'une mémoire brisée en pleine dégringolade.
Plic... plac.
Plic... plac.
Tu l'entend? C'est le son d'une folie qui s'égrène. Le sablier des âmes damnés est déjà retourné et rien ne viendra l'enrayer. Jusqu'à quand le temps de la raison? Les jours passes, la sagesse trépasse. Bientôt tu n'auras plus de conscience. Encore, tu seras folle Anaon.
Plic... plac.
Plic... plac.
Frémissement des paupières. Les visages se meuvent, sourient, rient! On entend leurs éclats dans le vide de la pièce. Claque dans l'âme. L'immobilité se brise d'un spasme. Les doigts se crispent et lacèrent avec hargne le plancher maltraité, hérissé de milles et une échardes. Herse miniature qui punit la chair de l'insolente. Les aiguilles de bois pénètrent le tendre des doigts, s'immiscent sous les ongles déjà sanglants de premières écorchures. La douleur est de coton, la silhouette ne rechigne pas, tout au plus s'enhardit-elle, continuant inconsciemment à s'éclater les doigts. Tension du corps, jusqu'à ce que...
Les paupières ne battent plus. Les sillons de bois ont pris la teinte du blond et sa myriade de marbrures à soudain l'air d'une vaste chevelure. L'il s'y enchaine comme prit dans une toile dont il ne veut se défaire. La poitrine se gonfle, les lèvres tremblent. Dans la fresque de son délire il y a des petits êtres qui dansent et qui courent. Tout les sens frémissent. Elle voit des sons, ressent des paysages, elle entend les gestes. Sous ses yeux c'est les souvenirs qui prennent vie dans un amalgame des plus incongrus. Et ces souvenirs ont les yeux gris et les cheveux blonds. Ils ont son nez et son menton. Ils ont son sang et même son nom.
Clignement des paupières. Immobilité soudaine. La respiration se brise. Les traits se figent. Sous ses yeux, ils n'y a plus qu'un simple plafond de bois. Frisson pareil à un sanglot muet. La gorge exhale un soupir douloureux.
Et les doigts écorchés reprennent leurs étranges supplices.
* Grec : "Fatalité"
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III - [Clik]