Cerdanne
[Oui, je sais entendre dans les bribes de mots,
Le pas brumeux des autres mondes
Et je sais suivre le sombre envol du Temps
Je sais chanter avec le vent...
(A Blok)]
Bourgogne, Début Juillet 1460
A brides abattues
Elle avait arraché la robe pourpre qui collait à sa peau sans même se soucier de qui pouvait bien se trouver dans les écuries du château, se hâtant denfiler une tenue plus adaptée à la chevauchée qui lattendait.
Pas un regard vers la grande salle ni même un regret en entendant les voix qui sen échappaient.
Elle ne voulait plus quune chose quitter la fête.
Profitant des dernières lueurs du jour, la brune ralentit enfin un peu lallure
Le bruit clair dun ruisseau lappelait. Elle en avait bien besoin.
Le visage fermé, lesprit entièrement tourné vers ce qui lattendait, elle posa pied à terre, laissant son étalon prendre un peu de repos et se désaltérer.
Avec la même rage obstinée, elle se débarrassa de ses bottes et de ses frusques. Le temps dune toilette rapide mais nécessaire.
Comme si leau verte et froide pouvait venir à bout de ses colères, de ses regrets, de ses remords...
Il suffit dun rien, dun évènement parmi tant dautres pour que tout bascule. Seule, au milieu de nulle part, elle senfonçait doucement dans lamerzone quelle avait mis tant de temps à faire reculer.
Un cri de piaf plus aigu que les précédents larracha aux pensées sombres qui peu à peu lenvahissaient.
Une dernière plongée dans leau glacée et la Provençale se rhabilla tant bien que mal avant dentamer la dernière chevauchée.
Très vite les chemins se firent plus larges
Au loin, elle apercevait les premiers toits
Cerdanne stoppa sa monture et resta un long moment à observer le village qui sendormait...Le parchemin enfouit dans la besace parlait dune auberge à lentrée du hameau
Elle secoua la tête, tentant de disloquer limage qui dansait devant ses yeux.
Un claquement de langue et sa monture, docile, emprunta le chemin qui menait à la taverne.
Lendroit était bondé.
Comme chaque soir, surement, les hommes venaient là étancher leur soif, répandre leur misère.
Le cheval confié au bon soin dun garçon malingre qui somnolait devant les écuries, elle franchit la porte dans lindifférence générale.
Linstant daprès, elle avait trouvé place dans un recoin de la taverne, surveillant lentrée et héla une des serveuses.
Deux verres et une bouteille de ton meilleur vin. Je garde la bouteille.
Sa besace, soigneusement posée sur ses genoux, elle se détendit enfin un peu et ferma les yeux.
Devant elle, dansait un baiser Le dernier baiser le baiser de Judas
*Titre emprunté à Sokal.