Angelotti
Folie. Il devait y avoir un peu de ça, se disait le di Cerruti tandis que, un pas après lautre, sa monture le menait lentement mais sûrement vers sa destination. Pas de folle chevauchée cette fois, pas de galop effréné. Deux jours. Le temps dont il disposait pour faire le trajet de Dole à Vesoul. Deux jours. Un délai amplement suffisant pour couvrir la distance à pied. Mais un chevalier sans cheval attire les railleries comme un clocher attire la foudre et Angelotti nétait pas dhumeur à se faire brocarder. La brave bête avait besoin dexercice, voilà trop longtemps quelle rongeait son frein dans une écurie de Dole. Quant à lui, cette paisible vadrouille lui permettrait de somnoler en selle, ce qui ne serait pas de trop après quelques nuits de veille dans les rues de la capitale.
Deux jours, sur une durée de douze. Douze jours dattente, douze jours passés à essayer de soccuper lesprit. Peine perdue. Rien ne bouge dans la capitale. Pas plus les boulangers devant leurs fourneaux que les truands devant la mairie. Les tavernes nétaient pas désertées, loin de là, mais le chevalier nétait pas dhumeur à entendre et réentendre les mêmes sempiternels désaccords au sujet dune belle-mère de basse extraction. Une paire de claques, quil en disait. La gamine sétait bien passé de son père pendant quinze ans, quelle continue ainsi ! Enfin, Dole était derrière lui et il y avait suffisamment à penser à propos de Vesoul pour ne pas se soucier plus que de raison daffaires qui, de près ou de loin, ne le concernaient pas. Deux jours de solitude, de réflexion, dincertitudes, de doutes, avant avant quoi ?
Folie, ne pouvait-il sempêcher de songer alors que les premières lueurs de laube à lhorizon annonçaient le terme de son voyage. Autant pouvait-il concevoir avec une limpidité éclatante les raisons de sa venue, autant lui était-il impossible de simaginer à quoi il devait sattendre. Il nétait que trop conscient de ses propres attentes et cest bien là que résidait le problème. Cétait folie dentreprendre plus quon ne peut accomplir, et pourtant les murs de Vesoul se dressaient sous ses yeux. Dun mouvement de tête, Angelotti chassa ces pensées de son esprit. Il y avait des récits de Provence à narrer, des clafoutis à déguster, pourquoi sembarrasser de superflu ?
Il navait jamais lu de romans de chevalerie, pas plus que loccasion den lire ne lui avait été donnée. Sil détenait désormais un château et les terres attenantes, comme en témoignaient le gueules et largent de son doublet, son enfance sétait déroulée loin des bibliothèques et des champs clos. Pourtant, il portait son titre depuis suffisamment longtemps pour connaître limage que la culture populaire collait aux chevaliers. Il ne doutait pas que la princesse, une fois ou lautre, ait prié son jeune et beau sauveur, après quil leut enlevée au vilain dragon, de lemmener dans un lointain pays pour échapper à son roitelet de père et au mariage avec quelque vieux et gras baronnet. Il se demandait si, dans ces cas-là, le roi battait la campagne pour retrouver larrogant et laver cet affront dans le sang et les larmes. « un Aigle a des serres, et les miennes sont longues et acérées, Majesté, aussi longues et acérées que les vôtres »* chanterait alors le vaillant chevalier, mais son sort nen serait pas moins scellé.
Folie que tout ceci. Ou du moins, rien de bien sensé. Mais il nétait pas trop tard Alors quà quelque distance de là, les portes souvraient pour laisser marchands et voyageurs entrer dans la cité, Angelotti détourna sa monture de sa route, lui faisant emprunter un chemin séloignant doucement des remparts de la ville, à peine plus quune sente. Il était toujours temps de faire demi-tour. De retourner à Dole, à Sochaux ou à Mouthe. De garder un il sur le Bâtard, cet être si cher et si abhorré Il tira sur les rênes et la bête sarrêta comme à contrecur. Là sarrêtait son périple. Là, devant les grilles du couvent de Vesoul.
* traduction et adaptation de The Rains of Castamere, G.R.R. Martin
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