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[RP] C'est d'ici que je vous écris...

Kernos
[Conflans-les-Sens, le 30 juillet 1460, les non dits]

Et il attendit encore.

Une première journée s'écoula. Sans réponse, était-ce étonnant? Elle avait fait certainement un long voyage et devait certainement prendre quelques repos. Du moins, c'était ce qu'il se disait, alors qu'il guettait, fébrile, l'arrivée d'un quelconque courrier.

L'espoir se mourait à petit feu chez lui. L'apparition de Terwagne n'avait fait que souffler sur les braises encore chaudes de cette espérance qu'il niait farouchement, de peur qu'elle ne ravive par la même occasion les cendres de cette existence qu'il voulait croire consumée. C'était plus simple ainsi. Aussi, il continua à se leurrer ainsi jusqu'au crépuscule.

Une seconde journée passa. Elle non plus ne combla pas ses attentes. Sans doute Terwagne était déjà repartie pour d'autres frontières, d'autres terres et une autre vie... Peut être n'avait-elle même pas lu sa lettre, le reléguant définitivement au rang des reliques de son passé.

L'angoisse s'alourdissait à chaque minute venant mourir contre sa porte. Pourquoi fallait-il que le doute l'empoigne alors qu'il était jusqu'alors résolu à mettre fin à cette souffrance? Il n'y avait plus de lendemains possibles. Plus de toujours et de "tounuits" pour eux. Le parfum des giroflées ne l'envelopperait plus à son réveil, et la Lune ne lui sourirait plus... Alors pourquoi s'accrocher encore à ces vestiges d'un amour qui le dépassait? Pourquoi n'arrivait-il toujours pas à étouffer cette part de lui-même qui criait son envie de vivre et de croire?

Il s'inventa alors quelques mensonges. Douce morphine spirituelle qui lui apporta quelques grammes d'oubli. Les contours de son visage s'estompèrent, ne laissant que deux prunelles noires où scintillaient d'antiques étoiles dans le ciel de ses songes. Il parvint tant bien que mal à traverser ce second jour.

Vint alors la troisième journée d'attente.

L'aube le trouva endormi sur le lit de l'auberge où il avait posé son baluchon à Coflans. Une auberge modeste et sans prétention, où il logeait dans une petite chambre à l'image de l'établissement: juste le stricte nécessaire, un lit et un coffre faisant office de bureau. C'était un luxe qu'il n'avait pas connu depuis Lyon. Son corps l'en remercia, point son âme pour qui ces quatre murs et ce matelas de paille avaient le goût de prison... Il ne fait pas bon d'avoir un toit au-dessus de sa tête, quand votre dite tête est en tel chambardement. L'oeil à peine ouvert, il se mit à faire les cents pas, se heurtant à chaque mur qui le renvoyait aussitôt à son opposé, et ainsi de suite. L'avantage de dormir à la belle étoile, c'est que vous n'avez pas de limite. Commencez à avancer et vous serez bien vite ailleurs, dans un autre pays, dans un autre monde que le votre... Là, dans cette chambre, quoi qu'il fasse, il se retrouvait lui-même, au même point de départ.

Sans doute aurait-il finit par s'écorcher lui-même de rage, s'il n'avait point remarquer l'enveloppe glissée sous la porte. Fébrilement, il la prit et la lut reconnaissant aussitôt l'écriture de Terwagne dont il désespérait de recevoir nouvelles.

Ecrire ce que furent les réactions de Kernos à la lecture de cette lettre demanderait un talent qui fait défaut à l'auteur. Il y eu de la colère, de l'abandon, de l'impuissance mais aussi de la tristesse, un brin de jalousie, et tout un cortège d'émotions que les mots sont impropres à transcrire. Voilà pourquoi nous ne les décrirons pas pour rendre justice aux grands sentiments qui ébranlèrent le Rouvray en apprenant l'attaque de la femme qu'il aime par des bandits de grands chemins.

Fallait-il y voir un coup du Destin? Lui-même, victime d'un carreau d'arbalète, détroussé de ses possessions il y a peu de temps sur les routes lyonnaises. Le souvenir de l'agression était encore bien vivant, encré dans sa chair meurtrie... Mais qu'était-ce un bout d'épaule face au ventre violé une fois encore par des lames assassines? Rien.

Mais surtout, il y avait cette proposition qui le jetait dans le plus amer des gouffres du doute. Cette invitation qui n'en était pas une... Chevaucher ensemble, sur les terres de Bourgogne où ils s'étaient aimés librement pour la première fois... Chevaucher, comme un rêve brisé, dans ce jardin béni de l'aube des temps où ils étaient "nous", plein de félicités et d'espoirs... Cruel revers, cruelle proposition qui l'emmènerait au milieu des terres dévastées de leur histoire, de leur amour écorché.

Encaissant le mépris de l'écriture aimée, il prit la plume à son tour, d'une main vibrante, ou plutôt tremblante. Fuir ou se résigner?

Terwagne,

Dieu qu'il regrettait les "ma Lune", "mon Tout", et ce tutoiement qui était leur.

Te dire... Que dire au fond? Quand l'on sait que quelques soient les mots de réconfort qui nous brûlent les doigts, ils ne trouveront jamais écho. Quand tout les gestes qui nous viennent spontanément du coeur ne rencontreront que l'indifférence, si ce n'est le dégoût ou le rejet... on se tait... te dire à quel point je suis navré de ce drame et de tes blessures ne changera rien, ni même t'apportera un quelconque réconfort ou infime soulagement. Mais je le suis tout de même. Je sais bien ce que cela signifiait pour toi, cette route, ces marques sur ton corps qui te... Un nouveau silence qui se couche sur le vélin. C'est si étrange et si déchirant de devoir mettre ainsi sous clés ses sentiments qui vous rongent. Ces précieux souvenirs que vous aviez bâti ensemble, qui vous emplissent de joie autant que de regrets, et que vous ne pouvez laisser jaillir librement, de peur que l'autre les brises... Kernos connaissait cette angoisse qu'elle avait toujours eu face à ce ventre balafré, à ses formes esquissées plutôt que généreuses, à ce désir jamais assouvie d'héberger la vie en son sein. Cette envie qui lui faisait envier les autres femmes, qu'elle pensait qu'il ne pouvait comprendre, lui qui était père. Il aurait voulu pouvoir combler ce manque. Il l'avait espéré maintes fois lors de leurs étreintes. je ne pense pas avoir le droit d'en parler, ni même ne te parler d'espoir... je ne le mérite pas, mais je n'en pense pas moins. Tout cela m'importe, même si je suis certainement la dernière personne dont l'avis ou les émotions représentent quelque chose pour toi.

Le moment du choix était venu... Oui, il allait souffrir, certainement plus qu'en prenant la fuite, mais sa décision était prise.

Quoi qu'il en soit, j'ai déjà tout vu. Même si je risque d'être un piètre garde du corps, ayant également croisé la route d'un brigand il y a peu, je serai là pour t'escorter jusqu'à Tonnerre. Dis moi juste le lieu de rendez-vous, ainsi que l'heure qui te conviendra, et je serai présent... C'est la moindre des choses que je puisse faire pour toi, après tout ce que j'ai déjà fait et surtout ce que je n'ai pas fait.

Et la liste était longue de reproche. Il se les repassait un à un en mémoire tandis qu'il achevait la lettre.

D'une main fébrile,

K...

_________________
.jim.
Thouars le 4 août 1460

Le rouquin s'ennuyait ferme depuis quelques jours que son épouse avait pris pension chez les sœurs carmélites. Comme chaque année, au mois d'août elle entreprenait une retraite spirituelle qui le laissait seul pour s'occuper des enfants et de leur manoir d'Yzernay.
Pour couronner le tout, l'ambiance à Thouars était morose, un brigand avait été élu maire. Après avoir dilapidé les ressources de la ville, le coquin était parti avec la caisse laissant le marché dans un état chaotique.

Manquant quelque peu de ressources, le jeune homme avait dû se résoudre aux travaux miniers. Il en revenait justement lorsqu'un colporteur lui remit une missive scellée du sceau d'Orpierre qu'il fourra dans la doublure de sa veste.
Après être rentré chez lui et s'être consciencieusement lavé les mains, il ouvrit la missive et dès les premières lignes, son sourire s'effaça.


Mon Dieu... Non... Pas Terry...

Il sentit un sentiment de révolte s'insinuer dans son esprit et son cœur à la lecture de ces lignes malgré une faible lueur d'espoir au dernier paragraphe.

Réprimant les larmes qui lui montaient aux yeux, il prit sa plume et la trempa dans l'encre


Citation:
Très chère Terry,

Votre lettre me trouve malheureusement en fort triste humeur car mon épouse est actuellement en pension chez les sœurs me laissant seul pour m'occuper de nos deux enfants. Le fait que le maire de Thouars, un coquin de la pire espèce, vienne de piller la caisse de la mairie avant de fuir en Anjou n'arrange rien malheureusement.

Mais cela n'est que peccadille en comparaison de ce qui vous est arrivé.

Ah Terry... vos malheurs me navrent le cœur et je donnerai un verre de mon sang pour chaque goutte du vôtre qui a été versé...
Comme j'ai honte d'avoir été angevin quand je vois comment ces gens là vous ont traités.

J'espère que le bras séculier de la justice saura s'abattre sur eux avec toute la vigueur requise! Et si d'aventure il n'en est rien, je ferai pression pour que l'affaire soit révisée en appel et je m'occuperai personnellement du cas de ces misérables qui ont osé vous toucher!

Mais je ne veux point parler de vengeance quand il y a lueur d'espoir. Ne croyez pas que vous soyez condamnée à ne jamais enfanter à cause d'une blessure qui est peut-être superficielle.

Mon épouse a été agressée sur la route d'Angers il y a deux ans et nous avons néanmoins eu une fille l'an dernier.

Je connais d'excellents médicastres que je puis faire mander à Tonnerre. Je sis sûr que leurs soins et onguents peuvent guérir les blessures de votre corps à défaut de celles de votre âme.

Ah... Terry, comme j'aimerais me trouver à vos côtés en ce moment... Mais mon épouse ne va pas tarder à sortir du couvent et je ne veux point qu'elle trouve à son retour une maison vide. C'est mon devoir de mari de l'attendre, je suis sûr que vous le comprenez.

Par contre, dès qu'elle sera de retour, nous prendrons la route de Champagne immédiatement. Je ne peux plus longtemps me dire votre ami et vous laisser dans un tel prédicament.

Tout espoir n'est pas perdu cependant puisque vous me dites que votre cœur s'est de nouveau ouvert. Il me semble lire entre les lignes une nouvelle déception poindre à l'horizon...

Permettez que je vous dise que ce n'est pas le plus important. Le duc Kelso n'est peut-être pas votre âme-sœur mais au moins votre cœur s'est rouvert à la perspective de l'amour et du bonheur et c'est cela qui compte vraiment.

Vous êtes Terry, la femme la plus touchante de ce monde, seul un fou vous serait indifférent.

Votre cœur s'ouvrira de nouveau à l'amour et vous aurez un enfant qui fera votre bonheur, je le sais au fond de moi, j'en suis même persuadé!

Ne partez pas trop vite de Champagne que j'aie le temps de vous y rejoindre et surtout gardez confiance!

Avec toute mon amitié,

Jim


Il relut la lettre, réprima à nouveau un flot d’émotions montant à ses yeux puis plia le vélin, cacheta le courrier et partit à la recherche d'un colporteur auquel le confier.
Kernos
[Tonnerre, le 31 juillet 1460, Sur les chemins de nos silences]

La route était là, eux également. Mais pouvait-on parler d'un "eux" véritablement? Elle, chevauchant devant, silencieuse comme les pierres. Lui, derrière, fermant la marche dans un mutisme oppressant d'éloquence. Cela n'avait en rien l'apparence d'un compagnonnage de voyage, mais plutôt de deux individus que le hasard avait placé au même endroit et au même moment.

Depuis des mois, Kernos n'avait cessé de vouloir la rattraper, de la retrouver. Des mois d'errances, de solitude et de souffrance dans le seul espoir de s'imprégner de sa présence, de l'entendre parler, rire, pleurer... Des mois d'épreuves qui s'achevait sur ce dos sévère et glacé, avec qui nul dialogue ne pouvait être entamé. Dire qu'il souffrait serait un euphémisme.

Terwagne...

Il avait tant espéré... Il l'avait tant rêvé... fantasmé... Le réveil était brutal, malgré tout ce qu'il avait pu imaginer sur leurs retrouvailles. Elle ne lui offrait même pas l'honneur d'une colère, d'une insulte, seulement le silence qui résonnait encore plus durement à ses oreilles.

Terwagne...

Dire qu'il lui suffisait d'un rien, juste tendre le bras, pour l'effleurer, pour sentir son corps, sa chaleur... Cette chaleur qui avait glacée toutes les autres. Ce corps qui avait peuplé toutes ses nuits, dont l'empreinte était encore gravée dans ses chairs, plus profondément encore que la cicatrice de son épaule. Cette peau, qui avait rendu la sienne étrangère à lui-même. Jamais il n'avait été aussi proche depuis des lustres et pourtant, la barrière qu'elle avait dressé entre eux les éloignait d'avantage que la distance et les mois passés.

Terwagne...

Tout volait en éclat. Ses résolutions, ses mensonges, la mort... Elle incendiait tout sur son passage, une fois encore, apportant la lumière au coeur des ténèbres. Même inaccessible, elle demeurait celle pour qui il respirait, celle pour qui il demeurait encore là.

Terwagne...

Le sang courait sous sa peau, comme un torrent s'éveillant à la fonte des glaces. Il le sentait affluer en lui, se glissant à travers son corps roide et asséché pour le gorger de vie, étouffant sur son passage les relents de pourriture et de mort qui y stagnaient.
La fièvre était toujours là, mais elle n'était plus la même. Ce n'était plus l'étreinte insidieuse et glacée qui l'enfonçait dans le sol... C'était l'envol fou. L'ivresse brûlante de la liberté et des cimes. Le feu purificateur. La vie qui vous empoigne, vous soulève et vous fracasse contre les cieux en un millier de comètes qui crèvent le voile de la nuit.
Il la ressentait gronder au fond de lui, comme un océan primal et oublié, cette vie qu'il avait renié, dénié, rejeté. Dans les battements de son coeur qui ne cessaient de cogner contre sa poitrine. Dans ses souffles s'accélérant à mesure qu'ils avançaient, se faisant de plus en plus violents, comme ceux du noyé émergeant du cours pour dévorer l'air qui lui faisait tant défaut. Entre envie et désespoir. Dans les douleurs s'éveillant à travers tout son corps. Non plus celles de l'agonisant sentant l'existence s'arracher petit à petit de son être, mais celles de l'homme convalescent qui ressent les privations infligées jusqu'alors à ce corps qui hurle son besoin de se retrouver lui-même. Il l'entendait rugir, résonner dans la moindre parcelle de son être, comme une bête fauve enchaînée et affamée qui se jette contre les murs de sa prison pour les faire voler en éclat.

Terwagne...

Mais les murailles qu'elle avait bâti étaient trop épaisses. Kernos n'était qu'un oiseau frappé en plein envol, la phalène venant se brûler les ailes aux feux de Terwagne, écartelé entre sa fascination hypnotique et la dure réalité. La situation lui arracha quelques larmes... silencieuses pour respecter la volonté de la Méricourt.

Ils arrivèrent donc enfin à Tonnerre, sans même que ne se fissure la muraille muette dont ils s'étaient entourés au départ. Kernos suivit Terwagne dans la première auberge rencontrée, se moulant aisément dans le rôle de l'ombre depuis le début de la chevauchée. C'était comme s'il voyait la scène se dérouler par le regard d'un étranger. Elle lui tendit une clé, et sans même le temps d'un "merci" ou d'un "bonne nuit", la porte se referma sur lui.

Il resta là quelques instants, immobile dans le couloir. A quoi bon tout ceci? A quoi bon endurer toutes ces souffrances? Même pas pour un mot ou un geste, ne serait-ce qu'une insulte ou une gifle... Tout ça pour une porte close sur ses propres envies.

Kernos finit par s'éloigner pour gagner la chambre qu'elle lui avait "réservé". Il était las... plus las qu'il ne l'imaginait, comme si tous ces mois d'errances et la blessure venaient de le rattraper tandis qu'il s'attardait sur le pas de Terwagne. Il se laissa donc s'écrouler sur la couche. Mais sa Lune n'était pas al seule à le fuir aujourd'hui, le sommeil aussi.

Savoir qu'elle était si proche, à peine quelques pierres de lui, lui rappelait qu'il était homme malgré tout. Les draps le grattait, sa peau le brûlait et sans cesse elle qui revenait à ses pensées... L'objet de ses désirs les plus fous... Il pouvait presque la sentir, la deviner de l'autre côté du mur.

Il se tourna, se retourna encore. Suppliant la fatigue de l'emporter pour qu'il cesse ainsi de goûter aux tourments de la passion avortée. Rien n'y fit. Il se redressa donc et alla à la fenêtre pour chercher l'apaisement dans l'air nocturne.

Il resta là un moment, accoudé, frissonnant, jouant du bout des doigts avec l'anneau qui pendait à son cou... Pas moyen de la chasser de son esprit. Comment se sentait-elle? Est-ce que ses blessures ne la faisaient point trop souffrir? Pourra-elle un jour enfanter contrairement à ce qu'elle s'imaginait? Il commença à errer dans la chambrée, se tournant et retournant sur lui-même. Ses pas finirent par le mener devant la porte qui s'était fermé sur lui un peu plus tôt.

Si seulement...

Si au moins il pouvait entendre sa respiration à travers l'huis. Il se laissa tomber sur son séant, le dos glissant le long de la porte. Dieu qu'il était pitoyable... réduit à vouloir écouter aux portes, et pourquoi pas regarder par le trou de la serrure? Il rougit de honte.

Quelques minutes s'enfuirent, et Kernos avec elles, se leva pour regagner sa propre chambre. Le sommeil ne le gagna pas pour autant.

_________________
Terwagne_mericourt
[Tonnerre, le 18 août 1460, au long des soupirs :]


Le verdict était tombé... Enfin ce procès était terminé et le coupable condamné!

Plus rien ne la retenait donc à Tonnerre, et encore moins en Bourgogne, si ce n'était son état de santé et son angoisse à l'idée de voyager à nouveau, de risquer une nouvelle attaque nocturne, ou même diurne.

Quittant le vélin qu'ils ne cessaient de caresser depuis deux jours, ses yeux se posèrent un instant sur le mur qui séparait sa chambre de celle du baron de Mévouillon. Qu'attendait-il donc pour briser le silence? C'était bien lui qui lui avait écrit près d'un mois plus tôt en lui demandant de lui laisser le loisir de la rencontrer pour lui " donner quelque chose avant de te laisser à ta liberté au combien méritée."

Alors... Qu'attendait-il?

Depuis qu'elle l'avait autorisé à l'escorter en Champagne, fin du mois dernier, pas une seule fois il ne lui avait adressé la parole, pas une seule fois il n'avait fait allusion à cet "objet" qu'il désirait lui remettre! Non, rien de rien! Il s'était contenté de la suivre, partout, y compris au tribunal, se comportant comme une ombre, silencieux.

Fallait-il donc que ça soit elle qui aille frapper à sa porte et lui demande l'objet? Elle qui n'avait rien demandé, et surtout pas à le voir au départ!

Il avait demandé une faveur, elle avait accepté, malgré sa colère et sa haine, et à présent et bien il se faisait attendre, espérant sans doute ainsi grappiller quelques jours de plus en sa compagnie, si l'on pouvait nommer cela ainsi, retarder le moment des adieux à jamais.

Attrapant l'une de ses bottes, qui étaient posées sur le plancher, elle la lança avec rage contre le mur, se demandant si cela avait une chance de le faire sortir de son silence. Il n'avait décidément plus rien de l'homme qu'elle avait aimé, désiré, mais surtout respecté...

Elle soupira... D'exaspération.

Le chassant de ses pensées, exactement comme elle le ferait de sa vie dès la Champagne regagnée - avec ou sans l'objet mystérieux - elle plongea à nouveau ses pupilles sur la dernière lettre reçue de Kelso...

Ici aussi, elle soupira... Mais d'un autre genre de soupir. Un soupir rempli de vague à l'âme, de manque, de détresse, de chagrin... Le soupir d'une femme amoureuse qui se languit et s'interdit d'espérer, sans y parvenir pourtant.

Kelso... La douceur et la douleur... La chaleur et les battements de coeur...

Sa main se porta un instant à son ventre, ce ventre qu'elle détestait plus que jamais! Ce ventre à jamais défiguré! Ce ventre où elle avait si souvent rêvé de sentir grandir une vie, la vie! En était-elle seulement encore capable? Et si oui, pour combien de temps? Les années s'écoulaient, et elle savait qu'elles lui étaient comptées à ce niveau-là, même si ses blessures avaient épargné sa fertilité, ce dont elle doutait fortement.

Elle n'avait plus de temps à perdre... Il lui fallait au moins essayer temps qu'elle était en âge de le faire.

Et malgré ses envies à elle, malgré leurs sentiments respectifs, ce n'était pas avec Kelso qu'elle réaliserait ce rêve, il fallait bien l'admettre... Kelso était marié! Que ce mariage ne soit pas consommé n'y changeait rien! Que ce mariage soit pour lui tout sauf concret n'y changeait rien! Le mariage était bien réel et il semblait bien improbable qu'il soit annulé dans les mois à venir.

Elle soupira... De désespoir cette fois. Entre l'amour interdit et le rêve de toute sa vie, devenir mère, il lui faudrait choisir tôt ou tard.

Essuyant la larme qui avait décidé de prendre naissance dans son oeil gauche, elle prit de quoi écrire, et répondit au Duc de son coeur, de ses pensées, de ses envies, de ses rêves inaccessibles.


Citation:
Très cher Kels,


J'ai sourit, en lisant vos derniers mots, votre décision de prendre la route pour me voir, n'importe où, ne serait-ce que quelques heures. J'ai sourit, oui, et même ai rêvé de ces instants que nous pourrions voler à votre vie d'homme marié, que nous pourrions dédier à notre "plus si affinités", que nous pourrions partager sans voir les minutes s'écouler, en les laissant juste se consumer, nous consumer.

J'ai voulu vous répondre immédiatement en vous avouant ne pas avoir d'endroits tranquilles et privés pour nous revoir ailleurs qu'en Lyonnais-Dauphiné, duché bien trop lointain pour que ma santé encore trop fragile me permette de le rejoindre en ce moment, mais en vous invitant à m'indiquer un lieu de votre choix en Champagne, ou même en Orléans.

J'ai voulu, oui, et ai du faire un effort indescriptible pour me l'interdire.

Pourquoi me l'interdire? Parce que je me déteste lorsque je pense à Madame Kelso, cette épouse qui visiblement n'en a que le nom, et à qui je ne rêve que de vous enlever. Je sais, je ne devrais pas parler ainsi, avouer mes envies et mes rêves, mais je n'en peux plus de les taire.

Les taire pourquoi, d'ailleurs? Ce silence m'aide-t-il à oublier le manque de vous? Non! Ce silence m'aide-t-il à guérir de ce feu que vous avez mis en moi? Non!

J'ai souri en lisant votre lettre, mais j'ai aussi tremblé. Et je tremble toujours, de peur, en pensant à cet aveu que vous me faites concernant vos pensées mortelles, votre manque d'envie et de goût à "tenir" encore.

Comme je voudrais vous rendre, nous rendre, ce bien-être que nous avons partagé lors de notre voyage! Comme je voudrais nous sentir à nouveau tellement vivants!

Je suis déchirée, Kels... Déchirée entre mes sentiments pour vous, mon envie de vous aimer sans plus me l'interdire, et mes remords face au pêché que cela serait vu votre mariage. J'ai beau détesté le vôtre, il n'en reste pas moins quelque chose que la morale doit m'interdire de bafouer.

Je suis déchirée également entre cet am... ces sentiments que j'ai pour vous, mes rêves et mes envies de succomber, de juste vivre ce que nous pourrions vivre ensemble, et mon rêve de toujours : celui de donner la vie à un enfant, dans des conditions respectables, et non dans la bâtardise.

Alors je réfléchis, je me torture l'esprit, j'échafaude mille rêves absurdes, mille solutions improbables, j'oscille entre l'espoir de voir votre mariage annulé rapidement et ce rêve de maternité dans les liens du mariage rendu réalisable avec vous, et la raison qui elle m'induit plutôt à prendre époux rapidement, sans sentiments, pour voir mon plus grand rêve se réaliser... devenir mère.

Je me devais de vous avouer ces pensées, ces réflexions, ces hésitations, même si j'imagine qu'elles ne vous plairont pas. Je me refuse de vous cacher mon chagrin et mes doutes, mes craintes, et encore plus de vous mentir en vous laissant croire que je suis heureuse ainsi, loin de vous et faisant une croix sur mon désir de donner la vie avant que l'âge ne m'en empêche.

Arrivé là de votre lecture, j'imagine que vous soupçonnerez derrière ces aveux un rapprochement avec le baron de Mévouillon, mais je tiens à vous rassurer de suite sur ce point... Nous ne nous sommes toujours pas adressé la parole, pas même par écrit. Il n'est donc nullement à mettre en lien avec mes réflexions sur un mariage quelconque avec un homme dont je n'aurais que faire, du moment qu'il fasse de moi une mère.

J'aurais voulu vous rencontrer avant Madame Kelso! J'aurais voulu tant de choses avec vous! Mais le pire, c'est que j'en souhaite aujourd'hui encore, avec vous!

Je serai en Champagne dans quelques jours, normalement. Juste le temps de plier bagage et de reprendre la route pour rentrer.

J'ai besoin de vous voir, de vous parler, de vous entendre, mais surtout de votre aide pour cesser d'hésiter. Je ne prendrai aucune décision sans vous, sans "nous".


Votre Terwy

_________________

Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[Tonnerre, 18 août 1460, Que reste-t-il de nos amours?]

"Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi "
*

Kernos était sorti.

Las de se briser chaque jour un peu plus contre ses silences, il s'était résolu à fuir quelques instants loin de cette porte fermée sur lui et son existence. Quelques minutes à l'air libre. Quelques minutes loin de ses chaînes et de son impuissance. Quelques minutes pour se tromper lui-même et oublier que sa vie s'échouait sur le pas d'une porte d'auberge.

Il n'en pouvait plus de ces espérances stériles, de ses veilles interminables. La porte ne s'ouvrait jamais pour lui. Elle le faisait pour des messagers. Elle le faisait pour elle, quand il fallait se rendre aux audiences du procès... Pas une seule fois, elle ne le fit pour le Rouvray. Il en allait de même pour ses lèvres, obstinément closes à chacune de leur rencontre, et pour sa plume. Ses billets restaient lettres mortes.

Lors de tous ces longs mois passés à sa recherche, il avait cru souffrir de son absence... Au final, ce n'était rien comparé à la douleur à sa présence. Les souvenirs des jours anciens et des nuits passées prenaient corps avec plus de vigueur encore, abandonnant le monde des images pour s'assoir à ses côtés sur le lit intact de ses insomnies. Dans l'air, flottait le parfum des giroflées, malgré l'épaisseur des murs et du silence, il parvenait à se glisser jusqu'à lui, tout comme le bruissement d'une chaise ou d'une respiration qui lui remémoraient sans cesse son entêtante présence... quelques pierres entre leurs deux corps, un abîme de rancoeurs, de déceptions et de regrets entre leurs âmes.

Quel beau gâchis!

Ils avaient eu Tout... ou presque. A présent que restait-il? Pour elle, sans doute de la colère, de l'abandon, si ce n'était de la haine pour lui, pour ses promesses, leurs espoirs avortés. Pour lui, la déchirure. Les souvenirs brûlant comme le fer sortant de la forge. Le désespoir d'avoir perdu son évidence, sa Lune, cette part de lui-même qu'elle lui avait révélé par son amour. Des cendres que le temps et les silences ne faisaient que disperser encore d'avantage , voilà ce qui restait.

Paris avait été certainement le dernier carrefour de leurs chemins respectifs. Pourquoi avait-il fallu qu'il fasse un détour? Pourquoi avait-il fallu qui s'attarde en Lyonnais-Dauphiné au lieu de courir là où son coeur lui hurlait d'aller? Le devoir? L'honneur? Si seulement cela avait été cela... La peur? L'hésitation? Non plus... Ses enfants? L'homme qu'il avait été? Encore moins... Qu'elle était donc cette raison qui lui avait fait manquer le coche?

A mieux y réfléchir, une réponse lui monta à l'esprit... Mévouillon.

Ce n'était pas le fief. Ce n'était pas le titre dont elle l'affublait à lui en faire saigner les oreilles. C'était l'idée. C'était le symbole que ces terres incarnaient. Mévouillon... C'était le don qu'elle lui avait fait. C'était le cadeau qu'elle lui avait donné, malgré ce qu'en penserait les autres. Mévouillon... A ses yeux, cette baronnie était tout ce qui lui restait d'elle lorsqu'elle avait fui pour le sauver d'elle, d'eux. Il avait eu bien du mal à s'en arracher d'ailleurs, et alors même qu'il était sur le point de reprendre la route pour la Champagne, s'était encore de Mévouillon qu'il s'était soucié... Parce qu'il la tenait d'elle. Parce qu'il avait eu le rêve qu'un jour leurs enfants y grandiraient. Parce qu'il avait songé qu'ils y réaliseraient leur rêve d'être à jamais unis l'un l'autre... Parce que Mévouillon s'était Terwagne, son amour, sa générosité et sa reconnaissance. Il n'avait pu la quitter sans s'assurer qu'elle demeure telle qu'elle aussi longtemps qu'il serait éloigné d'elle. Il n'avait pu la quitter sans s'assurer que personne ne puisse un jour souiller ses espoirs passés.

A quoi tout cela avait servi d'ailleurs? Il conserverait certainement Mévouillon mais jamais l'amour de Terwagne. Le jardin qu'il avait fait aménager aux pieds des murailles lui apporterait à chaque heure le parfum de la femme qu'il aimait et qui le haïssait, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucune larme à lui arracher. Garde donc tes vieilles pierres, elles te serviront de tombeau quand Terwagne t'aura définitivement chassé... Quand ta vie t'aura définitivement abandonné.

Ses pas l'avaient mené sans qu'il s'en rende compte, à la sortie de la cité. Kernos promena avec lassitude son regard sombre sur les champs alentours. A quoi bon? Il serait si simple de s'évanouir dans la nature, sans un mot, sans une trace. Elle ne chercherait même pas après lui... L'oubli... Cesse t-on exister quand ceux que l'on aime finissent par vous oublier? Sans doute cela serait plus commode pour tout le monde. Plus de Kernos. Plus de souffrances. Plus d'espoirs stériles. Rien que l'oubli profond, la grande nuit où meurent les rêves.

Les épis de blés lui caressaient le menton. A ses pieds, quelques tâches écarlates venaient troubler la plénitude de cette mer d'or. Il s'accroupit. Des coquelicots... Peut être que c'était cela Terwagne... Un éclat vif et fragile venant bouleverser la plénitude uniforme du monde qui l'entoure.

Elle avait été cela pour lui.

Surgissant de nul part, au plein milieu de l'hiver. Un éclair dans l'obscurité de ses jours. Un vent de folie venu renverser son existence, le laissant à présent encore plus démuni et nu qu'il n'était à leur rencontre. La Lune apparaissant souriante au détour d'un nuage... Terwagne... Tempête... Lune... Pourquoi ne parvenait-il pas à s'en détacher?

Etendu sur le lit d'auberge, rejeté par le sommeil, il la voyait encore apparaître dans un déluge de fièvre. Ses seins pareils à deux oisillons se blottissant au creux de ses mains avant de prendre leur envol. Ses fesses rondes et douces comme une pêche bien mûre prête à être cueillie, vous appelant à venir y croquer. Ses cuisses au gable léger, non comme une esquisse, mais plutôt épuré, comme si l'artiste avait voulu concentrer en quelques traits l'essentiel, se dégageant du superflus et de l'ornemental, en traçant ses jambes. Ses yeux, aussi profond que l'était l'éther, aussi sombre que l'était la nuit parée de ses plus belles étoiles, dans lequel il s'était noyé. Ses cheveux, ruisselant entre ses doigts comme l'eau vive, qu'elle relevait pour dégager cette ligne de toutes les envies qui lui avaient brûlé les doigts et la bouche au cours de leur dernière chevauchée. Ses lèvres vermeilles et délicates comme les pétales des coquelicots caressant ses bottes. Dieu! Qu'il souffrait alors d'être tant homme et elle si femme.

Sa main quitta sa propre bouche qu'il retenait jusqu'alors de hurler pour tirer son poignard de sa ceinture. Kernos considéra quelques instants la pointe d'acier acéré, puis la ligne qui lui creusait la paume, et la planta dans la terre. Taillant délicatement à droite, tantôt à gauche, s'enfonçant plus profondément dans la terre devenue meule, il parvint à dégager une belle motte qu'il emballa soigneusement dans sa cape.

Il ne lui fallu que quelques minutes pour regagner l'auberge, son paquet délicatement tenu entre ses mains pour le déposer sur le pas de la porte close de Terwagne. Il retira le tissu, découvrant alors sept tiges courbées sous le poids de quelques pétales de sang aussi fines et délicates que la soie.

Kernos les regarda, cherchant un peu de courage au fond de lui pour faire ce qui devait être fait.

Sa main se leva. Tremblante, non d'hésitation, mais d'émotion... C'était la dernière fois très certainement... Frappa contre l'huis.


Terwagne Sa voix n'était pas aussi assurée qu'il l'aurait souhaité. Pouvons nous parler?

S'il fallait la perdre, autant que cela ne soit pas en silence.




*Ch. Trenet, Que reste-t-il de nos amours?
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Terwagne_mericourt
[Tonnerre, le 18 août 1460, encore et toujours :]


Après avoir signé et scellé avec soin la missive destinée à Kelso, la Vicomtesse qui n'en avait pas vraiment l'apparence tant elle n'accordait plus la moindre importance à son apparence depuis l'attaque subie, s'attela à répondre au dernier pli que lui avait adressé son futur vassal.

Cette lettre attendait réponse depuis bien trop longtemps, elle en était consciente et navrée, mais elle n'avait pas eu la force de le faire correctement ces derniers temps. Oh bien sur elle aurait pu lui répondre brièvement, en quelques lignes, mais elle avait préféré attendre d'avoir la force de lui écrire une vraie missive, remplie d'autre chose que de banalités.

Elle reprit donc la plume, loin de se douter cependant que son coeur allait se vider sur le vélin placé devant elle.


Citation:
Très cher Jim,


Une fois de plus, ma réponse se sera faite attendre, et je vous prie de m'en excuser. Pour tout vous dire je me remets bien plus lentement de mes blessures que je ne l'avais espéré, et sans doute ais-je présumé de mes forces en reprenant la route pour assister au procès d'un de mes agresseurs.

Quoi qu'il en soit, ce procès est enfin terminé, et le coupable a été condamné. De ce côté-là au moins j'éprouve quelque soulagement.

J'espère de tout coeur que de votre côté tout va pour le mieux, que vous avez retrouvé votre épouse et votre humeur souriante en même temps. Plus je lis vos mots la concernant, souvent glissés entre deux lignes, plus je suis persuadée qu'elle doit être une femme merveilleuse.

Gardez précieusement son amour, Jim! L'amour et la famille sont sans conteste les deux seules choses réellement importantes dans la vie. Vous avez les deux, et j'en suis profondément heureuse pour vous.

A ce propos, je vous remercie pour vos mots d'espoir concernant la possibilité qu'il me reste peut-être d'être mère un jour... Ils m'ont rendu espoir, au fond, même si contrairement à votre épouse je n'ai pas été victime d'une seule et unique agression au niveau du ventre. Cette attaque-ci était la troisième... Quoi qu'il en soit, je garde espoir sur ma capacité physique à enfanter, même si cet espoir est faible.

Malheureusement, le reste est plus compliqué... Et bien plus personnel...

Vous aviez malheureusement bien lu entre mes lignes, concernant le Duc Kelso, je le crains, même si je ne parlerais pour ma part pas de déception, loin de là. Il ne m'a pas déçue, absolument pas, et c'est au final bien pire.

Lorsqu'un homme vous déçoit, vous blesse, se joue de vos sentiments, vous fait souffrir, c'est tellement plus simple au fond! Oh bien sur il y a la douleur, le deuil à faire, mais la haine vous y aide, la colère aussi, et vous finissez par vous dire qu'il ne mérite pas votre amour, puis par l'oublier, ou même le garder comme un simple souvenir fané rangé entre deux pages sur une étagère poussiéreuse...

Kelso c'est tellement différent! Aucune déception, aucune tromperie. Nous nous sommes quittés après l'attaque subie à Tonnerre pour l'unique raison qu'il désirait passer à l'acte concernant son souhait d'annulation de mariage avec une autre dont je n'ai même pas retenu le nom. Qu'importe son nom, après tout? Rien... Un nom ne signifie rien, si l'on ne connait pas la personne.

Oui, le voila, le vrai problème : le Duc Kelso est marié! Et je me déteste d'avoir succombé, d'avoir sali par mes actes et mes rêves ce lien sacré qui l'unit à une autre. Je hais cette femme que je suis devenue, passant ses nuits et ses jours à espérer voir ce lien disparaitre, à repenser en souriant à la douceur des moments volés et trop vite consumés.

Ne vous leurrez pas, il ne m'a jamais menti à ce sujet, et ne m'a jamais caché l'existence de ce mariage. Je le savais dès le départ, et lorsque nous avons entrepris ce voyage ensemble, j'étais loin de me douter que mon coeur allait s'ouvrir, mais bien plus loin encore de me douter qu'il nourrirait à mon égard les mêmes sentiments.

Depuis lors, séparés par des lieues bien trop nombreuses, nous nous écrivons, et rien n'a changé nos sentiments respectifs, si ce n'est qu'ils semblent devenir de plus en plus forts et douloureux dans chacune de ses lettres et des miennes.

Ses envies d'annulation de mariage? Les premières démarches qu'il a fait en ce sens sont tout sauf encourageantes, malheureusement. Il comptait sur le fait que ce mariage n'a même pas été consommé, mais l'Eglise ne l'entend pas de cette oreille et lui conseille "d'essayer avant de vouloir annuler". Je n'en ai pas cru mes oreilles lorsqu'il me l'a annoncé tant cela me semble absurde! Essaie-t-on d'aimer quelqu'un? Bien sur que non! L'amour ça ne se tente pas, ça s'impose à nous...

Je suis déchirée, Jim! Et je ne sais vers qui me tourner, à part vous. Vous qui êtes l'un des seuls à savoir qui je suis réellement, un des seuls à connaitre mes valeurs, mes rêves, mes faiblesses et mes peurs.

Kelso, c'est aller à l'encontre des valeurs du mariage dont j'ai si souvent rêvé, c'est aussi espérer sans certitude qu'un jour nous puissions nous aimer sans plus rien trahir, c'est aussi et surtout faire une croix sur mes rêves de donner la vie à un enfant dans la légitimité, sans lui cacher le nom de son père, sans lui donner le surnom de bâtard.

Pourtant, Kelso c'est avant tout aimer...

Alors oui, je suis déchirée, entre cet amour et mes rêves, ou plutôt devrais-je dire la chose la plus importante à mes yeux, devenir enfin mère.

J'en arrive même à me dire que je devrais envisager un mariage de raison avec un autre, sans sentiments, pour réaliser ce rêve, quitte à ce que Kelso me haïsse pour le restant de ses jours. Un mariage d'intérêt, où moi je gagnerais la maternité et le futur époux quelques terres via mes fiefs.

Je ne sais plus que faire, Jim... Je suis plus perdue que jamais...

La présence à mes côtés de cet homme qui voulait m'épouser jadis et que je déteste depuis de nombreux mois à présent, Kernos Rouvray - que vous avez sans doute rencontré lors de la cérémonie d'investiture à la Chancellerie - n'est pas pour m'aider, loin de là. Je regrette d'ailleurs de lui avoir laissé le loisir de m'escorter jusque Tonnerre pour assister au procès. Cela ne rime à rien, puisque je ne lui ai pas encore adressé la parole depuis lors, n'éprouvant à son égard que colère et déception, pour rester "polie". Si il avait jadis tenu ses promesses, tout serait tellement différent à présent...

Je me rends compte que je dois vous assommer avec mes soucis de coeur et de raison, et même que je risque de vous décevoir en vous confiant ainsi mes fautes envers le mariage d'une autre, aussi vais-je m'arrêter là. Ne me jugez pas trop sévèrement, mon ami, je ne suis au final qu'une femme, avec tous les défauts que cela implique.

Je serai en Champagne fort prochainement normalement, puisque je reprends la route dans quelques jours à peine, mais je pense me retirer ensuite au couvent jusqu'au trentième jour de ce mois. Si le coeur vous en dit toujours, je serai heureuse de recevoir votre visite, ainsi que celle de votre famille.

Avec toute mon amitié sincère,
Terry


Un scel plus tard, elle se leva et quitta sa chambre afin de confier les deux courriers à un messager, lançant au passage un regard noir en direction de la porte derrière laquelle le baron de Mévouillon se terrait.

Quelques minutes à peine s'écoulèrent avant qu'elle ne regagne son "antre", le visage marqué par ses dernières nuits d'insomnie, mais bien plus encore par ses états d'âme. Elle n'avait goût à rien, envie de rien, sauf de tout envoyer balader pour courir se jeter dans les bras d'un Duc qu'une autre appelait son époux, d'un Duc auquel une autre finirait sans doute par donner descendance, d'un Duc dont elle avait bien du mal à être si loin. A moins qu'au contraire elle ne court plutôt s'enchaîner à son tour le plus rapidement possible dans les liens d'un mariage arrangé, préférant la maternité à l'amour passionné et interdit ? Encore et toujours le même déchirement, le même dilemme.

Dans un soupir, elle se laissa tomber sur le lit, mais ne tarda pas à se relever pour se rendre devant la glace qui trônait dans un coin de la pièce.

Là, elle s'inspecta longuement, se disant que si Kelso la voyait aussi mal fagotée il la taquinerait encore, ou même la gronderait, moqueur et acerbe comme il savait si bien l'être. Même ses piques verbales lui manquaient... Comme elle aurait aimé le voir ouvrir brusquement la porte, critiquer sa tenue et sa coiffure, pouvoir sentir son souffle, son regard, sa brusquerie cachant sa fragilité, voir ses sourires retenus, et tant de choses encore! Comme elle aurait aimé qu'il la fasse se sentir femme à nouveau!

Une pensée en entrainant une autre, toujours les mêmes, elle releva les pans de sa chemise et regarda le reflet de sa cicatrice, son ventre redevenu plus creux que jamais... Sa main se porta alors vers les boutons de la dite chemise, qu'elle défit un à un, dénudant ainsi non seulement son ventre, mais aussi son torse, observant le spectacle navrant de ses seins redevenus bien menus.

Cet à cet instant précis que Kernos fit entendre d'abord son poing sur le bois de la porte, sa voix contre celui-ci ensuite.

Rageusement, elle referma les pans de sa chemise, les tenant joints d'une main, ne prenant pas le temps de les reboutonner ensemble, et se dirigea vers la porte, qu'elle ouvrit d'un geste brusque.


Baron!

Je n'ai pour ma part plus rien à vous dire, mais puisque vous semblez avoir enfin retrouvé votre organe, vous pouvez parler, oui...

Entrez.


Pas un mot de plus, juste un pas de côté pour le laisser passer.
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
Je veux juste une dernière danse
Avant l'ombre et l'indifférence
Un vertige puis le silence
Je veux juste une dernière danse
*


La porte s'ouvrit sur lui comme une bourrasque annonçant la tempête. Elle était là, au rendez-vous, face à lui. Il sentit la colère tourbillonnante qui l'habitait lui cingler le visage. Le grondement de ses yeux noirs annonçait l'orage menaçant qui ne manquerait pas d'éclater sur lui.

Frêle et menue jeune femme. Elle lui arrivait à peine au menton. Malgré les privations, la rigueur de ces mois passés sur les routes et la maladie qui l'avaient diminué, elle avait toujours l'air d'une brindille à côté de lui. Et pourtant... Quelle ardeur dans ce petit bout de femme! Il en avait des picotements dans la nuque, rien qu'en observant son visage furibond. C'était ça Terwagne... Débordante malgré tout. Entière dans son mépris, comme dans son amour... Il en frissonna respectueusement. C'était un trait de son caractère qui l'avait toujours séduit chez elle et parfois même, effrayé. A ses côtés, il se sentait minuscule. Fragile. Comme l'homme emporté au loin par les vagues, impuissant et ridicule face à la force des éléments.

Le Rouvray fit face malgré tout. Posant ses yeux bruns comme la terre gorgée de pluie dans ceux, noirs et foudroyant, de la Méricourt. Dieu, que s'était éprouvant! Eprouvant de ne pas s'y enfoncer,de s'y perdre, de s'y oublier. Il y avait quelque chose d'irrésistible, de magnétique au fond de ce regard farouche. Bon sang! Qu'il l'aimait cette femme! Il sentait son âme hurler au fond de lui comme une bête fauve, ce désir de se fondre en elle. D'effleurer ne serait que le temps d'un battement d'aile, ce "Tout" qu'ils avaient formé ensemble. Pitié, ne me fait pas ça. Il sentait ses défenses fondre les unes après les autres sous son regard. Détourner les yeux aurait été certainement plus sage, mais il ne pouvait s'y résoudre. Il tint.

Tout cela ne dura qu'un fragment de respiration. A peine un battement de cil. Mais elle l'avait renversé, jusqu'au plus profond de son être. Il se sentit ridicule. Ridicule toutes ses pensées, ses promesses de rompre ses chaînes... Ses idées d'oubli, de liberté donné... Tout cela sonnait si faux alors qu'elle était devant lui, lui jetant ses mensonges au nez. La vérité, il la connaissait bien, même s'il tentait de l'enfouir, de l'étouffer. La vérité, elle avait un regard et des cheveux de nuit. La vérité, elle se tenait devant lui, bien campée sur ses jambes fines. A quoi bon, se mentir? C'était Terwagne et ce serait toujours elle.

Le geste n'avait point était volontaire. Sans doute une inspiration un peu plus appuyé, ou un tressautement nerveux de ses doigts. Quoi qu'il en soit, le tissu bailla légèrement autour de son cou, découvrant un léger pan de cette peau pâle qu'il avait mainte fois caressait... C'est alors qu'il remarqua que sa chemise ne tenait que par la volonté de sa main.

On a beau être amoureux et pétri de bonnes intentions chastes, on en reste pas moins homme. Et la pensée de ce corps que l'on a tant fantasmé, désiré, pleuré, si proche qu'il suffirait que de tendre le bras pour le toucher, fit monter en lui une fièvre qui n'avait rien à voir avec l'infection de son épaule meurtrie.

Pourquoi fallait-il qu'elle soit si spontanée? Une autre aurait certainement prit le temps de remettre ses vêtements avant de répondre à l'importun qu'il était... Pas elle, pour son plus grand malheur. Comment garder son calme, quand l'on vient vous agiter sous le nez, l'objet de tous vos regrets, de tous vos espoirs, de vos plus éloquentes et secrètes envies? Il avait beau être Chêne, il n'était pas de bois, et encore moins de marbre.

Surmontant les battements de son sang qui bourdonnaient à ses tempes. Jonglant entre les bouffées de chaleur et les tremblements glacés qu'elle faisait naître en lui. Et surtout serrant ses poings pour ne pas céder à cette pulsion folle qui lui remontait le long de la colonne vertébrale en partant du creux de ses reins. Il ouvrit ses lèvres.


Bonjour Terwagne.

Esquive un peu molle, mais ne parvenant pas à déterminer si elle faisait référence à l'usage de la parole, ou bien à celle plus ancienne dans l'une de ses dernières lettres à propos d'ardeur physique, de visite et d'absence de sous-vêtements, il préféra botter en touche pour le moment.

Il enjamba les pavots qu'il venait de semer à la porte de sa chambrée, et pénétra dans la pièce. Trop heureux du répit momentané que lui offrait ce geste et briser l'emprise qu'elle avait toujours sur lui-même... Répit passager et fort éphémère hélas... Sa chambre embaumé l'odeur de sa peau et l'essence de giroflée... Autant jeter un assoiffé au milieu d'un fleuve.

Ses yeux parcoururent brièvement les murs avant de se retourner vers elle se tenant toujours à l'entrée.


Comment te remets-tu de ton... agression? Et surtout, comment va-ta blessure?

Son regard se posa sans arrières pensées ou presque, sur le ventre à peine recouvert de Terwagne. Quand il s'en rendit compte, il ne détourna pas vivement les yeux, mais les redressa vers son visage.

Je t'ai amené un onguent, si tu le souhaite... Le même que le barbier t'avait prodigué autrefois. Il me semble qu'il avait bien fait effet.

... Les fleurs aussi sont pour toi, elles m'ont fait penser à toi.








*Kyo, Dernière danse.
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Aimelin
[Honfleur, aout ... "tu voulais voir la mer et on a vu la mer"]


- Aimeliiiiiiiiiiin ! On va voir la mer ?
- Oui
- et on va faire du bateau ?
- Oui si tu veux
- et j'pourrai êtr' pirate alors ?
- Oui... heu... enfin on verra


Grimace. Elle lui demanderait d'aller baffer le roi qu'il irait tant il avait l'impression que cette gamine de neuf ans qui parlait parfois cru et parfois maladroitement, mais toujours vrai, l'avait rendu dingue. Voilà, Terwagne se faisait du soucis pour sa santé mentale, et bien elle avait raison, il était fou !

- faudra te trouver un costume de pirate alors
- owii !


Pourquoi cette mome le faisait elle sourire, rire, et arrivait parfois à faire naitre dans ses yeux quelque brume indescriptible. Il se sentait un peu son grand frère, un peu son père bien qu'il se trouvait trop jeune, un peu sa conscience et parfois pas la bonne, lorsqu'Aliénor leur disait qu'ils se liguaient contre elle. Un pâle sourire éclaira son visage alors qu'il naviguait entre les étals du marché de Honfleur.

Honfleur. La ville où s'était installée la blonde Comtesse aux yeux bleus, celle qui lui avait sauvé la vie un jour d'aout 57 en Béarn, celle qui l'avait vu anéanti l'été d'après, celle qui lui avait fait l'honneur de le prendre comme vassal, et qu'il défendait jusqu'à son dernier souffle.

Il fronça les sourcils et ses mirettes grises se posèrent sur une petite poupée de chiffon à la mine constellée de tâches de rousseur, à la chevelure rouge et aux prunelles noisette, habillée d'une robe grise comme ses yeux qui lui soutira un léger sourire empreint d'une curiosité amusée. Il la prit machinalement dans sa main et la regarda indifférent au baratin de la vendeuse.


je vous la prends... avant de lever les yeux vers la femme... vous n'auriez pas un costume de pirate par hasard ? avant de préciser devant son air étonné... pour un enfant.

Quelques sous plus tard, sans costume mais avec sa précieuse trouvaille, il repartit bien décidé à trouver cette boutique indiquée.

vous y trouverez de tout et d'rien, lui avait elle dit, et cela tombait bien c'était ce qu'il cherchait.

Un autre étal attira son regard et il s'en approcha ne pouvant détacher ses yeux d'un petit coffret de bois qui le ramena au sien, aux missives contenues depuis des années, et à son anneau.

Un gamin venu de l'auberge où ils logeaient et qui l’interpellait le tira de ses rêveries. Un bel écu en échange d'une missive et il le regarda s'éloigner avant de se diriger vers la plage où il s'assit à même le sable à quelques pas de l'eau. Une hésitation reconnaissant l'écriture. Allait elle encore le mépriser ou se montrer ironique ? Devait il vraiment la lire ? Ca ne pouvait pas être pire que la précédente et les paroles de la duchesse de Brienne devant le garde chiourme de la consort. Le brun était habitué aux coups bas, et il ouvrit la missive déterminé à la rouler en boule après lecture si la Vicomtesse en remettait une couche.

Il ne le fit pas....
"Je suis lasse, Aim'... Tellement lasse de tous ces cris, de tous ces coups, de toutes ces incompréhensions, de toutes ces tensions." 

Aim'... elle ne l'avait donc pas chassé de sa vie. Lui aussi était las de tous ces mots qui faisaient mal. Pourquoi n'arrivaient ils pas à vivre cette amitié imposée par le destin ? Devait il comme le compagnon de voyage de Terry, n'employer que des non compliments ? Il sourit. Ceux qui utilisaient cette façon du parfait goujat en apparence, finissaient tôt ou tard à genoux devant les femmes. Il replia la missive après l'avoir relue et prit la direction de l'auberge, non sans s'arrêter dans la boutique recherchée. Quelques moments plus tard, la plume glissait sur le parchemin.
Citation:
Honfleur le 18 août

Terry,

J'espère que vous vous remettez de vos blessures, et si je ne peux être là, mes pensées vous accompagnent, même si elles ne sont guère utiles.

Tout était simple pour moi, parce que j'étais seul et amoureux de vous en silence puisque vous étiez amoureuse d'un autre. Et puis ça a été simple pour vous parce que vous êtes tombée amoureuse de moi, et que vous étiez seule à votre tour, sans savoir que j'avais croisé le chemin d'Aliénor.

Tout s'est compliqué à ce moment là, lorsque vous êtes venue à Troyes et que nous nous sommes trouvés tous les trois face à face. Comment aimer quelqu'un sans faire souffrir l'autre. Croyez vous que tout ça n'ai pas tourné en ma tête, croyez vous que je n'ai passé que des nuits à dormir comme un bébé ? Laisser Aliénor et vous dire oui, rester avec Aliénor et vous voir souffrir. Croyez vous que mon cœur n'a pas saigné de tout cela ? Aujourd'hui il a trouvé la sérénité parce qu'il faut qu'un jour ou l'autre il se pose. Sans doute ai je tous les torts, dont celui de vous avoir retrouvée trop tard.

S'il est une personne à qui je tiens c'est à vous Terry. Ne comptez donc pas sur moi pour jouer le rustre dans le but de chercher à attirer votre attention ou vous plaire. Aujourd'hui, il nous reste à apprendre à vivre cette amitié que personne ne pourra détruire hormis nous deux.

La chose qui me fait sourire c'est que je vous ai toujours dit que vous étiez belle, intelligente, et qu'il fallait être un sacré idiot pour ne pas le voir. J'aurais du ajouter, si je ne l'ai fait, que vous aviez également un fichu caractère. De plus je préfère passer pour un benêt ou un chasseur de pacotille que d'expliquer que notre lien ne se résume pas à une simple histoire de coucherie, qui n'a pas eu lieu quoi qu'en pensent certains.
Que vous me croyiez ou non, je n'ai pas renié notre amitié et ne le ferai jamais même si vous m'écriviez encore des lettres dans le ton de celle d'il y a quelques semaines. La vie m'a appris à supporter grands nombres de chocs.

Certains appelleront ça de la faiblesse ou de la lâcheté même, moi j'appelle ça de la fidélité et de l'amitié.

Je dépose un baiser dans le creux de votre main, afin qu'il retienne la colère que vous auriez à nouveau envie de déverser sur moi.

Prenez soins de vous.


L'Ebouriffé,
votre ami éternellement

Ses prunelles grises se posèrent un instant sur le chapeau qui recouvrait une petite tenue. Un pantalon rayé de bleu et de blanc, un petit gilet noir et une chemise blanche sur laquelle était posé un foulard rouge décoré d'un sabre. Il se leva et attrapa le chapeau, le portant à hauteur de ses yeux dans lesquels brillait une petite lueur. Il le déposa ensuite dans un petit sac de toile puis glissa les habits dans un autre sac.

Il scella sa missive qu'un pigeon apporterait à sa destinataire, puis armé de ses deux paquets sortit de la chambre. Marine était revenue de sa petite excursion chez les soeurs, et il avait hâte de voir la tête qu'elle ferait, tout en s'inquiétant, se demandant si elle chercherait le bâteau qui allait avec la tenue.
Le coeur plus léger que la dernière fois où il avait vu s'éloigner l'emplumé, il prit la direction des escaliers. Il paraîtrait que les épreuves rendent plus fort... peut être.

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Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[Tonnerre, le 18 août 1460, entre "Tempête" et raz de marée :]

"Sors, sors, de mon sang, de mon corps
Sors, toi qui me gardes encore
Au creux de tes regrets..."


Ces mots, elle aurait voulu les lui crier, les lui hurler, à s'en déchirer les cordes vocales, à en faire trembler les murs, à l'en faire lui se liquéfier sous la violence de la tempête qu'il était venu déchainer. Pourtant, elle ne dit rien, pas un traitre mot, se contentant de le regarder froidement, s'en tenant à la décision qu'elle avait prise en ouvrant la porte. Il voulait parler, et bien qu'il parle, et qu'ils en finissent!

Oui, qu'ils en finissent "enfin", comme il le disait si bien dans une de ses dernières missives... "Afin que tout finisse enfin...", c'étaient ses mots à lui, non? Et ce "enfin", elle s'y était trébuché le regard en le lisant.

"Enfin"... ? Avait-il donc hâte de se donner bonne conscience en la "laissant à sa liberté", comme il disait dans cette même lettre?

Cette expression-là aussi l'avait mise en colère, en y repensant bien... S'imaginait-il être le détenteur des clés de sa liberté à elle? Se voyait-il tel un prince bien large et bien aimable d'enlever ses chaînes à celle dont il avait fait une esclave et qui n'était à présent plus que l'ombre d'une femme?

La nausée la prit, tandis qu'elle luttait intérieurement pour retenir les mots qui lui brûlaient les lèvres, et un haut le coeur la secoua, exactement de la même façon qu'un chat s'étrangle lorsqu'une boule de poils lui barre la gorge. C'était trop dur pour elle, et surtout trop facile pour lui, de le laisser prendre le rôle de celui qui arrive pour jouer les guérisseurs, les hommes inquiets et attentionnés, un bouquet de fleurs à la main.

Enfin, à la main c'était beaucoup dire, il avait préféré déposer son paquet devant la porte, sans doute avec l'idée première de s'enfuir sans même oser frapper, comme le pleutre qu'il était devenu.

Des promesses, des projets, de beaux projets même, mais toujours le courage manquant au moment de les réaliser, et au final la fuite. Kernos, c'était devenu cela, à ses yeux à elle. Des paroles, des paroles, mais jamais d'actes!

Elle n'y tint plus, et se dirigeant vers la motte de terre elle en fit le tour, lentement, juste avant de partir d'un éclat de rire cynique et tranchant.


Des coquelicots... Que vous écraserez sans doute sous peu, puisqu'ils vous font penser à moi.

Savez-vous ce qu'ils signifient? Ils symbolisent l'ardeur fragile, une espèce de "aimons-nous au plus vite" vous diraient certains.

Aimons-nous au plus vite afin d'en finir "enfin", Baron?
Oui, je sais, votre ardeur est fragile.


Sans un mot de plus concernant les fleurs qui bientôt faneraient comme ses promesses à lui, elle referma la porte d'un geste brusque et sonore, et se tourna vers son visiteur. Ce n'est d'ailleurs qu'à cet instant qu'elle eut conscience du fait que sa chemise n'était pas reboutonnée et qu'il ne suffisait que d'un lâcher de sa propre main pour que les pans s'écartent sur ce qu'il restait de la femme qu'elle avait jadis été.

Un sourire aussi cynique que ce que ne l'avait été son rire quelques instants plus tôt étira alors ses lèvres, et elle rendit leur liberté aux pans de sa chemise, tandis qu'elle levait son regard de plus en plus glacé vers celui de son vis-à-vis.


Vous voyez, de mon côté je tiens toujours mes promesses.

Je m'étais engagée à ne pas porter de sous vêtement en vous attendant, je l'ai fait.
Vous voila donc libre de faire sans plus tarder toutes ces choses auxquelles votre plume faisait allusion il n'y a pas si longtemps.

A moins bien sur qu'une fois de plus votre plume n'ait été plus ferme que ce que ne l'est votre "volonté masculine".


Sans quitter son regard, elle recula jusqu'à son lit, et y posa son fessier, le menton relevé, la tête haute, provocatrice à l'extrême, se sentant dix fois supérieure à lui, malgré leur hauteur respective. Par la fenêtre, le soleil tardait quelques uns de ses rayons sur sa peau nue que dévoilait la chemise ouverte, et même ses seins semblaient - malgré leur petite taille - être devenus arrogants.
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[Tonnerre, le 18 août 1460, Entre deux eaux]

Désir, trahir, maudire, rougir,
Désir, souffrir, mourir, pourquoi ?
On ne dit jamais ces choses là.
Un sentiment secret, d'accord,
Un sentiment qui hurle fort
.*


L'orage venait de prendre Kernos dans ses filets.

Une première averse venait déjà de l'éclabousser, mais il avait conscience qu'il ne s'agissait que d'un doux prélude à la Tempête qui grondait face à lui. Le pire était à venir. Il pouvait presque sentir l'iode flotter dans l'air, annonçant l'arrivée prochaine d'un second coup de tonnerre.

Car il y en avait eu un premier.

Fusant comme un coup de fouet lui claquant sèchement au nez pour déchirer l'épais silence enveloppant son entrée dans la chambre. Pourtant, il avait tenu bon sous les premières grêles de ce rire. Premier soufflet encaissé, mais ce n'était qu'un amuse-bouche pour elle, il le savait. Une simple entrée en matière... Les politesses d'usage si on veut, ni plus ni moins qu'une pichenette verbale. Quand le barrage céderait, emportant les dernières réserves qu'elle s'imposait, il risquait d'être emporté comme un fétu de pailles.


Oui, une "ardeur fragile", une touche infime et frêle de rouge qui fait oublier l'or qui l'entour et s'étend à perte de vue, menaçant de la noyer... Et pourtant, elle résiste, elle captive, au point que l'on ne voit plus qu'elle. Voilà ce qui j'y voyais en la cueillant.

Elle se trompait sur lui, elle se trompait sur son geste... Quitte à se déchirer, autant être franc et étrangler le silence à deux mains.

Quand à mon ardeur fragile...

Boum! Il ne l'avait pas senti arrivé mais le sentit passer. La foudre venait de le frapper de plein fouet sous la forme, non plus d'un rire cynique, mais dans la douce courbe mutine d'un sein dévoilé.

A quoi bon servait les grandes phrases et les longs discours? Les mots, les pensées, furent foudroyés en plein envol. Les bons sentiments restaient vides de sens face à la beauté d'une femme. Kernos en resta coi.

Oui, elle était toujours aussi douée pour prendre le pas dans une conversation. Tous les arguments, toutes les convictions qu'il s'était forgé dans la douleur et dans l'absence volèrent en éclat sur cette pointe de chair qui se dressait dans un air de défi entre elle et lui. Ne valait-il pas mieux que tous les autres? Non.

La vérité nue se tenait devant lui. Les idées ne sont qu'un leur, de l'onanisme intellectuel... bref que du vent qui venait se disperser sur la réalité de ce corps. La vérité des Hommes étaient dans les actes. Il l'avait oublié, négligé, écarté durant des mois... Son corps parlait mieux que lui. Kernos le contempla... Encore plus beau que dans ses souvenirs, malgré les privations qu'elle avait subi, malgré la troisième ligne encore fraîche qui venait barrer son ventre plat.

Ses mots l'atteignirent alors avec plus de profondeur.


Vous voyez, de mon côté je tiens toujours mes promesses.

Des promesses... Oui, il lui en avait fait de nombreuses. Même si en lui, elles demeuraient aussi vivaces que la douleur qui lui brûlait l'épaule, en apparence de quoi avaient-elles l'air pour elle? Sans doute des mensonges, des belles paroles qui jamais n'avaient trouvé réalité que dans sa voix, jamais dans ses actes... Comment pouvait-elle alors y croire encore? Comment ne pas les prendre pour mensonges, trahisons?

Tout n'était qu'un vaste tissu d'incompréhension entre eux deux. Comment pouvaient-ils en ce cas parler la même langue et se comprendre? Ils avaient perdu la clé qui leur permettait de communiquer sans intermédiaire, sans faux-semblants ou quiproquo... Deux musiciens tentant de jouer le même air sans les mêmes partitions, forcément cela sonnait faux.


Vous voila donc libre de faire sans plus tarder toutes ces choses auxquelles votre plume faisait allusion il n'y a pas si longtemps.

Ceci en était la bonne preuve... Jamais dans ses lettres dernièrement écrites, il ne lui avait fait allusion au désir violent qu'il avait d'elle. Que pouvait-il bien avoir écrit qui puisse lui faire penser cela? Il le lui avait d'ailleurs demandé lorsqu'elle lui avait répondu qu'elle renonçait à porter culotte pour sa venue... encore une fois, leurs plumes s'étaient entrecroisées mais ne s'étaient pas comprises. Ils se lisaient, se parlaient, mais ne s'entendaient pas, ou plutôt ne se comprenaient pas.

A moins bien sur qu'une fois de plus votre plume n'ait été plus ferme que ce que ne l'est votre "volonté masculine".

Kernos la regarda, assise sur la couche. Provocante, débordante d'assurance et de hauteur face à lui. Elle l'embrasait des pieds à la tête. Tout son corps se tendait vers elle. Il sentait le grondement sourd de son sang se ruer dans la moindre veine, dans le moindre organe. C'était comme un grand incendie qui se répandait en sautant de branche en branche, transformant la forêt en un gigantesque bûché incandescent.

La faim hurlait en lui. Dieu qu'il la désirait, de toute sa chair, de toute ses tripes. Lui servir ainsi sur un plateau d'argent ce qui avait peuplé ses insomnies depuis près d'un an... qu'elle était sur elle... Ne craignait donc t-elle point que cela se retourne contre elle?

Se jeter sur elle. Déchirer ce qui lui restait d'étoffe pour la dévorer entière. Parcourir sa peau brûlante de ses doigts et de ses lèvres et en arracher le fruit pour s'en délecter. Tout cela aurait été si simple, et lui prouverait bien que non seulement son ardeur n'avait rien de fragile, ni de passagère, en lui remettant en mesure toute la fermeté de sa "volonté masculine"...il lui suffirait juste de baisser ses braies pour la rassurer à ce sujet. Il avait tellement soif d'elle, de son amour, de son corps de femme... C'était l'assoiffé face à la source vive après la traversée du désert. Le pèlerin agenouillée face aux saintes reliques d'Aristote-même. Galaad soulevant le voile du Graal... C'était... C'était... C'était Tout, tout simplement. Kernos retrouvant Terwagne.

Sans réfléchir à ce qu'il voulait dire ou faire, à ce qu'il devrait dire ou faire, il combla la distance qui les séparait jusqu'alors, sans la quitter des yeux. Sa main se porta à son col. Ses doigts se refermèrent sur la mince chaîne qui pendait à son cou depuis qu'il avait quitté le Lyonnais-Dauphiné pour partir à sa recherche la première fois. D'un geste vif, mais non brusque, il l'arracha, délivrant l'anneau d'argent de son joug. Il le recueillit dans sa paume balafrée et le révéla à Terwagne, comme l'on s'offre sans retenu à l'autre et sans réserve.


Epouse-moi, Terwagne.





*S. de Monaco, [i]Ouragan[/i]
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.jim.
Thouars le 24 août 1460

Le jeune homme avait retrouvé son épouse depuis moins d'une semaine et leur amour avait de nouveau brillé de mille feux tant il l'aimait et désirait le lui montrer.
Les journées s'enchaînaient paisiblement entre la surveillance des enfants qui commettaient quelques espiègleries, les convocations à la cour d'appel pour faire avancer un procès, les séances de travail à la procure et des échanges un peu énervés avec le nouveau chancelier.

Lorsqu'il reçut une lettre, il s'empressa de la décacheter en reconnaissant le sceau du vicomté d'Orpierre.

Après une lecture rapide, il lut puis relut la lettre et se demanda ce qu'il allait pouvoir répondre. La nuit portant conseil, il se leva tôt le lendemain et prenant sa plus belle plume, entreprit de répondre.

Citation:
Très chère Terry,

Lorsque je relis ces quelques lignes que vous m'avez écrit, le soulagement se mêle à l'inquiétude.

Soyez tout d'abord rassurée, vous ne m'ennuyez aucunement en me confiant vos peines de coeur et vos soucis de femme.

Je suis même très honoré que vous m'estimiez à ce point que vous vous tourniez vers moi en ce prédicament. Mon amitié pour vous est sans faille et ne fait que grandir à mesure que j'apprends à mieux vous connaître.

Lorsque vous étiez ma supérieure ès la Cour d'Appel, je vous voyais comme une déesse inaccessible, une figure mythique pour laquelle je nourissais un profond respect.

Depuis que je vous connais en tant que femme, je réalise à quel point vous êtes une personne adorable et l'affection s'est ajoutée au respect.

J'ai transmis vos gentils mots à mon épouse qui en est très touchée. Vous avez raison, notre bonheur est sans nuages aucun et nous nous aimons comme au premier jour de notre rencontre.

Nous prévoyons d'entreprendre un voyage à Nevers début septembre lorsque je serai revenu de ma retraite monastique afin de rencontrer la marraine de mon épouse qui réside dans cette ville. La Champagne n'étant pas loin de la Bourgogne, nous vous rejoindrons également dans cette région et saurons bien vous trouver.

J'ai lu avec attention les lettres que votre plume a tracés sur le vélin et je comprends fort bien vos doutes et hésitations.

Tout d'abord, je dois vous confesser que je suis surpris que vous pensiez que je puisse avoir le coeur assez noir pour vous "juger".

Je suis votre ami, Terry, les amis ne se jugent pas, ils se soutiennent.

Si j'étais un vieux barbon imbus de religiosité, je vous conseillerais sans doute d'abandonner votre relation avec le duc Kelso et de contracter un mariage honorable mais sans amour avec le premier bon parti venu.

Remarquez que je ne pense pas que l'amour manquerait du côté de votre mari car nul ne peut vous connaître sans vous aimer.

Je vous confesse que si je n'avais été marié à la femme la plus merveilleuse du monde, j'aurais peut-être succombé à votre charme lorsque nous nous sommes vus à Paris.

Fort heureusement, je suis encore un esprit libre et les convenances m'importent assez peu lorsqu'elles ne sont que le vernis sur le visage de la société masquant son hypocrisie.

Je serais tenté de vous dire, Terry, que l'on ne raisonne pas avec les sentiments. Le coeur a ses raisons que la raison ignore et il serait vain de disserter sur les élans du vôtre.

Votre coeur vous pousse aujourd'hui vers le duc Kelso comme jadis vers un autre amant dont je tairai le nom pour ne pas vous offenser.

S'il est une vérité absolue, c'est que vous ne saurez jamais si votre relation vous apportera le bonheur en hésitant à la mener à son terme.

Peut-être qu'au final, le duc Kelso ne pourra voir son mariage annulé, peut-être votre coeur se détournera-t-il de lui. Mais peut-être aussi l'aurez-vous aimé d'un amour si passionné et absolu qu'il éteindra toutes vos autres préventions?

Aimer c'est prendre le risque de souffrir, Terry. Vous qui avez aimé plusieurs fois le savez mieux que moi.

Ecoutez votre coeur plutôt que votre raison et si votre coeur vous dit que vous aimez cet homme, alors donnez libre cours à ses élans.

Mais si votre coeur vous dit que le désir d'un enfant légitime est plus fort que vos sentiments pour le duc, alors ma chère amie, je ne peux que vous conseiller de vous résoudre à le faire souffrir et à souffrir vous-même.

Mais vous le savez comme moi, la souffrance n'a qu'un instant, l'amour en a mille.

Quelque soit votre choix Terry, sachez que je vous soutiendrai et que mon amitié toujours sera vôtre.

Avec toute mon amitié sincère et mon dévouement,

Jim


Il relut sa lettre et malgré son imperfection manifeste, ne put se résoudre à la modifier. Ces mots exprimaient sa pensée sans détour finalement.

Il cacheta le courrier et profitant du sommeil prolongé de son épouse, alla le porter au colporteur.
Terwagne_mericourt
[Tonnerre, le 18 août 1460, dénouement :]

Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs,
Je reprendrai la route, le monde m´émerveille,
J´irai me réchauffer à un autre soleil.
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n´ai pas la vertu des femmes de marins.

(Barbara, chantée par Benabar)



Posée sur le lit, dans cette attitude sûre d'elle qui devait sans doute le surprendre au plus haut point, se fichant pas mal de sa chemise entrouverte, tout comme elle se fichait des coquelicots posés de l'autre côté de la porte ou encore de ce que le Baron allait bien pouvoir inventer comme excuse ou baratin, elle ne le quitta pas des yeux.

Pour rien au monde elle ne baisserait les yeux une fois de plus devant lui, elle ne l'avait que trop souvent fait par le passé! Pour rien au monde elle ne baisserait les armes, non plus!

Il était venu provoquer une nouvelle bataille, libre à lui après tout...

Mais cette fois c'était elle qui avait le choix des armes, le choix du terrain, et elle était bien décidée à remporter non pas le combat, mais bien la guerre! Elle ne s'arrêterait pas au premier sang coulé, elle irait jusqu'au bout, jusqu'à l'anéantissement total, définitif! Et quand les derniers coups tomberaient il ne resterait plus de leur histoire qu'un champs de cendres, sans plus aucune ruine possible à reconstruire, sans plus aucun espoir d'amnistie.

Il était condamné d'avance, à perpétuité.

La lame de son regard posée sur sa gorge, prête à lui donner le dernier coup, celui qui lui serait fatal, elle lui laissa néanmoins le temps de prononcer les derniers mots du condamné, mots qu'elle n'écouta même pas. Peu lui importait de savoir pourquoi il avait arraché à leur terre ces pauvres fleurs qui ne lui avaient rien demandé, tout comme elle-même ne lui avait rien demandé au départ.

Pourtant, contre toute attente, son visage changea brutalement d'expression, lorsqu'elle le vit porter la main à son col... Sa nudité partielle lui revint en tête, telle une faille dans son armure, et elle se sentit vulnérable, en danger.

Non! Il n'allait tout de même pas oser faire ça! Il n'allait pas répondre à son invitation qui n'en était pas une, juste une provocation, un coup de couteau lancé à ce qui lui restait de fierté... Non! Il n'oserait pas! Il n'était tout de même pas devenu aussi monstrueux!

Elle n'en était plus trop certaine, sur ce coup-là, et d'un geste vif elle referma les pans de sa chemise, prête à se lever d'un bond, à lui mettre la main au visage, le pied ailleurs, et peut-être même la pointe de son épée dans le ventre, une fois qu'elle l'aurait attrapée. Quelle idée aussi de l'avoir déposée dans l'autre coin de la pièce.

En une fraction de seconde elle fut donc prête à réagir à ce qu'elle craignait qu'il fasse, mais tout sauf préparée à ce qui allait suivre...


Epouse-moi, Terwagne.

Hésitation... Arrêt sur image et sur son... Etait-il devenu fou? Avait-il perdu la mémoire? Oublié que cela faisait deux ans que... ? Ou alors se moquait-il simplement d'elle une fois de plus? La pensait-il idiote au point de se laisser endormir encore une fois par une nouvelle promesse que jamais il ne tiendrait?

Lentement, elle se leva, tanguant entre la colère et l'envie de rire nerveusement tant la scène dont elle était à la fois spectatrice et actrice lui semblait loufoque. L'épouser... Ca c'était la meilleure. L'épouser...


Quand ?

Ce fut le premier mot qui franchit ses lèvres, juste avant qu'elle ne le traduise de façon limpide et cynique.

Voyez-vous, si je résume les choses, votre pré-demande date d'il y a plus de deux ans à présent, et si j'avais su dès le départ que vous vous y preniez aussi longtemps à l'avance j'aurais sans doute mieux vécu l'attente, aurais rentabilisé mon temps, et tout un tas d'autres choses, à commencer par les opportunités d'être enfin heureuse qui se sont présentées à moi.

Aussi, j'avoue que là j'aimerais savoir si votre demande est pour dans deux ans, ou moins, ou plus.

Vous comprendrez aisément qu'avant d'envisager de vous répondre j'aimerais connaitre les conditions du... contrat dans lequel vous me proposez de m'engager.


Un contrat, oui... Sa demande saugrenue, absurde, mais surtout il faut bien l'admettre extrêmement déroutante, venait de lui remettre en tête le dilemme qui était sien depuis sa rencontre avec Kelso mais aussi et surtout depuis son autre rencontre avec une lame. Aimer à la folie ou épouser par raison pour enfin être mère avant d'avoir passé l'âge? Le mariage en dehors de Kelso ce n'était possible qu'ainsi... par raison, pour être mère dans la légitimité.

Je vous laisse le temps d'y réfléchir, et vous répondrai ensuite.
Nous en reparlerons en Champagne, si d'ici-là vous avez les détails pratiques.

Je vous rejoindrai là-bas début du mois prochain, si cela vous convient, car pour l'heure je suis attendue aux joutes du Tournel pour quelques jours, et n'ai guère besoin d'escorte pour m'y rendre.


Quittant enfin Kernos des yeux, elle se dirigea vers le miroir qui trônait au mur et se revêtit correctement. Par ce geste, elle lui signifiait que l'entrevue touchait à sa fin. Mais avant cela, il lui fallait être franche jusqu'au bout, parce que sans cela elle ne se serait pas sentie elle-même.

Je ne vous cacherai pas qu'il y a un autre homme dans ma vie en ce moment... Un homme qui contrairement à vous ne m'a rien promis, et n'attend rien de moi, évitant ainsi de prendre le risque de me décevoir ensuite... Il sait que je n'ai que trop souffert de promesses non tenues.

Elle se dirigea enfin vers la porte et l'ouvrit, lui indiquant ainsi la sortie.

Je n´ai plus la vertu des femmes de marins... Baron.

Quelques heures plus tard, elle prenait la route, seule.
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Terwagne_mericourt
[Champagne, milieu de septembre 1460 : "Cherche le coeur, trouve les pleurs..."]

"L'amour à cœur,
Tu l'as rêvé.
L'amour à corps,
Tu l'as trouvé.
Tu es en somme,
Devant les hommes,
Comme un soupir
Sur leur désir..." *



Au cœur du campement qu'elle occuperait lors de ces joutes organisées par le Duc de Rosnay et son officielle, au cœur surtout de sa solitude, la Méricourt attendait, avec ennui, et avec pour seule compagnie le vacarme que faisaient ses propres sentiments s'entrechoquant sans relâche.

Elle attendait le début des joutes, fort logiquement, mais bien plus que cela elle attendait le moment où elle pourrait le croiser, ce maître des lieux qui l'avait conviée à participer à ces festivités, mais qui surtout occupait chacune de ses pensées depuis leur rencontre en Champagne quelques mois plus tôt, lorsqu'il était Prévôt et elle disponible pour aider à la défense de la ville. Une rencontre foudroyante, atypique, tout sauf romantique... Une rencontre qui avait tout d'une tempête au final...

Un mois s'était écoulé depuis sa dernière discussion avec le Baron de Mévouillon, Kernos Rouvray, depuis sa demande en mariage et l'aveu qu'elle lui avait fait de sa relation avec un autre, et rien n'avait changé en elle, si ce n'était que ses espoirs et ses rêves d'un futur fait de lumière avec Kelso étaient à présent anéantis... De lumière il n'y aurait jamais pour eux, leur relation serait condamnée à se nourrir d'ombre pour l'éternité sans doute.

Lorsqu'elle avait quitté Kernos, l'abandonnant au déluge qu'elle avait mis en lui en lui parlant de contrat et d'amour pour un autre, elle avait rejoint le Languedoc, pour participer aux joutes du Tournel, mais surtout pour retrouver Kels... Kels à qui elle n'avait cette fois pas réussi à résister, l'appel de leur corps étant bien plus puissant que tout le reste à ce moment-là. Une nuit au goût bien trop court, et un réveil entre ses bras dont elle gardait en mémoire un sentiment de sérénité indescriptible. Une nuit dont le souvenir avait alimenté sans relâche le feu de leurs espoirs à tous deux, du moins les premiers temps, juste avant que... Juste avant qu'une nouvelle entrevue avec un nouveau Procureur écclésiastique ne sonne le requiem de ces espoirs d'un avenir possible au grand jour, dans l'officialité... Une annulation du mariage actuel de Kelso était impossible!

Depuis, ils ne s'étaient plus revus, mais s'étaient écrit, toujours avec autant de passion, de tendresse, de sentiments partagés, et lui avait même fini par réussir à coucher sur le vélin, avec limpidité, l'amour qu'il ressentait pour elle. Oui, ce petit verbe de cinq lettres, tant craint, tant retenu, avait fini par s'imposer, au milieu des ruines de leurs espoirs déçus, anéantis, devenus simples chimères.

La fin de ces espoirs, Kelso semblait non pas mieux l'accepter qu'elle-même, mais en tous cas mieux s'y résoudre, puisqu'il lui avait conseillé d'accepter la demande en mariage de Kernos. Il avait dit ne pas vouloir qu'elle renonce à ses rêves de maternité et à ce mariage de raison puisque lui-même ne serait jamais libre et en mesure de faire d'elle sa femme et la mère de ses enfants légitimes.

Sans doute d'autres que Terwagne l'auraient-elles fait sans hésiter, prenant le beurre d'un côté et les bras d'un second crémier de l'autre côté, mais elle elle ne parvenait pas à s'y résoudre... Chaque jour son dilemme devenait plus grand, plus douloureux. Elle avait beau savoir que ses rêves d'amour officiel avec le Duc champenois ne resteraient que des rêves jamais possibles à réaliser, elle ne se sentait pas la force de renoncer à cet amour qui la rongeait tout autant qu'il la faisait souffrir lorsqu'elle pensait à "l'officielle" qui à défaut de partager sa couche partageait son nom.

Epouser un autre sans renoncer à ses moments volés avec lui? Cela non plus elle ne pourrait pas le vivre sans en souffrir! Elle avait toujours été entière, dans tout ce qu'elle avait fait, et vivre partagée entre la légitimité par raison et la folle passion, mentir, trahir, ce n'était pas elle!

Assise seule sous sa tente, elle ressassait encore et encore ces mêmes tourments et hésitations, lorsqu'un des pans de tissus l'abritant du soleil et de la foule se souleva, laissant entrer non pas celui qu'elle espérait, mais bien son écuyer, suivi d'un messager. Sans un mot, la gorge nouée par les sanglots qu'elle retenait depuis un moment, elle prit la missive et congédia du regard les deux hommes. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre l'écriture du destinataire, Jim, cet homme si cher à son coeur à qui elle n'avait toujours pas répondu, faute d'être en état de tenir un discours cohérent sur les aveux qu'elle lui avait faits la dernière fois qu'elle lui avait écrit.

Cette fois, il était hors de question de repousser sa réponse, et elle s'y attela immédiatement.


Citation:
Très cher ami,


Comment pourrez-vous me pardonner tout ce temps écoulé sans vous donner de mes nouvelles ni en prendre des vôtres? Peut-être votre amitié pour moi vous y aidera-t-elle, et je l'espère de tout coeur.

J'aurais aimé trouver la force de vous répondre la dernière fois, mais il m'était impossible de vous donner des nouvelles concernant le choix que j'avais à faire, puisque je ne l'ai toujours pas fait, pour mon plus grand malheur d'ailleurs.

Rien n'était simple lorsque je me suis ouverte à vous de mon dilemme, et rien n'est plus simple aujourd'hui, que du contraire... J'ai reçu une demande en mariage officielle de la part du Baron de Mévouillon, que j'ai jadis aimé plus que de raison mais pour qui je n'éprouve plus que colère et déception, et dans le même temps reçu la confirmation que le mariage du Duc Kelso est bel et bien impossible à faire annuler par l'Eglise.

Je n'ai pas répondu au Baron, j'ai fuit, lâchement...
Je n'ai pas rompu avec le Duc, tout aussi lâchement...

Je ne me reconnais pas, plus, et me sens plus étrangère que jamais à celle que je suis au fond de moi.

Quoi qu'il en soit je vous remercie pour vos gentils conseils de l'autre fois, pour votre écoute, votre compréhension sans jugement, et surtout pour votre amitié fidèle.

Pour répondre à votre question concernant l'endroit où je me trouve, je suis actuellement en Champagne, au domaine du Duc Kelso, où je participe à des joutes, mais rejoindrai Troyes dans deux ou trois jours. Je vous attendrai là-bas, vous et votre charmante épouse, avec grande impatience de vous revoir.

Avec toute mon affection et mon estime,

Votre amie Terwagne



Une fois cette missive signée et scellée, elle profita d'avoir devant elle son matériel épistolaire et décida d'écrire à Aimelin, auprès de qui elle n'avait pas eu le loisir de prendre congé avant de quitter le Tournel. Un sourire lui vint alors aux lèvres, en repensant au sort qui s'était amusé à les faire croiser la lance lors de ces joutes, provoquant ainsi leurs retrouvailles face à face et l'enterrement de la hache de guerre.

Citation:
Messire l'ébouriffé,


J'espère de tout coeur que cette missive vous trouvera en bonne santé et surtout en plein bonheur. De mon côté je ne vais pas trop mal, ma blessure physique est bel et bien cicatrisée, ce qui me permet de participer à de nouvelles joutes, où j'ai d'ailleurs croisé votre amie la Duchesse de Brienne, toujours pareille à elle-même.

J'avais espéré vous croiser en dehors de la lice au Tournel, pour en apprendre plus sur cette chose mystérieuse dont vous souhaitiez m'entretenir, mais j'ai été obligée de reprendre la route sans en avoir eu l'occasion.

Qu'à cela ne tienne, je présume que vous pourrez m'en apprendre plus par écrit, du moins je l'espère, étant d'un naturel plutôt impatient, ce dont je ne doute pas que vous l'aviez bien compris depuis belle lurette.

Je vous envoie toutes mes pensées, ainsi qu'à Aliénor, dont je ne doute pas que vous lui transmettrez.

Votre amie, Terry.


Deux bonnes choses de faites! Il ne lui restait plus qu'à continuer à attendre avec espoir une visite de Kelso, le seul à réellement pouvoir lui rendre un sourire plus qu'éphémère... Malheureusement, elle n'avait plus d'autre missive à écrire pour tuer le temps de l'attente...

C'est du moins ce qu'elle pensait, jusqu'au moment où un nouveau messager fit son apparition, lui amenant un courrier d'une personne dont elle n'avait plus eu de nouvelles depuis bien longtemps, depuis son départ de la présidence de la Cour d'Appel pour devenir Chancelier. Le juge Aldin de Thau... Etrange, surprenant, et surtout intriguant.

Elle ne tarda donc nullement à lire sa prose, découvrant ainsi la raison de cette lettre inattendue... Une demande de lettre de soutien à sa candidature à la Pairie, où il évoquait son parcours de juge à la Cour d'Appel, justification selon lui à sa prétention à l'accession au titre de Pair.

Ici aussi, la Vicomtesse passa par une multitude de sentiments contradictoires et difficiles à identifier... Bien sur elle avait apprécié travailler avec lui, bien sur elle le soutiendrait comme elle le pourrait, bien sur elle espérait pour lui que sa candidature soit retenue, mais en même temps cette nouvelle la chagrinait puisqu'elle lui rappelait ses rêves à elle de jadis, son parcours à elle au niveau de la justice royale, bien plus long et bien plus régulier que n'importe qui d'autre dans les dernières années.

Un soupir s'échappa de ses lèvres, tandis qu'elle ne parvenait pas à s'empêcher de repenser à son parcours à elle, à l'énergie et l'abnégation qu'elle avait mises pour servir la justice royale, sans relâche, et à l'espoir qu'elle avait eu les derniers temps de voir quelqu'un proposer sa candidature à elle à la Pairie... Ce n'était pas de la jalousie à l'égard de Aldin, loin de là même, puisqu'elle lui souhaitait de réussir, juste la pensée que ce rêve-là aussi ne resterait qu'un rêve, puisqu'à présent tout le monde l'avait oubliée... Elle n'avait plus que de très rares amis, plus vraiment de duché, et bien peu nombreux étaient ceux qui devaient se souvenir qu'elle avait servi la Couronne durant près de quatre années.

Elle se mit à réfléchir aux mots à employer pour soutenir Aldin, faisant fi de ses états d'âme personnels...


(* : BO du film Emmanuelle 1, Pierre Bachelet)
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Je voudrais que la terre s'arrête pour descendre.(Gainsbourg)
Kernos
[Tonnerre, le 18 août 1460, Le temps des dilemmes... Fais-moi mal Terry, Terry, Terry...* ]

Moi, j'aurais tant voulu que cet être soit toi
Tant voulu avec toi être un autre que moi
Au profond de ton ventre faire plus belle la terre
Oublier qui je suis et fermer les paupières **


Il était resté debout, la main toujours tendue face à elle, attendant... Attendant quoi au juste? La dernière bourrasque qui le mettrait à bas?... La lame de fond qui entraînerait le naufragé qu'il était et son radeau de fortune dans le fond des abysses?... La miséricorde qui irait cueillir son dernier souffle sous l'armure fendue le clouant au sol, et répandrait en un bouquet écarlate les dernières flammes de son existence brisée?... Ou bien un simple "oui"?

Non... Le "oui", c'était lui-même qui l'avait étouffé, voilà des mois de cela, alors qu'il ne demandait qu'à s'épanouir. Un "oui" avorté. Un "oui" écorché. Un "oui" qui ne viendrait plus jamais, car il en avait détruit le chemin par crétinisme. Oui, il n'était qu'un crétin patenté et pathétique, venu souffler sur les cendres d'un bûcher qu'il avait lui même dressé. Il n'avait qu'à plonger son regard dans celui de Terwagne pour le comprendre. Ses yeux était un miroir lui crachant sa culpabilité au visage.

Pouvait-on dire "oui" à un homme qui vous a autant avili? Qui vous a enchaîné dans son adultère? Qui vous a traîné dans la fange par son amour, fait de vous celle que l'on méprise, que l'on souille aux yeux de toute une province, simplement parce qu'il vous aime? Peut-on dire "oui" à un homme qui vous arraché de l'anamour dans lequel vous vous étiez plongé corps et âme, qui a forcé vos murailles intimes pour s'y loger, qui vous a donné l'espoir alors que vous ne vouliez plus de promesses, que vous vouliez cessé de croire pour ne plus souffrir, pour ne plus espérer, pour ne plus être trahie? Peut-on dire "oui" à l'homme qui vous poignarde quand vous lui découvrez le flanc, auquel vous vous êtes offerte dans votre nudité la plus fébrile et qui n'ai jamais revenu?

Elle ne pouvait que dire "non" et le lui jeté au visage, avec toutes ces belles paroles, tous ces espoirs morts d'avoir trop attendu, toutes ces promesses non tenues quand bien même elles étaient sincères. Sans le vouloir, il avait agi avec elle comme tous ces autres hommes qu'elle avait connu, les Hugoruth, les Walan... Comme un enfant naïf et cruel qui tient en cage un papillon, lui arrachant les ailes sans avoir conscience qu'il le condamne à mourir.

Un papillon sans ailes n'est plus un papillon.

Terwagne sans liberté et sans vent, c'était pareil à cela.

Il lui avait promis l'océan et l'avait laissé à quai, à contempler un horizon qui ne s'approcha jamais. Lui avait embarqué et était revenu. Son amour inchangé, si ce n'est plus aiguisé, car il savait qu'il reviendrait un jour. Elle, elle s'était lassé de l'attente, de l'incertitude. Les vagues du temps les séparant avaient délavé, étiolé le mince espoir qui était demeuré derrière lui. La corde s'était rompue à force d'être trop tendue, laissant place à l'abandon pur et simple. L'espoir était devenu amertume, colère puis haine... Lui, un mauvais souvenir qui réapparu un jour mais ne trouva plus de port pour amarrer à son retour. Le temps perdu ne se rattrape guère, et lui n'avait que trop égrainé le sablier sur son chemin.

A quoi avait servi tout ce cela au final? Pourquoi avait-il fallu qu'il prenne le large plutôt que de rester avec elle? L'envie d'apurer ses dettes, de partir la tête haute du Lyonnais-Dauphiné. La crainte de perdre ce qu'elle lui avait laissé, l'espoir qu'un jour elle puisse revenir sans souillure sur ces terres qui avaient été un peu siennes. L'appel du devoir... Pourquoi fallait-il qu'il soit homme de devoir, pour son plus grand désespoir? Que n'avait-il pas envoyer tout en l'air? De dire aux autres d'aller voir ailleurs s'il y était? Encore ce foutu sens du devoir qui frôlait le ridicule et même lui rentrait en pleine gueule. Car pendant que lui réglait ses affaires, elle l'attendait et se lassait d'attendre un homme qui n'arrivait jamais...

L'attente devenant absence. L'absence devenant désespoir. Le désespoir devenant amertume. L'amertume devenant mépris qui deviendrait sans doute bientôt oubli.

Ce n'était pas son intention, bien au contraire, mais au final il l'avait grugé, trompé, menti malgré lui. Il avait oublié que l'amour se vivait à deux. Sans doute cet amour était trop grand pour lui, au point que ce qu'il croyait évidence lui obstrué trop la vue pour comprendre qu'il était seul à le voir encore. Ce n'était pas d'honneur ou de promesses dont elle avait besoin, mais de sa présence. Mieux aurait fallu qu'au lieu de passer son temps à la chercher, il s'était employé à la retrouver.


Quand?

La main toujours tendue entre eux deux, il écouta sa diatribe. Les mots aussi tranchant qu'une volée de poignards qu'elle lui lançait, venaient un à un s'enfoncer dans sa peau. Elle l'avait percé à jour. Mis à nu et le rouait de coups plus mérités les uns que les autres. Il était coupable, oui. Coupable de l'avoir mal aimé. D'avoir était un égoïste de plus. Un enfant cruel d'ignorance, blessant d'aveuglement.

Les coups pleuvaient sur lui, arrachant à chaque fois un peu plus de chair, le réduisant à une carcasse sanguinolente... Cela avait quelque chose de libérateur, de purificateur comme les flammes vous dévorant lambeau par lambeau, vous réduisant en un tas de cendres que le vent balayera, dispersera au quatre coin du monde. Il en était presque à en appeler plus de violence. Qu'elle le réduise au néant une bonne fois pour toute... Cela aurait été si simple.

Mais elle en avait décidé autrement... C'était à son tour d'être cruelle.


Vous comprendrez aisément qu'avant d'envisager de vous répondre j'aimerais connaitre les conditions du... contrat dans lequel vous me proposez de m'engager.


Kernos n'en revenait pas... Il était là, agenouillé, écorché, n'appelant que le coup de grâce qui mettrait un point final à tout ceci et voilà qu'elle lui instillait... l'espoir. Le plus abominable des poisons. Mieux aurait valu qu'elle lui tranche la gorge du premier coup, ça au moins c'était net, précis et sans appel. Un "non", tranchant et définitif. Mais là... c'était un "peut être"... un "pourquoi pas?"... quelques points de suspensions...une chance même aussi infime était elle, c'était une chance malgré tout. Une goutte d'espoir dans le verre de sa solitude, qui en troublait tout l'amer contenu.

Il n'était pas dupe. Le mot qu'elle avait choisi ne laissait planer aucun doute quand à son intention. "Contrat"... Un arrangement, un marché... il était loin le temps des espoirs, des rêves et des amours incandescents. A qui la faute? Il ne récoltait que ce qui l'avait semé.

L'avait-il blessé à ce point? L'avait-il trahi à ce point? Sans doute que oui...
Sans doute le point de non retour avait été franchi...
Sans doute était ce pour cela qu'elle avait renoncé et lui proposait non pas l'union qu'ils avaient rêvé ensembles, mais une alliance de circonstances.

De leurs amours incendiaires, il était parvenu à en faire des âmes grises.

Mais avec le temps... qui savait? Peut être parviendrait-il à retrouver l'air de cette mélodie fanée et lui redonner de plus beaux bourgeons? Peut-être les cicatrices passées parviendraient à s'effacer à force de soin? Peut-être qu'un jour le "tu" germerait à nouveau? Ou bien jamais les fossés ne pourraient être comblés... Les plaies resteraient ouvertes et sa présence à ses côtés ne serait que sel jeté dessus... Peut être qu'elle finirait pas le haïr encore d'avantage... Lui, le menteur, l'égoïste qui l'avait fait naufrager une fois encore.

Le dilemme était là. Déjà, son coeur et sa raison se balançaient l'un contre l'autre.

L'épouser par nécessité, par arrangement... sans amour. L'enchaîner à lui, une fois encore... Elle qui n'était que liberté... Elle qui n'était que vérité... L'enchaîner au mensonge d'un mariage infirme, boiteux, un mariage de raison. Etait-il capable de faire cela? Etait-il capable de la dénaturer une fois encore? Là était la question. Ne voulait-il pas son bonheur avant toute chose? N'était-ce pas ça le véritable amour? Se sacrifier pour l'autre... La sauver de lui-même en renonçant définitivement à elle, pour son bien?

Oui, il l'aimait. Profondément. Sincèrement. D'un amour unique, exclusif, passionné, obsédant. C'était cela le problème... Il l'aimait trop. Trop pour pouvoir y renoncer, même si - il en était conscient - cela impliquait de les détruire tous les deux... Lui le premier de préférence. Jalousement, il la désirait pour lui seul, et en concevait une grande honte de se sentir près à tant de bassesses ne serait-ce que pour l'espoir qu'elle l'appelle à nouveau "mon Ut". Cette noirceur le faisait frissonner...

"Serais-tu prêt à lui brûler les ailes pour la garder pour toi?"
Il ne préféra ne pas prêter l'oreille à la réponse que lui soufflait son coeur.


Je ne vous cacherai pas qu'il y a un autre homme dans ma vie en ce moment...


"Ne sens-tu pas que je suis déjà entre tes mains, Terwagne? Tu la tiens ta vengeance, tu n'as pas besoin d'en rajouter encore..."

Dire qu'il ne s'y attendait pas, cela aurait été pur mensonge. Il l'avait presque senti en la revoyant pour la première fois depuis Paris... elle était trop belle pour qu'il n'y ait pas un homme dans ses pensées.

Mais alors pourquoi tout ceci?

Pourquoi n'avait-elle pas repoussé sa demande catégoriquement, si il avait quelqu'un d'autre? Un homme qui, contrairement à lui, la rendait heureuse? Un homme qui comblait ce qu'elle n'attendait pas? Pourquoi cette entrevue? Pourquoi ces provocations si tout était déjà entendu? Kernos ne comprenait pas.

Il la regardait se détourner. Caressant involontairement les courbes de son dos offert tandis qu'elle s'arrangeait devant son miroir jusqu'à ce qu'elle traverse la pièce pour lui ouvrir la porte. Refermant ses doigts sur la bague, il avança à son tour vers la sortie.


Je n´ai plus la vertu des femmes de marins... Baron.

Il ferma un instant ses paupières... Que tout serait si simple s'il pouvait agir en homme de bien pour une fois, de disparaître dans la nuit pour la laisser vivre l'existence qu'elle méritait. Il posa son regard dans le sien.

Je t'attendrai donc en Champagne... Tu auras mon... "offre", à ton retour des joutes, j'espère qu'elle correspondra à tes besoins.

Pour ce qui est du délai, je comptais procéder rapidement, le temps de trouver un prêtre et en tenant compte de la parution des bans... je dirai dans les deux mois qui viennent au plus tard... Si les conditions te conviennent, bien entendu.


Il franchit la porte.

Je te souhaite bonne chance pour les joutes.

Il hésita.

Tu es belle, Terwagne... encore d'avantage que dans mes souvenirs... Bonne nuit.

Il n'osa pas parler de l'autre... Cela lui appartenait à elle. Il tourna donc les talons et regagna sa chambre... Il avait trop à penser, trop à regretter, trop à espérer et à douter.






*D'après Fais-moi mal, Johny de Boris Vian
** Que tout est noir, D. Saez

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.jim.
[Troyes, le 29 septembre 1460]

Voilà quelques jours que le rouquin était arrivé dans la ville qui avait vu la naissance de l'auteur de la quête du Graal. Après avoir pris un moment pour visiter les églises et permettre à son épouse de se reposer, il était parti à la recherche de sa future suzeraine qu'il ne trouvait nulle part.

Une énième fois, il relut le dernier billet qu'elle lui avait envoyé.

Citation:
Cher ami,


Comme j'ai hâte de vous voir arriver en Champagne, vous et votre épouse!

Je prie pour que la suite de votre voyage se passe sans encombre aucune et pour que le Très-Haut veille sur vous jusqu'à nos retrouvailles.

Avec toute mon amitié sincère,
Terry


Ça fait pourtant plus de trois jours que je l'ai reçu, maugréa-t-il à voix haute.

Cette femme était vraiment insaisissable... Depuis qu'ils avaient passé cette journée ensemble à Paris, il n'y avait plus moyen de la retrouver.

De guerre lasse, il commença une enquête minutieuse visitant toutes les auberges de la ville donnant à chaque fois la même description au tavernier.


"Une femme brune très svelte vêtue d'une houppelande rouge avec une rose dans les cheveux, un port très noble... euh... un signe distinctif... elle dit souvent "Norf" mais quand elle le dit c'est si mignon...
Mais non ce n'est pas ma femme!"


En général le ton montait et il se faisait vider de l'auberge par les clients qui en avaient assez de l'entendre crier.

Pour la visite de la dernière chance, il avait emmené son épouse avec lui pour trouver une auberge assez élégante dans un quartier bien famé, le genre de lieu qu'une dame de la classe de Terwagne pouvait fréquenter.

Il se tourna vers son épouse.


"Je m'adresse à l'aubergiste, tu crois? Je dois avoir une sacrée réputation dans cette ville maintenant..."

Puis après un moment d'hésitation

"Enfin, advienne que pourra..."

Il entra donc d'un pas conquérant dans l'auberge mais à peine eut-il franchi le seuil que l'aubergiste bondissait de son comptoir.

"Ah non pas vous! Tous les collègues m'ont prévenu, vous faites fuir la clientèle!"

Le rouquin sourit en réponse.

"Du moment qu'il vous reste une hôte de marque... allons poussez-vous vilain, je n'ai point affaire avec vous mais avec ma suzeraine!"

Et joignant le geste à la parole, il porta ses mains de chaque côté de sa bouche pour hurler à la cantonade.

"Terwagne Méricourt! Vicomtesse d'Orpierre! C'est votre vassal!!! Si vous ne descendez pas tout de suite, je continue de hurler et on aura plein d'ennuis!!!"

Et de reprendre

"TERRYYYYYY !!!!!!"
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