Ayant dit ce qu'elle avait à dire, ou tout du moins ce qu'elle consentait à faire savoir, la duchesse d'Auxerre se mit à observer ses mains blanches et patriciennes et les bagues qui les ornaient. A l'ombre, les pierres paraissaient mates, privées de la caresse des rayons du soleil mais elles n'en étaient pas moins éclatantes malgré cette sobriété dû au manque de lumière, elles n'en étaient pas moins belles dans l'ombre. Pendant quelques secondes, le temps que dura cette silencieuse contemplation, elle oublia son irritation et la part de celle qui avait été excitée par les propos de Charlemagne; elle oublia la fatigue, les soucis, elle fit taire les voix en son esprit et goûta cette quiétude qu'elle ne connaissait que trop peu depuis une quinzaine de jours. Et bien trop tôt, elle revint à cet agacement dont elle ne se dépêtrait plus et contre lequel elle luttait avec plus ou moins de conviction. La chaleur n'aidait en rien et elle avait du mal à la supporter. Mais aurait-ce été mieux à Auxerre qui était tout autant que Mende, et même bien plus, dans les terres? Aussi les paroles du garçon alimentèrent cet état qui était le sien. Elle répliqua, relevant les yeux :
S'il vous plaît de suivre la masse, cela vous regarde mais ne me prêtez pas cette inclination particulière, Votre Altesse. La marquise de Nemours peut bien croire ce qu'elle veut, cela ne signifie nullement que je partage sa croyance. Si elle a été persuadée que vous suivriez cet hérétique, je n'ai pour ma part jamais rien professé de tel et ce d'autant plus que personne n'a jamais cru bon m'informer que vous étiez placé sous cette tutelle particulière, j'aurais donc bien eu de la peine à imaginer que vous feriez comme la personne qui s'occupait de vous puisque j'ignorais qu'elle le faisait. Je ne fais que réagir à vos propos présents, ceux selon lesquels vous êtes disposé à embrasser la foi aristotélicienne puisque celui qui a été miraculeusement gracié y est tout autant disposé.
Un léger courant d'air fit bruisser le feuillage comme pour accompagner cette protestation faisant fonction de mise au point, comme pour la souligner avec force. Lui prêter une opinion, mauvaise idée. Restant sur le sujet mais désireuse d'en changer la perspective, elle indiqua :
Et votre mère avait raison et je m'étonne que vous ne suiviez pas la ligne raisonnable et réfléchie qu'elle avait tracée pour vous. Votre mère voulait que vous puissiez choisir en connaissance de cause et vous semblez dévier de ce chemin avec ce baptême projeté. Même celui qui s'est chargé de vous selon vos dires ne vous a rien imposé. Pourquoi dévier soudainement? Car être baptisé pour l'être, c'est prendre la mauvaise trajectoire. Je sais mieux que quiconque parce que je suis issue d'une lignée noble, que je suis noble moi-même et que les questions généalogiques sont ma spécialité qu'un noble doit être baptisé selon le rite aristotélicien et je sais tout autant que pour léguer nos fiefs, il faut avoir été baptisé et se marier selon le même rite. Mais vous êtes jeune et en position, malgré ce que votre nom, votre sang et vos titres vous imposent, de prendre votre temps. Vous aurez bien assez tôt l'obligation de suivre la masse.
Sa main porta à son cur et regardant fixement l'Aiglon, elle confia :
Je crois et non parce que je dois assurer la pérennité de mon nom et de mon sang, je crois et non parce que je veux pouvoir transmettre mes domaines à ma famille. Je crois parce que cela me paraît évident, logique, naturel et je crois car je suis environnée par le Très-Haut, je vois la manifestation de Son existence, de Sa tangibilité dans tout ce qui m'entoure. Je crois et je n'ai pas besoin d'être enfermée dans une église, agenouillée sur un prie-dieu pour pouvoir rendre grâce. Je crois sans même m'y arrêter, je crois tout le long des heures où je suis consciente, en pleine possession de mes moyens et même lorsque je m'endors, je crois car malgré les vicissitudes, je n'en ai pas moins respiré, mangé, bu, existé durant le jour qui vient de s'écouler. Et je suis persuadée qu'Il a confié Sa vérité à l'Eglise romaine même si celle-ci me paraît se perdre. Mon évidence n'est pas celle de la nécessité pour correspondre à ce que l'on attend de moi, mon évidence est celle du ressenti et cela m'est personnel et je conteste que cette évidence puisse être similaire à celle du troupeau bêlant des bien-pensants.
La ferveur, celle qui était en mesure de l'animer quelque peu aux yeux du monde retomba aussi vite qu'elle était apparue, comme la lueur qui avait un instant éclairé ses prunelles mortes s'éteignit, comme la main qu'elle avait porté à ce cur siège de ses convictions. Désireuse de conclure, elle dit encore :
Je ne vous imposerai rien, je ne tente même pas vous convaincre, ce n'est pas mon rôle. La direction de votre âme est une matière bien trop importante et bien trop sensible pour que je puisse me permettre d'exercer une quelconque influence. Et cela est au final valable pour d'autres matières.
A nouveau silencieuse, elle songea que c'était peut-être la première fois qu'ils se parlaient autant. Au fond, elle n'avait jamais su ce que Charlemagne attendait d'elle, elle était là, comme elle l'avait un jour promis dans un Louvre paré des voiles du deuil. Il venait, partait, se servait d'elle et elle le laissait faire. Il y avait tant de gens qui usaient d'elle qu'elle n'en était que peu touchée. Mais elle était de méchante humeur ces jours derniers, celle dont on abusait se révoltait et cette lettre de l'héritier et les quelques propos qu'il avait tenus avaient ouvert la voie à une contestation qu'elle n'avait jamais exprimée mais qui était présente depuis quelque temps maintenant. Et ce fut cette opposition qui expliqua ce qu'elle déclara ensuite :
Vous souvenez-vous de Paris? C'était il y a quelque temps. Nous nous nous trouvions attablés dans la boutique d'Elle Durée, ensemble, était également présente Aelith-Anna.
Aelith-Anna qui avait toussé. Non, Aelith-Anna n'avait pas toussé, elle n'avait pas été malade à Paris, elle s'était mieux portée depuis ce séjour prolongé dans le sud. Elle n'avait pas toussé, mais elle toussait assurément, Ingeburge venait de capter ce râle hélas bien familier et cette toux qui le suivait quand respirer devenait par trop difficile. Son regard quitta brusquement le jeune duc du Nivernais pour se poser sur sa vassale qui était bel et bien là, non loin et qui s'excusait pour cette quinte de toux qu'elle n'avait pu maîtriser.
Aelith-Anna.
Combien de fois avait-elle prononcé cette paire de prénoms? Bien souvent et c'était toujours avec la même bienveillance malgré la froideur, toujours le même sentiment de sécurité, toujours le même baume sur les blessures qui ne s'étaient jamais refermées. Aelith-Anna, ou l'apaisement. Justement ce dont celle-ci avait indubitablement besoin. L'ordre claqua, impérieux :
Va chercher de l'eau.
Le domestique venu accompagner la Flamboyante Maîtresse Equine s'engouffra à l'intérieur, pressé par l'exigence.
Aelith-Anna, vous êtes là.
Un peu d'inquiétude certainement mais le plaisir aussi d'énoncer ce fait propre à chasser les nuages.
Il était temps que vous reveniez, j'espère que vos affaires vont suivre, une chambre vous a été réservée.
La maladie n'avait pas été évoquée, mais le sous-entendu était clair : la dernière fois, la dame d'Augy avait paru tirer nettement avantage de ce périple au cur du Languedoc, tout serait mis en uvre pour que les effets bénéfiques surviennent à nouveau. Le mal qui rongeait sa vassale n'avait en fait jamais été abordé, Ingeburge avait juste qu'il était présent et elle s'y accoutumait peu ou prou, comme on s'habituait à un voisin encombrant et collant. Non, jamais il n'en avait été question en termes explicites, en une conversation franche, peut-être parce qu'elle-même était bien portante, jouissant d'une santé florissante malgré cet amaigrissement de son corps, de ses formes suite au jeûne de pénitence et à tous les tourments engendrés par cette rupture de ses vux et les avances pressantes du vicomte du Tournel. Peut-être aussi et surtout parce que ce mauvais état physique de la Chambertin était un écho au mauvais état moral de sa suzeraine; l'on n'aime guère se voir rappeler ses propres faiblesses.
Approchez donc, Aelith-Anna..
Il y avait un banc non loin.
Son Altesse et moi-même abordions quelques questions relatives à sa situation. Il y a un certain nombre de points à régler. Un de ses cousins doit aussi arriver, encore des points à mettre au clair.
Le valet revint chargé d'un plateau : de l'eau pour la dame d'Augy, de l'eau de fraises pour le Prince et la Prinzessin.
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Mal aux mains, indispo depuis quelques jours et encore pour quelques autres.
RP au minimum syndical voire au ras des pâquerettes.
Urgences mp IG.
Inge ne prend plus d'inscriptions aux joutes du Tournel.
Merci.