Ingeburge
Un ultime tour. Juste un. Il ne ferait que suivre les six précédents, tous présentés d'un ton convaincu en son for intérieur comme étant le dernier. Mais elle en avait besoin pour se rassurer, pour se persuader une fois de plus que ce qu'elle mettait en place en valait la peine et donnerait quelque chose. Il y avait aussi ce besoin de tout contrôler après pensé à l'ensemble dans le moindre détail. Puis, c'était aussi un moyen de tromper son attente jusqu'à l'ouverture officielle, ou tout au moins matérielle, de l'atelier. Alors, pourquoi pas? Personne ne la verrait sauf si la dame de Counozouls qu'elle attendait se matérialisait durant cette ultime promis inspection.
Résolue, elle grimpa immédiatement à l'étage, ce serait plus court et il n'y avait pas grand chose à voir. Personne hormis Ariana et elle n'y accèderaient. Le niveau supérieur consistait en un pallier séparé par un vantail de bois de l'unique pièce qui y avait été aménagée. On y trouvait deux couches pour le repos, le même nombre fauteuils destinés peu ou prou à un usage similaire, trois coffres et dans une encoignure avait été installée un espace dédié aux dévotions. Rien de bien notable en somme, seules les deux jeunes femmes devant animer à l'atelier y trouveraient un intérêt et un lieu de retrait si le besoin de faire une pause se faisait sentir. Refermant la porte, Ingeburge descendit plus lentement l'escalier, une de ses mains retenant sa houppelande. Les degrés donnaient au rez-de-chaussée, sur l'un des côtés de la grande pièce qui en occupait tout l'espace. Celui-ci fut traversé vers la porte du fond qui faisait exactement face à celle d'entrée de l'atelier, la première donnant sur le jardin.
Ce jardin était donc situé à l'arrière de la petite maison que la duchesse d'Auxerre avait choisie pour y installer son atelier héraldique. Il était clos, de dimensions honorables et était en partie ombragé. On y trouvait un pommier, un cerisier, un abricotier, les deux derniers arbres présentant un grand intérêt pour les enlumineurs : la résine que l'on pouvait y collecter servait en effet à fabriquer le liant nécessaire à la pose des couleurs. Deux bancs avaient été placés sous la ramée, mais ce n'était pas en ce mobilier spartiate que résidait le plus grand intérêt du jardinet. Non, outre les arbres, il y avait un puits et un grand tonneau destiné à recueillir de l'eau de pluie. Il y avait aussi un poulailler dont la porte était en journée laissée ouverte. Les deux poules y logeant pouvaient ainsi évoluer dans l'espace de verdure en toute quiétude. Ingeburge alla vérifier les nids, elle dénicha deux ufs et sourit; les pondeuses s'employaient avec une régularité qui leur faisait honneur. Avec précaution, la Prinzessin s'empara de ce qui constituait pour elle un vrai trésor. Nul intérêt alimentaire là-dedans, simplement un intérêt pour son office, le jaune et le blanc d'ufs étaient eux aussi excellents pour préparer le liant à adjoindre aux pigments.
Restait à inspecter ce qui constituait le cur de l'atelier : le rez-de-chaussée. Ingeburge s'y engouffra et se délesta aussitôt des ufs dans une écuelle. Tout le niveau inférieur de la maisonnette avait été aménagé en vue du grand projet qui avait occupé le Roi d'Armes ces dernières semaines : un espace ouvert à tous les Languedociens curieux et intrigués par l'art héraldique, qu'ils fussent nobles ou non. Bien que la question des armoiries agitaient surtout les nobles, l'héraldique n'était certainement ni leur apanage, ni leur domaine réservé. Les visiteurs trouveraient donc réponses à leurs questions qu'elles portent sur les lois en vigueur ou sur le langage héraldique, pourraient passer commande de blasons et d'oriflammes et pourraient assister à la confection d'armoiries. Ainsi, l'espace avait été divisé en deux sur toute la longueur : le premier-tiers était destiné aux gens de l'extérieur, de là, ils auraient la possibilité d'observer Montjoie au travail dans les deux autres tiers, les deux aires étant séparées par un comptoir. Légèrement anxieuse, l'une des deux maîtresses des lieux détailla à nouveau l'observation.
Sur le mur du fond, de part et d'autre de la porte donnant sur le jardin, avaient été suspendus des casiers et des étagères. A gauche, on y trouvait, impeccablement rangés tous les outils et matériaux nécessaires : pierres ponces et os de seiche en poudre pour affiner le grain des parchemins; règles et compas à pointe sèche pour le tracé; bol d'Arménie, céruse, plâtre éteint, colle de poisson, jus d'ail, miel pour préparer l'assiette à dorer; pierres d'agathe pour appliquer la feuille d'or; alun pour les encres; pinceaux de toutes tailles et de toutes origines : poils d'écureuil, de marte, de zibeline, plumes de bécasse; plumes d'oie, de faisan, calames, pointes d'argent, mines de plomb et de graphite, poinçons, stylets; bols, écuelles de toutes dimensions; canivets. A droite, c'était le royaume des couleurs avec une large gamme de matières premières à disposition pour confectionner les pigments : ocres, noix de galle, curcuma, ancolie, malachite, azurite, garance, safran, coquilles d'ufs, lapis-lazuli, vert de cuivre, céruse, cochenilles séchées, terres d'ombre, guède, craie, charbon de bois, orpiment, terre de Sienne, gaude, cinabre, coquillages, or en poudre, réalgar, vert de gris, genêt des teinturiers, bois de cerf, sang-de-dragon, végétaux calcinés, terres vertes, bois de braise. Pour l'oxydation l'on avait du vinaigre et du marc de raisin l'urine pouvant aussi faire office de ; pour le liant des gommes arabiques et ammoniaques, diverses colles, des résines, de cires et du fiel de buf; et pour la conservation des clous de girofle et de l'essence de lavande. Dessous, avait été poussée une table destinée à la préparation des couleurs, c'était là que les ufs avaient été déposés; on y trouvait aussi des mortiers, des pilons, des molettes, deux plaques de marbre et des bols pour la détrempe. A gauche en revanche s'alignaient deux coffres, c'était là qu'avaient été serrés les parchemins, chaque feuillet étant glissé entre deux feuilles de cuir. Il y avait de tout : peaux de mouton, de chèvre mais aussi plus coûteuses et plus fines, des peaux d'agneau et de chevreau, ainsi que des peaux de veau, les plus précieuses ayant été réalisées à partir d'animaux mort-nés pour donner les vélins. Le point commun était que les peaux avaient été trempées, ébourrées et effleurées et étaient prêtes à l'usage, ayant été découpées en différents formats.
Sur le côté gauche de la pièce, une bibliothèque, y avaient été glissés quelques ouvrages, registres et armoriaux, copies de pièces de référence et un coffret contenant les feuilles d'or; une autre table destinée au séchage y était accolée. A droite, le mur était nu, simplement percé de deux croisées qui laissaient passer des flots de lumière, l'escalier donnait entre les deux fenêtres; non loin un aquamanile avait été disposé pour permettre de se laver les mains.
Au milieu enfin, un grand pupitre à la tablette inclinée avait été disposé de façon à ce que les visiteurs puissent assister à toutes les étapes du dessin. S'y trouvait de quoi fixer le parchemin sur lequel serait réalisé le travail et y était adjoint un tabouret.
D'autres sièges complétaient l'ameublement, ils étaient placés çà et là et seraient déplacés selon les occasions.
Machinalement, la Prinzessin tritura le ruban du devantier qu'elle avait passé par-dessus sa houppelande,a anxieuse. A priori, il ne manquait rien de ce qu'elle avait fait venir à grands frais, comme elle avait déjà pu le constater lors des six inspections précédentes. Mais il manquait des personnes, à commencer par Ariana. Quittant son poste d'observation, elle se dirigea vers la porte d'entrée et l'ouvrit, pour constater qu'elle l'avait bien déverrouillée. Jetant un coup d'il à l'extérieur, elle leva les yeux vers l'enseigne.
L'atelier héraldique était bel et bien ouvert.
_________________
[Oui, à la bourre, je sais. ]
Résolue, elle grimpa immédiatement à l'étage, ce serait plus court et il n'y avait pas grand chose à voir. Personne hormis Ariana et elle n'y accèderaient. Le niveau supérieur consistait en un pallier séparé par un vantail de bois de l'unique pièce qui y avait été aménagée. On y trouvait deux couches pour le repos, le même nombre fauteuils destinés peu ou prou à un usage similaire, trois coffres et dans une encoignure avait été installée un espace dédié aux dévotions. Rien de bien notable en somme, seules les deux jeunes femmes devant animer à l'atelier y trouveraient un intérêt et un lieu de retrait si le besoin de faire une pause se faisait sentir. Refermant la porte, Ingeburge descendit plus lentement l'escalier, une de ses mains retenant sa houppelande. Les degrés donnaient au rez-de-chaussée, sur l'un des côtés de la grande pièce qui en occupait tout l'espace. Celui-ci fut traversé vers la porte du fond qui faisait exactement face à celle d'entrée de l'atelier, la première donnant sur le jardin.
Ce jardin était donc situé à l'arrière de la petite maison que la duchesse d'Auxerre avait choisie pour y installer son atelier héraldique. Il était clos, de dimensions honorables et était en partie ombragé. On y trouvait un pommier, un cerisier, un abricotier, les deux derniers arbres présentant un grand intérêt pour les enlumineurs : la résine que l'on pouvait y collecter servait en effet à fabriquer le liant nécessaire à la pose des couleurs. Deux bancs avaient été placés sous la ramée, mais ce n'était pas en ce mobilier spartiate que résidait le plus grand intérêt du jardinet. Non, outre les arbres, il y avait un puits et un grand tonneau destiné à recueillir de l'eau de pluie. Il y avait aussi un poulailler dont la porte était en journée laissée ouverte. Les deux poules y logeant pouvaient ainsi évoluer dans l'espace de verdure en toute quiétude. Ingeburge alla vérifier les nids, elle dénicha deux ufs et sourit; les pondeuses s'employaient avec une régularité qui leur faisait honneur. Avec précaution, la Prinzessin s'empara de ce qui constituait pour elle un vrai trésor. Nul intérêt alimentaire là-dedans, simplement un intérêt pour son office, le jaune et le blanc d'ufs étaient eux aussi excellents pour préparer le liant à adjoindre aux pigments.
Restait à inspecter ce qui constituait le cur de l'atelier : le rez-de-chaussée. Ingeburge s'y engouffra et se délesta aussitôt des ufs dans une écuelle. Tout le niveau inférieur de la maisonnette avait été aménagé en vue du grand projet qui avait occupé le Roi d'Armes ces dernières semaines : un espace ouvert à tous les Languedociens curieux et intrigués par l'art héraldique, qu'ils fussent nobles ou non. Bien que la question des armoiries agitaient surtout les nobles, l'héraldique n'était certainement ni leur apanage, ni leur domaine réservé. Les visiteurs trouveraient donc réponses à leurs questions qu'elles portent sur les lois en vigueur ou sur le langage héraldique, pourraient passer commande de blasons et d'oriflammes et pourraient assister à la confection d'armoiries. Ainsi, l'espace avait été divisé en deux sur toute la longueur : le premier-tiers était destiné aux gens de l'extérieur, de là, ils auraient la possibilité d'observer Montjoie au travail dans les deux autres tiers, les deux aires étant séparées par un comptoir. Légèrement anxieuse, l'une des deux maîtresses des lieux détailla à nouveau l'observation.
Sur le mur du fond, de part et d'autre de la porte donnant sur le jardin, avaient été suspendus des casiers et des étagères. A gauche, on y trouvait, impeccablement rangés tous les outils et matériaux nécessaires : pierres ponces et os de seiche en poudre pour affiner le grain des parchemins; règles et compas à pointe sèche pour le tracé; bol d'Arménie, céruse, plâtre éteint, colle de poisson, jus d'ail, miel pour préparer l'assiette à dorer; pierres d'agathe pour appliquer la feuille d'or; alun pour les encres; pinceaux de toutes tailles et de toutes origines : poils d'écureuil, de marte, de zibeline, plumes de bécasse; plumes d'oie, de faisan, calames, pointes d'argent, mines de plomb et de graphite, poinçons, stylets; bols, écuelles de toutes dimensions; canivets. A droite, c'était le royaume des couleurs avec une large gamme de matières premières à disposition pour confectionner les pigments : ocres, noix de galle, curcuma, ancolie, malachite, azurite, garance, safran, coquilles d'ufs, lapis-lazuli, vert de cuivre, céruse, cochenilles séchées, terres d'ombre, guède, craie, charbon de bois, orpiment, terre de Sienne, gaude, cinabre, coquillages, or en poudre, réalgar, vert de gris, genêt des teinturiers, bois de cerf, sang-de-dragon, végétaux calcinés, terres vertes, bois de braise. Pour l'oxydation l'on avait du vinaigre et du marc de raisin l'urine pouvant aussi faire office de ; pour le liant des gommes arabiques et ammoniaques, diverses colles, des résines, de cires et du fiel de buf; et pour la conservation des clous de girofle et de l'essence de lavande. Dessous, avait été poussée une table destinée à la préparation des couleurs, c'était là que les ufs avaient été déposés; on y trouvait aussi des mortiers, des pilons, des molettes, deux plaques de marbre et des bols pour la détrempe. A gauche en revanche s'alignaient deux coffres, c'était là qu'avaient été serrés les parchemins, chaque feuillet étant glissé entre deux feuilles de cuir. Il y avait de tout : peaux de mouton, de chèvre mais aussi plus coûteuses et plus fines, des peaux d'agneau et de chevreau, ainsi que des peaux de veau, les plus précieuses ayant été réalisées à partir d'animaux mort-nés pour donner les vélins. Le point commun était que les peaux avaient été trempées, ébourrées et effleurées et étaient prêtes à l'usage, ayant été découpées en différents formats.
Sur le côté gauche de la pièce, une bibliothèque, y avaient été glissés quelques ouvrages, registres et armoriaux, copies de pièces de référence et un coffret contenant les feuilles d'or; une autre table destinée au séchage y était accolée. A droite, le mur était nu, simplement percé de deux croisées qui laissaient passer des flots de lumière, l'escalier donnait entre les deux fenêtres; non loin un aquamanile avait été disposé pour permettre de se laver les mains.
Au milieu enfin, un grand pupitre à la tablette inclinée avait été disposé de façon à ce que les visiteurs puissent assister à toutes les étapes du dessin. S'y trouvait de quoi fixer le parchemin sur lequel serait réalisé le travail et y était adjoint un tabouret.
D'autres sièges complétaient l'ameublement, ils étaient placés çà et là et seraient déplacés selon les occasions.
Machinalement, la Prinzessin tritura le ruban du devantier qu'elle avait passé par-dessus sa houppelande,a anxieuse. A priori, il ne manquait rien de ce qu'elle avait fait venir à grands frais, comme elle avait déjà pu le constater lors des six inspections précédentes. Mais il manquait des personnes, à commencer par Ariana. Quittant son poste d'observation, elle se dirigea vers la porte d'entrée et l'ouvrit, pour constater qu'elle l'avait bien déverrouillée. Jetant un coup d'il à l'extérieur, elle leva les yeux vers l'enseigne.
L'atelier héraldique était bel et bien ouvert.
_________________
[Oui, à la bourre, je sais. ]