Poursuivant sa convalescence, il s'était enfin remis sur ses pieds.
Ce n'était pas encore la grande forme, non, loin de là...
Mais il tenait suffisamment debout pour reprendre progressivement quelques activités et rencontrer du monde en ville, quelques minutes par ci par là.
Faute de soins durant deux jours, son cheptel avait bien dépérit.
C'est la première chose qu'il était allé voir, sortant du lit après ces journées de fièvre.
Quelle désolation !
Mais vu sa volonté de pourvoir aux besoins des plus nécessiteux, pas question de faire peser le coût de ces pertes aux acheteurs...
Il faudra donc se priver d'avantage dans les jours à venir.
"Ah, maigre consolation, mais fait bien plaisir ça...
En parcourant son terrain, il trouve une bonne planche de bois. Peut-être est-elle utilisable ?
- Bof, non, mais elle sera bien utile à nos boulangers ou charpentier plutôt...
Consultant le tableau des prix en vigueur, 4,55 écus le morceau de bois, il décide de le vendre à 4,50 écus, se disant :
- Voila qui aidera bien un de nos villageois en manque de bois...
Puis il consulte son courrier et trouve quelques messages d'encouragement et de prompts rétablissements dans sa boite.
- Voilà qui réconforte et qui est bien encourageant, se dit-il.
Il ne manquerait pas de répondre aux aimables correspondants qui s'inquiétaient de sa santé.
- Tiens, en voila un autre...
Il regarde avec attention la lettre estampillée "Encore une semaine" de Monsieur le Maire.
Ouvrant le pli, toujours appuyé sur son bâton qui l'aide à se déplacer, il manque de le laisser chuter.
Il relit à nouveau :
Citation:
"Nous importons à l'heure actuelle du fer, des fruits, des stères de bois, des carcasses de viande, en grand nombre."
- Comment ?
La pénurie de viande encore à Montpellier ???
Mais c'était fini ça, et depuis bien une semaine.
Encore de la spéculation?
Il s'accroche alors à son bâton, file voir ses réserves de viande, puis hâte le pas, autant qu'il le peut, vers le marché.
- Nonnnn !
Il se frappe le front et demeure coi.
- C'est quoi ce délire ?
C'est à n'y rien comprendre...
Pas un seul morceau de viande vendu depuis le 10 avril !
Lui en reste 28 en réserves dont 10 sur le marché...
Et le marché est plein de viandes à bas prix...
Et l'homme qui gère les affaires de la collectivité importe des carcasses... comment dit-il déjà ? ... "en grand nombre"...
- Mais quelle mouche le pique ?
Il commence à croire qu'il est encore endormi, en proie à la fièvre qui le fait délirer.
- Bon, conserve ta sérénité mon garçon !
Restons calmes.
Pour commencer, une discussion s'impose.
De retour chez lui, il réfléchit et tente de retrouver ses esprits.
Aucun bourgmestre ne serait assez sot pour dilapider ainsi l'argent laissée par son prédécesseur dans les caisses de la ville, pour acheter des articles que nos villageois sont capables de fournir par eux-même.
Ce serait une faute double.
D'une part, c'est réduire la masse monétaire de la collectivité, argent qui ne lui appartient en rien, mais plutôt à ses habitants.
On n'achète pas ce que l'ont peut produire, c'est une évidence !
D'autre part, c'est nuire aux producteurs de carcasses, d'autant que le marché n'est pas en reste puisque les prix chutent.
De surcroît, tout bon gestionnaire sait aussi que nuire à une corporation, occasionne conséquemment d'autres perturbations pour les suivantes.
A commencer par les producteurs de maïs...
- Tiens, qu'est-ce donc ceci encore ?
Un nouveau message venait d'arriver durant son absence.
Il ouvre, le lit et frôle la crise cardiaque.
Se cramponnant à son bâton, il relit :
Citation:
Expéditeur : Cornazzano de Carafa Della Spina Di Traetto
Date d'envoi : 19/04/2012 - 12:19:29
Titre : Bois.
Bonjourn,
Vous avez été pris à frauder sur le marché de Montpellier.
- Arrêté n°2 du 12 mars 1457 : Du monopole municipal
Le maire étant le garant de la santé économique de ses administrés, et soucieux de gérer sainement les transactions concernant des produits précieux et spécifiques,
Afin de bannir les spéculateurs qui s�enrichissent au détriment des plus miséreux, qu�il soit su que la vente des marchandises suivantes est interdite sur notre marché :
* Bois
* Fruit
* Fer
La mairie et les personnes dûment mandatées par le maire, ont seules le droit de fournir le marché en ses denrées.
Tout contrevenant sera poursuivi en justice pour escroquerie.
En vendant du bois à 4,40 écus.
C'est la premiere et dernire fois que je vous prend à frauder, la prochaine fois, vous serez poursuivi par la justice pour escroquerie.
Je vous remercie
cornazzano.
- Fraudeur !
Je suis un fraudeur !
Moi !
Moi qui ai toujours lutté contre les fraudeurs et les spéculateurs !
Moi qui ai ouvert une taverne uniquement dans le but de vendre ma viande aux plus nécessiteux sans que celle-ci soit achetée par les spéculateurs qui la revendaient plus chère !
Mon Dieu !
Ne m'abandonne pas !
Toi qui sait...
Alors non seulement ils ignorent tout de la gestion raisonnée, mais de surcroît, ils n'entendent rien au savoir vivre, à la communication.
Mais où en sommes-nous ?
C'est consternant !
Il se cramponne à son bâton, s'agenouille près de l'entrée de son petit terrain et se met à prier.
- Mon Très Haut, Toi qui sais que j'ai remis en vente, au prix inférieur au prix indiqué en Mairie, ce morceau de bois trouvé, tu sais que c'était pour rendre service.
Tu sais que loin de moi l'idée de frauder ou d'escroquer mon prochain.
Tu sais que j'ai toujours à coeur de servir mes frères et mes soeurs...
Mon Dieu, je t'en prie.
Éclaire les simples d'esprit, moi je suis encore trop las...
J'ai besoin de quelques jours encore pour recouvrer complétement mes forces.
Aide-moi mon Dieu... je T'en prie.
Sitôt la santé recouvrée, je Te promets d'arranger mes affaires comme je sais le faire.
Fais-moi confiance, Tu me connais, ils ne perdent rien pour attendre...
Mais pour le moment, j'ai encore besoin de Toi, étant encore faible.
Il poursuit ses prières, toujours à genoux, mettant toutes ses espérances dans sa Foy dans le Très Haut...
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