Aimbaud
Citation:
À la marquise de Nemours, duchesse de Corbigny, et dame du reste de nos fiefs,
De son époux,
Salutation.
Comme vous le savez, j'ai passé ces dernières semaines à Corbigny où l'on requerrait ma présence car mon père avait montré une vilaine santé. Bien que sa demie-jambe le fasse encore souffrir des suites de l'abcès, il se porte mieux désormais. Enfin il était peut-être inutile de vous préciser ces détails... Donc. Bref ! Évidement, je me suis quelque peu éternisé chez mon père. À tout vous dire, j'ai eu dans l'idée que mon absence, certes forcée, puis prolongée, n'était pas fondamentalement pour vous déplaire ! Peut-être me trompé-je. Alors. Voilà cette lettre, en somme, pour vous dire un peu les choses franchement...
Car j'ai bien essayé de trouver le sens et la manière de venir vous parler, mais le discours, de vous à moi, a toujours quelque mal à se prononcer. Je disais ! Sincèrement. Donc ! Entre nous, il est une petite fâcherie. Je dis petite, mais ne croyez pas que je veuille vous minimiser. Vous savez que vous tiens en estime... Mais la fâcherie que vous me faites, petite ou pas, finit par prendre des ampleurs... certaines.
C'est donc en connaissance de cause que je vous écris, de Corbigny, où mon père va mieux, pour vous dire les choses que vous avez lues, et que je vais écrire. Ces choses, donc, quelles sont-elles ? Eh bien c'est très simple. Ces choses sont que vous êtes fâchée, et que ceci sans vouloir dire que votre fâcherie n'a point de fondement votre fâcherie a toutes les raisons d'être, mais elle ne peut durer éternellement, car toutes les choses sont vouées à finir. Tôt ou tard ! Et je ne dis pas par-là qu'elle se finit tard. Je dis qu'elle va se finir juste comme il faut.
Il faut en effet qu'elle se finisse, voyez-vous (sans vous forcer la main), parce qu'en vertu des liens du mariage qui nous unissent, les deux partis, vous, moi, sont censés (dites-moi si je m'écarte des textes aristotéliciens), dans une certaine mesure, vivre dans ce qu'on pourrait qualifier d'harmonie, n'allant peut-être pas jusqu'à la franche camaraderie, mais éventuellement une sorte d'entente qui pousserait du moins les partis, toujours vous et moi, à vivre dans le même château, peut-être même les mêmes pièces, sans que l'on ait à briser la vaisselle de ma famille...
Il vous faut savoir que, par cette proposition, je n'oublie pas mes torts, et les causes, et les agissements vilains, qui sont miens, qui font de moi et moi seul l'instigateur de nos disputes, et j'en prends bonne note, soyez-en rassurée. Aussi et surtout je n'ai pas volonté de vous commander ! Ceci étant dit, si vous vouliez bien me faire savoir, disons dans le courant du mois, ce qu'il en est de notre discorde... Enfin disons, l'état de son développement...? La date peut être revue. Un mois ou deux si vous préférez ne rien hâter. Enfin sachez que lorsque vous n'aurez plus de griefs à mon encontre je dis "plus", mais ça peut-être simplement "moins" de griefs, faisons comme vous voulez c'est à Château-Gonthier que je vous prierai d'écrire, car je m'en vais prendre quelques semaines pour visiter ma soeur en Anjou.
Aristote veille sur vous, et arrange ce malentendu.
- Aimbaud de Josselinière
_________________