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[RP]Au 8 Barri Mesteiral, Chez Stromb. Retour en demi teinte

Stromboli
[Il n'y a que deux choses que nous pouvons transmettre à nos enfants : des racines et des ailes.] Proverbe juif


Stromb était de retour en Rouergue aprés plusieurs mois d'absence. Et comme à son habitude, il rouvrait sa maison le temps de quelques jours. L'arrivée à Villefranche s'était faite sans encombres, le brun en était soulagé connaissant le terrain de chasse favoris des brigands. Une fois arrivé en ville, il s'étonna de voir le bourg encore plus ensommeillé qu'il ne l'était lors de son départ. Personne dans les rues, personne en taverne... Le marché était cher également. Il laissa Matou découvrir la ville et s'affairer au marché tandis qu'il rejoignait le quartier Barry Mesteiral. Il traversa la place de l'église alors que les cloches tintaient et marcha sur quelques mètres avant d'atteindre le numéro 8. Il leva les yeux sur la batisse, son jardin secret, gardienne de ses plus beaux souvenirs d'enfance. La maison était de belle carrure. Elle était plantée au milieu d'un jardin, haute et fière, découpée habillement. Elle avait de la gueule, et malgré son abandon constant, elle tenait parfaitement debout. Stromb poussa la grille en fer forgé qui grinca et pénétra dans le jardin broussailleux. Les mauvaises herbes avaient profité de son abscence pour proliférer un peu partout, il faudrait qu'il trouve un berger qui pourrait lui prêter quelques chèvres pour défricher rapidement et correctement son terrain.

Il s'avanca sur l'allée de dalles jusqu'à la grande porte d'entrée et sorti de sa besace une grosse clé en fer. Il la fit pénétrer dans la serrure, pria pour que le verrou marche encore, et tourna deux fois la clé dans un roulement net et sans bavure. Décidément, cette vieille dame avait toujours sa forme d'antan ! Il en était ravi. Il poussa la porte et pénétra dans son univers.

Tandis qu'il mit un pied à l'intérieur, il fut assailli par une odeur de poussière mêlée à l'odeur familière de la maison : mélange de bois, de papier et d'encre, d'orange et d'estragon.. Mais aussi l'odeur indétactable pour les non initiés de ceux qui avaient marqué cette maison de leur empreinte. Odeur réconfortante, familière, qui vous prend au tripes et vous rassure... Stromb respira à plein poumons et vit rejaillir tout un tas de souvenirs heureux. On est bien chez soi finallement...

Il ferma la porte et entreprit d'ouvrir les volets. Un à un, il les rabattait, laissant les fenêtres grandes ouvertes, les fins rideaux planant dans la pièce sous l'effet de la légère brise parfumée d'été qui venait chasser l'odeur de poussière. La pièce, un grand salon, s'éclairait à mesure que le soleil chaud de l'aprés-midi y pénétrait. Le temps semblait s'être figé ici. Il posa son regard sur les meubles couverts de draps blancs. Cette vision lui rappella celle, fugace, de la roulotte la dernière fois qu'il l'avait vue. Maintenant, elle était entre les main d'Arnaut, et il ne la reverrai jamais plus. Chassant cette pensée de sa tête, il tira sur les draps les uns aprés les autres. Des fauteuils, une grande table tout en longueur, de grands candélabres prés de l'âtre, un clavecin dans un coin, quelques objets hétéroclites ramenés de voyages lointains finirent par être découverts. Les habitants de cette pièces semblaient se réveiller doucement, aveuglés par la soudaine lumière dans laquelle baignait la pièce.

Son regard se posa sur la pièce désormais révélée, joliement décorée, à la fois sobre et tout en finesse. Il entendit des bruits de pas lourds dans le jardin et la porte s'ouvrit derrière lui. Didier l'homme à tout faire pénétra dans la pièce. Stromb voulait que la maison soit prête à accueillir ses hôtes quand ils viendraient, il avait donc demandé à celui qu'il voyait désormais comme un ami indéfectible de venir lui donner un coup de main. Didier le regarda de son air un peu niais et Stromb lui adressa un sourire.


- Merci d'être venu m'aider. Il faut qu'on rende cet endroit habitable et surtout agréable avant l'arrivée de Matou d'accord ?

Il vit le grand gaillard opiner du chef, l'air motivé. Le brun n'en fut que plus ravi.

- Trés bien... Donc tu vas secouer ces draps pleins de poussière par la fenêtre, les plier, et les ranger à l'étage. Il y a un meuble avec les draps, les couvertures, les peaux et les coussins, tu mettra cela sur le rayon du bas, qu'on sache où ils sont le jour de notre départ. Ensuite tu iras puiser de l'eau au puit au fond du jardin et tu te rendras dans les cuisines. Elle sont propres mais poussiéreuses, j'aimerai que tu te charge de les remetre en état. Matou va ramener les provisions du arché, si tu l'entend arriver va l'aider à décharger et à ranger. Je m'occuperai du reste.

Un nouvel acquiessement et Didier se mit en marche. L'homme était brave et ne rechignait jamais à la tâche. En contre parti, il avait un toit et que la possiblité de faire ce qui lui chante, ainsi que l'amitié du rouergat. Ce dernier grimpa le grand escalier de bois précieux jusqu'à l'étage. Plusieurs pièce s'étalaient ici, allant de la chambre d'enfant plus petite à celle des adultes plus grande et plus spacieuse. Il ouvra les portes, les fenêtres, les volets, ôta les draps protecteurs et s'enquit de dépoussiérer tout ça. La même émotion lorsqu'il pénétra dans son ancienne chambre. Elle était bien rangée, ce qui n'était pas le cas à l'époque. Une vieille carte trainait sur un petit bureau de bois. Déjà le gout de l'aventure... Puis la chambre de son vieux grand-père. Elle était grande, décorée de plusieurs meubles d'origines différentes. L'ailleul avait parcouru du chemin avant de s'installer définitivement en Rouergue, et toutes ses trouvailles jallonaient la maison. Un grand lit, orné de rideaux fins qu'il était possible de tirer pour plus d'intimité, surplombait la pièce. Il l'avait toujours envié... Le vieux l'avait fabriqué de ses propres mains, donnant ainsi à son petit fils le gout du travail du bois, entre autre.

Il arriva à la pièce qu'il préférait le plus. Cet endroit était à première vue une bibliothèque, les étagères en cormier supportaient des dizaines d'oeuvres reliées et enluminées, préservées avec amour et respect, alignées les unes contre les autres. Tout y était présent : ouvrages de médecine, art de la guerre, du commerce, de gros livres relatant de règles et traités de droit... de l'histoire du royaume et du monde, relatant les découvertes, de longs parchemins abritant des cartes précises, terrestres et maritimes... des ouvrages d'art, des textes en toutes les langues, de tout les auteurs : des poètes comme François Villon, des théologiens comme Jean de Cornouailles, Félix d'Urgel, Nicolas de Lyre... Des philosophes, Wizo, De Crémone... Des dramaturges aussi, Rutebeuf en premier, De Rojas...

Il parcoura la pièce en laissant trainer ses doigts sur ces livres. L'odeur ici était magique. C'était elle qui avait donné le ton dans toute la maison. Pièce spacieuse, studieuse, calme et respirant la sérénité, le savoir. Il n'avait pas lu tout ces livres, le temps lui avait manqué. Et dans sa fougueuse jeunesse, il avait eu bien autre chose en tête que de mettre la tête dans des parchemins poussiéreux. Une table de travail était installée là, ainsi que quelques fauteuils confortables rembourrés de plumes de toutes sortes. Il tenait réellement à cette maison, elle avait une histoire, un caractère. Elle représentait un art de vivre, une emprunte du passé et une promesse d'avenir.

Il soupira et cessa de rêvasser. Il se mit au travail et lava de fond en comble tout cet étage si précieux. Il y mis plusieurs heures, et en fin d'aprés midi, quand tout fut propre, il alla chercher 4 chèvres qu'il placa dans son jardin. Il faudrait bien deux jours pour qu'il soit en état, même si les bestioles mangeaient vite. Ereinté, il se laissa tomber dans un fauteuil face à l'atre sans vie, et laissa la brise venue de l'extérieur caresser son visage. Matou n'allait plus tarder maintenant.

Il repensa à l'enterrement d'Inba à Espalion. Il avait longuement hésité à venir, il aurait aimé lui rendre un dernier hommage maintenant qu'elle était enfin de retour chez elle. Mais clairement, on lui avait fait comprendre qu'il n'était pas le bienvenu. La mise en terre était manifestement réservée à une élite d'amis et de proches, et le brun n'y avait plus sa place. Il le regrettait, mais malgré ce que l'on pouvait penser, il n'espérait plus qu'une chose pour elle : qu'elle repose enfin en paix, parmis les étoiles comme elle disait. Il avait pu lui dire au revoir à Troyes, maigre consolation. Il avait pu remarquer qu'on lui avait forgé une réputation de menteur, égoïste, raclure, lâche et tant d'autres jolis défauts. Il regrettait que les gens n'aient qu'un seul son de cloche, car il arrive que la vérité soit déformée et mal interprêtée. Il assumait ses erreurs, ar certes il en avait fait, mais pas celles qu'on lui repprochait à tort. Il l'avait aimée malgré ce que tout le monde semblait penser, plus que tout, il en avait fait son essentiel. Il ne le montrait pas et avec le recul il s'était dit qu'il aurait peut-être du. Elle était parti trés loin, peut-être aussi aurait-il du la rattraper... Elle était morte, il en avait souffert même si les gens pensaient le contraire. Aujourd'hui tout avait changé.

Il soupira en repensant à ça. Il ruminait ce passé sans cesse, et aujourd'hui qu'il était chez lui en Rouergue, il était remonté à une vitesse affolante. Il avait décidé d'être discret même si certaines choses et certains comportements le révoltait. Il n'interviendrait pas et laisserait les choses se tasser. Il espérait également que Ixia soit heureuse au milieu des gens qu'elle aime et que sa mère aimait, et qu'elle s'épanouisse pleinement. C'est ce qu'un "père" souhaite pour sa fille aprés tout. Et même si aujourd'hui celle-ci semblait fâchée contre lui pour une raison qu'il ignorait, ça ne l'empêchait pas d'avoir toujours une place aussi grande dans son coeur.

Il fixait l'âtre. La page était en train de se tourner. Elle avait été difficile et avait eu beaucoup de répercutions sur tout le monde. Seulement aujourd'hui, aprés presque 3 mois de deuil, il voulait et allait regarder de l'avant. Un séjour chez lui, aux sources, puis un petit voyage dans le sud du royaume l'attendait. Il en était impatient.

Un bruit soudain le tira de sa rêverie. C'était Matou qui revenait du marché.
Matouminou


Ils y étaient, enfin!!...le voyage avait été long, mais fort heureusement, il n'y avait pas eu de souci particulier. Les enfants avaient été plutôt de bonne composition, les grands appréciant leur nouvelle liberté loin du collège Saint Louis, la petite Luna gazouillant la plupart du temps, et si parfois, elle pleurait, c'était plus par fatigue et ça ne durait pas bien longtemps, car, elle s'était bien faite au rythme du voyage.

Se trouver dans la ville natale de Stromb revêtait , au yeux de Matou, une signification bien particulière et, lorsqu'elle avait vu apparaitre, dans les premiers rayons de soleil, Villefranche-sur-Rouergue, elle avait cherché la main de Stromb et l'avait serrée fort, en proie à une vive émotion.

Stromb lui avait dit y avoir une maison, héritage de sa famille, il n'avait pas donné plus de détails, la décrivant sommairement, aussi Matou avait-elle hâte de la découvrir.
Toutefois, le rouergat avait tenu à ouvrir sa maison, seul, ce qui tombait bien car, les provisions avaient fondu comme neige au soleil et une petite balade au marché s'était révélée nécessaire.
Matou adorait découvrir les marchés de chaque ville. Certains étaient bien pauvrement achalandés, d'autres regorgeaient de marchandises, mais tous avaient une ambiance bien à eux. En fonction du temps, du moment de la journée, de la fréquentation plus ou moins intense, des coutumes locales, de la gouaille des commerçants qui s'interpelaient entre eux, les marchés s'animaient. Certains marchands usaient de plaisanteries plus ou moins fines, d'autres jouaient avec les mots...Toujours est-il que Matou se régalait toujours en flânant sur les marchés, s'arrêtant pour admirer des tissus, des vêtements, des accessoires de beauté, humant les bonnes odeurs des épices, des pains tout juste sortis du fournil...n'hésitant pas à discuter avec les commerçants, leur demandant des explications sur des plats locaux, des fruits et légumes qu'elle n'avaient encore jamais vus...plaisantant, riant...pour elle, le marché était un peu l'image de chaque ville.

La première chose qu'ils avaient faite en arrivant, avait été d'aller en taverne, histoire de se poser un peu, Mais cette fois-ci, ils n'avaient pas eu à chercher, Stromb les mena directement dans la taverne municipale portant le nom de "La Gigue". Ils avaient bu et mangé un peu, puis,il lui avait laissé l'adresse où elle le rejoindrait une fois les provisions faites. Elle l'avait notée à la va-vite sur un bout de parchemin. Ils s'étaient quittés sur un dernier baiser, lui allant à pied vers sa maison, elle, prenant les rênes de la charrette, où avaient repris place Suzon, Luna au creux de ses bras, Mahaut et Guillaume. Ce dernier avait râlé, il n'aimait pas aller au marché, mais Matou, d'un regard qui ne tolérait aucun commentaire, l'avait fait taire, en disant:


- Tu me seras très utile pour porter les victuailles...ensuite, et seulement à ce moment là, quand nous serons dans la maison de Stromb, tu pourras songer à t'amuser....


Le garçonnet, connaissant bien sa mère, s'était bien gardé de répliquer et était grimpé dans la charrette.

Villefranche était un gros village, aussi Matou n'eut-elle guère de mal à trouver la place du marché, situé au centre, non loin de l'église. Elle avait garé la charrette à l'ombre, car il était préférable que Suzon n'en bouge pas, Luna s'étant endormie dans ses bras.

Avant de partir à l'assaut du marché, Matou avait demandé à Guillaume d'aller remplir un seau d'eau fraiche à la fontaine afin que le cheval, fatigué mais fidèle depuis leur départ de Troyes, puisse se désaltérer. Une fois chez Stromb, il aurait sa ration de son.

Et c'est ainsi, en compagnie de ses deux enfants, qu'elle découvrit le marché villefranchois. Sans être immense, il avait tout ce qu'il fallait. Elle admira les tissus colorés et les vêtements légers, adaptés à la saison. Mahaut fit une halte assez longue devant un stand de livres à la couverture en cuir. Matou la vit faire une grimace en en feuilletant un:


- Maman, quel est cette langue étrange? Ce n'est ni du latin, ni du françois...


Elle lut tout haut:

- "La storia de Vilafranca de Roèrgue"

Matou sourit en disant:

- je ne sais pas ma chérie, mais nous demanderons à Stromb...c'est surement un dialecte du coin...

Ils continuèrent leur chemin, il n'y avait pas beaucoup de monde, quelques femmes et enfants. Matou les écouta parler, notant leur accent chantant, celui-là même qu'avait Stromb. Elle avait remarqué que, selon ses émotions, il était plus ou moins marqué.

Au bout d'un moment, elle estima qu'elle avait ce qu'il fallait, du reste, Guillaume commençait à pester, comme quoi, on le réduisait à l'état d'une mule, et que si on lui donnait encore une seule marchandise à porter, il lâcherait tout. Mahaut avait elle-même plusieurs miches de pain dans les bras et Matou portait une cagette de fruits. Elle avait aussi trouvé de la viande. Dans l'ensemble, les prix étaient assez élevés, mais il fallait bien se nourrir. C'est donc bien chargés qu'ils arrivèrent à la charrette. Les victuailles furent déposées un peu en vrac, et tous grimpèrent sur la charrette.

Matou fouilla alors dans sa besace à la recherche du parchemin sur lequel la précieuse adresse avait été notée. Bien entendu, elle ne le trouva pas tout de suite et elle se mit à pester. Elle évita de relever le gloussement de Guillaume, hilare. Au bout d'un certain temps, elle le brandit, triomphante:


- Le voilà!!! Alors...voyons voir...hum....c'est au numéro 8 ... Barry Mesteiral...hum... bon on va devoir se débrouiller...


Elle roula des yeux. Elle n'avait jamais eu le sens de l'orientation et les quelques explications que Stromb, lui avaient notées lui semblaient très approximatives. Etait-il vraiment raisonnable de chercher par ses propres moyens, au risque de tourner en rond?
La voix de Guillaume s'éleva:


- Maman, faudrait demander à quelqu'un...parce que...rappelle-toi, la dernière fois à Rouen quand tu voulais aller au château, on a fait au moins cinq fois le tour de la ville...et on est arrivé drôlement en retard... et...puis, j'ai faim!!

Elle fit la grimace, son fils avait raison. Elle ne put s'empêcher de s'exclamer:


- Guillaume, n'exagère pas!! on a fait tout au plus deux fois le tour de Rouen, et on est arrivés au moment où...

Arffff...inutile de plus s'enfoncer, ils étaient arrivés, en effet, presqu'à la fin de cette cérémonie organisée par le Duc de l'époque.

- Bref...de toute façon, on s'y serait ennuyés à mourir à cette cérémonie, au moins, on a visité Rouen....On va demander notre chemin, car Stromb risque de s'inquiéter s'il ne nous voit pas venir!

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle héla une vieille femme; estimant que cette femme, de par son âge avancé, devait connaitre le village dans ses moindres recoins. Toutefois, et parce que peut-être Matou prononça-t-elle mal le nom de la rue, la vieille secoua la tête en signe de dénégation, et reprit son chemin, peu disposée à tenter de les aider. Ce fut finalement un homme portant sa hache sur l'épaule, un bucheron sans aucun doute, qui les renseigna, et encore, pas grâce à l'adresse. c'est quand Matou lui dit...

- C'est là où demeure Messire Stromboli... vous le connaissez peut-être....


...qu'un sourire s'afficha sur son visage:

- Boudiou!! Le jeune Stromboli!! Il est donc de r'tour...Pour sur que j'sais où il habite...j'connaissais ben son grand père...j'va vous indiquer la route!!


Il grimpa sur le marche pied de la charrette et commença à lui indiquer le chemin à suivre, tout en discutant, car il était bavard. Ainsi Matou, tout en faisant avancer la charrette là où il lui indiquait, apprit qui était mort ces dernières semaines, qui s'était marié, puis, il y alla de son petit commentaire sur les taxes et la question fatidique tomba, celle à laquelle Matou s'attendait.


- Dites voir, Dame, z'êtes l'épouse du Stromb?

Elle ne put s'empêcher de rougir et masqua sa gêne derrière un petit rire. Elle aurait aimé lui dire qu'elle était sa compagne, mais, il était préférable d'être discrète. Le village saurait bien assez vite leur relation. Elle n'avait pas demandé à Stromb s'il avait vécu avec Inba dans sa maison, elle ignorait même si Inba avait mis les pieds à Villefranche. Elle savait juste qu'elle était d'Espalion. Toujours est-il que la situation était assez complexe comme cela pour qu'elle n'est pas envie de mettre Stromb dans la gêne. Elle lui laissait le soin d'avoir envie de la présenter comme sa compagne. Alors, elle se contenta de répondre à l'homme, en restant vague volontairement:

- Non, je suis une amie, une voyageuse, il m'accueille chez lui pour quelques jours.

Il hocha la tête, puis avec un grand sourire, il lui dit:

- Et vous v'là arrivé, Dame, la grande maison, là sur vot'droite! Allez, faut qu'j'file, j'ai du bois à livrer..z'oubliez pas d'saluer Stromb pour moi...j'suis Mimile, le bûcheron!!

Elle le remercia, mais déjà il avait sauté au bas de la charrette et s'éloignait. Il faudrait qu'elle pense à lui offrir une bouteille de calva. Elle tira sur les rênes pour faire s'arrêter le cheval devant la grille en fer forgé qui était entrouverte et qui donnait sur une grande maison de belle allure.
Ils descendirent tous de la charrette et entrèrent. Matou avait le coeur un peu battant. Elle marchait sur les souvenirs de Stromb et elle avait hâte qu'il lui en raconte quelques uns, notamment de son enfance. Son regard balaya le jardin, où la nature s'était exprimée durant des mois, en toute liberté. Mauvaises herbes et broussailles avaient tout envahies mais on pouvait deviner ça et là quelques beaux buissons fleuris. Il suffirait de les dégager en arrachant les intruses. Matou n'aimait pas les jardins trop disciplinés, elle aimait quand tout poussait un peu au gré des saisons. Elle aima donc tout de suite le fouillis des lieux. Ils empruntèrent l'allée de dalles . devant eux, se dressait la maison, imposante et majestueuse. Les volets avaient été ouverte, les fenêtres également.Matou sourit tout en pensant que cette maison ne manquait pas de cachet. Elle ferma les yeux un instant, respira profondément. Elle se sentait bien, presqu'apaisée. Une évidence lui vint alors à l'esprit, elle savait que, déjà, elle aimait cet endroit.
Elle arriva devant la porte, toute la petite troupe sur ses talons.
Elle fit s'abattre une fois le heurtoir sur la porte pour annoncer leur arrivée, n'osant pas prendre la liberté d'entrer sans y avoir été autorisée.

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Stromboli
Stromb se leva de son fauteuil en entendant le bruit du heurtoir sur la porte. Il s'étira et s'épousseta. Il alla pour ouvrir et vit Didier qui l'avait prestement précédé. Il se rappella l'épisode du bateau, l'arrivée des enfants de Matou et la bonne blague que l'homme leur avait fait, leur disant qu'il était leur nouveau papa... Il retint un rire tandis que le gaillard ouvrait déjà la porte à la volée, surgissant devant Matou et ses enfants, visiblement chargés comme des mûles de provisions de toutes sortes. Il entendit un "BOUH" tonitruant. Il ferma les yeux le temps d'une seconde... Cet homme était resté un enfant dans sa tête... Et il se demanda comment il avait réussi à vivre aussi longtemps sans s'attirer d'ennuis. La réponse tenait sans doute dans sa carrure impressionante.

Il s'avanca et se posta sur le perron, venant constater si Matou et sa marmaille n'était pas trop choquée. Il afficha un sourire à la fois amusé et contri, écartant Didier discrètement.


Hum.. Ahem... Décidément hein ^^ Ca va toujours...? ^^

Question sûrement trés bête... Mais bon. Retenant un rire, il prit les paquets, aidé du farceur qui rigolait bêtement de sa bêtise, pour aller tout ranger. Il leur adressa depuis les cuisines :

- Entrez, installez-vous, j'arrive !

Le temps de tout mettre à sa place et il revint. Il leur adressa un sourire ainsi qu'à Suzon qu'il avait un peu oublié en route.

- La bienvenue à vous. Didier et moi avons arrangé la maison pour que vous y soyez bien, faites comme chez vous. J'espère que vous vous y plairez. Je vais vous faire visiter avant de vous laisser tranquilles.

Aussi tôt dit, aussitôt fait. Le rez-de chaussée fut passé au crible. Les objets arrangés ça et là avaient une histoire et il leur racontait au fur et à mesure.

- Tenez, ceci par exemple. C'est une patte de singe momifiée. Elle vient d'Orient. La légende dit que vous pouvez lui demander trois voeux... Mais vous paierez le prix fort en réalisant vos souhaits... C'est votre âme que vous lui donnerez !

Il regarda Guillaume et Matou d'un air grave, sombre... Puis se retourna lentement d'un air de conspirateur pour continuer la visite. Lorsqu'il croisa le regard de Matou, un sourire en coin et un clin d'oeil complice pour lui faire comprendre que ce n'était pas vrai.

[i]Il fit également visiter l'étage, montrant à chacun sa chambre. Guillaume était installé dans l'ancienne chambre du brun, un antre rempli de trésors pour le petit garçon qu'il était et que Stromb avait été. Puis la chambre de Mahaut, plus grande et plus sobre. C'était une chambre réservée aux visiteurs, et ils avaient été nombreux à défiler durant les années fastes de la demeure. En échange d'un toit et du couvert, le grand-père ne demandait que deux choses simples : une histoire de voyage et un souvenir. Ainsi, cette chambre était remplie d'objets en tout genre, tous ayant une signification profonde, et parfois une provenance lointaine.

Il se garda en revanche de leur faire visiter la bibliothèque. Il réservait la surprise à Mahaut pour qui, en fin de compte, il n'avait pas fait grand chose. D'une part car il ne savait pas trop comment s'y prendre. A 12 ans, elle était déjà mature et consciente de beaucoup de chose, ainsi que protectrice envers sa mère. D'autre part car une autre petite fille avait une grosse place dans son coeur, et qu'il n'avait pas réussi à en faire abstraction. Il avait l'impression de la trahir, alors qu'il n'en était rien. Il avait décidé alors d'être un ami pour Mahaut, quelqu'un de sympa sur qui on peut compter, à raison de qui que ce soit d'autre.

Une fois la visite terminée, il les invita à redescendre dans la pièce à vivre. Suzon semblait avoir trouvé ses marques car il y avait déjà de quoi boire et grignotter sur la table. Il les regarda et esquissa un sourire.


- Voila, cette demeure n'a plus de secrets pour vous. Sauf la cave à vin, mais c'est un endroit que je préfère garder pour moi, si vous n'y voyez pas d'inconvénients.

Sur ce ils s'atablèrent, Stromb en bout de table, Matou à côté, Suzon et Didier ensuite, et les deux enfants pour finir. Luna était à l'étage qui faisait la sieste. Repos qu'elle avait bien mérité aprés tant de jours de voyage... Les rideaux planaient toujours sous la brise qui pénétrait à l'intérieur, ambiance conviviale et désinvolte. On se balance sur sa chaise, on rit, on fait l'andouille... Avec le soleil et le bruit de la nature qui s'éveille à la vie en fond. C'était un répit qu'ils s'offraient tous aprés plusieurs jours difficiles et incertains. Ainsi commencent les moments d'insouscience où l'on s'attable pendant des heures, s'avourant le gout de la vie aprés l'avoir perdu de vue pendant un temps.

En fin d'aprés-midi, alors que chacun vaquait à ses occupations, Stromb voulu mettre son plan à execution. Il alla chercher Mahaut qui semblait surprise de cette visite inatendue.


- Mahaut ? J'ai quelque chose à te montrer... Viens.

Il l'entraina jusqu'à la bibliothèque, qui en fait était un peu plus que ça. La maison était un véritable cabinet de curiosités avant l'heure et réservait son lot de surprises. Il poussa la porte de la grande pièce et y pénétra, la jeune fille à sa suite. Les dizaines d'ouvrages apparurent alors, comme endormis par le soleil chaud et doré de la fin de journée. Des échelles de bois étaient posées dans un coin quipermettaient d'atteindre les écrits les plus hauts placés. Fabriquées en olivier et fignolées au bois de santal, elles dégagaient une senteur toute particulière qui avait contribué à enrober la pièce toute entière.

- Cet endroit est un peu spécial. C'est un lieu où peu de gens ont mis les pieds. Mon grand-père a aquis de nombreux livres, certains assez chers, vieux et rares. Il a toujours veillé à les conserver et j'ai pris la relève. Comme je sais que tu aime beaucoup lire et apprendre... J'ai pensé que ça pouvait te faire plaisir... Mais ce n'est pas encore tout.

Il s'avança vers le point culminant de la pièce, juste au dessous de la grande ouverture dans le mur qui servait de fenêtre. Au pied de celle-ci, se tenait un coffre relativement grand. Il ouvrit un tiroir et en sortit une petite clé en fer, la glissa dans la serrure finement découpée et la fit céder dans un roulement net. Il ouvrit le coffre qui grinca un peu et tourna la tête pour regarder Mahaut.

- Approche.. Regarde.

Dans la malle de bois se trouvaient divers instruments d'astronomie. Il en sortit en premier lieu un astrolabe enveloppé dans un drap fin. Il brillait comme un sous neuf, préservé depuis des années avec soin. Il lui tendit avec précaution.

- J'ai cru comprendre que tu aimais les étoiles, le ciel... Observer c'est bien, mais comprendre comment ça marche et maitriser ses possibilités est encore mieux. Ceci est un astrolabe en laiton, il sert entre autre à la navigation maritime, à mesurer le temps, à la topographie...

Il sortit plusieurs autres instruments qu'il lui passait au fur et à mesure avec son explication, allant du torquetum à l'horloge astronomique, en passant par les cadrans, les sextants... Parmis ces trésors, il y en avait un autre qui permettait d'observer la voûte céleste de façon plus claire. Il le sortit et le lui tendit aprés avoir retiré sa protection.

- Cet instrument qui ressemble à un tube tout bête est un diaphragme. Il te permait de te concentrer sur certaines zones du ciel sans être gênée par les interférences de lumière. Il te permet de regarder les étoiles, les constelations plus facilement. En été le ciel est plus clair, autant en profiter.

Il lui sourit.

- Je te confie tout ceci. C'est du matériel précieux que mon ailleul a troqué avec des marchands Arabes et Orientales. J'espère que ça te feras plaisir. J'ai pas trop su comment m'y prendre avec toi, mais je pense que sur certains points nous nous ressemblons beaucoup.

Il lui sourit à nouveau et se releva.

Je te laisse découvrir tout ça. N'hésite pas à feuilleter les livres qui te plaisent aussi. Tu es responsable de tout ceci désormais, jusqu'à notre départ.

Il déposa la clé du coffre symboliquement sur le bureau de bois. Un regard encourageant, un petit signe de la main... Et il la laissa sur l'île au trésor, rejoignant Matou un étage au-dessous, les mains dans les poches.
Matouminou


La porte s'ouvrit à la volée et avant de voir l'homme, c'est le cri qu'il poussa qu'elle entendit:

- BOUH!!!!

Elle sursauta, bien sur et, reconnaissant Didier, deux pensées lui vinrent à l'esprit, tandis que la couleur de ses yeux s'assombrissaient,"arfff, il est là celui là", immédiatement suivie de "je lui balance la cagette de fruits et de légumes à la tête?"
Mais, elle n'eut pas le temps de mettre en place une réponse, car, non seulement derrière elle Suzon gloussait, et Guillaume s'exclamait:


- Oh!! Didier!! t'es arrivé aussi?


Et puis, Stromb était apparu, un grand sourire sur le visage, et histoire d'en rajouter une couche, il ne trouva rien d'autre qu'une banalité à dire:
Citation:
Hum.. Ahem... Décidément hein , Ca va toujours...?


Matou roula des yeux et d'un ton ironique lui répondit:

- Bien sur que ça va!! on est accueillis par ce brave Didier qui pousse des cris en guise de salut...tout va très bien...pas de souci...et toi?? la grande forme aussi, je pense...

Elle lui avait tendu les provisions et avait fait comme si elle ne voyait rien de la tête hilare que faisait Didier, ni du regard énamouré et quelque peu naïf que Suzon lui lançait.

Ils étaient entrés dans la maison et après que Stromb et Didier aient rangé les provisions dans ce qu'elle supposa être les cuisines, la visite en bonne et due forme commença. Elle écouta Stromb raconter l'histoire de certains objets, réprimant un sourire, car elle était certaine qu'il en rajoutait parfois, pour preuve les clins d’œil qu'il lui lançait de temps à autres.

Une fois le rez de chaussé visité, ils découvrirent le premier étage.
Elle sourit devant la réaction de Guillaume lorsqu'il découvrit la chambre qu'il lui avait été réservée. Il s'agissait de la propre chambre de Stromb, lorsqu'il était enfant et elle regorgeait d'objets qui allaient ravir son fils, ça ne faisait aucun doute.

Mahaut afficha un sourire satisfait en découvrant la sienne, elle était de bonne dimension et fort simplement meublée. Toutefois, une belle étagère en bois massif attira son regard, il s'y trouvait une multitude d'objets de provenances diverses. Stromb leur expliqua que son grand père avait toujours tenu a ce que sa maison soit ouverte aux voyageurs. Il n'exigeait que deux choses: que celui qui passait une ou plusieurs nuits en sa demeure, raconte une histoire de voyage et laisse son empreinte sous la forme d'un objet.
Matou se promit d'observer de plus près ces objets, afin d'en deviner l'origine.
Le reste de la visite se fit un peu plus rapidement, Guillaume ayant exprimé tout haut que son ventre criait famine et il avait ajouté, fidèle à sa façon de tout exagérer:


- J'crois que je pourrais avaler plusieurs sangliers...

En redescendant et en découvrant ce que Suzon leur avait concocté, Matou avait ri et lui avait dit:

- Il va te falloir te contenter de boire du lait accompagné de quelques tartines avec de la confiture et du miel...Les sangliers ont encore quelques beaux jours devant eux.

Le garçonnet se mit à rire et sans façon s'installa. Tous en firent autant, et un joyeux repas commença. Guillaume et Mahaut posaient mille questions auxquelles Stromb répondait avec plaisir, Matou les écoutait, elle était heureuse de voir son volcan si détendu, il semblait en paix.
Elle aimait ces ambiances familiales où l'insouciance prend le pas sur la morosité et le sérieux. Elle n'avait plus connu cela depuis une éternité. Après le drame qui avait couté la vie à son mari, l'atmosphère avait été si pesante, le chagrin puis la guerre y avaient été pour beaucoup. Tant et si bien, qu'elle n'avait pas su retrouver sa joie de vivre. Le visage d'Ephear passa devant ses yeux. Elle avait appris sa mort quelques jours auparavant, cela l'avait un peu peinée, mais elle s'en voulait d'avoir pu croire qu'il pourrait lui offrir un avenir.

Un jour, Mahaut était venue la voir pour lui annoncer qu'elle et son frère désiraient être pensionnaires au collège Saint Louis, Matou avait cru que le sol se dérobait sous ses pieds...ses enfants la quittaient, et elle se savait responsable, elle les avait laissé gérer le chagrin de la mort de leur père, elle n'avait pas su trouver les mots, être présente...
Les mois avaient passé, elle s'était résignée, à près tout, Mahaut et Guillaume étaient bien au collège, et elle continuait de se détruire dans une relation perdue et faussée d'avance...puis, il y avait eu cette rencontre par une belle journée de printemps...Inba d'abord puis Stromb...la suite avait été ce qu'elle avait été...

Autour de la table, les rires fusaient, que cela faisait du bien, elle en aurait presque pleuré devant ce bonheur retrouvé.

Elle laissa ses pensées continuaient de s'envoler. La veille, Stromb et elle avaient longuement discuté pour en arriver à prendre une décision qui leur semblait la plus raisonnable: ils ne se rendraient pas à la cérémonie d'hommage faite en la mémoire d'Inba. Stromb lui avait dit qu'ils n'y étaient pas les bienvenues, du moins c'est ainsi qu'il le ressentait. Matou avait acquiescé, il y avait eu tant de choses dites et si mal interprétées autour de la mort d'Inba. Il valait peut-être mieux, en effet, qu'ils n'y aillent pas.
Matou savait au plus profond d'elle même combien Stromb avait souffert, tant moralement que physiquement, de cette disparition. Il ne peut en être autrement quand on a partagé la vie d'une femme que l'on a aimée et avec laquelle on a eu un enfant.
Le fait de prendre cette décision semblait l'avoir apaisé et elle en était soulagée. Et puis, elle-même pensait sincèrement qu'il n'y a point un jour et un lieu particuliers pour rendre hommage à un défunt...toutes les cathédrales, les églises et les chapelles du royaumes étaient des lieux de recueillement. Tous les lieux tranquilles le devenaient aussi, dès lors qu'on s'y arrêtait un instant. Inutile de trouver un lieu saint pour avoir une pensée pour ceux qui nous avaient cruellement quittés. Elle se souvint combien elle aimait aller se recueillir au bord de la mer à Fécamp, elle se laissait imprégner de la brise marine et du bruit des vagues et songeait aux moment heureux passés avec son mari.

La fin du repas arriva et Guillaune disparut dans sa chambre, il ne pouvait plus attendre pour découvrir les trésors que Stromb avait mis à sa portée.
Matou aida sa fille à ranger quelques affaires dans sa chambre. Luna dormait toujours, elle en avait bien besoin. Suzon avait disparu dans les cuisines suivi de Didier qui mettait un entrain tout particulier à vouloir lui proposer son aide.

Stromb apparut alors dans l’entrebâillement de la chambre de Mahaut et à la grande surprise de la mère et de la fille, il s'adressa à cette dernière:


Citation:
- Mahaut ? J'ai quelque chose à te montrer... Viens.


Matou, d'un sourire, lui signifia qu'elle pouvait y aller:


- Je vais finir toute seule....à plus tard...
_________________














































.mahaut.


Le voyage avait été long mais Mahaut était heureuse car chaque ville traversée avait été l'occasion d'en apprendre plus sur le duché ou le comté dans lesquels ils étaient passés.
Parfois, ils ne faisaient que passer, restant à peine une journée. Stromb et sa mère étaient partisans de voyager de nuit, afin de profiter de la fraicheur. Ils avaient toujours eu d'autres voyageurs avec eux, ce qui ne faisait pas craindre les brigands, et de fait, ils n'avaient jamais été inquiétés.

Lorsqu'ils restaient plusieurs jours dans une ville, ce qui avait été le cas à Châteauroux, dans le Berry, et à Rodez, dans le BA, ils se logeaient dans une auberge.
L'accueil et la qualité des chambres étaient parfois aléatoires, mais ils pouvaient dormir plus confortablement que dans la charrette et faire une toilette autrement qu'autour d'une fontaine ou d'un puits. Non pas que Mahaut soit particulièrement délicate. Elle aimait voyager et s'adapter assez bien, mais elle appréciait de pouvoir se changer, troquant ses vêtements poussiéreux par d'autres frais et propres.

Aussi, ne cacha-elle pas sa satisfaction lorsque, enfin, ils arrivèrent devant la maison de Stromb. Ce dernier leur avait dit qu'ils y resteraient un petit moment, quelques jours, peut-être une ou deux semaines. A vrai dire, elle n'en savait rien. Sa mère et Stromb ne les tenaient au courant de leurs projets qu'au fur et à mesure.
Mais peu lui importait, elle était là, devant cette maison majestueuse, en admirant l'architecture sobre mais gracieuse. La maison était ancienne, d'un coup d’œil, elle repéra quelques lézardes sur la devanture, rien de grave cependant, car le bâtiment dans toute sa superbe, respirait la force et la tranquillité.
Curieusement, en l'admirant, le visage de Stromb passa devant ses yeux. Elle réalisa combien cette maison était exactement à l'image de l'homme qui, depuis quelques semaines, partageait leur vie. Elle sourit. Mahaut n'était pas bavarde, et assez réservée, ainsi, elle n'affichait pas si facilement que ça ses sentiments, pas comme son frère qui était un véritable trublion. Pour autant, il était la joie de vivre, et c'est ce qui comptait. Elle était consciente qu'elle était entrée, malgré ses onze ans à l'époque, bien brutalement dans le monde des adultes, à la mort de son père chéri. Elle avait vu sa mère vaciller, puis s'effondrer et enfin, elle s'était enfermée de longs mois dans son chagrin.

Il avait fallu survivre, aussi la porte de secours avait été le collège où elle s'était plongée dans les études, avalant maintes manuscrits, avec une préférence pour les langues, l'astronomie et la diplomatie, écoutant avec beaucoup d'attention ce que lui transmettaient ses professeurs, posant des questions et prenant des notes qu'elle avait du reste emportées avec elle, bien à l'abri dans une petite malle.

Ainsi, la perspective de pouvoir se poser un peu la réjouissait et la maison qu'y se dressait face à elle lui plaisait énormément.
Stromb la leur avait fait visiter de fond en comble, et pour chaque pièce, il avait assorti ses explications d'anecdotes qui avaient fait pouffer la jeune fille, surtout en voyant les grands yeux étonnés que faisait son frère. Il lui avait même saisi la main, au moment de l'épisode de la patte du singe momifié.

Puis, ils s'étaient retrouvés autour de la grande table dressée par Suzon, et cela s'était transformé en joyeux chahut, les questions fusaient, les rires aussi. Stromb et Guillaume faisaient les pitres. Mahaut observait sa mère. Cette dernière souriait, parfois elle se perdait dans ses pensées, mais, elle la savait heureuse. Mahaut aimait tant la voir, ainsi, rayonnante. Elle en était, pour cela, reconnaissante à Stromb, car, il ne faisait aucun doute que c'était bien lui qui avait redonné cette joie sur le visage de sa mère, et surtout qui avait su rendre à ses yeux cette lueur espiègle et rieuse.

Vers la fin de l'après midi, chacun vaqua à ses occupations. Pour Matou et Mahaut, il s'agissait de défaire les malles, afin d'aérer les vêtements et de les défroisser.

C'est alors que Stromb se manifesta et à sa grande surprise, il l'invita à le suivre. Un sourire de sa mère lui signifia qu'elle pouvait y aller.

Elle se retrouva dans une grande pièce qu'il ne leur avait pas montrée lors de leur visite. Elle n'eut aucun mal à mettre un nom sur cet endroit en voyant le nombre de livres placés sur des étagères qui ornaient chaque mur montant jusqu'au plafond. Elle repéra les échelles prévues pour atteindre les ouvrages bien trop hauts pour qu'on puisse les attraper, même en se hissant sur la pointe des pieds.
Elle retint un cri de surprise et de joie. Pour elle qui adorait lire, cette bibliothèque était un trésor fabuleux d'histoires, de savoirs et de connaissances. Elle détacha un peu à regret son regard des étagères et écouta Stromb lui expliquer:


Citation:
- Cet endroit est un peu spécial. C'est un lieu où peu de gens ont mis les pieds. Mon grand-père a aquis de nombreux livres, certains assez chers, vieux et rares. Il a toujours veillé à les conserver et j'ai pris la relève. Comme je sais que tu aime beaucoup lire et apprendre... J'ai pensé que ça pouvait te faire plaisir... Mais ce n'est pas encore tout.


Elle hocha la tête, les yeux brillants, et attendit la suite avec impatience. Ce qu'il lui fit alors découvrir la laissa sans voix. Il l'avait fait s'approcher d'une malle assez imposante et l'avait ouverte. Elle n'en crut pas ses yeux en voyant le contenu. Elle se sentit pâlir, car elle avait bel et bien devant ses yeux tout le matériel nécessaire à l'observation des étoiles.

Il sortit délicatement plusieurs instruments en les nommant:


Citation:
...Ceci est un astrolabe en laiton...Cet instrument qui ressemble à un tube tout bête est un diaphragme...


Elle ne pouvait dire un mot, et se contentait de hocher la tête en écoutant les explications. Il fit une pause, et elle leva les yeux sur lui. Il lui souriait, et elle se sentit extrêmement émue qu'il ait pensé à lui montrer tous ces précieux objets. Elle lui sourit aussi. Il ajouta alors:


Citation:
- Je te confie tout ceci. C'est du matériel précieux que mon ailleul a troqué avec des marchands Arabes et Orientales. J'espère que ça te feras plaisir. J'ai pas trop su comment m'y prendre avec toi, mais je pense que sur certains points nous nous ressemblons beaucoup.


Elle ne put s'empêcher de tressaillir, croyant avoir mal compris. Elle le regarda un peu interloquée, et il poursuivit:

Citation:
Je te laisse découvrir tout ça. N'hésite pas à feuilleter les livres qui te plaisent aussi. Tu es responsable de tout ceci désormais, jusqu'à notre départ.


Elle porta sa main à sa bouche, toujours incapable de dire quoi que ce soit. elle le vit poser la clé sur la petite table à côté de la malle et après lui avoir encore une fois souri, il tourna les talons, la laissant seule dans cette pièce fabuleuse.
Elle ne pouvait pas bouger, elle aurait voulu le remercier, lui dire sa joie et son émotion devant toute la confiance qu'il lui témoignait en lui confiant ces objets. Et surtout, elle aurait voulu lui faire comprendre qu'il était depuis un moment, devenu important pour elle aussi. Elle hésitait à le considérer comme un second père, un oncle, un ami...c'était encore un peu confus pour elle, mais en tout cas, elle savait qu'elle pouvait compter sur lui.

Elle s'en voulut de ne pas avoir pu lui dire tout cela, elle se promit de se rattraper, une fois l'émotion passée. Déjà, elle s'était accroupie devant la malle et du bout des doigts, elle effleurait les objets. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'en voir des vrais, se contentant de les concrétiser à travers des dessins dans les livres d'astronomie qu'elle avait lus.

Elle examina chaque objet, en admirant la finesse et impatiente de pouvoir peut-être un jour s'en servir. Au fond de la malle, elle découvrit plusieurs livres et carnets de voyage. Elle se plongea alors dans un livre d'astronomie et perdit la notion du temps...





















.guillaume.


GUILLAUME LE CONQUÉRANT

Il était trop content, on était enfin arrivé chez Stromb, et même si la ville de Villefranche ressemblait plus à un gros bourg endormi qu'à une place animée, il en était tout autrement de la maison du rouergat.

Ils avaient du, pour atteindre la porte d'entrée de la grande demeure, traverser un jardin qui déjà, aux yeux de Guillaume avait pris l'appellation de jungle, et dans l'imagination débordante du petit garçon, le mot jungle était associé à des animaux tous plus féroces les uns que les autres...tigres, lions, crocodiles ,serpents...et bien d'autres encore défilèrent devant ses yeux. Il se voyait déjà partir à la chasse, armé d'un arc et d'un carquois plein de flèches empoisonnées bien sur.

Toutefois, houspillé par sa soeur, et dans l'obligation de suivre sa mère et Suzon, il ne put tout de suite visiter ce magnifique terrain de chasse et de jeux imaginaires:


- Avance espèce... d'andouille!!

Portant un cagette pleine de provisions, il faillit trébucher et pesta:

- Mais...euhhhh...t'as failli me faire tomber...


Et comme, il ne voulait pas être de reste avec une injure, il ajouta entre ses dents:

- Espèce de grosse baleine velue!!


Il aurait juré l'avoir dit assez bas pour que sa mère ne l'entende pas, mais c'était sans compter sur l’ouïe presque anormalement fine de cette dernière. Parfois l'enfant se demandait si elle n'usait pas de quelques sorcelleries pour tout entendre et tout voir et plus particulièrement les bêtises qu'il disait ou faisait.

Aussi, lorsqu'elle se retourna et qu'elle le regarda en fronçant les sourcils, il prit son air le plus innocent possible, y ajoutant un soupçon de contrition assortie d'un sourire angélique.
Il la vit faire une petite moue, sut qu'elle n'était pas dupe mais au moins, il avait évité une réprimande.

Et quand elle abattit le heurtoir contre la porte, il en profita pour faire une de ses grimaces préférées à sa sœur qui se contenta de hausser les épaules. Il aimait assez quand elle faisait ça, car,il savait qu'elle n'avait pas trouvé de répliques assez percutantes pour le remettre à sa place. Guillaume aimait à se contenter de ce genre de petites victoires. Il croyait fermement que les petites victoires faisaient les grandes conquêtes.

Le coup de Didier le fit bien rire, d'autant que maman avait bien failli lâcher les provision qu'elle portait. Ç 'aurait été une belle arrivée. Mais bon, elle l'avait joué désinvolte et légèrement sarcastique. Il aimait bien quand elle faisait ça, l'air de rien, tout va bien..alors qu'il savait à quel point sa main la démangeait. Et dire que Didier ignorait à quoi il avait échappé.

Stromb leur fit visiter la maison, leur racontant des histoires incroyables...Guillaume ne pouvait s'empêcher d'ouvrir de grands yeux et quand il entendit celle de la patte de singe momifiée, il déglutit et sans s'en rendre compte, il avait cherché la main de sa sœur...une patte de singe momifiée qui pouvait exaucer des vœux, ça valait peut-être le coup d'essayer...

Mais, c'est en découvrant la chambre qu'il lui avait été réservée que sa joie fut à son comble, c'était la propre chambre de Stromb quand il était enfant! D'un coup d’œil, il embrassa du regard, les différents objets qui ne pouvaient faire que le bonheur d'un petit garçon: des épées de bois, des casques et des boucliers, une fronde sur une table, un arc avec son carquois, des tricornes de capitaine...il y avait de quoi partir à l'aventure pendant des jours entiers.

Il se serait bien passé de l'encas préparé par Suzon, tant il était impatient de découvrir de plus près tout cela.

Cependant, il ne regretta pas car ce fut un moment de franche rigolade. Profitant que sa mère ne le regardait pas, il utilisa sa petite cuillère pour envoyer une olive sur Mahaut. Celle-ci le regarda, mais il avait déjà plongé son nez dans son assiette faisant semblant d'admirer la confiture étalée sur son pain. L'opération fut renouvelée plusieurs fois, sous l'oeil goguenard de Stromb qui avait, bien entendu repéré son manège.

Il se serait sans doute fait prendre, mais le repas tira à sa fin. Et, enfin, il put monter dans sa chambre, à la découverte des trésors mis entre ses mains par Stromb.
Stromboli
Les jours s'écoulaient dans la vieille batisse. On aurait pu préciser "s'écoulaient paisiblement", mais ce serait mentir. Car chaque jour la vieille dame de pierre reprenait un peu plus vie dans l'allégresse, la bonne humeur et les bêtises que faisaient ses occupants. Et tandis que certains étaient trop occupés par leur médisances et leur ignorances, Stronb s'amusait et profitait de la vie. Il avait dorénavant décidé de la vivre à fond, au diable les interdits, les langues de vipère, les coincés, ceux qui n'ont rien vu mais qui savent tout quand même... Et par dessus tout ceux qui se plaignent et s'énervent pour un rien à s'en sortir les veines du c*l.

Ce jour-là, aprés avoir bercé et couché Luna, il s'était rendu dans une petite pièce à côté de la bibliothèque. Les carreaux que comprenait l'unique petite fenêtre étaient recouverts d'un voile gris de poussière, plongeant le lieu dans une ambiance un peu vieillotte. Pourtant, l'esprit de cet endroit n'avait rien de tel. En ouvrant grand, il laissa entrer le soleil qui se posa sur une véritable île aux trésors : la pièce était assez petite mais comprenait plusieurs tenues plus ou moins loufoques. Des déguisements comme certains disaient. Il ouvrit plusieurs coffres et en sortit des accessoires. Le tissu avait été acheté à un tisserand renomé de l'époque, les plumes avaient été piquées sur des oiseaux pris au pièges dans des filets puis relachés. Les chuttes de cuir jugées inutiles et inutilisables avaient été récupérées puis assemblées pour créer ceintures, bourses, grandes bottes et tout un tas de petites choses. Des étoffes diverses complétaient les habits pour donner un côté réaliste et artistique.

Stromb se mis à réfléchir. Pour ce qu'il avait prévu de faire, il lui faudrait quelque chose de simple, pratique, léger... Oh et puis non, c'était lui le chef, il prendrait une tenue bien voyante. Il fouilla et sortit toute une panoplie de vêtements sensés donner l'air chic et de rang plutôt bien placé. Il enfila le tout d'un air amusé. Se prendre pour un noble n'était pas chose aisée ! Chemise de lin blanche, par-dessus de soie rouge orné d'une bande de tissus jaune assez voyant, braies et bas brodés marron cassant, poulaines en cuir qui rebiquent au bout... Sans oublier le grand chapeau noir planté d'une grande plume de paon trés colorée. Il se regarda et jugea qu'il ferait un bien piètre noble, surtout si mal assorti. Mais là c'était le but ! Satisfait, il accrocha son épée à sa ceinture et une bourse de cuir. Il ouvrit une petite boite en fer cabossée et en sortit un morceau de charbon. Il se grima une moustache qui rebique également, à l'anglaise. Puis satisfait, prit une paire de gant de chasse, "empruntés" il y a de cela des années à un marquis, et qui sûrement avait du oublié de les reprendre.

Il était prêt. Passant la tête par la porte, il vérifia que personne ne se trouvait dans le coin. Chacun avait trouvé ses marques et ses petites occupations. A côté, la porte donnant à la bibliothèque semblait inperturbable. Seulement, aprés l'effort le réconfort... Les deux pièces n'étaient pas côte à côte pour rien ! Il sorti et referma derrière lui. Se redressant, essayant d'adopter une allure hautaine et excessivement assurée, il descendit les escaliers au ralenti. Manquait plus que le clavecin en fond sonore... Il les vit tous attablés, Matou donnant la leçon quotidienne à ses deux enfants. Ils étaient plongés dans les livres, Mahaut trés concentrée et appliquée, Guillaume se tenant la tête et jettant de temps à autre un regard envieux par la fenêtre.

Planté sur une marche, il lança d'une voix sonore et un brin snob :


- Hola les gueux ! Est-ce donc l'accueil que l'on réserve au maitre des lieux ?? Femme ! Va chercher de la vinasse j'ai grand soif ! L'heure est grave nous avons à parlementer.

L'air aussi sérieux qu'il pouvait, il pria pour que Matou ne prenne pas mal son injonction et descendit les marches tel un souverain jusqu'à la table. Arrivé là, il posa ses gands et tortilla du nez, les regardant d'un air qu'il voulait grave.

- Nous allons partir guerroyer, mille quenouilles ! L'homme qui habite la maison d'à côté chante tout les matins, et il chante faux. Nous nous devons de lui frotter le fessard pour donner une bonne leçon à ce pochetroné ! Allons allons ! Ne faiblissons pas, l'honneur est engagé.

Aprés s'être saisi d'une bouteille, il arracha le bouchon de liège avec les dents et le cracha par la fenêtre, vida les 3 quarts sans reprendre son souffle et la reposa sur la table avec fracas. Il s'essuya la bouche de la manche et la tendit à Guillaume.

- Tiens bois jeune puceau, et fais honneur à ta lignée. Allons suivez moi !

D'un geste ample, il les invita à le suivre et tourna les talons, remontant à l'étage leur trouver un costume pour la bataille qui se préparait.
.guillaume.


Rosa, rosa, rosa, rosam, rosae, rosas, rosas....
Dominus, domini...


Mais qu'il s'ennuyait!!!!!!!....à quoi pouvaient servir ces interminables déclinaisons? Il n'aimait que les roses dans les jardins, et tant qu'à être le maitre, il préférait l'être de ses propres décisions et surtout de ce qu'il avait envie de faire ou de ne pas faire. Or, voilà une heure que sa mère lui imposait de revoir ces fichues déclinaisons latines... une langue d'église, dont il n'userait jamais...en quoi était-ce utile??

Il pestait, Guillaume et y mettait toute sa mauvaise volonté, mais plus entêtée que sa mère, on ne trouvait pas! Et inlassablement, elle le faisait recommencer dès qu'il y avait une erreur. Il avait donc barbouillé un parchemin entier de son écriture qui devenait de plus en plus fantaisiste, afin de les retenir, mais ça ne voulait pas rentrer.

Il lança un regard sur sa sœur, qui écrivait sans relâche d'une écriture qu'il lui enviait, faut bien l'avouer.
Elle liait et déliait ses lettres avec grâce, et même la plume sur le vélin ne grinçait pas. Comment faisait-elle ça? Il regarda son propre vélin, consterné de constater, qu'en plus de ne pas être droites, ses lignes étaient parsemées de taches d'encre. Il poussa un soupir à fendre l'âme, ce qui lui valut une moue agacée de la part de sa mère:


- Guillaume, dans quelques minutes je t'interroge...


Il hocha la tête puis la replongea dans son travail. Quelques instants plus tard, profitant qu'elle lisait la prose de Mahaut, il laissa son regard se poser sur le jardin dont il pouvait entrevoir un bout à travers la petite fenêtre entrouverte. Il entendait les oiseaux chanter, et essaya de les reconnaitre. Ces piaillements ne pouvaient être que ceux de deux pies en train de se chamailler...Il distingua un peu plus loin le chant d'une mésange....

C'est à ce moment là qu'un bruit de pas se fit entendre. Il releva la tête et vit un homme apparaitre dans l'escalier. Il avait bien belle allure, mais était affublé d'une drôle de façon, un costume sophistiqué et très coloré.

Il vit que maman était bouche bée, et Mahaut avait prit un air perplexe.
L'homme prit la parole:


Citation:
- Hola les gueux ! Est-ce donc l'accueil que l'on réserve au maitre des lieux ?? Femme ! Va chercher de la vinasse j'ai grand soif ! L'heure est grave nous avons à parlementer.


Un sourire éclaira le visage du jeune garçon, et, laissant en plan parchemin, plume, déclinaison et autres choses bien ennuyeuses, il sauta sur ses pieds, il se précipita vers Stromb...car c'était bien lui qui se cachait sous ce déguisement.

Si l'imagination de l'enfant était bien piètre lorsqu'il s'agissait d'apprendre des choses fastidieuses, il en était tout autre quand il s'agissait de s'amuser.

Il prit un ton un brin suffisant et en retirant un chapeau imaginaire, il dit en saluant d'un mouvement ample du bras, l'homme:


- Seigneur, veuillez accepter les hommages qui conviennent à votre auguste personne...

Il entendit sa mère se lever et bredouiller quelque chose qu'il ne comprit pas, car l'homme était en train de poursuivre:


Citation:
- Nous allons partir guerroyer, mille quenouilles ! L'homme qui habite la maison d'à côté chante tout les matins, et il chante faux. Nous nous devons de lui frotter le fessard pour donner une bonne leçon à ce pochetroné ! Allons allons ! Ne faiblissons pas, l'honneur est engagé.


En bombant son torse, l'enfant répondit d'une voix pleine de solennité:

- Je suis votre homme!! Ce manant doit périr!! Sacrebleu de saperlipopette de nom de....

- GUILLAUME!!!

Arggg...il sursauta en entendant son nom claquer tel un fouet. Zuuut! il avait oublié l'autorité maternelle qui, au son de sa voix, n'était pas vraiment contente.
Il n'eut pas le temps d'analyser le danger de la situation, préférant l'ignorer d'ailleurs.
Il vit l'homme déguisé attraper une bouteille et en vider les trois quarts au moins. L'enfant évita de regarder sa mère, et lorsque Stromb lui proposa de boire avec lui afin de faire honneur à sa lignée, il sourit et prit la bouteille. Tant qu'à se faire réprimander autant que ce soit pour plusieurs choses.

Avec un air un brin provocateur et une lueur espiègle dans les yeux, il fit mine de la porter à sa bouche. Puis, il suivit joyeusement, toujours la bouteille à la main, Stromb qui avait tourné les talons et remontait les escaliers.
























Matouminou


Elle soupira...qu'il était dur d'imposer à ses enfants de travailler un peu tous les jours. Si Mahaut s'y pliait volontiers, il en était tout autre de Guillaume. La tête pleine d'histoires rocambolesques mêlant pirates, soldats et même brigands, le petit garçon n'avait aucunement envie de faire quoi que ce soit.
Toutefois, Matou tenait bon. Elle avait hésité à prendre un précepteur, mais ils avaient tellement bougé ces dernières semaines qu'elle y avait renoncé. Aussi, c'était elle qui les faisait travailler avec les quelques livres qu'elle avait pris soin de glisser dans une de ses malles.

En cette belle mâtinée d'Août, elle les avait fait s'installer à la grande table de la pièce commune et, tandis qu'elle avait demandé à Mahaut de réfléchir sur une pensée d'un jeune auteur portant le nom de François Villon et qui disait « Jamais mal acquit ne profite.», elle avait décidé que Guillaume reverrait ses déclinaisons latines. Ce dernier avait râlé mais elle lui avait patiemment expliqué:


- Guillaume, tu ne peux passer ton temps à t'amuser...

Moyennant quoi, il lui avait rétorqué:

- Mais Stromb, lui...

Elle l'avait fait taire d'un regard:

- Stromb est grand, et je suis sûre qu'il a du avoir une solide éducation, regarde tout ce qu'il sait. Il parle plusieurs langues, et certains domaines n'ont aucun secret pour lui. Quand tu en sauras autant, tu pourras décider de ce que tu fais...

L'enfant avait baissé la tête, résigné. Matou avait eu un petit pincement au coeur, car, il est vrai qu'elle les avait retirés du collège pour qu'ils se retrouvent et voyagent tous ensemble. De plus, il faisait un temps magnifique propice à sortir et à s'amuser.

Elle vérifia ce qu'avait marqué Mahaut, et lorsqu'elle entendit des pas dans l'escalier, elle ne put s'empêcher de sursauter. Elle regarda attentivement l'homme qui était apparu et en resta bouche bée. Stromb, car c'était bien lui, était en grande tenue. Son déguisement était plutôt excentrique, mais il le portait avec une belle prestance. Elle ouvrit la bouche pour le féliciter, mais déjà il les haranguait, de façon plutôt cavalière. Arffff....elle allait lui montrer de quel bois se chauffaient les gueux, mais encore une fois, elle ne put dire un mot, car déjà Guillaume s'était précipité. Elle retint un sourire. L'enfant avait de la répartie, l'invitation à guerroyer était tellement tentante et les déclinaisons étaient bien loin maintenant.

Cependant, elle retrouva sa voix en l'entendant jurer comme un charretier et le rappela à l'ordre, en vain, car il était déjà en train de suivre Stromb, une bouteille à la main qui plus est...
Elle leva les yeux au ciel, regarda Mahaut qui arborait un grand sourire, et elle sut que pour aujourd'hui, le travail était bel et bien fini, ce qui, finalement, n'était pas pour lui déplaire.

Elle sourit à sa fille et lui tendant la main, elle lui dit:


- Allons montrer à ces nobles de pacotille ce que les femmes sont capables de faire...mais avant...


Elle attendit que le rouergat et l'enfant soient hors de vue et avec un clin d'oeil, elle se saisit d'une bouteille de vin sans doute qui trainait sur une petite table. Elle était à moitié vide ce qui l'arrangeait.
Sa fille l'interrogea du regard.


- Viens, suis moi...

Elle l'entraina dans la cuisine. Elle avait repéré l'endroit où se trouvaient les épices, condiments, cornichons, huile d'olive et vinaigre. Elle s'empara de la cruche dans laquelle avait été entreposé le vinaigre et elle leva la bouteille de vin à moitié vide et le vinaigre:


- Tu vois où je veux en venir??

Mahaut fit une grimace et se mit à rire en hochant la tête. Matou poursuivit:

- Ahh, nous sommes des gueuses...parfait...et nous devons leur servir de la vinasse...encore mieux...nous allons voir si leurs palais supporte cela...


Tout en disant cela, elle versa une bonne rasade de vinaigre dans le vin, puis elle mélangea vigoureusement et elle remit le bouchon de liège sur la bouteille. Elle la posa sur un plateau y joignit deux godets. En riant, elle dit:

- Voyons voir la tête qu'ils feront quand on leur servira, en gentilles petites femmes que nous sommes, cette nouvelle boisson....


Mahaut se mit à rire de plus belle, et toutes deux rejoignirent les hommes dans la pièce aux déguisements.
Matou s'inclina devant Stromb:


- Noble seigneur et maitre, nous sommes entièrement à votre service et nous vous prêtons allégeance jusqu'à la fin de nos jours...Et comme vous nous l'avez demandé, voici le vin qui ravira votre gosier et vous donnera des forces pour partir guerroyer...


Elle avait réussi à se composer un visage parfaitement innocent et d'une grande humilité. Elle fit la révérence, et posa le plateau sur un petit guéridon. Elle adressa un léger sourire à Mahaut qui avait repris un air imperturbable.
Puis, elle regarda les malles ouvertes qui regorgeaient d'étoffes colorées de toutes sortes et son sourire s'accentua. Elle se souvint de ce jour où avec Alizarine, elles s'étaient déguisées en gitanes lors d'une cérémonie d'hommage à Jason Maccord, fraichement élu duc de Normandie.
Elle adorait ce genre de déguisement, gitane, sultane, Shéhérazade...voiles vaporeuses et colorées, légères et agréables à porter, bijoux qui s'entrechoquent en une mélodie cristalline...

Mais avant, elle avait hâte de voir la réaction de Stromb, car elle était presque sûre qu'il ne refuserait pas un verre. Elle se mordilla la lèvre pour garder son sérieux, priant pour que ses yeux ne la trahissent pas, et attendit.

_________________
Stromboli
Stromb était monté à l'étage suivi de prés par Guillaume, tout excité de faire des bêtises autorisées. Il l'entraina le long du couloir jusqu'à la petite pièce et le fit découvrir l'antre.

- Bien. En quoi veux-tu t'habiller ?

Il traina deux gros coffres et les ouvrit. A l'intérieur se trouvaient les tenues de taille plus petite, de l'époque où il était enfant. Il fouilla et en sortit quelques unes.

- Troubadour, érudit, voyageur, pêcheur, noble, souverain, celte, sorcier, avocat, chasseur, chevalier, soldat...

Il le regarda, lui laissant l'embarras du choix. Le coffre regorgeait d'autres trésors, il suffisait d'y mettre la tête dedans.

Puis il vit arriver Matou et Mahaut avec le vin.


Citation:
- Noble seigneur et maitre, nous sommes entièrement à votre service et nous vous prêtons allégeance jusqu'à la fin de nos jours...Et comme vous nous l'avez demandé, voici le vin qui ravira votre gosier et vous donnera des forces pour partir guerroyer...


- Ah et bien ! C'est que vous en mettez du temps pour amener la vinasse ! Nous étions en train de nous sécher de l'intérieur, malheureuses ! Qu'allons nous faire de vous ??

Tout en parlant de son air hautain de rigueur, il avait servit deux godets : un remplit à rabords pour lui, un fond de verre pour Guillaume. Il n'était pas fou au point de lui faire avaler un godet entier devant sa mère, ne voulant pas dormir dans la grange jusqu'à la fin du séjour à Vf... Il trinqua donc avec le garçon.

- A la notre !

Et sans réfléchir, il s'envoya cul sec le contenu du verre à travers le gosier. Violement surpris, il manqua de s'étouffer. Posant le verre, il toussa tant qu'il pu. L'aigreur du vinaigre attaquait tout : sa bouche, sa gorge, son estomac... Il en eût envie de vomir. Il s'assit dans un coin, feignant que tout va bien, pâle comme le cul d'une none.

- Ahem... Je crois que ce vin était un peu bouchonné... Mais c'est rien, j'en changerai dès demain !

Beuh... Il suspecta l'attentat lorsqu'il arriva à sentir enfin un arrière gout de vinaigre dans sa bouche traumatisée. Il plissa les yeux, regardant les filles, se disant que la vengeance serait terrible ! Qui rira bien qui rira le dernier !!

Il se leva et s'approcha d'un coffre, se tenant l'estomac. Il l'ouvrit et fit signe aux filles de s'approcher. Toujours pâlot, mais gardant la tête haute comme si tout allait bien, il avait néanmoins perdu la force de s'adresser à elles sur le ton du nobliot prétencieux.


- Mesdames... Comme il n'y avait que rarement des femmes dans cette maison, je n'ai pas beaucoup de tenues pour vous. Mais ceci dit, vous en trouverez quelques unes dans cette grosse malle. Il y en a une petite quinzaine, je vous laisse choisir. On fera un ourelet pour Mahaut si ça va pas.

Sur ce, il les regarda fouiller et se trouver des costumes, se rassayant en attendant que l'effet de la sauce à la Matou passe.
Matouminou


Matou accentua son air soumis lorsque Stromb, sur un air hautain qu'il imitait à merveille, lui rétorqua:

Citation:
- Ah et bien ! C'est que vous en mettez du temps pour amener la vinasse ! Nous étions en train de nous sécher de l'intérieur, malheureuses ! Qu'allons nous faire de vous ??


Elle se contenta d'un petit hochement de tête et baissa les yeux en reculant de quelques pas. Elle essayait autant que possible de ne pas rire mais, elle avait hâte de voir sa réaction lorsqu'il boirait l'infâme breuvage. Du reste, il avait déjà saisi deux godets. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant qu'il ne versait qu'un fond pour Guillaume et elle attendit. Mahaut était à ses côtés et elle la vit retenir son souffle. Comme elle, sa fille était curieuse de voir ce qui allait se passer.
Et le spectacle fut à la hauteur de leurs espérances. Stromb manqua s'étouffer, se mit à tousser, son visage se décomposa, et il devint blême.

Matou, regrettait déjà de lui avoir joué ce mauvais tour, elle allait intervenir, en lui proposant un peu d'eau ou une tisane, mais Stromb se reprit et avec un aplomb superbe, il laissa tomber avec désinvolture:


Citation:
- Ahem... Je crois que ce vin était un peu bouchonné... Mais c'est rien, j'en changerai dès demain !


Il était, décidément très fort, un excellent comédien, allant jusqu'à faire comme si de rien n'était.
Il en était autrement de Guillaume qui avait carrément recraché la gorgée qu'il avait tenté d'avaler, en poussant un tonitruant POUAHHHHHHHHHHHHHHH et en se tenant la gorge.

Matou prit un air goguenard, mais elle réussit à retenir l'éclat de rire qui lui montait à la bouche. Stromb, la regarda avec un air soupçonneux...arfff...se doutait-il de quelque chose?? en même temps, elle n'avait pas lésiné sur la dose de vinaigre...Elle lui sourit avec une innocence angélique.

Il leur ouvrit une malle en leur disant, sur un ton un peu moins arrogant toutefois,...était ce le deuxième effet vinaigre/vin? surement:


Citation:
- Mesdames... Comme il n'y avait que rarement des femmes dans cette maison, je n'ai pas beaucoup de tenues pour vous. Mais ceci dit, vous en trouverez quelques unes dans cette grosse malle. Il y en a une petite quinzaine, je vous laisse choisir. On fera un ourelet pour Mahaut si ça va pas.


Elle s'approcha tout en l'écoutant. Elle lui sourit puis répondit:

- Merci Seigneur, nous restons vos humble servantes..n'hésitez pas à finir la bouteille de vin...il fait si chaud...et nous en avons d'autres...hein??


Et elle se plongea dans la malle, à la fois pour admirer et pour en sortir les déguisements, mais surtout pour qu'il ne la voit pas rire. Elle n'arrivait plus à se retenir.

Elle repéra plusieurs tenues qui pourraient très facilement les transformer en sultane ou en gitane. Il y avait des corsages vaporeux et de toutes les couleurs, il y avait de grands foulards, des jupes bariolées, une magnifique houppelande digne d'une reyne. Elle repéra même une tenue de sorcière avec un grand chapeau pointu...
Elle sortait tous les vêtements au fur et à mesure, les dépliant devant elle, puis les passant à Mahaut.
Elle se tourna vers Stromb, les yeux brillants:


- Chéri...euh..pardon...Mon seigneur adoré, nous allons vraiment nous amuser....j'hésite à me déguiser en sultane ou en sorcière...

_________________






























.guillaume.


Il avait suivi Stromb à la fois heureux d'échapper aux fameuses leçons imposées par sa mère, mais aussi très intrigué.
Toutefois, il savait qu'une fois encore il allait bien s'amuser.

Stromb était pour le moins, l'adulte le plus curieux qu'il connaissait. Il avait l'art de passer d'une attitude sérieuse, attitude qu'arboraient en permanence tous les adultes dont il avait été entouré ces derniers mois, et c'était pas franchement drôle, à une attitude complétement fantaisiste où les rires, les chants et les bêtises étaient de rigueur. Et ça c'était carrément rigolo. Jamais, il n'aurait pensé que cela fusse possible. Quand on est grand, il est obligatoire d'être sérieux, du moins c'est ce qu'il croyait. D'ailleurs, pour cette raison, Guillaume n'était pas pressé de grandir.

Et puis, Stromb faisait rire sa mère, prouesse que peu de personnes avaient réussi ces derniers mois, pour ne pas dire aucune. Et Guillaume adorait ce rire cristallin qui s'échappait de sa bouche. parce que, et même s'il était jeune, il avait bien trop souvent vu sa mère pleurer et souffrir.

Il était jeune, oui! Enfin à neuf ans, on comprend tout de même pas mal de choses, surtout quand on sait faire trainer ses oreilles, quand on sait ouvrir grands ses yeux et qu'on est plutôt malin.
Et Guillaume voyait bien tout l'amour que se portaient Stromb et sa mère. Bien souvent il pensait à son père, il ne l'oublierait jamais, il était encore bien triste qu'il ne soit plus là, mais, il savait aussi qu'on vit avec les vivants, pas avec les morts. Son père restait au fond de son coeur, il ne l'oublierait jamais. Toutefois, il se sentait en confiance avec Stromb, il savait instinctivement qu'il pourrait toujours compter sur lui.

Donc, il appréciait Stromb pour cette aisance à passer d'une attitude sérieuse, par exemple quand il négociait l'achat d'un champ, à une attitude totalement fantaisiste, comme maintenant où, grimé et déguisé, il était en train de lui dire, tandis qu'ils se retrouvaient dans une petite pièce que l'enfant ne connaissait pas encore:


Citation:
- Bien. En quoi veux-tu t'habiller ?

- Troubadour, érudit, voyageur, pêcheur, noble, souverain, celte, sorcier, avocat, chasseur, chevalier, soldat...


Tout en lui demandant cela, l'homme avait tiré vers eux deux énormes coffres. Guillaume se pencha sur l'un d'eux et commença à fouiller. Il en sortit une chemise à jabot et aux poignées évasées, puis, en fouillant encore il découvrit un tricorne de pirate qu'il se posa sur la tête aussitôt et un bandeau qu'il mit en travers de son visage afin de se cacher un œil. Il poursuivit ses recherches pour trouver des braies, mais il dut s'interrompre, sa mère et sa soeur venaient d'entrer dans la pièce et Stromb, toujours dans son rôle de noble hautain et majestueux, les avait accueillies avec dédain.

Toutefois, il ne dédaigna pas le vin qu'elles apportaient, et il lui en servit un fond de verre qu'il lui tendit. Guillaume, pour ne pas être de reste et voyant que sa mère ne disait rien, avala la gorgée qui lui avait été autorisé.

Il eut un instant d'hésitation mêlée à une forte surprise, et ouvrit la bouche pour aussitôt la refermer, essayant de calmer les soubresauts de son estomac qui criait au secours. Jamais, il n'avait bu plus infâme boisson. Cela lui brulait le gosier, lui donnait des hauts le coeur. Il se sentit pâlir, verdir, et les larmes lui coulaient sur les joues. Il crut d'ailleurs que ses yeux allaient sauter de leur orbite.
Il regarda Stromb qui avait avalé son verre cul sec et qui faisait une drôle de tête, en se retenant toutefois mieux que lui. Il le vit s'assoir dans un coin.
Guillaume était bon comédien en temps normal mais là, il dut faire un effort surhumain pour se retenir de vomir. Il se concentra sur les paroles de Stromb qui constatait que le vin était bouchonné et il arriva même à hocher la tête en coassant:


- Ou...i...un..poil...bouch...*blurps*....

Il ne put pas achever de peur de vomir et d'avoir la honte de sa vie devant les femmes...il ne serait pas dit que Guillaume le Rouge, car tel était le surnom qu'il s'était donné, ne supportait pas le vin.
Il recula et s'adossa au mur, priant pour que son estomac cesse ses cavalcades et regarda sa mère et sa soeur se pencher sur un coffre de moindre dimension que les autres afin de choisir leur costume. Il vit sa soeur rigoler et se douta que toutes les deux venaient de leur jouer un sale tour.
Tandis que sa mère s'extasiait devant les étoffes et les tenues féminines, Guillaume se trainait jusqu'à Stromb et, une fois à sa hauteur, il lui murmura:


- Je les soupçonne d'un complot terrible contre la grande ligue des pirates et contre la noblesse...ouvrons l'oeil messire...et le bon!!...ces créatures me semblent bien ferpides..euh...préfides, enfin, elles nous en veulent... et je suis certain qu'elles viennent de tenter de nous empoisonner... *BEURPPPPPPP*

Il laissa échapper un rot dont l'odeur de vinaigre lui fit faire une grimace:


- Il nous faut nous venger...je propose la planche...mais mon navire est entre les mains de cet affreux voisin qui, depuis, chante faux pour nous montrer sa soi-disante supériorité....arffff, j'enrage!!!!

Et voilà, il était à fond dans son rôle!






















Stromboli
Stromb les regardait faire. Chacun choisissait la tenue qui lui plaisait le plus. Toujours assis dans son coin, il les observait avec un air amusé et avait hâte de commencer les festivités. Il vit Guillaume enfiler un costume de pirate. Il l'entendit chuchotter à son oreille et le regarda en souriant.

- Bien ! Te voici prêt ! Et en effet, il nous faudra les surveiller... Il semblerait qu'on ait tenté de nous empoisonner ! Hum hum...

Un regard en biais aux deux filles... Elle semblaient avoir trouvé leur bonheur elles aussi. Matou était déguisée en sultanne. Le brun la regarda de bas en haut, d'un air un peu bête il faut l'avouer...

- Wouah... Tu es superbe ! En plus ça m'a l'air trés simple à retirer...

Il secoua la tête pour cesser de la déshabiller du regard. Il jetta un oeil à Mahaut qui était prête elle aussi. Il lui adressa un sourire.

- Bon, tout le monde est prêt, c'est parfait ! Allons prendre les armes !!

Il ouvrit la marche et les conduisit en bas, dans le jardin. Tout au fond de celui-ci se trouvait un cabanon de belle taille. Il ouvrit en grand la porte et pénétra à l'intérieur. Une odeur de poussière chauffée et d'herbe coupée lui vint aux narines. Il respira un bon coup et un fin sourire s'étira sur ses lèvres. Son regard balaya la pièce et son contenu. Il avait prémédité la chose.. La veille au marché, il avait récupéré les invendus qui avaient pourri au soleil et les avaient ramenés chez lui. Il avait mêlangé le tout dans un grand fut vide qu'il avait bien veillé à fermer.. pour l'odeur...

Il regarda le fut qui semblait le narguer. Il le tira, le fit rouler dehors. Là, il expliqua son plan à ses complices, sur un ton grave et solennel..


- Bon... Dans ce tonneau se trouvent des horreurs que votre imagination ne peut concevoir.. des choses si effrayantes que vous risquez de ne jamais vous en remettre.. Votre mission sera de faire taire ce voisin sans gêne. Il se trouve à côté, au numéro 7. Il nous faudra traverser la petite allée entre nos deux maisons pour rejoindre sa cour et le bombarder avec tout ceci. Vous pouvez encore revenir en arrière... Alors, qui est avec moi ??

Un regard circulaire sur l'assemblée.. personne ne sembla vasciller.. Alors il ôta le couvercle improvisé et plissa le nez en sentant l'odeur écoeurante de ce mélange infecte de viandes, poissons, oeufs, légumes et fruits en tout genre... le tout bien pourri et fesandé. Il alla chercher 4 seaux qu'il distribua. Puis à la pelle, il chargea chacun d'eaux, modérément pour éviter de tirer la langue à cause du poids. Puis une fois fait, il prit le sien et les invita à le suivre d'un geste ample.

- Allons ! A l'attaque !

La démarche déterminée, la tête haute, il sorti de la propriété, traversa la petite allée et se planta devant le portail du voisin. Il tira sur la chaine qui fit tinter la petite cloche annonçant des visiteurs et attendit. Au bout d'un moment, quelqu'un vint. Un homme à la tête de fouine, armé d'une moustache taillée à la cerpe, les cheveux en bataille et manquant sur le font, un accent à couper au couteau. Il leur jetta un regard suspect puis les invectiva.

- Qué 'c'est ? Vous v'lez quoué ?

Il jetta un oeil aux seaux que chacun portait avec une moue dégoutée et légèrement méfiante. Il nota également que chacun était bien bizarrement habillé, et il se dit qu'ils devaient sans doute être échappés de quelques asiles de fous. Alors Stromb prit la parole d'un air qu'il voulait légèrement railleur.

- Bijour, nous vendons des tapis ! Des tapis volants ! Mais on a un petit problème l'ami... Depuis quelques temps ils refusent de voler...

Il s'approcha un peu, sur un air de confidence.

- En fait.. Je crois que vous leur faites peur...

L'homme agita ses moustaches, l'air de rien comprendre. Alors Stromb prit un ton plus sombre.

- Oui vous les effrayez ! Vos chants, les matins, quand vous sortez vous laver au bord du puit ! Vous chantez si fort et si faux qu'ils refusent catégoriquement de décoller. Vous gênez le voisinage, messire !

Il avait reprit son ton autain de rigueur et observa de haut l'homme qui n'en croyait pas ses oreilles. Ce dernier sembla sortir de sa stupeur et adressa une grimace à Stromb.

- Ah mais qu'non ! C'y fait 20 ans qu'je chante tot les matins ! C'm'aide à faire ma digestion !

Stromb soupira. Il posa son seau, retroussa ses manches et prit une poignée de la mixture qu'il écrasa dans la face du paysan. Puis d'un air fatigué, il rétorqua..

- Et moi, ça fait 20 ans que je rêve de faire ça !
.mahaut.
Décidément, sa mère ne cesserait de l'étonner. Et, en se dirigeant vers la malle de vêtements, elle riait encore de la tête de Stromb et de celle de son frère. Ah, ils avaient voulu les prendre de haut, mais rit bien qui rit le dernier, et là, Mahaut avait beaucoup ri.

Tandis que les hommes marmonnaient, elle se mit à fouiller, poussant de temps en temps un cri de joie en voyant certains vêtements féminins particulièrement jolis et élégants. Elle hésita, déployant devant elle une houppelande rose et scintillante, avec tous les froufrous et les dentelles qui la paraient. Elle se souvint quelques années en arrière combien elle avait adoré jouer à la princesse...l'image du suzerain de son père passa devant ses yeux, c'est ainsi qu'il l'appelait...Princesse Mahaut...elle avait rêvé de princes et de chevaliers qui viendraient l'enlever...et cette fois-ci, ce furent les visages de Rody et d'Erwan qui se rappelèrent à son bon souvenir.

Elle fit la moue puis secoua la tête, la vie n'était point peuplée uniquement de princes et de princesses, de même qu'elle pouvait en l'espace de très peu de temps virer du bonheur le plus grand au cauchemar le plus total. Un ciel bleu sans nuage peut brutalement s'obscurcir sans qu'on n'est rien demandé...Non...elle ne serait plus princesse..ni fée...elle n'y croyait plus, elle était trop grande.

Alors, elle vit une paire de braies marrons dont la seule touche féminine était un ruban blanc pour serrer le bas des braies. Elle attrapa une chemise ample noire . Elle enfila le tout et mit une grosse ceinture de cuir autour de la taille. Elle extirpa du coffre une paire de botte avec des talons et les enfila. Elle lui arrivaient jusqu'aux genoux, elle en rabattit le haut. Elle vissa sur sa tête un bicorne et se drapa dans une cape de la même couleur que les braies.
Il lui fallait trouver la touche finale qui allait montrer en quoi elle avait voulu se déguiser. Elle regarda autour d'elle, repéra un tas d'accessoires dans un coin. Elle en ressortit une fine épée qu'elle glissa dans sa ceinture. Mais, cela n'était pas assez à son gout. Elle farfouilla encore et son visage s'éclaira soudain. Elle venait de tomber sur ce qui compléterait parfaitement son déguisement : deux magnifiques arquebuses...elle en avait vu de pareil au château de Rouen dans la salle d'armes. Elle s'en saisit et fit la grimace, elles pesaient leur poids, mais qu'importe, c'est exactement ce qu'il lui fallait pour compléter son costume de brigande.

Elle se tourna vers Matou, Guillaume et Stromb. Ce dernier s'était relevé et n'avait d'yeux que pour sa mère. Il est vrai que son costume de sultane mettait en valeur tout son corps. Elle sourit, songeant que le bonheur aussi rendait encore plus belle sa mère. Elle toussota pour attirer l'attention, et dit:


- Alors vous en pensez quoi??

Matouminou


Matou regarda sa fille et ouvrit grand les yeux. Son déguisement de brigande la vieillissait un peu, elle avait défait ses cheveux, geste qu'elle faisait rarement, préférant la natte dans le dos ou parfois remontée sur la nuque, surtout quand il faisait chaud.
Depuis que Mahaut avait pris l'habitude de se coiffer seule, Matou en avait presque oublié la beauté des cheveux de sa fille.
Elle l'observa tandis qu'elle brandissait les deux arquebuses. Comme elle avait grandi! envolés les traits de petite fille, Mahaut, sa petite Mahaut était en train de devenir une belle jeune fille. Elle ne put empêcher d'avoir un petit pincement au cœur...un jour elle partirait...

Mais il ne fallait pas penser à cela, demain n'était pas encore la veille, et puis, si les enfants partent, ils reviennent aussi...
Elle pensa à Luna qui égayait la maison de ses gazouillis et de ses éclats de rire qui étaient contagieux.
Elle pensa aussi à la vie qui grandissait un peu plus chaque jour au creux de son ventre. Elle était enceinte de quatre mois maintenant. Curieusement, elle n'avait ressenti aucun des désagréments que peut occasionner un début de grossesse, du moins rien au cours des trois premiers mois, si ce n'est un formidable appétit. Pire que celui de Srromb ce qui avait quelque peu surpris ce dernier...il n'avait pas fait le lien avec le fait qu'elle mangeait déjà pour deux...et c'est seulement quand elle lui avait offert une minuscule paire de chausses qu'elle avait fait confectionner par un tisserand, qu'il avait compris. Elle se souvint de la joie qu'avait déclenché en lui, cette nouvelle...elle avait tellement eu peur qu'il refuse l'idée d'être père une seconde fois...Elle avait été totalement rassurée.

Pensant avoir échappé aux nausées, elle avait vécu pleinement son début de grossesse, mangeant quand elle en avait envie, même des choses qu'elle n'aurait jamais mangées en temps normal, ne ménageant pas ses forces et faisant mille choses.
Hélas, le début du quatrième mois avait sonné la fin de ces moments bénis. Un matin, elle s'était réveillée, le cœur au bord des lèvres. Le bébé manifestait réellement sa présence et pas de la plus agréable des façons.
Fort heureusement, elle avait une tisane dans laquelle elle rajoutait de la cannelle et qu'elle prenait le matin. Cela calmait assez efficacement les nausées. Pour son estomac irrité, elle en avait une autre à base d'aneth, de camomille, de fenouil et de mélisse. Bien sur, ce n'est pas de gaieté de cœur qu'elle avalait ces breuvages, mais elle n'avait guère d'autre choix. Il était hors de question qu'elle se traine comme une loque et qu'elle s'écoute trop! Attendre un bébé n'était pas une maladie. Toutefois, elle était obligée de s'allonger dans l'après midi lorsque la fatigue l'envahissait brusquement, et cela la faisait pester tout ce qu'elle savait.

Elle fut tirée de ses pensées par la question de Mahaut:


Citation:
- Alors vous en pensez quoi??


Matou lui fit un grand sourire:

- Magnifique!! tu es tout simplement splendide et ce déguisement te va à ravir!! Euh..fais attention cependant avec ces armes...j'imagine que...elle lança un regard vers Stromb...qu'elles ne sont pas dangereuses...

Elle-même avait revêtu un déguisement de sultane fait d'un haut léger qui dessinait joliment sa poitrine, ce qui n'avait pas échappé au regard de Stromb et elle avait rigolé lorsque spontanément, il s'était exclamé:

Citation:
- Wouah... Tu es superbe ! En plus ça m'a l'air trés simple à retirer...


Elle avait passé des braies légères et bouffantes, son ventre dont une douce rondeur pouvait trahir pour un œil exercé son début de grossesse, était nu. Elle avait paré ses oreilles de grandes boucles brillantes et posé sur sa tête un long voile qu'elle avait fait tenir grâce à des pinces à cheveux. L'ensemble tirant sur des couleurs orangées et ocrées étaient du plus bel effet et sans vulgarité aucune.



Stromb avait alors ouvert la marche et ils s'étaient tous dirigés vers un cabanon dont elle ignorait jusqu'alors l'existence.
Une fois à l'intérieur, il leur montra un fût en disant:

Citation:

- Bon... Dans ce tonneau se trouvent des horreurs que votre imagination ne peut concevoir.. des choses si effrayantes que vous risquez de ne jamais vous en remettre.. Votre mission sera de faire taire ce voisin sans gêne. Il se trouve à côté, au numéro 7. Il nous faudra traverser la petite allée entre nos deux maisons pour rejoindre sa cour et le bombarder avec tout ceci. Vous pouvez encore revenir en arrière... Alors, qui est avec moi ??


Ils étaient tous suspendus à ses lèvres, il avait l'art et la manière de créer une ambiance pleine de mystère.
Tous hochèrent la tête pour lui signifier que, bien sur, ils étaient tous les trois avec lui. Alors, il ouvrit le fût. Fort heureusement, Matou put éviter de regarder ce qu'il y avait à l'intérieur. L'odeur, cependant,se répandit dans la pièce, se chargeant de lui faire comprendre l'état avancé de décomposition du mélange. Un bref instant, le souvenir du ragout de Ménaline lui traversa l'esprit.
Cela lui arracha une grimace qu'elle réprima comme elle put, pas question de flancher. Elle ne fut pas la seule car Mahaut prit aussi un air dégouté.
Seul Guillaume battait des mains, trouvant sans doute irrésistible la préparation de Stromb qui, déjà, était en train de remplir quatre seaux.
Elle prit le sien du bout des doigts, heureusement Stromb ne l'avait pas rempli à ras bord et ils se dirigèrent vers le voisin qui avait l'indélicatesse et l'indécence de les réveiller tous les matins en chantant faux.

Ce qui suivit fut tellement rocambolesque, épique, presque surnaturel que Matou ne put tout retenir sauf le fou rire qui s'empara d'elle en voyant la pauvre tête du voisin écoutant l'histoire de fou qu'était en train de lui raconter Stromb.


Citation:
- Bijour, nous vendons des tapis ! Des tapis volants ! Mais (...) ils refusent de voler...
(...) vous leur faites peur (...) Vos chants, les matins,(...) Vous chantez si fort et si faux qu'ils refusent catégoriquement de décoller. Vous gênez le voisinage, messire !


L'homme n'entendait pas se laisser faire et il eut le malheur de protester. Quelle erreur!! Il n'en fallut pas plus à Stromb pour lui faire gouter de sa terrible et abominable mixture.
Elle retint une grimace de dégout d'autant que Guillaume avait réagi immédiatement déversant son seau sur les vêtements de l'homme.
Matou et Mahaut se regardèrent et ensemble, elles vidèrent le leur sur les sabots du "chantefaux!".

L'odeur était pestilentielle. Matou resta un instant en apnée et recula pour reprendre son souffle. Mahaut en avait fait autant.
Matou lança alors à l'homme:


- Après tout, les coqs, le matin, chantent les pattes dans le fumier...peut-être que maintenant vous chanterez juste...ou plus du tout!!

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