Ludwig_von_frayner
Amis rôlistes, ceci est un RP privé.
[Hôtel Saint-Augustin - Montpellier - Bureau du Vicomte dHayange]
Quelle heure était-il ? Quel jour étions-nous ? Tout cela plus dimportance. Plongé dans la rédaction de ses « Mémoires », le Vicomte dHayange ne sortait plus de son bureau. Fenêtres et volets scellés, il était enfermé avec lui-même ; plongé dans une bénéfique mais insupportable méditation. Ses proches sinquiétaient, légitimement ; mais il nouvrait la porte que pour recevoir son repas. Pourquoi cet état lymphatique ? Dans quels travers était-il encore tombé ? Cest tout lobjet de notre propos.
Face à cette situation inconfortable, le Majordome fut envoyé en éclaireur pour sonder létat du maître de maison. Malgré lopposition tranchante du Vicomte, Robert entra, avec toute sa diplomatie habituelle, et sa constante envie de bien faire. Malheureusement, à vouloir trop bien faire, comme bien souvent, on finit par mal faire.
"- Monseigneur, cela fait des jours que vous êtes enfermé dans cette pièce
- Il ny a que là que je trouve la paix et le calme auxquels jaspire, Robert
- Toute la maisonnée sinquiète!
- Il ny a pas lieu Je vais bien.
- Ne pensez vous pas quil serait temps de vous aérer lesprit ? Jai vu que le Comte organisait des festivités à Tournel "
Interpellé par les propos du domestique, il reposa sa plume et rangea soigneusement le vélin noyé d'encre sur lequel il sétait penché des heures durant. Il avait enfin l'occasion de mettre les choses au clair, une bonne fois pour toutes. Il nétait pas un Vicomte mondain, et il était temps que le vieil homme sen rende compte.
"- Actarius a toujours aimé resplendir. Il aime briller, safficher, ségosiller. Seuls comptent son image et son égo. Cela ne métonne quà moitié, à vrai dire, quil profite de son mandat pour se faire voir dans tout le Royaume à travers des festivités ou des défilés. Cest un homme intéressé, obnubilé par son éclat et sa notoriété.
- Mais vous devriez peut être
- Robert La vérité, cest quil ny a rien à fêter. Le Languedoc est toujours aussi faible, et friable. Toujours la proie dhordes de brigands ; darrivistes ; dune économie ralentie, dun commerce sous développé. Les militaires sont sous-considérés. Les maires sont sous-informés. La capitale est sous-protégée. Le Languedoc est victime dune perpétuelle inconstance de la part de ses régnants, et dun perpétuel laisser-aller. Ce nest pas en organisant de fastueux banquets quon règlera les carences de nos structures, les maux de notre société. Léclat des paillettes na jamais réussi à dissimuler la détresse de la misère ; elles ne font au contraire que laccentuer.
. Non, au lieu de ripailler, le Comte ferait mieux de régner et dengager les réformes nécessaires Mais il nen fera rien! Pourquoi le ferait-il ? Réformer, cest déranger. Réformer, cest se faire des ennemis . Réformer, cest mettre les mains dans la fiente des autres. Actarius est trop propre. Comme Arthurcano avant lui, il se contente de la forme, sans sattaquer au fond : il fait la girouette, il est partout, éclatant, rayonnant Et au final, il nest nulle part. Il na rien fait.
. Le pire, Robert Cest que malgré la précarité de son résultat, les gens, aveuglés par tant de faste, vont le vénérer. Et même le regretter. Pourtant, les problèmes restent inchangés, les carences restent enracinées. Comme si lhumanité se complaisait dans son agonie.
. Toute cette hypocrisie humaine, toutes ces simagrées mexaspèrent.
- MONSEIGNEUR ! Je vous en prie . Prenez cette fichue fête pour ce quelle est. Cela ne sert à rien de se torturer ainsi Oubliez laspect politique de lévènement. Tout le monde nest pas aussi bilieux que vous ! Cette solitude vous perdra !
- « Bilieux » . Mais pas crédule. Jamais, crédule.
- Monseigneur, toute la France sera là Vous avez besoin de sortir. Et il ny aura que du beau monde, je vous assure. Vos enfants
- Du beau monde Du beau monde !!!? Ce fut le mot de trop, et la preuve incontestable que le vieux domestique ne lavait pas entendu. Il explosa. Jemmerde le beau monde, Robert ! Je conspue les mondanités ! Jabhorre toutes ces futilités ! Je défèque sur leurs divertissements et leurs manières !
.... Les divertissements, Robert, voilà le plus grand drame de lhumanité ! Ils labrutissent ! Ils lasservissent, la privent de penser ! Ils !! Rargh !!!"
Un rugissement de douleur coupa les bruyantes et ridicules exclamations du Von Frayner. Sa jambe le rappelait à lordre, une fois de plus, lobligeant à serrer les dents et à crisper une main fébrile sur sa hanche. Bien loin de le calmer, cette vive et insupportable souffrance lirrita davantage, ne supportant plus la piètre image quil donnait de lui. Il posa son regard dans le miroir qui lui faisait face, tenta de se rassurer. Mais il ny vit que la silhouette dun homme misérable et vieillissant. Après la douleur, vint la honte. Blessé, il se saisit de son encrier et le jeta contre le verre qui explosa en mille morceaux, sous lair déconfit du Majordome.
"- Avez-vous pris les plantes que vous a prescrites votre médicastre, Monseigneur ?
- Je nai pas besoin de plantes, Robert ! Savez-vous qui je suis ? Je suis Ludwig von Frayner. Je ne suis pas un Rargh,.. Nom de Dieu !!"
Il hurla à nouveau, frappé par un nouvel éclair de douleur. Une douleur qui saccroissait, à mesure quil se renfrognait. Cette fois, la main qui le maintenait contre le bureau ne parvint pas à supporter la nouvelle crise. Il seffondra bruyamment au sol, pitoyable. Le majordome accourut. Il le retint.
"- MONSEIGNEUR !
- Reculez, Robert !! Ne vous approchez pas !!! Surtout, ne vous approchez pas !
- Mais Que vous arrive-t-il ?
- Ce nest rien. Rien du tout. Et ne prenez pas ce ton désolé, Robert ! Je vous interdis, vous mentendez ? Je vous interdis déprouver de la pitié pour votre maitre. Vous pouvez le haïr, le détester, le conspuer ; mais jamais vous ne devez avoir pitié de lui ! Jamais ! Est-ce clair !!?"
Le majordome hésita un instant. Il ne pouvait laisser son maître se perdre ainsi, dans lindifférence la plus totale. Mais la hargne que témoignait le Vicomte lui retira toute envie dhéroïsme. Il hocha tristement la tête tandis que le von Frayner se redressait lamentablement. Il s'adossa contre son bureau. La douleur avait disparu, mais pas la rancur qui lhabitait toujours. Il lui fallait de l'air ; aussi posa-t-il un regard froid et décidé sur le domestique.
"- Vous pouvez disposer.
- Vous ny pensez pas !? Je vous laisserai pas dans un tel état.
- Robert ! Je ne vous demande quune chose : mobéir.
- Mais
- Il ny a pas de mais ! Dehors."
Le Robert soupira, impuissant, et finit par sortir de la pièce ; laissant le Ludwig seul dans son bureau, avec ses démons. La pièce était plongée dans une semi-obscurité, dont la seule lueur était celle dune bougie à lagonie. Comme lui, elle avait dévoré toute sa cire, toute sa vie. Comme lui, elle semblait condamner. Tandis que la porte se refermait, le regard du Vicomte se perdit sur ces mille morceaux de verre, formant jadis un miroir étincelant. A lintérieur, limage morcelée dun homme brisé. Lui.
"- Vois. Vois dans quel état tu es. Insignifiant, pitoyable. Le temps passe, tu vieillis, tu disparais. Avant, tu étais tout. Aujourdhui, tu n'es rien. Plus rien quun vieillard aigri, parmi dautres. Une âme de plus parmi la foule nombreuse. Plus rien, si ce nest lombre de ta gloire passée. Toi, autrefois Imperturbable, tu te laisses dompter par le dépit et la jalousie ; accablé par la douleur dune existence futile. Argh que tu es beau, prisonnier de ce corps estropié. Mais qu'es-tu donc devenu, misérable ?"
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