Judas
[Petit Bolchen, début septembre 1460 ]
L'instant était figé. Eternité mutique, agonie du moindre bruissement de cils. Il régnait dans la pièce une clarté particulière, si blanche que l'on l'aurait vu se refléter le vol d'une nuée d'étourneaux passants près de la fenestre ouverte sur les joues aux pommettes timides d'Isaure Von Frayner.
Le couple siégeait souverain sur un couplé de chaises aux dossiers interminables, creusé des courbes de bois de cent feuilles de vignes. Le mobilier, bien faste même aux gouts du seigneur de Courceriers avait été prêté pour l'occasion par une duchesse amie. Voilà près d'une heure qu'ils posaient, déjà extrêmement las alors que l'artiste venu tout droit d'Italie à la demande de Judas s'affairait à peine à terminer l'esquisse de deux visages, peu jouasses. Alesso Baldovinetti. Le seul, l'unique, le convoité. De Rome à Paris, l'homme était en vogue, Frayner avait expressément exigé qu'il leur tire un portrait de famille, lui ou nul autre.
Mais voilà, plus le petit sablier posé près du couple se vidait, plus le séant seigneurial s'engourdissait, et plus le peintre étalait sa science en fronçant des sourcils fournis, plus Isaure soupirait. Bientôt ce ne fut plus que cascades de souffleries, exaspérantes expirations, tant et si bien que les oreilles finirent par bourdonner de l'ostensible ennui de la jeune femme. Sans bouger autre chose que ses yeux et ses lèvres, gardant sa pose patriarcale senestre posée sur la tête de son lévrier - qui lui, gardait patience sous la menace d'un coup de botte- il l'invectiva d'une voix pourtant bien monocorde.
Cessez de soupirer... Vous serez fort aise de voir le portrait de vos quinze ans jusqu'à votre mort au dessus de votre coiffeuse. Voyez, est-ce que votre mari se lamente? Non, point. Il tient l'assise, laissant notre bon maistre des toiles éterniser ce que le Très Haut, notre suzeraine et votre chère cousine on fait ; notre réunion. Et ce nonobstant la désolante rigueur de ce siège... Comme quoi, le beau n'est pas forcément le bon.
Bien au fait de l'entêtement de la jeune épouse à trouver léger le passe temps de se faire faire un portrait familial il sût que le poids de ses paroles ne pèserait guère lourd face à l'impétuosité du tendron Isaurien... Un peu comme les vaines mais sages palabres d'un pater pour sa progéniture en pleine crise de puberté. Déjà qu'il ne la touchait plus depuis leur mémorable Nuit de noces lors de ce premier juillet étouffant Judas n'avait parfois rien d'un époux, assis là à coté de ce qui était le propre vestige de sa jeunesse. Alors il fallait bien ruser, occuper l'infante, puisque lorsqu'il était fort mal luné c'était ainsi qu'il la considérait. Deux mois qu'on l'a lui avait mariée . Deux mois qui avaient suivit l'évolution prodigieuse d'une Isaure de plus en plus exécrable, lunatique et parfois remarquablement insolente. A croire qu'au lieu de se bonifier avec le temps, la brune devenait de plus en plus insupportable. Se disant usée, étant bien plus usante, Judas ne comprenait pas comment une si jeune plante pouvait se plaindre constamment du temps, de la nourriture servie, de tout, de rien, et surtout de la fatigue. L'homme au cheveux noirs et aux allures de statue laissa son regard trainer sur les fantaisies de sa chaise, pensif. Tant et si bien qu'il ne trouva rien de mieux pour faire passer le temps et l'envie de bailler à tout bout de champs à sa femme que de s'égarer en poésie... Sans doute une façon comme une autre de lui suggérer qu'il ne l'entendait pas.
Tenez, observez d'ailleurs l'illustre ouvrage. Voyez les grains rondelets en bas reliefs semblant alourdir de leur charnu gorgé de sucs juteux les fines tiges aux volubiles torsades... La délicatesse du sculpteur révélée à la grappe de raisin. On les croirait mûrs à point, juste sous nos doigts. Je jurerai qu'ils embaument, ne les sentez-vous pas?
Judas les fixait avec une extrême sévérité, comme s'ils étaient à portée d'une main et de dents vengeresses, prêts à les pourfendre et à les gober redoutablement pour en extraire la délicieuse essence.
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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.
- J'aimerai me réincarner en un pont de pierres, subir le mauvais temps durant 500 ans...
Qu'importe si le soleil me brûle ou si la pluie me fouette, tant que je sais qu'un jour elle viendra me fouler de ses pieds.
- Le Règne des Assassins. -
L'instant était figé. Eternité mutique, agonie du moindre bruissement de cils. Il régnait dans la pièce une clarté particulière, si blanche que l'on l'aurait vu se refléter le vol d'une nuée d'étourneaux passants près de la fenestre ouverte sur les joues aux pommettes timides d'Isaure Von Frayner.
Le couple siégeait souverain sur un couplé de chaises aux dossiers interminables, creusé des courbes de bois de cent feuilles de vignes. Le mobilier, bien faste même aux gouts du seigneur de Courceriers avait été prêté pour l'occasion par une duchesse amie. Voilà près d'une heure qu'ils posaient, déjà extrêmement las alors que l'artiste venu tout droit d'Italie à la demande de Judas s'affairait à peine à terminer l'esquisse de deux visages, peu jouasses. Alesso Baldovinetti. Le seul, l'unique, le convoité. De Rome à Paris, l'homme était en vogue, Frayner avait expressément exigé qu'il leur tire un portrait de famille, lui ou nul autre.
Mais voilà, plus le petit sablier posé près du couple se vidait, plus le séant seigneurial s'engourdissait, et plus le peintre étalait sa science en fronçant des sourcils fournis, plus Isaure soupirait. Bientôt ce ne fut plus que cascades de souffleries, exaspérantes expirations, tant et si bien que les oreilles finirent par bourdonner de l'ostensible ennui de la jeune femme. Sans bouger autre chose que ses yeux et ses lèvres, gardant sa pose patriarcale senestre posée sur la tête de son lévrier - qui lui, gardait patience sous la menace d'un coup de botte- il l'invectiva d'une voix pourtant bien monocorde.
Cessez de soupirer... Vous serez fort aise de voir le portrait de vos quinze ans jusqu'à votre mort au dessus de votre coiffeuse. Voyez, est-ce que votre mari se lamente? Non, point. Il tient l'assise, laissant notre bon maistre des toiles éterniser ce que le Très Haut, notre suzeraine et votre chère cousine on fait ; notre réunion. Et ce nonobstant la désolante rigueur de ce siège... Comme quoi, le beau n'est pas forcément le bon.
Bien au fait de l'entêtement de la jeune épouse à trouver léger le passe temps de se faire faire un portrait familial il sût que le poids de ses paroles ne pèserait guère lourd face à l'impétuosité du tendron Isaurien... Un peu comme les vaines mais sages palabres d'un pater pour sa progéniture en pleine crise de puberté. Déjà qu'il ne la touchait plus depuis leur mémorable Nuit de noces lors de ce premier juillet étouffant Judas n'avait parfois rien d'un époux, assis là à coté de ce qui était le propre vestige de sa jeunesse. Alors il fallait bien ruser, occuper l'infante, puisque lorsqu'il était fort mal luné c'était ainsi qu'il la considérait. Deux mois qu'on l'a lui avait mariée . Deux mois qui avaient suivit l'évolution prodigieuse d'une Isaure de plus en plus exécrable, lunatique et parfois remarquablement insolente. A croire qu'au lieu de se bonifier avec le temps, la brune devenait de plus en plus insupportable. Se disant usée, étant bien plus usante, Judas ne comprenait pas comment une si jeune plante pouvait se plaindre constamment du temps, de la nourriture servie, de tout, de rien, et surtout de la fatigue. L'homme au cheveux noirs et aux allures de statue laissa son regard trainer sur les fantaisies de sa chaise, pensif. Tant et si bien qu'il ne trouva rien de mieux pour faire passer le temps et l'envie de bailler à tout bout de champs à sa femme que de s'égarer en poésie... Sans doute une façon comme une autre de lui suggérer qu'il ne l'entendait pas.
Tenez, observez d'ailleurs l'illustre ouvrage. Voyez les grains rondelets en bas reliefs semblant alourdir de leur charnu gorgé de sucs juteux les fines tiges aux volubiles torsades... La délicatesse du sculpteur révélée à la grappe de raisin. On les croirait mûrs à point, juste sous nos doigts. Je jurerai qu'ils embaument, ne les sentez-vous pas?
Judas les fixait avec une extrême sévérité, comme s'ils étaient à portée d'une main et de dents vengeresses, prêts à les pourfendre et à les gober redoutablement pour en extraire la délicieuse essence.
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Je ne débats pas, je ne tergiverse pas, je joue.