Else
Une auberge saumuroise.
De sa plus belle plume et de sa main brusque, Elisabeth de Kermorial a écrit:DElisabeth de Kermorial
A Yolanda Isabel de Josselinière, Damoiselle de Molières
Damoiselle,
Peut-être avez-vous gardé peu de souvenirs de notre rencontre en Bourgogne, il y a de cela quelques temps mais à nen pas douter, mon nom vous est connu. Ce billet donc, pour formuler une requête concernant votre dame de compagnie et ma nièce Alix-Ann de Kermorial[ici, une hésitation]-Montfort.
Car cest bien son nom, quoi quil en coûte à Blondie de le reconnaître. Le sang du butor de Landrevarzec coule dans les veines de cette demi-portion, qui doit être le portrait de Marie au même âge. Son portrait, par conséquent. Mais Lise a oublié quelle fut un jour une enfant.
Nallons pas le lui rappeler. Lidée du mélange Kermorial-Montfort est déjà suffisamment déroutante, pour ne pas dire dégoutante.
Citation:Je quitte tantôt lAnjou pour la Bretagne, et désire prendre congé delle. Si vous consentiez à men accorder loccasion, en lieu et temps qui vous conviendront, je vous en saurai bon gré.
Lidée que lInfante Josselinière puisse refuser lui a traversé lesprit. Que voulez-vous ? Sur le chapitre des petites filles abandonnées, Elsbeth est paranoïaque.
Dans un élan de tendresse peut-être, elle songe à recommander la petite blonde aux bons soins de son hôtesse ; puis elle savise que cest stupide. Quil est déjà trop tard. Et quelle se rendra compte de ses propres yeux si sa nièce est bien traitée. Dans le cas contraire
Votre serviteur ne serait même pas surpris quelle concocte déjà un plan pour la sortir en douce de Château-Gontier.
Genre ça marcherait.
Genre.
Trêve de sottise. On conclut. Et sans laisser place au doute, s'il vous plaît.
Citation:Le Très Haut vous garde.
Elisabeth de Kermorial
La mimine impatientée repose que dis-je ! cloue la plume doie dans son plumier, et roule le billet. Quelque gouttes de cire, un sceau vierge et nu
et le voilà prêt à partir, à la première heure demain matin. La flamme de la bougie danse un instant encore dans les pupilles étrécies, avant dêtre brusquement soufflée.
Nuit.
Yolanda_isabel
Comme les journées sont courtes, occupées aux leçons d'Alix, aux exploits d'Aimbaud, aux retrouvailles avec Clémence, aux soins d'une Jenifael malade, aux madeleines de Linien, aux promenades à cheval avec Anaon, mais surtout, surtout aux obligations d'ordre public, bien harassantes.
Et ce jour, une lettre vient avec les autres, un scel mais pas de cachet, pas de nom ou d'armoiries. Suspense, l'ongle se glisse et plie en deux le scel avant qu'il ne cède. La lettre est parcourue, amenant ça et là, quelques sourires aux lèvres de la jeune fille. Et Anaon d'être prévenue qu'une lettre doit être redigée, et la dictée commence, ton docte pour n'être pas amusé.
Citation:
A vous, Elisabeth de Kermorial,
De moi, Yolanda Isabel de Josselinière, Damoiselle de Molières.
Ab imo pectore, salut,
J'ai gardé un souvenir de vous, effectivement, de cette Bourgogne que je chérissais et de la rencontre que j'y avais fait. Je n'oublie pas, demoiselle, j'ai pour moi les jeunes années qui permettent de se souvenir plus que de raison. Et je ne me souviens pas avoir eu beaucoup de nouvelles de la famille d'Alix, chose qui m'attriste.
De fait, votre venue ne pourra que la combler de joie, même si elle précède un départ. Venez donc demain dans la matinée à Château-Gontier, vous passerez la journée avec l'enfant, et nous vous offrirons le pain et le vin avant ce départ.
A vous voir bientôt en nos murs.
Signé et scellé de ma main, ce dix-huitième jour d'août de l'an de grâce mil quatre cent soixante à Château-Gontier, en Anjou.
Moi.
Le scel lui porte l'étoile folle de la Josselinière, le tourbillon d'énergie qui s'appose sur la missive pour la sceller. Et une fois toute la correspondance achevée, elle quitte la pièce pour rejoindre les jardins où doivent certainement batifoler Alix Ann et Ar c'harz.
-« Ma boudig, demain, vous mettrez votre jolie robe .. rose. Votre tante vient vous rendre visite. »
Et un sourire à l'idée de la voir visitée, de la savoir encore un peu chérie par une famille qui la délaisse._________________
Puisqu'on distribue des titres-bon points à tout le monde, j'en veux aussi ! J'ai été sage !
Else
Même auberge saumuroise, dans la grand salle.
« La combler de joie, tu parles
Je lui fais peur, à la gosse. »
« Vous dites ? »
« Non, rien. »
Regard méfiant en face. Un peu plus, et Elisa se convaincrait que l'aubergiste la prend pour une folle. Et n'aurait pas forcément tort. M'enfin. Elle parcourt la fin de la missive à toute allure, et la serre dans un repli de son vêtement avec un soupir. Pour une affaire de réglée, une autre qui se présente.
Ainsi, Marie ne donne pas signe de vie à sa fille. Ce pourrait n'être que l'élucubration d'une sale gosse encline à mépriser son monde mais Elsa a gardé une toute autre image de la petite Josselinière, et n'envisage même pas de s'être trompée sur son compte. Les choses allaient donc plus mal encore qu'elle ne pensait. Pas une minute à perdre : elle n'avait décidément que trop tardé à rentrer en Bretagne, et pour bien peu de satisfaction dans ses propres affaires.
« Ayez de la famille
»
« Hein ? »
« Rien, je vous dis. Si, tiens. Venez par là. Et apportez-moi une chope, au passage. »
***
Campagne angevine, milieu de matinée. Le galop d'un cheval soulève la poussière des chemins, en direction de Château-Gontier. L'aubergiste n'a pas menti : sa bête va bon train et obéit sans rebuffades à une cavalière pourtant guère expérimentée. Le domaine de la môme Josselinière est même déjà en vue. Une fois nest pas coutume : la journée commence bien.
Avant demprunter la route bordée darbres qui mène à la bâtisse, Elsa arrête sa monture. Il ne sagit pas de se présenter échevelée et terreuse. Sur les terres de sa sur, telles libertés lui sont pardonnées, qui ne le seraient pas ici. Elle remet donc de lordre dans sa coiffure, époussète sa jupe poudrée, ajuste son col, arrange la cape sur ses épaules
tapote, presque tendrement, le petit paquet à son côté
Bien. Bien, bien. Ca ira.
Nota : le premier prix de raffinement, cest pas encore pour cette fois.
Les doigts fins se referment enfin sur la bride, et commandent au bestiau dentamer la dernière ligne droite à moindre allure. Entrée en territoire inconnu. Tous les neurones sur le pont, s'il vous plaît.
Else, incarné par Alix_ann
Elisabeth considéra avec précaution la friandise entre ses doigts. En matières culinaires comme en toutes autres choses, laînée Kermorial ne savait guère apprécier le sucré. Cétait même tout le contraire. Élevée dans une cure, habituée dès le plus jeune âge à des décors modestes et à des manières simples, elle navait jamais développé le goût des fanfreluches ni du rose, des douceurs ni des bonbons. La nourriture sert à salimenter, point. Il nest pas interdit dy trouver son plaisir ; mais nen faire quun objet de plaisir ? Ca non.
Puisquon vous dit que ce nest pas une marrante
Autant dire quelle se méfiait comme de la peste de lenseignement que lon dispensait à sa nièce. Oh, bien sûr, elle ne doutait pas quil fut profitable. Elle non plus ne doutait pas du futur de la parfaite petite blonde : elle aurait des terres, elle aurait un mari, elle devrait savoir se tenir, causer, briller par tous les talents du monde, à commencer par celui dêtre. Bref, une vie dangereuse. Pour lâme, en particulier, quune telle vie rend vaine et orgueilleuse (et si toi aussi, cher lecteur, tu trouves que cest lhôpital qui se fout de la charité, signe la pétition quon te présentera à la sortie du spectacle.)
Sa main gagna machinalement le petit paquet à son côté, comme un talisman. Qui a dit quelle ne faisait pas de cadeaux ? Et nétait-ce pas le meilleur moment de le donner ? Mais la question de lenfant la prit de court. Ce quelle faisait. Si ça lui plaisait, Grand Dieu
Un rire bref rire lui échappa, tandis quelle se remémorait certaine promenade aux côtés de la terrible Flamande.
« On ne peut pas dire que ça me plaise, non
Mais jessaie de faire mon devoir, ce qui est plus important encore. Plus précisément, jessaie daider quelquun. Sans grand succès, jusquà présent. »
Amertume inside. Elle passa la main sur les boucles dorées, comme pour retrouver la chaleur dune tête denfant sous sa paume. Comme avant.
« On ne fait pas toujours ce quon veut. Cest agaçant, cest
triste parfois, mais ce nest pas si grave. Il faut laccepter, voilà tout. »
Damned. Tatattila deviendrait-elle sentencieuse ? Est-elle malade ? Vous me direz quelle nen est plus à ce défaut près, et quà la rigueur, cela vaut toujours mieux que denvoyer la mioche dans les plates-bandes à coup de savates. Et la poupée blonde nest-elle pas le portrait craché de sa Marie ? Il nen faut pas davantage pour quelle se sente responsable.
Else, incarné par Alix_ann
La requête à demi formulée ne trouve pas de réponse. Nallez pas croire que Tante Attila nentend rien aux états dâme de sa nièce : Mini-buse est fille de sa mère, et de sa mère a hérité, outre la joliesse, un besoin fatal de lamour des siens. Dont acte. Cest regrettable, mais cest ainsi.
Pas question cependant de lui faciliter la tâche. La faiblesse atavique nest pas une excuse. Rien, jamais, ninnocente personne de ses actes. Il faut, absolument, en prendre lentière responsabilité. Elsbeth lintransigeante applique à ses semblables une écrasante morale, et nen exempte personne. Pas même les enfants. Pas même la famille. Tout au plus, lamour sororal est-il suffisamment fort pour adoucir les angles, et caresser encore lorsquil tance : pas aveugle, bienveillant. Mais à Marie seule sétend cette faveur. Si semblable, si jeune que soit Alix, elle néveille pas en sa tante cet attachement farouche, viscéral, comme un cri dans la chair lorsquelle reconnait son autre et sa pareille.
« Je sais. »
Pas une once dencouragement dans le regard bleu acide. Si la môme veut venir, quelle le demande donc. Elisabeth, quant à elle, la croit trop pusillanime pour une telle résolution. Trop fragile, aussi, pour en supporter les conséquences. La nature est bien faite.
Tap, tap, tap. Sous ses doigts, le paquet enrobé dans un linge renvoie un son mat.
« Dis-moi, Alix. Entre autres choses intéressantes, jimagine quon te parle de Dieu. Que ten dit-on ?
Des bêtises, sans doute voilà ce quelle ne dit pas, et ce quelle craint. Dame pieuse voilà longtemps quon ne la plus nommée ainsi, et pourtant elle lest toujours, plus encore peut-être maintenant que le désert est traversé ne veut pas que la chair de sa chair devienne une incroyante, ou une dévote fébrile et sans courage ce qui n'est pas mieux. Ce qu'elle appelle "foi" est une vision du monde, et la source où puiser une force infinie. Ne jamais geindre, ne jamais prier, toujours se battre, toujours croire quil y a du beau quelque part. Il lui semble quil est temps de mettre sa nièce sur la trace de ce secret là, avant de la laisser vivre sa vie. Parce que la nature est bien faite.