Sara_
Maman l'a du rouge sur toutes les lèvres.
C'est pour faire beau.
Mais quand les gens ils embrassent ses lèvres, après on voit plus rien du tout. Et ça fait dégouliner le rouge sur ses joues.
Aujourd'hui elle a eu du rouge sur le cur. Les yeux. Les lèvres. Le ventre. Du rouge partout. Du rouge en liquide, comme de l'eau, mais rouge.
Et chaude.
- Qu'est ce que tu fiches ici, toi, gamin ?
- Je viens pour voir Margot, j'ai couché avec l'autre fois.
- Tu as couché avec ma femme ?
- Ouais.
- Et lui il vient pourquoi ?
- La même chose.
- Margoot, y'a du monde pour toi !
Margot, c'est une prostituée.
Une bonne grosse prostituée. Une bon marché, souvent utilisée, et qui a une tripotée de gosses avec elle, dont aucun ne ressemblent à son mari. Elle est large et poilue, mais on parle d'elle quand même dans toute la rue, parce qu'elle sait mieux qu'aucune faire s'allonger toutes les queues de Paris.
C'est une poétesse.
Et divine avec ça.
On dit qu'on grimpe au ciel avec les archanges et tous les saints réunis.
Qu'on se met à chanter en grec ou en latin.
C'est d'ailleurs pour ça qu'on vient la voir, parce que sinon la pauvrette, elle n'aurait pas grand chose à vendre... Large comme deux, sale aussi, tout de la rue qui déteint sur elle quand déteignent ses robes de lin et ses bas bouffés par les puces. Elle se gratte, elle a sans doute plein de maladies, et les dents tellement cariées que parfois une tombe dans la soupe. Mais elle a des mamelles tellement grosse qu'on se noierait dedans, qui ont nourri douze enfants dont seulement six ont vécu. Certains ont été pendus pour vol, elle même a perdu ses deux oreilles pour une miche de pain à la place du village. La prochaine fois, ça sera le col, mais ça...
Faudrait encore se faire prendre.
- - Eh ben l'joyeux, t'en as pas mis longtemps. Ça fait pas deux semaines que t'étais venu.
- Y veulent en foutre un coup. Enfin, seulement lui. Trente sous, gamin.
- Beuh, M'sieur Hurteloup, trente sous pour une croupe de jument? J'irais mieux avec ma vache, t'nez. Il est puceau. Dix sous ça s'ra bien assez.
- Douze, et elle y met aussi la bouche. Vous m'foutrez rien, j'ai déjà six gamins faudrait voir à ce que ça se rallonge pas. Et toi Margot, tu l'fais bien viser.
Des six gamins, seuls trois sont dehors et jouent en bas de la cour. On voit deux garçons, que les carences ont rendus rachitiques, dotés d'un petit corps et d'une grosse tête, et une petite fille. Elle n'a sans doute quitté le berceau que depuis quelques semaines. Puisque c'est la fille d'une prostituée, elle ne sortira probablement jamais du quartier. Condamnée à la fleur de lys à l'épaule de sa grosse génitrice.
Elle est petite aussi, mais blonde, alors que le père et la mère sont bruns. Et elle a la peau pâle, presque grise. Les yeux enfoncés dans leurs orbites comme si on les lui avait poussés, et un front large, immense, et haut, qui n'est pas dépilé, mais dont on voit à peine la toison, si pâle qu'elle se confond avec la peau.
Sous ses paupières nait une petite avancée de peau, comme un second rempart contre les larmes. C'est de là que partent les marques rouges autour de ses yeux ; on aurait dit qu'elle a pleuré, si elle n'avait pas les mêmes plaques rouges sur les joues, et le creux des bras.
Elle se gratte aussi. De ses défroques sautant peut être quelques parasites.
Pauvre puce.
- Maman?
- Tenez c'est comme la Caroline, là! Elle a le teint plus pâle qu'un comte. J'suis sûre que c'est le souvenir du Seigneur de Langeais qu'est passé se coincer dans le troufion de ma Margot! Y savent pas viser, faudrait leur tenir.
- Maman?
- Rah, viens ici p'tite. T'attendras ta mère pendant qu'elle fera son office.
Edit pour pas qu'on me flagelle : j'ai utilisé un texte initial de Teulé.