A cette heure ci je ne sais plus. J'ai envie de la quitter.
Elle pose sur lui ses étranges yeux gris qui un instant se voilent de surprise. A peu de mots près, les ourlées de ses lèvres avaient il y a quelques années prononcées une ritournelle ressemblante avant que de prendre la tangeante dans le premier navire venu, au loin de ses contrées d'élevage.
***
Background.
- Vous êtes la plus jolie personne que j'ai jamais vu, épousez-moi Charlyelle et je jure de tout faire pour vous rendre heureuse !
- Cher Tommy, nous nous connaissons depuis l'enfance et bien que vous soyez un homme charmant, je sais qu'après deux ou trois jours de mariage, j'aurais envie de vous tuer !
-Et pourquoi cela ?
- Parce que vous m'ennuieriez. Tous les hommes m'ennuient quand je les connais bien. Seuls les chevaux ne vous déçoivent jamais.
- Pourquoi ne m'écoutez-vous pas Charlyelle ? Pourquoi ne comprenez-vous pas que nous sommes faits l'un pour l'autre ? Quoi que vous disiez, je vous aime.
- Cela c'est vous qui le dites !
- Je vous aime en tant que femme, même si vous étiez une simple paysanne je vous désirerais.
- Sauf que si j'étais une paysanne, vous m'offririez une toute autre place.
- Ce qui ne m'empêcherait pas de vous aimer et de vous rendre heureuse.
- Je ne recherche pas l'amour ! C'est un sentiment larmoyant, exagérément chanté et ridiculement vanté par les poètes !
- Vous n'êtes qu'une gamine, vous ne savez pas de quoi vous parlez !
- Si et heureusement, je vous ai écouté vous et une triplette de vos semblables me dire combien je bouleversais vos coeurs et comment, une fois que je serais dans vos bras, vous sauriez me faire partager votre émotion. Or je savais que tout cela n'est que mensonges.
- Vous ignoriez tout de l'amour parce que vous êtes trop jeune !
Et elle se souvient qu'elle avait éclaté de rire. C'est d'ailleurs à ce moment précis qu'elle avait pris la décision de tout quitter. Sa petite contrée toute en montagne, en rivières et en vallées assez fertiles cependant pour subvenir aux besoins de ses habitants. En plein été, elle plongeait dans les eaux glacées de ses lacs de montagne, qui, même par les journées les plus chaudes, évoquaient les glaciers dont ils descendaient.
Déjà à l'époque, la gamine de seize ans bravait toutes les conventions sociales et semblait prête à défier le monde empreinte d'une force de caractère peu commune. Elle ne ressemblait à nulle autre, ni par son apparence, ni par son caractère. Et depuis, sa personnalité s'affirmait avec les années passées.
- C'est ce que vous aimeriez croire. Mais vous n'avez jamais su me faire éprouver autre chose que de l'ennui en vous extasiant sur des sentiments que je ne ressentirais jamais. Parce que je suis différente de ces femmes que vous aimez. Moi ce qui me fait vibrer, c'est de savoir que le beau cheval que je dresse m'obéira. Il aura beau se battre, je serais toujours sa maîtresse. Aucun homme ne pourra jamais me procurer des sensations aussi ennivrantes que celles que j'éprouve sur un animal au galop, plus rapide que tous ceux qui me suivent, rien ne pourra remplacer la sensation euphorisante que d'abattre un faisan en plein galop...Et si vous me touchez je ne vous adresserai plus jamais la parole Tommy.
Ce qu'elle avait fait d'ailleurs même sans qu'il ait besoin de la toucher. C'est quelques semaines plus tard qu'elle avait débarqué pour la première fois dans le port de Bordeaux. Depuis, avec les siens, la Cavalière Hydrique avait toujours sauté par-dessus les barrières, balayés les obstacles et atteint l'objectif au moment voulu.
***
Retour sur le présent.
A son tour de porter regard sur la mâle main orgueilleuse qui se fait généreuse auprès du tavernier. La sienne à elle, ornée d'aucun atour, se fera providence. Sous les jupons, bien à l'abri dans le creux de la chainse, là où nulle autre main que la sienne ne peut s'aventurer sans accord préalable, elle dégage écus de sa bourse et elle dépose sur la tablée, largesse équivalente à la piquette qu'il lui avait servi lors de son repas et auquel elle n'avait pas touchée, préférant de loin saveur de sa liqueur natale qu'elle distille elle-même dans le secret de son nid à elle.
Elle pense à la missive qu'elle a envoyé un peu plus tôt dans la journée au Sapineux. Tout cela parce que demain est jour d'un an de plus pour lui. Que ne pouvait-elle se couper une main plutôt que d'avoir cédé à ce besoin impérieux que de lui écrire. Pourvu qu'il ne lui réponde pas , surtout qu'il ne lui réponde pas. Et s'il le fait ? Et bien c'est elle qui ne lui répondra point. Après tout une missive peut se perdre.
Rassérénée par la force de son raisonnement, persuadée qu'il est juste. Demain sera un nouveau jour. Encore vibrant d'inconnu, mais nouveau sera t'il.
Main gantée tendue vers elle.
Si vous ne craignez pas la promiscuité de ma roulotte, je peux vous y offrir l'hospitalité de ma couche. Je gage qu'elle vaut amplement tout le confort de la meilleure chambrée de ces lieux.
Quoique. Mieux vaut le laisser s'en faire idée lui-même.
C'est une main non gantée qui vient se glisser dans la sienne. Entrelac naturel de ses fins doigts racés aux siens. Et les petits pieds nus, dont le droit est orné d'une simple chaine d'or agrémentées de quelques perles noires, venues du fond de ses océans, entament pas à ses côtés.
Prenez-moi, Apprenez-moi ._________________