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Chronicques de la glèbe
Le soc et l'épée
Il est temps plus que jamais de défendre le Droit, au moment ou les militaires veulent la guerre, larbitraire et la soumission du peuple, car ces trois là avancent de concert. Le phénomène a commencé depuis un moment déjà, et létat durgence et la restriction des déplacements, toujours en vigueur, pèsent toujours sur la sérénité des sujets. Des menaces, plus de menaces, pour que le paysan se terre au plus profond de sa tanière.
« Une bonne guerre quil leur faudrait » entend une fois de plus le paysan désolé. Car le paysan aime à vivre en paix, jouissant des plaisirs du ciel et de la terre. Et bon, il va se cacher, en attendant que ça passe. Et il se fait prendre son blé, ses biens et ses filles. Et les militaires rentrent chez eux, ils ont la tête haute car ce sont des Héros. Ils ont la gloire et pour ça ils pensent que tout leur sera du et quils seront souverains en leur terre asservie.
Alors larmée parade en ses domaines, qui sont partout ou règne la terreur. Et il arrive ce qui doit arriver, des civils finissent toujours par trouver la Mallemort, car cest le métier de ces gens-là. Se soulève le peuple, et gonfle son ire. Et lorsque sa colère éclate, cest de folie et de rage, il nest plus de raison. De sa gueule ouverte, et si longtemps fermée, il conchie et bafoue le soldat fautif, et sans mesure, et sans précautions. Sil pouvait tenir en ses mains calleuses le col propret du soldat en goguette, Deos seul sait ce qui arriverait.
« Allons, que faites-vous de mes sacrifices passés, des mes combats ardus grâce auxquels les paysans cultivent leur champ ? Ne vous rappelez-vous pas que je porte lépée, qui me confère lautorité ? » fait le soldat autant surpris quindigné. Mais le paysan cette fois a retrouvé la parole. « Et quoi ! Ne vois-tu pas que jai les mains fendues et la boue au cul ? Je cultive le blé pour faire ton pain blanc que tu aimes tant, et depuis la nuit des temps. Et je nourris le curé qui prie pour toi si tu ne las pas encore tué. Est-ce que jen tire gloire pour autant ? Est-ce que je réclame soumission pour ce sacrifice ? Veux-tu enfoncer le soc dans la glèbe collante, et tâter du fléau, pendant que je vais courir la gueuse lustrer mes médailles ? »
Le paysan sait bien que le bougre défend ses terres et quil est comparse et compatriote avec le soldat. Mais après tout chacun choisit son métier. Et depuis cet incident le paysan a retrouvé la parole, et il sest mis a se poser des questions, notamment sur la place prépondérante de larmée dans cette société ou lui, paysan, est à la base, et sur toutes sortes de chose. Il a appris à se réunir avec dautres paysans, à discuter, à ne pas se laisser intimider. Il a surtout appris à lever la tête.
Parfois dans son champ il cesse le labour un moment et regarde au loin vers lhorizon
Les aveugles
Le paysan avait maintenant appris à ouvrir les yeux et la bouche. Les actes sur lesquels il passait jadis frappaient maintenant son attention naissante. La colère qu'il ravalait jusqu'alors et qui noircissait sa bile sortait maintenant en chapelets de mots fleuris.
Aussi il ne trouva pas la paix par ses yeux ouverts, mais partout la guerre contre les humbles. Aussi ne sortaient de sa bouche ni sérénade ni louange, mais invectives et protestations. Et le hobereau le regarde et s'en étonne. "Allons, le bougre, cesse donc de parler ainsi, cela ne te sied point. Retourne à tes champs, tu vas gâter ta récolte à t'exciter ainsi. Le justice, le droit, nos textes de loi sont fait pour veiller à la paix. Va et travaille". Le hobereau désigna au paysan l'homme de robe qui restait silencieux.
Le temps de réfléchir, et la saison des moissons était arrivée. C'était occasion de fêtes et réjouissances plus ou moins païennes pour le paysan, qui se réunissait avec ses comparses pour mieux récolter. Il avait appris l'entraide depuis longtemps, et c'était sa force. Les moissons furent joyeuses cette année-là, et abondantes. On festoya beaucoup, on but en abondance, on forniqua à l'envi, mais surtout on parlait et débattait sans cesse, faisant enfler la colère populaire.
Et cette colère ne sortait pas car il était du ressort de la Justice de trancher les litiges et contentieux. Le paysan s'étonnait tout de même que jamais sa cause ne fut entendue, que jamais sa parole n'était respectée. Il s'en émut. Il chercha a comprendre les textes, payant en bouteilles un soulot qui savait lire. Il trouvait que ces textes étaient bien iniques, mais ils étaient censés garantir quelques protections pour les siens. Perplexe, il alla trouver l'homme de robe que le hobereau lui avait désigné. L'homme ne répondit pas ni ne bougeait. Agacé, le paysan le secoua et se rendit compte que l'homme de robe n'était qu'un pantin de paille semblable à ceux qu'il utilisait pour éloigner les oiseaux.
Le soldat et le hobereau avaient évincé l'homme de robe et remplacé par ce joli mannequin. Ils avaient retouché des textes, qu'ils trouvaient trop compliqués, et jeté d'autres au feu. Quand le paysan voulut regarder ces textes, ils étaient plein de ratures et de dessins d'enfants. Il comprit le manège du hobereau, et il savait maintenant maîtriser sa furieuse colère. Après tout il suffirait de leur rendre la vue, pour qu'ils voient enfin les plaisirs de la vie et du partage, qui n'ont rien à voir avec les titres et médailles, et la Mallemort semée partout par la guerre.
Le paysan était déterminé, et les choses se mettaient les unes derrière les autres dans le dedans de sa tête. D'abord viendrait la force, car il était prouvé que le soldat et le hobereau ne comprenaient que ça. Ensuite viendrait le droit, et une justice aveugle à la condition des uns et des autres. Et alors, peut-être un jour viendrait la paix.
Le paysan regardait le sol en marchant, il savait maintenant que le chemin serait long.
Par la foi et par les armes
Les saisons se succédaient les unes après les autres, et avec elles les heurs et les malheurs de la vie de paysan. Mais la tranquillité et la torpeur dans lesquelles sendormaient le clerc, le soldat et le hobereau nétaient pour le paysan que la beur et souffrance, mais aussi réflexion et organisation.
Le curé ne prenait plus guère la peine de sermonner en les églises le dimanche, qui étaient dailleurs vides la plupart du temps. Et il sen trouvait pas plus mal. Cétait autant de temps gagné pour jouir des biens spoliés et pour courir la gueuse innocente. Quétait-il besoin, finalement, de se fatiguer lesprit pour ces abrutis qui nentendaient rien aux choses de lesprit ? Cétait donner le miel aux cochons, et cétait pêcher que de gâcher ainsi. Aussi se contentait-il de prodiguer avec plus ou moins dardeur baptêmes et mariages, sans oublier bien sûr de percevoir ses émoluments. Ainsi passait la doulce vie de lhomme déglise, et il prenait de lembonpoint.
Mais il ignorait que le paysan avait développé une croyance particulière. Une croyance dénuée de fioritures, une foi simple comme létait son esprit. Une croyance en un Dieu qui nétait pas comme son père mais plutôt comme son frère. Un Dieu qui laccompagnait aux champs, sur la place publique, et même dans sa couche. Un Dieu qui communiquait par le verbe et par le rêve. Un Dieu qui ne demandait pas quon lui sacrifie les trois tiers de sa récolte, un Dieu qui nexigeait pas quon verse pour Lui le sang des humbles. Ainsi la Foi nétait plus un lourd fardeau qui pesait sur ses larges épaules. Et nul nétait besoin pour Le prier de senfermer dans de sombre bâtisses, et découter les prêches ennuyeux du curé fatigué.
Ainsi peu à peu le paysan se débarrassait de tous les parasites qui se nourrissaient de sa vie laborieuse. Sa conscience, devenue plus légère, lui permettait maintenant à sintéresser à la vie publique. Il était dorénavant fier de voter, car cela lui offrait la maîtrise de son destin. Il écoutait les uns et les autres, et tranchait par son choix souverain. Mais son esprit droit ne distinguait guère les manuvres tordues des profiteurs de toutes sortes, qui promettaient monts et merveilles, et le paradis solaire sur terre, pour demain.
Le paysan sen accommodait mais il sentait bien que quelque chose allait de travers. Mu par un enthousiasme débordant à chaque élection, il était vite désappointé lorsque le monde de rêve qui lui était promis seffritait, et quand il voulait le saisir il sécoulait comme sable entre ses doigts. Il en conclut quon lui vendait des chimères toutes les deux lunes, et il en fut très fâché. Et quand par hasard il envoyait par son suffrage quelque personne de droiture et de sincérité, le hobereau, le soldat et le curé se débrouillaient pour lévincer rapidement. Par lintrigue, par la révolte et par lépée, tous moyens quils dénonçaient pourtant dix fois le jour.
Le paysan se garda cette fois-là de rentrer dans la grande colère noire. Il avait appris à maîtriser ses passions, par une pratique régulière de la prière et de la boulasse. Il mit en branle les boyaux de sa tête, et de son esprit échauffé naquit la République. La grande idée frappa comme foudre sur les terres des Royaumes. Et le hobereau, et le curé, et le militaire tremblaient dans leurs braies pendant que grandissait la rumeur. Ils le savaient bien, quil était désormais impossible de revenir en arrière. Alors ils criaient très fort et se démenaient, tentant comme joueur de bonneteau de faire passer les insurgés pour brigands et vils pillards. Mais cétait peine perdue.
Le paysan sétait forgé des armes, et cest sans joie et sans haine quil savançait pour le combat. Et son regard se portait désormais sur son ennemi. Plusieurs de ses frères périraient sûrement, mais il navait maintenant que deux alternatives :
La République ou la mort.