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[RP] Les alchimistes de la pluie

Julienas




[Auberge du Coq Rouge - Bouzy]

Des coups sourds frappés à l'huis suivis de l'ouverture brutale de la porte de l'auberge vinrent subitement troubler le calme qui régnait dans la taverne alors qu'il s'entretenait avec son hôtesse. Un jeune garçon fit alors irruption dans la pièce, l'air hagard, fouillant du regard les moindres recoins.
A la vue de sa tunique sombre, couverte d'un court scapulaire, il sut de suite qui il était et d'où il venait.


"Voila une visite bien tardive", dit-il d'une voix grave à l'adresse de la tavernière, une blonde fortement charpentée, en s'épongeant rapidement les lèvres.
Puis après avoir jeté sa serviette sur la table en se levant, il la suivit en direction du novice en piteux état...



_________________
Agathe.




Les derniers clients avaient quitté la salle commune depuis un moment et elle finissait de servir le frère du Languedoc, de passage dans la région, agrémentant sa solitude de son aimable conversation, lorsque l'enfant pénétra en trombe dans son établissement.

La porte, violemment poussée derrière lui, gémit sur ses gonds avant de résonner dans les étages.


- Ben mon mignon, t'es arrangé toi, dit-elle en le prenant par les épaules, s'efforçant de conserver un ton rassurant.

Néanmoins, ce n'est pas sans une certaine inquiétude qu'elle demanda :

- Qu'est-ce qu'il t'est donc arrivé mon beau ?

En le pressant de questions, la blonde l'examinait dans la faible luminosité diffusée par la lampe à huile qui brûlait encore sur la table de son dernier pensionnaire encore debout malgré l'heure tardive...

Pierre..



- Le frère Julienas... Il est arrivé ?
dit le jeune encore apeuré, jetant des regards furtifs vers portes et fenêtres closes.

Et de poursuivre à mi-voix, reprenant difficilement son souffle :


- J'ai un message pour lui... je suis Pierre... Pierre de l'abbaye... Saint-Pierre... l'abbaye d'Hautvillers...

Penché en avant, le visage grimaçant, les mains appuyées sur les côtés de son abdomen, il inspirait et soufflait bruyamment avec difficulté...

Agathe.



- Viens, approche... N'aie pas peur... dit la tavernière Agathe tandis qu'elle l'accompagnait vers la lumière.

- Souffle bien...

Hésitant à l'engager à poursuivre sa marche ou à le faire asseoir devant l'entrée, le temps qu'il revienne à lui, elle tourne un regard interrogateur vers le frère Julienas qui s'approchait.

- Il est là oui, regarde... Rassure-toi. Il est arrivé avant-hier et nous t'attendions lui et moi, inquiets de ne pas te voir arriver.
C'est qu'on t'attend depuis hier nous autres, d'après le message de son cousin de là-haut,
dit-elle en hochant la teste.

Le ton peu révérencieux s'adressait plus au monastère qu'aux moines eux-mêmes. Non pas qu'elle éprouva quelque grief à l'égard de la religion, bien au contraire !
Aînée d'une famille de sept enfants, la belle Agathe avait vite grandi dans la Foy du charbonnier si commune dans nos campagnes. Entre les travaux des champs et de la vigne, où la demande de main d'oeuvre ne manquait pas, et l'ouvrage au sein de la modeste demeure familiale, elle eut tôt fait de prendre en charge les soins et l'éducation de ses jeunes frères et soeurs, suppléant un père et une mère courant après le gagne-pain quotidien pour nourrir la maisonnée. Une Pastorale accomplie avec ferveur et sérieux dès qu'elle eut l'âge requis, un baptême qui suivit deux ans plus tard afin de "grouper" avec deux cousines et son puisné, pour réduire les frais... Bref, au lendemain de ses dix-neufs printemps, la jeune Agathe Zeblouze convolait en justes noces avec le sieur Nicolas Dubois, issu d'une d'une grande famille renommée dans la région, qui avait bâti sa fortune dans le commerce de draperie durant quatre générations. Avec le déclin des foires de Champagne, en raison de la concurrence de la trop proche capitale et des guerres - dont la fameuse guerre de Cent Ans (116 au compteur) - les Dubois s'étaient tournés vers une ressource locale en pleine expansion : la vigne. C'est ainsi que la jeune roturière, après des années de vaches maigres, se trouva à l'abri du besoin auprès de son Nicolas, courtiers en "vins de France" avec prédominance de ceux de "la Rivière", qui arpentait les routes pour satisfaire à ses commandes toujours plus nombreuses.

Mais celle-ci n'oubliait pas pour autant ses origines modestes et la misère qu'elle avait vécu dans sa jeunesse. Quant à sa Foy, elle demeurait intacte, certainement même renforcée, au fil des ans. Aussi, si elle respectait plus que tout l'oeuvre de réflexion et la mission d'évangélisation des moines, elle faisait partie de ces gens qui chicanaient quant aux prééminences et honneurs du monastère, lorsqu'il s'agissait des perceptions auprès des paysans dont bénéficiait l'abbaye notamment...


Pierre..




Le jeune Pierre, toujours courbé, se dandine en se tenant le ventre d'une main. Et tandis qu'il tente de dénouer, non sans réelle difficulté, les doigts encore un peu tremblants, sa bourse accrochée à sa ceinture, il bredouille :


- Je suis... fffeeeww... désolé...

Sa tunique trouée laissait paraitre une blessure au flanc droit. Éraflures et tâches maculaient également son scapulaire et gardaient les traces de son récent périple.

- Je... Je dois aller...

Julienas



C'est au cours de sa convalescence à Troyes, où il guérissait de ses blessures, que le frère Julienas avait adressé sa missive à son cousin Ignon, cellérier de l'abbaye Saint Pierre d'Hautvillers, le "haut Village" qui surplombe la vallée de "la Rivière" (1), jouissant d'un panorama exceptionnel. La réponse qui suivit sans délai l'avait invité à se rendre vers la Vallée Est, moyennant une étape à l'auberge du Coq Rouge de Bouzy où devait le rejoindre le novice, au jour indiqué...

- Bonsoir mon garçon, je suis Julienas. Et toi tu es le jeune Pierre, envoyé par le frère Ignon...

Il s'interrompt subitement et dit, en désignant une porte épaisse :

- Tu trouveras l'endroit qui te fait défaut par ici. De quoi te soulager des effets du raisin encore vert mon ami...

Et tandis que le jeune homme se tourne vers les commodités, après un léger signe de tête à peine perceptible, il poursuit :

- Au fait, ces brigands, combien étaient-ils ?
Loué soit le Très Haut ! Un miracle que tu leur aies échappé en courant à travers bois car je suis sûr que ta besace contenant tes maigres victuailles ne leur suffisait pas. Il est certain qu'ils en voulaient à ta vie. Des gens connus dans les villages de la Vallée jusqu'aux coteaux probablement, qui craignaient que tu puisses les identifier par la suite.
Ils t'ont traqué toute la nuit dernière n'est-ce pas ? Il est à craindre qu'ils te cherchent encore ce soir mon pauvre garçon... Il conviendra de rester prudent désormais.


Tandis qu'il expose les résultats de ses observations, il continue d'examiner le dos du jeune Pierre stoppé dans sa course, puis ajoute :

- Dis-moi... Ce sont eux qui, ce matin, t'ont fait quitter en catastrophe cette grange providentielle où tu t'étais réfugié et où tu n'as pas réussi à fermer l'oeil de la nuit ? Celle que tu as trouvée à l'orée de la forest, en haut du vignoble...
En tout cas, je te félicite mon jeune ami. Je constate que tu es digne de confiance, au point de t'écorcher ongles et doigts pour protéger ce précieux message qui m'est destiné,
dit-il en souriant légèrement.
Je t'imagine ce matin accroupi entre les ceps grattant la terre calcaire... et eux d'enrager, enjambant les pieds de vignes, examinant chaque rangée en vain...
Est-ce là que tu t'es finalement endormi en fin d'après-midi, terrassé par la fatigue accumulée durant ces deux jours ?






(1) autrement dit "la Marne".

_________________
Pierre..



Le jeune rescapé, médusé, la main figée sur la poignée, le scrute du regard et essaie d'articuler :

- Comment... comment savez-vous tout ça ? Je n'en ai encore soufflé mot à personne...

Mais la douleur étant si forte que, n'y tenant plus, il se rue vers la pièce exigüe sans écouter la réponse...

Julienas



Il sourit, habitué à ce type de réaction, puis sollicita la tavernière à lui apporter de l'eau chaude, du vinaigre, du vin et autres accessoires pour soigner son blessé.
De retour auprès de la table, il dépose sa besace à proximité de la lampe et en sort un sachet contenant du fil de lin et une aiguille, à côté desquels il alignera méthodiquement, dès le retour de son hostesse, le bol fumant, le vinaigre, le vin, l'éponge puis les linges propres superposés par ordre de taille décroissante.

Il reprend alors son petit jeu auprès de l'aubergiste, plus par curiosité que par distraction. L'observation du gamin lui en en avait suffisamment appris et parler à voix haute l'aidait à mettre en forme son raisonnement.


- Humm... Ils étaient au moins deux je pense. L'un armé d'un manche, un costaud, qui cogne dur !

On entendit alors le jeune novice sortir des latrines rudimentaires dans l'obscurité. Si la question de l'hygiène et des modes de transmissions des maladies est bien présente dans les esprits de l'époque, la gestion des déjections souffre d'un manque notable de moyens, comparativement aux pratiques antiques tombées en désuétude ; la croissance démographique urbaine n'arrangeant rien. Les classes les plus riches se soulagent dans leur jardin généralement, tandis que les latrines restent d’actualité dans la plupart des monastères et des couvents. Dans les châteaux féodaux, latrines ou fosses d’aisance sont creusées dans les murs et les excréments tombent dans le fossé intérieur ou extérieur selon l’aménagement. On utilise également, selon les lieux, puisards, fosses d’aisances ou bien cours d’eau naturels qui traversent les villes.
A l'auberge du Coq Rouge, c'est le jardin en contrebas qui profite des "offrandes" naturelles des clients satisfaits de ses produits. Juste retour des choses...

Souriant en avisant le regard apaisé du jeune Pierre qui pénétrait dans le halo diffusé par la lampe, il poursuit :


- L'autre lui a infligé cette blessure sur son flanc droit qui ressemble fort à celles causées par une dague fine... La navrure est nette, étroite et peu profonde et devrait cicatriser assez vite. Un enfant peut-être... ou bien une femme... d'une taille de... disons... cinq pieds tout au plus...

Il s'interrompt, plonge le fil et l'aiguille dans l'eau bouillante et invite l'enfant à s'asseoir d'un geste lent de sa dextre désignant une chaise. Puis sa paume se ferme, son avant-bras s'élève légèrement tandis que son index désigne son épaule.

- C'est l'homme qui t'a arraché ta besace dont la sangle passait sur ton épaule droite, suite au coups de lame de son complice chargé de faire diversion. Et c'est encore lui j'imagine qui t'a asséné ce coups de bâton sur ton occiput quand tu as pris la fuite.

Il vient palper l'enflure, sur l'arrière du crane du jeune rescapé, pour en apprécier la fermeté.

- Bon, tu n'as pas perdu connaissance, sans quoi tu ne serais pas ici. Une chance !

Puis il saisit la lampe à huile, l'élève devant le visage du garçon et l'examine de près, en s'attardant sur ses yeux et muqueuses. Son index et son médius abaissent simultanément ses paupières inférieures, puis il inspecte les faces internes de ses lèvres.
Et devant le regard incrédule du jeune rescapé il précise, souriant largement :


- Oui mon ami, si ce coups n'avait été fatal mais suffisant pour te rendre immobile, il est certain qu'il aurait été suivi du coups de grâce qui nous aurait privé de ta présence ce soir. Si tu as réussi à leur échapper, c'est donc que tu étais alors en état de le faire... Une évidence...

Alors, et ce message que tu as su brillamment conserver dans ta bourse accrochée à ta ceinture ?



_________________
Pierre..



Le jeune novice dénoue les cordons de sa bourse, puis tend le message en question au frère Julienas.
Le frère Ignon lui avait souvent parlé de son cousin du Languedoc et de ses "petites manies" comme il disait, son goût pour l'observation et la réflexion, sa curiosité et son attrait pour les raisonnements logiques. Mais bien qu'averti, il peinait à comprendre comment celui-ci pouvait bien relater d'évènements qui s'étaient déroulés à des lieux d'ici, comme s'il en eut été lui-même spectateur.


- Ils... ils étaient deux. Un homme oui... et une femme avec un... comme un couteau mais plus large... une dague peut-estre... je ne sais pas... je n'en ai jamais vue...
Mais comment pouvez-vous connaistre ce qu'il m'est arrivé tandis que vous estiez ici, en cette auberge ?
demande-t-il alors ; ce qui en soit revenait à confirmer les conjectures du frère languedocien...


Agathe.



- Ben vous alors ! Va falloir que vous m'expliquiez depuis le début en tout cas, sinon, je vais finir par croire en quelque sorcellerie... dit la tavernière en riant.
Mais pour l'heure, laissez-donc ce gamin tranquille, il en a eu assez comme ça pour aujourd'hui.
Croyez pas qu'il meurt de faim ?


Nicolas Dubois, quand il ne courrait pas les foires en queste de signatures augurant des revenus non négligeables, consacrait l'essentiel de son temps à négocier les prix, toujours à l'affut du dernier vin de paroisse qui pourrait se révéler comme la dernière merveille de "La Rivière". Au fil des années, ses absences étaient devenues plus fréquentes et prolongées, si bien que les petits sacrifices d'hier du jeune couple finissaient par devenir des habitudes aujourd'hui. Certes, leurs relations épisodiques en furent nécessairement affectées, mais curieusement, ils s'étaient accomodés chacun de la situation, se consacrant lui à ses chais, elle à sa taverne. Leurs activités respectives leur fournissaient l'occasion de mener des vies publiques des plus urbaines et le temps s'écoulait sans qu'ils prennent le soin de réfléchir sur leur condition, qui demeurait cependant des plus enviables aux yeux jaloux de quelques esprits chagrins.
Néanmoins, une fois les derniers clients remerciés, il arrivait que la blonde ressente le poids de la solitude. Elle ne tarda pas à imputer à une maladie infantile qui la cloua au lit durant trois saisons son impossibilité à grossir, même si dans sa famille, on faisait tout pour en rejeter la faute sur son courtier d'espoux. En bonne fidèle, elle finissait par se convaincre que le Très Haut seul savait, et déciderait quand ce serait le moment, et si moment il y aurait...
En attendant, elle témoignait une tendresse maternelle aux enfants qu'elle côtoyait, une façon d'évacuer le trop plein d'amour qu'elle portait en elle.

Se tournant vers le jeune Pierre, elle le couve du regard et dit :


- Tu vas d'abord remplir ton ventre qui doit protester à juste titre mon beau. Ensuite tu prendras un bon bain bien chaud. Le frère Julienas m'a parlé de son penchant pour la médecine. Tu peux estre sûr qu'à nous deux, on va te remettre en état et bientost, tu galoperas comme un capucin... enfin... comme un garenne.

Jules, toujours absorbé dans sa lecture du message de son cousin Ignon, acquiesce machinalement d'un signe de tête sans lever les yeux.

La tavernière emplit alors un grand bol de soupe sur une tranche de pain, en puisant deux grosses louches dans le chaudron suspendu à la crémaillère, puis l'apporte au jeune novice. Celui-ci ne se fait pas prier et engloutit chaque cuillerée de soupe brûlante, prenant à peine le temps de respirer.


- Mange mon beau, régale-toi... Je vais faire préparer ton bain. Et un bon lit aussi ! Je n'ai pas besoin de lire dans le passé pour deviner que t'en as grand besoin toi...

Et tandis que le frère, le visage grave, plie soigneusement le message en méditant, elle se dirige vers l'escalier qui mène aux chambres et crie :

- FANCHON ! Prépare un bain bien chaud avec du tilleul, et tu ouvres la chambre qui donne sur la cours. N'oublie pas de clore les persiennes surtout !
Et une chandelle ! Tu me descendras une chandelle quand tu en auras terminé.


Puis, se tournant vers les deux hommes :

- Et maintenant on va régaler ce pauvre garçon avec la spécialité d'ici.
Je vous en réchauffe une autre assiette Julienas ?
ajoute-t-elle en lui lançant un regard complice.


Julienas



Après avoir déposé le fil de lin et l'aiguille sur un linge propre, il trempe ses mains dans le récipient encore fumant, puis les frictionne avec le vinaigre avant d'imprégner l'éponge d'eau de source bouillie.

- Comment pourrais-je refuser ma soeur ? Mon cousin m'en avait vanté les mérites, et je dois admettre que la réputation de vostre recette est loin d'estre usurpée.

A propos du cousin Ignon, tout en soignant le jeune novice qui achevait son bol de soupe, il reprit le cours de ses réflexions et demeura un moment songeur, son esprit échafaudant déjà plusieurs hypothèses.


Citation:

[. . .] "Hâtez-vous, ne tardez point en chemin, c'est grave". [. . .]


La phrase résonnait dans sa tête, suscitant mille questions, tandis qu'il lavait la plaie du jeune Pierre avec l'eau, puis avec le vin pour assécher la plaie...

- Dis-moi mon ami, que se passe-t-il à l'abbaye d'Hautvillers ? Le frère Ignon t'aurait-il fait part de quelques confidences ? chuchote-t-il.

Et, commençant à suturer la plaie sur son flanc droit, il attend la réponse du jeune garçon, impatient d'en apprendre un peu plus...



_________________







Pierre..



Le jeune garçon secoue la tête de gauche à droite, mais, jugeant sa réponse par trop sommaire, il ajoute d'une voix évasive :

- Non, à vrai dire... Je ne sais pas... Aïe...
Mais depuis qu'il s’est vu confié la charge du cellier et des caves, il semble toujours préoccupé. Inquiet... et mesme parfois, apeuré... Ouille, ça fait mal...
Comme s'il avait découvert quelque chose qui... Enfin je... Tsssssss... Ça pique...


Et, baissant d'avantage la voix, il ajoute en serrant les dents :

- Une fois, je l'ai vu descendre en caveaux, muni d'une lampe à huile... Et juste après avoir ouvert la porte, tandis qu'il raccrochait son trousseau à sa ceinture avec sa main gauche, il s'est signé de la dextre.
Si, je vous jure que c'est vrai !


Julienas



L'onguent de palme est employé par Guillaume de Salicet, comme consolidatif. Le voyageur isolé, proie facile des brigands qui hésitent rarement à faire usage de leurs armes, a donc tout intérêt à en avoir par devers lui.
Si par chance il échappe à ses agresseurs toutefois ! Comme c'est le cas de nostre jeune novice...


Achevant le pansement enduit de la mixture, le frère Jules reprend :

- Pas besoin de jurer mon garçon, je te crois, dit-il en songeant à l’extrême piété de son cousin pour qui la Foy en Nostre Très Haut a toujours constitué un appui solide.
Si quelque tracas occupait l'esprit du frère Ignon, il lui semblait tout naturel que celui-ci s'en remette à Dieu.
Restait à savoir ce qui pouvait bien le tourmenter à ce point...


Il se relève et dit :

- Voilà. Je le changerai après ton bain, ainsi que plusieurs fois cette nuit durant ton sommeil.

Il vient ensuite s'asseoir face au jeune Pierre et, machinalement, coupe deux tranches de pain à une belle miche que chacun pouvait faire cuire le vendredi au four banal. Puis il emplit de vin rouge de Bouzy les trois gobelets de bois. Dans celui du novice, il ajoute une poudre qu'il incorpore en faisant tourner le vin vigoureusement dans le gobelet.

- Ceci devrait haster ta guérison mon garçon. Le vin astringeant, comme celui-ci, constitue un bon excipient pour le trochisque de Polybe...

Et tandis qu'il lui tend le gobelet...


_________________
Agathe.



... l'odeur de la marinade précède la tavernière qui revient avec une marmite fumante.

- Alors on complote ? dit elle, arborant un sourire taquin.

- Laissez, ne vous excusez pas, s'empresse-t-elle d'ajouter. Ici, la discrétion est de mise et le respect des affaires privées du client, c'est sacré.

Puis avec une dextérité qui dénote une certaine expérience, elle extrait de beaux morceaux de volaille qu'elle dépose avec soin dans les écuelles.

- Tiens mon beau, tu m'en diras des nouvelles, dit-elle en ajoutant deux grosses louches de fèves qui viennent accompagner la bête marinée depuis la veille dans le vin de la paroisse additionné d'épices, de carottes jaunes découpées en rondelles ; sans oublier l'indispensable oignon, à la fois légume et condiment...
Elle veille à récupérer les lardons qui s'aviseraient de se nicher au fond de la marmite et les partage entre ses deux convives.

Prenant place à la table de ses hostes, elle contemple avec un air satisfait le jeune Pierre tandis qu'il se délecte de son coq au vin de Bouzy, puis se tourne vers le frère Julienas et demande :


- Alors, je suis bien curieuse de savoir maintenant comment vous pouvez lire dans le passé, vous...
Allez-vous enfin nous expliquer vostre secret ?


Julienas



Il rit, fait glisser le verre dans sa direction et trinque.

- Santé ma soeur, tout d'abord !
Et merci à vous pour vostre accueil chaleureux. Je peux témoigner que jusqu'à présent j'ai été traité royalement, mais ce que vous faites pour le petit... Chapeau bas !


Et il incline le chef en guise de reconnaissance, puis boit une gorgée de vin.
S'humectant la langue, il ajoute :


- Excellent ! Vraiment excellent. J'ai peu l'occasion de boire du bon vin en Languedoc, celui-ci étant, comme partout ailleurs, trop cher pour ma bourse. Mais je sais suffisamment faire la différence entre un bon cru et une piquette. Et celui-ci est certainement l'un des meilleurs qu'il m'ait été donné de gouster jusqu'à présent.



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