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[RP] Les alchimistes de la pluie

--Grandidier



Etait-ce la distinction conjuguée à la simplicité qui émanaient du jeune couple ? Ou peut-être leur intérêt pour son activité qu'il exerçait avec passion ?
Ou bien encore la recommandation de la part de l'abbé et le souvenir du non moins passionné Julienas qu'il avait guidé naguère dans sa papeterie ?
Toujours est-il que le Maître des lieux abandonna volontiers ses épais ouvrages étalés sur son bureau pour se consacrer à ses nouveaux visiteurs, se réjouissant de leur faire profiter du plaisir qu'il avait à recycler les vieux chiffons en feuillets de différentes qualités.


Matouminou a écrit:

- Messire Grandidier, nous ne voulons point embarrasser les gens qui travaillent à cette entreprise, mais il est vrai que lorsque Messire Julienas nous a parlé de cette étonnante invention,, notre curiosité a été piquée à vif.



Le Chef ne put retenir un rire franc tandis que la Dame manifestait ainsi leur désir de découvrir tout son art.

- Hi hi, oui j'imagine bien, Dame.
J'ai pu voir lors de sa première visite à quel point il pouvait s'enflammer quand une chose éveillait sa curiosité.
Moi qui l'avait pris pour un homme plein de mesure, sobre dans ses gestes... Vous l'auriez vu sautant ici et là comme un cabri, s'attardant ici, se tournant prestement de là...
Et accumulant les questions...


Il marqua une pause, considéra la jeune femme, puis reprit :

- Mais vous ne nous embarrassez pas, soyez sans crainte.
J'ai plaisir à recevoir des personnes réellement intéressées par nostre travail, d'autant que mes employés ne vont pas s’arrêter de travailler pour autant.


Et se dirigeant vers la porte, il baisse la tête et avise le baluchon de tissus usés laissé en bas des marches par le trio.
Il sourit alors et se tournant vers eux déclare :


- Je vois que vous n'estes pas venus les mains vides. Fort bien !
J'avais justement proposé au frère Julienas de nous ramener de quoi troquer contre plusieurs feuillets de papier vierge, lorsqu'il serait disposé à quitter Troyes.


Il siffla entre ses dents et désigna d'un geste sec le tas de linge posé au pied de l'escalier.
Un homme bien bâti actionna un manche en bois vers le bas puis vint prendre possession du sac qu'il décolla rapidement pour le poser sur son épaule droite.


- Venez, suivons-le pour découvrir le début de la fabrication qui a "piqué vostre curiosité à vif"...

Et, en homme pratique rompu aux actions où l'efficacité est de mise, il s'engagea dans l'escalier en premier. Ce n'était pas tant par galanterie, non. S'il en usait hors le Moulin, en son atelier il s'agissait plutôt de les guider et d'éviter une chute accidentelle de la jeune femme. Même s'il n'avait pas manqué de noter qu'elle portait des bottes, détail important pour lui, nettement préférables à ces chausses dont se parent les Troyennes endimanchées qu'il avait l'habitude d'accueillir... non sans crainte...

Et tandis qu'il descendaient les marches, il précise :


- Mais pour en revenir à cette "invention" comme vous disiez... Celle-ci n'est pas si récente.
Je connais un moulin à papier, à Troyes mesme, qui date de 1348...
Mais bien avant ça, d'autres peuples en maîtrisaient déjà la fabrication, qu'ils ont su conserver longtemps secrète...







































Stromboli
Le rouergat suivait la petite troupe. Il fourrait son nez curieux un peu partout, avide de découvertes et de connaissances. Il avait eu la chance d'être élevé en partie par un homme qui avait fait naitre en lui ce gout de la découverte et du savoir. Alors visiter un moulin où l'on fabriquait du papier, cette matière encore rare et trés peu utilisée à travers le royaume, et qui pourtant semblait pleine de promesse et vouée à un avenir certain, était pour lui une véritable aubaine à ne pas rater.

Il suivi derrière Matou l'homme qui descendait l'escalier légèrement périlleux, tournant la tête de temps à autre pour s'assurer que Julienas n'était pas tomber dans quelques trous. Tout en descendant les marches, il suivait les explications de l'homme et faisait le lien avec quelques éléments qui lui revenaient en mémoire.

Son ailleul, qui était passioné par la culture Arabe, lui avaient appris beaucoup de choses sur leurs avancées. Le papier en faisait partie, même s'il ne figurait pas au long registre de leurs inventions, la recette ayant été acquise lors d'une victoire plusieurs siècles auparavant. Pour autant, le brun n'en avait encore jamais vu jusqu'à l'arrivée de Julienas. Chose étonnante vu que sa propre maison était un véritable cabinet de curiosités.


- Messire Grandidier, parlez-vous des peuplades d'Orient lorsque vous faites allusion à des hommes maitrisant ce savoir bien avant nous ? Votre méthode de fabrication est-elle similaire à celle employée par ces pioniers ?
--Grandidier



Le Maistre papetier écouta le sieur Stromboli avec attention. Décidément, lors de la première visite du frère languedocien, il avait pu juger de l’intérêt que celui-ci portait pour les supports de l'écriture ou caractères d'imprimerie. Mais si sa science était relativement étoffée en matière de parchemin et vélin, il s'était rendu compte de sa quasi ignorance quant à la fabrication du papier. L'échange de savoirs avait donc été fructueuse, et l'artisan en conservait un excellent souvenir.
Et voilà qu'il amenait à lui des visiteurs, qui non seulement témoignaient de leur intérêt pour sa noble activité, mais de surcroît semblaient déjà dotés de connaissances préalables sur le sujet. Notamment les papiers fabriqués en Orient...
Le Maistre jubilait.
"Encore une rencontre fort prometteuse", se disait-il.


Il marqua le pas, puis obliqua dans un couloir sur la droite, comme s'il eut décidé de changer l'itinéraire de la visite subitement.
Il les invita à le suivre, puis il ouvrit une petite porte qui débouchait sur une pièce en longueur, visiblement destinée à recevoir des visiteurs en nombre.
Le décor était très sobre, murs de pierre et poutres teintées... mais d'une propreté irréprochable.
Des tonneaux dressés alignés sur une rangée centrale, couverts d'anciennes meules aux angles émoussés, faisaient office de tables de réception.
Sur les murs, des peintures et des croquis à l'encre sur ton clair rendaient hommage à la matière produite au Moulin. De parts et d'autres d'un grand tableau représentant le Moulin de la Terte, s'alignaient des portraits, des appareillages et installations et des lieux autant insolites que variés.


- Voila, nostre musée vous est ouvert, dit-il en ouvrant les épaisses tentures qui aveuglaient les lucarnes.

Et se dirigeant vers un cadre accroché au-dessus d'un buffet en noyer, il se planta devant.

- Un érudit nommé Ibn al-Nadîm. Au Xème siècle, dans une ville d'Irak nommée al-Ḥadîtha, il avait rencontré un amoureux des livres qui possédait des trésors. Il a témoigné ainsi de l'existence, à cette époque, de plusieurs sortes de peaux de fabrication ancienne, des papyrus d’Égypte, du papier chinois, du parchemin de la Tihâma... du papier du Khorâsân...

Il s'interrompit, puis reprit en les regardant tour à tour :

- Bon, le temps vous étant compté, l'Histoire du papier ne vous sera pas contée, dit-il satisfait de son "mot". Du moins dans son intégralité, ajouta-t-il esquissant un sourire.
D'autant que mes connaissances sont parcellaires et comportent de grandes lacunes. C'est que... je suis avant tout un manufacturier voyez-vous, hein.

Mais ceci-dit, sans trop s'étendre, on a coutume de dire que les secrets de la fabrication du papier détenus par les Chinois auraient été transmis au monde arabo-persan par les prisonniers de la bataille de Talas, en 751. Le calife d'alors en aurait ordonné ensuite l’emploi dans l’administration car le papier est plus difficile à contrefaire que le parchemin.


Il se tourne alors vers le buffet, distribue des exemplaires de papier produits au Moulin à ses visiteurs attentifs tout en poursuivant son discours.

- Il semble que le lin et le chanvre aient constitué les matières premières les plus répandues. La forme consistait en une sorte d’écran de tiges végétales posé sur un châssis, les tiges étant liées entre elles par des fils de chaînette dont la disposition varia avec le temps et les régions de production.

Alors, l'évolution qui nous amène à ces échantillons que vous tenez dans vos mains passe par l'Espagne puis les italiens.
Je ne vais pas m'attarder sur les détails mais pour résumer...


Il inspira fortement, le poing serré devant sa bouche, cherchant à mettre en forme ses idées de façon concise.

- Les premiers papiers italiens portent l'empreinte de fils de chaîne disposés à intervalles constants. De plus, les formats des feuilles du papier arabe occidental devinrent plus réduits que ceux du papier arabe oriental, puis de mesme pour les papiers catalans et italiens.
Et puis, apparaissent ensuite les marques distinctives qui permettent d'identifier l'origine du papier, comme des lignes brisées caractéristiques, ou une suite de traits discontinus laissés au centre de la feuille, par exemple... Ce sont les filigranes qui furent rendus obligatoires en France par Louis de Tignonville, bailli de Troyes, en 1398, puis par Charles VI, en 1409.

Tenez, regardez à travers vos feuilles en les intercalant devant ces fenestrons. Vous pouvez voir des motifs particuliers. Selon les destinataires, nous pouvons ainsi figurer des symboles religieux pour l'Eglise Aristotélicienne, des armes pour les militaires, des outils selon le corps de métier concerné, des plantes, animaux, et j'en passe...


Il leur laisse le temps d'identifier leur motif respectif, sachant qu'habituellement, les yeux non exercés des visiteurs nécessitaient plus de recherche que ceux des gens du métier.

- Maintenant, avec les falsifications dont sont victimes nos clients, la Cour nous impose des règles de plus en plus draconiennes et je ne peux vous montrer nos produits officiellement reconnus et admis par les derniers traités en vigueur.

Il marque une légère pause avant de conclure :

- Je vous montrerai toutefois une toile entièrement métallique, faite de fils très fins et réguliers. Ainsi que le fil de laiton qui sert à marquer ce fameux filigrane.

Il se penche alors et ouvre une porte du buffet. Il en sort une carafe de ratafia, retourne quatre verres situés sur une des tables au centre de la salle et les emplit en silence pour mieux faire profiter ses hôtes de la dégustation dans sa globalité.
Ceci fait, il pose la carafe, distribue les verres à chacun puis, gardant le sien en main, conclut :


- Enfin voila l'essentiel. Pour le reste, à l'instar des italiens, nous nous efforçons de produire d'avantage, plus vite et à moindres coûts.
De là sans doute la perte de vitesse du papier arabe aujourd'hui, moins concurrentiel que celui produit sur nostre continent...
C'est qu'avec l'invention de l'imprimerie, il y a de ça une quinzaine d'années, on ne manque pas de clients.
Ce qui nous fait défaut, il faut bien le dire, c'est la matière première, les chiffons...
Vous ne pouvez imaginer les prix qu'offrent parfois les chiffonniers pour nous alimenter !
Avec une hausse des frais au final pour nous aussi...


Et levant son verre, il dit :

- Enfin, santé à vous. Et bonne route ensuite, si j'ai bien compris vos projets ultérieurs...

...

Ils reprirent ensuite la visite du Moulin, par la partie fabrication proprement dite.
Maistre Grandidier leur montrait chaque étape, ne négligeant aucun détail.


- Chez nous, on use de vieux chiffons de lin et de chanvre déchiquetés. Avisez vostre sac de tissus qu'ils sont en train de trier...
Ils vont estre ensuite découpés en petits fragments avant d'estre trempés dans l'eau pour macérer durant onze jours.


Il les invita à le suivre puis commenta :

- Ici, ce maillet va les broyer tandis qu'ils seront plongés dans ce baquet d'eau.
Attention ! Il contient de la chaux, celle-ci favorisant le broyage...


Il élève le lourd maillet et montre le dessous.

- Pour ralentir l'usure de la tête des maillets, nous ferrons la partie active avec des clous. Le papier obtenu est de bien meilleure qualité ! dit-il en souriant.

Ensuite, la bouillie ainsi obtenue est passée dans les auges des raffineuses. Les clous sont émoussés cette fois pour seulement écraser les fibres sur cette platine en bronze.
On transforme de la sorte la paste sure en une paste grasse et onctueuse.
Tenez, plongez la main, sentez comme c'est doux...


Leur laissant le temps d'apprécier il lève un autre maillet, exempt de clous cette fois.

- Et ici, dernière étape du raffinage, le bois caresse la pâte et ne sert qu’à affiner, coller et colorer.

Puis il tend la main en disant d'une voix forte :

- Ensuite, la paste est réduite en feuilles séparées sur ces châssis perméables.
Entre ses feuilles, on intercale des étoffes de laines, pour presser l'ensemble sous ce pressoir.


Il actionne alors un mécanisme pour mieux illustrer le principe.

- Le liquide excédentaire s'écoule par ces lumières, entre les lames, puis descend par gravité dans cette rigole, voyez...

Il lâche le long manche puis leur fait signe de le suivre.

- C'est ici que ces feuilles écrasées viennent sécher, à l'ombre, avant d'estre immergées dans une paste fabriquées à partir de déchets de cuir ou chutes de peaux bouillis.
Comme celles que vous pouvez voir là...


Il leur laisse le temps de bien observer, puis ouvre une grande porte de bois.

- Nous voici au terme de la visite.

Il attend que tous soient entrés puis explique :

- Voila, dernier séchage ici, puis lissage avec du verre...

Il frotte la surface d'une pile de papier que l'on vient de découvrir.

- Voyez, on peut écrire dessus, celui-ci est fin prêt, dit-il d'un air ravi.

Il va à la rencontre d'un gars qui entrait, discute quelques instants avec lui, puis revient auprès de ses visiteurs en disant :

- Je vous fait préparer une provision de papier, à peu près équivalente à vostre sac de chiffons.
Je ne tiens pas compte des tissus éliminés lors du tri initial,
ajoute-t-il en riant doucement...

Matouminou


Elle faisait particulièrement attention à ne pas faire de faux pas, l'escalier étant étroit et plutôt sombre, elle se félicita d'avoir mis ses bottes.
Elle écoutait l'homme qui était passé devant elle, se disant que si elle tombait, au moins, il l'arrêterait.

Elle entendit Stromb, derrière elle, poser une question et sourit, il était curieux de nature et nul doute que, tout comme elle, il était enchanté de cette visite imprévue. Elle songea qu'il faudrait qu'elle remercie Julienas. Ce genre de rencontre était suffisamment rare pour qu'on ne les marque pas d'une petite attention. Des gens banals, ils en avaient croisé...des gens de qualité, nettement moins.

Elle vit le maitre papetier obliquer vers la droite dans un petit couloir, et le suivit. Il s'arrêta à hauteur d'une petite porte, et ne tarda pas à l'ouvrir. Ils se retrouvèrent dans une pièce curieuse, qu'il présenta comme étant le musée. Elle était toute en longueur. Bien que le décors fut simple, il n'en restait pas moins surprenant. Des tonneaux faisaient office de table, aux murs, se trouvaient divers tableaux et dessins. Elle les observa, s'attardant sur celui représentant magnifiquement le Moulin de Terte.

Puis, elle alla le rejoindre à côté d'un tableau représentant un homme. Elle écouta les explication le concernant.
Messire Grandidier était captivant, et lorsqu'il se lança dans le récit de l'histoire du livre en annonçant toutefois qu'il ne la leur raconterait pas dans son intégralité, elle fit une petite moue déçue. Il est vrai qu'un bateau les attendait, elle secoua légèrement la tête, songeant que le sujet la passionnait déjà, et qu'elle demanderait à Julienas s'il n'avait point quelques livres afin de compléter les explications qu'était en train de donner Messire Grandidier.
Elle ne put s'empêcher de s'exclamer quand il annonça que la fabrication du papier datait d'avant 751, et que son secret avait été détenu par les chinois. C'était donc une très vieille "invention". Pourquoi l'occident était-il resté aussi longtemps dans l'ignorance?

Elle prit les quelques exemplaires qu'il leur distribuait, les regarda, admirant leur finesse et leur légèreté, non sans continuer d'écouter l'historique qu'il faisait de l'évolution du papier à travers les siècles.

Il les invita à regarder à travers les papiers qu'ils tenaient en main, ce qu'elle fit en les intercalant devant les fenestrons afin de faire passer la lumière au travers.

Elle poussa un petit cri:


- Mais oui, on voit nettement des motifs...ohh..je vois deux épées croisées...et là...un lion...


Elle rougit de son intervention enthousiaste et se tut. Le papetier poursuivit, abordant le sujet des falsifications fréquentes de ces symboles, amenant la cour à imposer des règles drastiques et secrètes, semblai-t-il.

La suite fut toute aussi intéressante que l'histoire racontée, puisque l'homme ouvrit un buffet et en sortit tout ce qui était nécessaire pour trinquer, à savoir des verres et une carafe dont le liquide mordoré, laissait promettre de bien douces sensation au palais.
Elle prit le verre qu'il lui tendait en le remerciant. Il termina par ce qui, finalement, était le nerf de tous commerces! l'argent, les prix des matières premières et la hausse des frais que cela ne manquait pas d'engendrer.

Puis, il leva son verre
:

Citation:

- Enfin, santé à vous. Et bonne route ensuite, si j'ai bien compris vos projets ultérieurs...


Elle leva aussi son verre, trinqua, et en but une gorgée. La boisson, légèrement liquoreuse, avait un bon gout de raisin.

Ainsi se termina l'histoire écourtée, certes, mais ô combien instructive, du papier.
Ils n'en avaient pour autant pas fini leur visite, et la suite fut tout aussi passionnante puisqu'il s'agissait de voir la fabrication du papier en elle-même. A chaque étape, Messire Grandidier leur donnait les explications leur permettant de bien comprendre le mécanisme.
Elle regarda un instant le maillet, imaginant son action de broyage des tissus.
Elle s'approcha du baquet contenant de la chaux. Cela lui fit penser à de la crème fraiche avec toutefois une consistance un peu plus épaisse.

Puis, elle plongea sa main dans une espèce de paste et sourit, car en effet c'était très doux.
Elle écouta la suite avec attention, se disant, avec émerveillement, que la base de cette fabrication était des chiffons issus de vêtements.
Elle ne put s'empêcher de sourire en imaginant la tête de ses amis lorsqu'elle raconterait cette visite, et leur air surpris quand elle leur montrerait les feuilles de papier, leur disant d'un ton empli de solennité ... "c'est ce qui est en train de remplacer le parchemin!"

La visite se termina tranquillement. Il leur annonça qu'il allait leur faire préparer une provision de papier.
Elle s'approcha alors de lui, et lui dit d'une voix où perçaient chaleur et reconnaissance:


- Messire, je ne sais comment vous remercier, non seulement vous avez pris de votre précieux temps pour nous faire visiter le musée et l'atelier de fabrication, mais en plus vous nous avez fourni des explications très claires. La néophyte dans ce domaine que je suis a tout compris.


Elle lui sourit et poursuivit:

- Merci également pour le papier. J'avoue que j'ai été surprise et ravie, lorsque Julienas a eu la gentillesse de nous en montrer un échantillon, de voir la finesse du grain et la légèreté de la feuille. J'ai vraiment hâte d'écrire dessus.

Quoi qu'il en soit, nous n'oublierons pas cette visite aussi instructive qu'agréable.


Le temps avait filé, il leur fallait rejoindre la ville. Elle salua avec grâce une dernière fois le maître papetier. Puis, ils prirent congé.




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Julienas



Il tâta les feuillets de papier découverts et en compara le toucher avec les exemplaires remis par le Maistre des lieux.
Difficile d'imaginer que ceux-ci provenaient de vieux chiffons pour qui n'avait assisté aux différentes étapes de la transformation.
Alors qu'il méditait à nouveau, comme depuis sa première visite, sur les moyens d'adapter cette fabrication à un usage personnel, avec les moyens du bord, l'heure des salutations arrivait. C'est qu'il ne fallait pas tarder s'il ne voulait pas manquer le départ du bateau sur la Seine...


Alors, ravi de cette seconde visite et de la prestation du Maistre papetier qui semblait satisfaire ses nouveau amis, il le remercia chaleureusement.

- Hé oui mon frère, nous devons hélas vous quitter et vous rendre à vos tasches qui visiblement vous procurent un vif plaisir et dont vous vous acquittez avec passion semble-t-il.
Merci encore pour la visite et pour ce papier que je ne tarderai pas à utiliser
, dit-il en soulevant ses mains qui tenaient la pile épaisse offerte par Maistre Grandidier.

Et tandis qu'il allait faire demi-tour, il s'adresse une dernière fois à lui en disant :

- Je ne manquerai pas de vous faire connaistre auprès de mes frères et soeurs qui usent encore de parchemins et de vélins pour leurs écrits.

Souriant légèrement, il ajoute :

- Oui, j'ai bien retenu la leçon. Malgré vos fréquentes pénuries de chiffons, outre le coust qui reste tout de mesme moindre que celui du parchemin et plus encore du vélin, j'ai bien noté que vostre papier est également bien plus difficilement falsifiable que ce mesme parchemin.
Je suis donc convaincu qu'il devrait intéresser bon nombre de mes relations...



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--Grandidier



Maistre Grandidier hocha la tête, tout sourire, et dit au jeune couple :

- Je suis extresmement enchanté d'avoir pu vous faire découvrir nostre petit monde. Vraiment ravi que cela vous ait intéressé à ce point...

Il les salue alors en leur offrant une poignée de main franche et vigoureuse, puis ajoute en regardant Julienas en riant :

- "Difficilement falsifiable"... Je reconnais bien là l'esprit de celui pour qui rien n'est certain, si ce n'est sans doute sa Foy en Nostre Très Haut...
Il est vrai que rien n'est absolument infalsifiable, des discussions toujours en cours et des projets de lois en attestent.
Ceci-dit, nos clients prestigieux dont j'ai pris soin de taire les noms au cours de la visite, confidentialité oblige, nous renouvellent leur confiance chaque année. Ce qui témoigne bien de la fiabilité de nos produits...


Il allait mentionner les filigranes propres au fabricant, plutôt qu'à l'usager, mais s'en garda bien.
Il se contenta donc de dire finalement :


- Si vous souhaitez passer commande à l'avenir, je vous garantirai un traitement particulier. Vous pouvez me faire confiance...

Propos qu'il ponctua d'un clin d'oeil complice.


Julienas



[Quelque part sur la route entre Premierfait et Vertus]


"Ce sera 'co' une fille ma belle ! dit la Gysèle d'un ton péremptoire en laissant retomber la coiffe de la blonde.

C'est qu'elle ne se trompait jamais la Gysèle ! Du moins à ce qu'elle disait...
Il lui suffisait d'observer le dessous d'une chevelure, quelle que soit son ampleur, au niveau de la nuque à la racine des cheveux pour savoir.
"Crète pointue décrète couillu" affirmait-elle toujours sérieusement.


- Qu'é malheur ! Comme si on avait pas assez de deux gaichenottes à nourrir. Avec le Jehan qu'est 'co' malade aussi... C't'enfant-là, on l'a fait marcher trop jeune ! Il a les jambes de travers.

Elle secoua la tête de gauche à droite.

- Nous, c'est plutost d'un aut' couillu qu'on aurait ben besoin. Surtout que l'ouvrage devrait pas manquer avec c'te forest à abattre près de l'étang tantost.

La Mathilde, convaincue d'attendre une fille, haussa les épaules, fort dépitée, puis reprit :

- Parait qu'on va y construire murailles à c'qu'y disent en ville. Le temps qu'il grandisse, y pourrait toujours besogner aux fagots... L'en faut du bois pour un chantier.
Et la dote ? Comment qu'on va s'en sortir avec ça encore ? Déjà qu'on n'a plus le sou... Pfff...


Les femmes gerbaient inlassablement les javelles que les hommes venaient de faucher tandis qu'elle poursuivait ses jérémiades. C'est qu'il fallait se hâter pour moissonner, avec le soleil enfin revenu. Un printemps pourri et un début d'été guère meilleur avaient retardé la croissance des blés, tout comme celle des autres céréales cette année.
Les plus jeunes, encore enfants, riaient sous cape, encore inconscientes des conséquences que pouvait avoir la naissance d'un enfant dans une famille qui trimait pour survivre. Quand encore on parvenait à s'acquitter des différents droits...


- Eh dis-donc la Mathilde, pourquoi qu'vous changeriez pas de bouc avec la Berthe ? Le temps que chacune engrosse de son bourre-les-miche. On dit que son homme à elle lui fait que des gars. Parait qu'elle en resve, elle, d'avoir une fille... Hein la Berthe ? cria la Marthe, en ricanant.

Les autres rirent de bon coeur et les plaisanteries fusèrent de toutes part, les plus hardies rivalisant de grivoiseries.
Au point que plusieurs avaient cessé de lier les bottes de blé avec les liens de seigle quand arriva Guillaume Vaupré, le messier chargé de veiller au bon déroulement de la moisson.


- Alors mes cocotes, on tient la cadence ? demande-t-il avec un sourire narquois.

- Chante beau merle. T'es pas prêt d'en plumer une va ! lance la Gysèle en ponctuant sa réplique d'un grand éclat de rire.

- Oui, mesme en faisant la roue, t'as aucune chance, jeune paon ! renchérit la vielle Emma.

Vu l'état d'euphorie des femmes et convaincu qu'il ne les remettrait pas au travail de suite, il prend le petit tonneau au pied du pommier, à l'ombre, et boit directement au "bousset", comme on dit en Auvergne.

- Le v'la qu'y noye son chagrin dans la vinasse le pauvre ! s'exclame de nouveau Emma, ce qui ne fait qu'accroître les rires des autres.

Abaissant le tonnelet, il voit alors approcher le frère du Languedoc qui le salue d'un signe de tête, avec un sourire entendu.

- Bonjour à vous, lance-t-il, surmontant sa gêne d'interrompre la folle gaieté du petit groupe.
- Pardonnez-moi, est-ce bien la route qui mène à Vertus ? demande-t-il sans se départir de son sourire, conscient du caractère saugrenu de sa question dans le contexte.

- Tout droit l'ami, répondit l'intendant, ravi de cet épisode propice à calmer l'euphorie de ses railleuses.
Et il s'empressa de saisir l'occasion pour les remettre au travail en frappant dans ses mains.


- Allons mesdames, faut finir cette parcelle avant sexte si vous voulez avoir de quoi glaner au soir.

La formule était lancée. C'en était fini de l'oisiveté. Même si le droit de glanage était illusoire, le peu de chaumes récoltés permettait quelques réparations des toitures malmenées par les conditions climatiques austères. Et pour qui manque de tout, un peu vaut mieux qu'un rien...

Le frère remercia son interlocuteur et salua le joyeux groupe avant de poursuivre son chemin. Il médita alors une fois de plus sur la formidable adaptation de l'espèce humaine qui savait surmonter les affres du quotidien, pour peu qu'elle conserve quelque espoir d'améliorer sa condition...

Lorsqu'il arriva au virage en surplomb, une jeune fille, qui s'était tenue un peu à l'écart des autres durant l'échange, vient à sa rencontre.


- Bonjour mon frère, dit-elle timidement. Pardonnez-moi de vous importuner mais je me disais... Enfin je crois que...

Devant son visible embarras, il sourit avec bienveillance pour l'encourager et dit alors :

- Bonjour ma soeur, parlez sans crainte, j'ai l'habitude d'entendre toutes sortes de choses...

Encouragée par ses paroles autant que par son attitude, elle se lance alors en fixant sa croix aristotélicienne pendue à son cou :

- Venez-vous de Saint Jacques ?

Il secoue la tête en signe de dénégation et avant même qu'il ne réponde, elle ajoute, comme pour justifier son audace :

- Mon Frédérique ne m'a pas donné signe de vie depuis deux semaines, et comme il est en pèlerinage... Je me disais que peut-estre...

Considérant la jeune fille en conservant un visage impassible, ne souhaitant lui causer ni tracas, ni lui donner de faux espoirs, il répond :

- Bah... On ne trouve pas toujours de quoi écrire quand on voyage vous savez. Je comprends vostre inquiétude mais attendez un peu avant de vous tourmenter.
Le Très Haut veille sur nous et je suis certain que vostre ami est sous Sa protection, quoi qu'il arrive. Après...
dit-il en élevant légèrement son bras droit, Lui seul sait ce que sera demain et ce qu'il accordera à vostre... Frédérique, ajoute-t-il en esquissant un sourire.
Ayez confiance ma soeur. Je prierai pour lui, j'en fais le serment ! Et je vous invite à en faire de mesme... ou à poursuivre...

- Oh pour ça ! Je ne cesse de prier pour lui mon frère. J'aimerais tant recevoir ne serait-ce qu'un court message. Ou mesme un simple témoignage m'assurant qu'il est toujours en vie. Mesme malade, voire blessé...

Il l'interrompt de suite, accompagnant ses paroles par des gestes de ses deux mains.

- Teu, teu ! Que dites-vous là ! Cessez de songer au pire. Gardez confiance et priez pour lui ma soeur."

Et c'est en sanglots qu'elle prit ses mains et le remercia pour ces quelques mots d'apaisement. Le simple fait de s'être confié à cet inconnu l'avait déjà libérée d'un certain poids.
Le frère comprit alors que la jeune fille avait besoin de réconfort. Il la questionna sur son ami, l'écouta longuement. Au fil de la discussion, alors qu'elle évoquait les beaux jours passés en compagnie de celui qui lui était le plus cher, son visage reprenait graduellement des couleurs.

L'heure n'était plus ni à Vertus, ni à Pleurs...
Bouzy aussi pouvait attendre...



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Nicolas.dubois



[Auberge du Coq Rouge, Bouzy - Plusieurs jours plus tard]


Nicolas Dubois entra dans la taverne et suspendit sa toque au gros clou planté entre la porte donnant sur la rue et celle des latrines.

- Bonjour m'amie, c'est moi, cria-t-il en frottant son pourpoint bleu par lequel il affichait l'importance qu'il accordait à la sincérité, qualité précieuse dans le monde des affaires...

- Hummm, ça sent le coq au vin, il en reste ? J'ai une faim de loup ! poursuit-il en traversant la grande salle principale qu'il balaya d'un regard circulaire.

Puis il posa sa valise au pied de l'escalier en disant :


- Un brave bougre que ce Poudevigne ! Je viens de le croiser, il m'informe qu'après son traitement, le blanc de la Combe est sauvé.
Perdre autant de pièces aurait été catastrophique, surtout cette année !
Déjà qu'avec ce soleil de plomb...
Juillet pourri, août trop sec... C'est maintenant qu'il faudrait de la pluie si on veut du volume pour les vendanges...

Agathe tu es là ?
Agathe ?


Agathe.


"Agathe, tu es là ?

La blonde se hâtait dans la chambre du fond quand elle entendit la voix à travers les lames du parquet.
Elle secoua les plumes de la couette, l'ajusta prestement non sans soin avant de s'élancer dans le couloir qui menait à l'escalier.
Rejetant son liripipion en arrière et achevant de réajuster sa gonelle, elle dit à mi-voix en dévalant les marches :


- J'arrive, j'arrive... Moins fort. Le petit dort encore...

Son oeil exercé lui indiqua de suite que son Nicolas avait voyagé sans encombre. Son port altier et l'état de ses vêtements en attestaient à eux seuls. A en juger par les traits de son visage rayonnant, quoiqu'un peu fatigué, et le ton de sa voix, elle aurait même pu avancer qu'il avait signé des contrats prometteurs pour les jours à venir.

Et tandis qu'elle parvenait en bas du grand escalier, alors qu'elle savourait les fruits de ses réflexions issues de ses observations scrupuleuses, elle réalisa qu'elle aussi était capable de lire à travers les faits et gestes d'autrui. Observer, conjecturer et vérifier ses hypothèses... Elle aussi maîtrisait cet art qu'elle pratiquait, sans en avoir pleinement conscience, avec son époux depuis tant d'années. Et si l'exercice lui paraissait moins aisé dès qu'il s'agissait de ses plus lointains parents qu'elle voyait rarement ou bien des habitués de la taverne, il devenait encore plus ardu pour de parfaits inconnus.

Ainsi donc, pensa-t-elle, suffit-il d'aimer les êtres pour voir en eux comme on lit à travers les lignes d'un livre ?
Si tel est le cas, faut-il donc que ce frère du Languedoc aime tant les gens pour les comprendre de la sorte et réussir à deviner au-delà de ce qu'ils laissent paraitre pour le commun des mortels ?

Mais l'heure n'était pas aux méditations. Les retrouvailles comportaient une succession de rites, la plupart involontaires, installées graduellement au fil des années. L'époque où l'on se jette dans les bras l'un de l'autre en se couvrant de baisers et de "tu m'as tant manqué" étaient bien révolue depuis longtemps. Elle avait progressivement laissé place à une seconde période où chacun réclame d'avantage d'attention de l'autre et n'est jamais comblé. Il y avait toujours ce petit détail qui gâchait la rencontre, quand ce n'était pas l'échange de reproches mutuels... L'époque de l'éternelle insatisfaction. L'époque des revendications... Et puis, peu à peu, ils étaient entrés dans cette nouvelle phase où ce qui prime, c'est que l'autre soit sain et sauf. Les misères et les vicissitudes de la vie vous font prendre, au fil des ans, la mesure de ce qui compte vraiment...

Elle lui sourit, il posa ses mains sur ses épaules et baisa tendrement son front. Puis il la prit dans ses bras, sans mot dire. Elle se colla contre son torse sans ajouter, elle aussi, de paroles inutiles. Tous deux savaient que les mots trahissent la pensée, à plus forte raison les sentiments... Ils étaient bien. Rassurés. C'était grandement suffisant. Nul son ne vint troubler cet instant de plénitude qu'ils savouraient religieusement...

Elle releva la tête, le fixa longuement et releva une mèche de son abondante chevelure.


- Viens. Je t'ai réservé un peu de coq de costé, dit-elle en l'entrainant vers la cuisine, tenant sa dextre.
Tu me raconteras tout en mangeant..."

Nicolas.dubois



Et ils parlèrent.
Tout au moins, il parla !

Tout en dévorant les restes de volaille marinée, il l'informa de ses dernières acquisitions - des pièces de rouge et de blanc essentiellement - ainsi que deux contrats signés l'avant-veille à Bruges, avec des négociants flamands. Tout en mastiquant, il décrivait des lignes courbes avec son couteau, censées figurer le trajet qu'empruntaient les navires marchands voguant vers le nord où ils livraient leur précieuse cargaison achetée sur les foires de Champagne.


Bruges, tu comprends Agathe... C'est important. Avec nos foires en déclin, une grande partie du commerce entre la France et les Flandres se trouve déportée la-haut aujourd'hui. Tu verrais leur port..
. disait-il le regard perdu dans le vide.

Il prit le verre à vin délicatement décoré, cadeau d'un client vénitien qu'ils utilisaient dans l'intimité exclusivement et dans les grandes occasions. Il l'amena sous son nez, huma le cépage d'Ay, le mira à nouveau et but une petite gorgée. L'air siffla entre ses dents avant qu'il ne déglutisse. Après un hochement de tête en signe de satisfaction, il poursuivit son verbiage...


Julienas



[Bouzy, non loin de là...]

Dans les odeurs de crottin et de poussière, les villageois s'affairaient sur la place du village. D'un petit groupe qui conversait près de la fontaine, il perçut quelques rires. Sous le hêtre tortueux, un jeune couple en pleines confidences... Plus loin, un charretier gourmandait deux enfants qui courraient après un chat.

"'Pouvez pas jouer plus loin non ? Y'en a qui triment ici !" braillait le type, brandissant son bras musclé menaçant en direction des mômes.

Il entra dans la petite église de style roman en songeant à Saint Basle, ce vieil ermite du VIème siècle qui avait décidé de suivre les conseils du Pape Grégoire le Grand.


Citation:
"Toutes les fois que vous trouverez un temple païen, une idole, élevez auprès une église, afin que les païens accoutumés à venir déposer leurs offrandes, continuent de venir en ce lieu, mais pour y adorer le Seigneur à la place de leurs vaines divinités. Il n'est pas nécessaire de détruire les temples, il suffit d'en changer l'usage."


Entre Reims et la Lorraine, plusieurs chapelles et oratoires témoignaient encore aujourd'hui du passage de l'ermite qui ne manquait pas d'honorer la mémoire du célèbre archevêque rémois Saint Remi partout où il pouvait.

Bientôt sexte. L'église était déserte. L'architecture ancienne aux murs épais et peu ouverts rendait l'intérieur plutôt sombre, particulièrement à l'heure où le soleil était à son zénith. Le chœur avait perdu son embrasement matinal et sommeillait en espérant quelques lueurs vespérales.

Il se rendit à l'autel et, ne sachant à quel saint se vouer, décida de s'en remettre directement à son Très Haut.
Il pria ainsi longuement pour la garison du jeune Pierre alité à l'auberge du Coq rouge depuis maintenant trois jours. Ses soins réguliers et ses prières, ainsi que le sommeil du novice, avaient des effets salutaires sur la santé de l'enfant. Sans oublier les tisanes de la belle Agathe. La tavernière, maternelle comme pas deux, veillait comme une mère poule sur son nouveau petit protégé qui recouvrait graduellement ses forces et dont les navrures cicatrisaient bien.

C'est qu'il espérait que celui-ci soit sur pieds au plus vite, afin de reprendre la route vers l'Abbaye de Saint Pierre d'Hautvillers où les attendait son cousin Ignon. Cet atermoiement tombait bien mal. Précisément au moment ou son cousin l'enjoignait de se hâter pour d'obscures raisons qu'il qualifiait de "graves", mais qu'il ne pouvait détailler dans son message apporté par le jeune Pierre.

Il pria enfin pour ceux à qui il tenait particulièrement au point de se surprendre à soliloquer. Quelques vers du champenois Ruteboeuf sortirent de sa bouche malgré lui, à peine audibles.


"Que sont mes amis devenus ? Que j'avais de si près tenus et tant aimés. Ils ont été trop clairsemés..."

...

La place était vide quand il sortit de l'église. Ses pas le menèrent tout droit vers l'échoppe d'un fripier qu'il avait avisée auparavant. Il salua le curieux personnage aux rares cheveux ébouriffés puis pénétra dans l'obscure pièce unique, sans trop d'espoir il est vrai. Mais sait-on jamais...

Les quelques pièces d'étoffes et vêtements les plus neufs exposés en pleine lumière sur la rue ne l'intéressaient pas. C'était au contraire le fond du magasin qui l'attirait, là où les troisièmes, et même quatrièmes mains, à peine ravaudées ou vaguement reteintes attendaient dans la pénombre de trouver acquéreur chez le client guère avisé. Il y examina quelques besaces de cuir et, sans surprise, n'en trouva aucune qui pût appartenir à son jeune protégé. Si le cuir pouvait se teinter aisément, dissimuler le sceau de l'Abbaye incisé sur fond repoussé dans la peau même devenait plus improbable. Nul doute que ces brigands aient pu tirer quelque bénéfice de la sacoche en question. Seulement, après trois jours, celle-ci devait se revendre sous forme de lacets, bourses ou autre menus ouvrages de reconversion.
Il fureta ici et là à tout hasard dans l'échoppe tandis que le vieux demeurait toujours silencieux. Son intelligence de commerçant avait eut tôt fait d'identifier son homme. Des vêtements sobres, usés mais bien entretenus, ravaudés méticuleusement, une barbe et des cheveux propres, à l'instar des mains jusqu'à l'extrémité des ongles... Bref, pas le genre de client qui vous apporte l'affaire du siècle. Trop fauché. Et trop peu soucieux des apparences, excepté la propreté. Il avait donc tardé à l'aborder, attendant d'en apprendre un peu plus sur ses intentions en l'observant à la dérobée.

Alors qu'il examinait la dernière bourse arrivée la veille, n'y tenant plus, il s'approcha.


"Monsieur cherche quelque chose de particulier ? Je peux vous aider peut-estre ?

Jules inspira profondément, le regarda, dubitatif puis dit :

- Ma foy, possible... Oui...
Je dois rendre visite à un ami, qui vit non loin d'ici. Et cet ami affectionne particulièrement les accessoires en cuir. Aussi, je me disais que peut-estre je pourrais trouver chez vous un présent qui lui fasse plaisir. Sont-ce là tous vos articles en cuir ou en avez-vous d'autres ?


Le fripier le toisa, puis exhiba les rares dents qui lui restaient avant de répondre :

- C'est effectivement tout oui. J'attends de nouveaux articles avant les vèpres, ou bien demain au plus tard.
Si vous voulez repasser tantost... Ce sera un plaisir de vous satisfaire Monsieur. Je suis certain que vous trouverez chausse à vostre pied, si vous permettez l'expression. Et si je puis vous estre utile, n'hésitez pas à demander.


Il le salua et s’apprêtait à tourner les talons quand Jules le retint en lui demandant d'emblée :

- Oui, distes-moi mon frère... J'aurais besoin de quelques herbes médicinales pour un compagnon blessé. Pourriez-vous m'indiquer où je pourrais m'en procurer je vous prie ?

Le vieil homme surpris par le tournant que prenait la conversation sembla hésiter puis finit par lâcher :

- Il y a bien l'Ysabeau, qui demeure dans la baraque à la sortie de Bouzy... sur la route d'Ambonnay, seulement...

Il soupira, ses épaules tombèrent.

- Vaut mieux que j'vous dise... Elle a pas bonne renommée au village. Mesme si tout le monde, ou presque, finit par la mander quand il a un coups dur...

Puis il ajouta à mi-voix :

- On dit mesme que les dames la consultent pour se débarrass...

Il n'acheva pas sa phrase, une femme élégante entrait dans la boutique, boulangère de son état selon l'observation rapide de Jules qui en savait suffisamment.
Il profita de l'occasion pour prendre congé et se dirigea vers la sortie du village, direction Ambonnay, en quête de la maison de la sulfureuse Ysabeau...



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Julienas



Si, dans la rue principale, les maisons à pan de bois étaient techniquement très proches - quand elles n'étaient pas mitoyennes - les écarts entre les habitations augmentaient à mesure que l'on s'éloignait du centre du village. On construisait également en hauteur sur les bâtiments déjà condensés, faute d'espace disponible. Ainsi les dernières maisons à la sortie du village étaient toujours plus basses, en retrait de la voie principale, entourées de jardinets enclos utilisés au maximum.

Il s’approcha d'une de ces cabanes de torchis, devant laquelle deux enfants s’occupaient à s'épouiller.


"Bonjour mes enfants. Je cherche Ysabeau, pouvez-vous me dire où je puis la trouver ?

Le petit rit tandis que les yeux de la grande abandonnèrent la tignasse blonde pour se poser sur le frère languedocien. "Un estranger que voilà" se dit-elle. L'homme lui était totalement inconnu et son étrange accent ne ressemblait à aucun de ceux qu'elle avait pu entendre jusqu'à présent.

- Qu'est-ce que vous lui voulez à Ysabeau ? demanda-t-elle âprement, avec cette hardiesse juvénile qui masque généralement une timidité excessive, quasi maladive.

Il gratifia la jeune fille d'un sourire aimable et répondit sur un ton plus bas qui se voulait rassurant :


- Rien de grave mon enfant. Je veux juste faire sa connaissance pour garir un jeune homme... Qui doit bien avoir ton asge...
On m'a avisé qu'elle demeure par ici, à la sortie de Bouzy.


Il marqua une légère pause, laissant du temps à l'enfant pour modifier ses dispositions d'esprit, puis reprit quand il vit son visage esquisser un léger sourire :

- Veux-tu bien m'indiquer où se trouve sa bicoque ?

- Celle-là là-haut, avec les herbes partout dans les salades et les légumes,
dit la grande en pointant du menton la dernière maison sur la gauche de la rue.

- Je te remercie, que le Très Haut vous protège, toi et ton petit frère... ainsi que ta famille...

- Comment vous savez que c'est mon frère d'abord ?
rétorqua la jeune fille qui avait retrouvé son air arrogant.

Jules sourit et expliqua brièvement, en pointant leurs braies, puis chemises :


- Les tissus qui constituent vos vestements ont la mesme origine. Les coutures ont été réalisées par la mesme personne. Maman sans doute ?
De plus, vous portez chacun une bourse à la ceinture, fait fort rare à votre asge, de mesme origine également...


Il tendit alors son bâton en direction de la cour.

- Ces quatres gorets qui grattent le sol en queste d'humidité, hélas trop rare en cette saison, produiront bientost, en plus de leur viande et de leur graisse, de quoi fabriquer d'autres objets en cuir, semblables à ces deux jolies bourses que vous portez.
Enfin...


Il hésita un instant, puis finit par conclure :

- Vos mains sont maculées de taches de cette bouillie de grains et d'épluchures dont il reste des traces dans ce récipient. La plante de vos pieds, quant à elle, est couverte de leur lisier... Il est alors fort aisé de conclure que vous venez de les nourrir..."

...

"Un jardin de feignante !" C'est ainsi qu'apparaissait le potager envahi par les herbes qui entourait la petite cabane d'Ysabeau. Pas un pouce carré ne laissait de terre visible. Les rares espaces entre légumes et fruits envahis d'herbes et plantes des plus variées offraient aux regards un apparent désordre sauvage qui ne pouvait qu'entretenir les commérages dans une population qui accorde beaucoup d'importance au travail de la terre.

Pourtant, le constat était tout autre pour qui a fréquenté assidument les jardins de simples d'abbaye et qui a consacré des jours à étudier les recueils de pharmacopée qu'elles conservent dans leurs bibliothèques. Ici, verveine, chélidoine, plantain, orties, grande aunée côtoyaient panais, laitues, navets, aulx, oignons, poireaux...

Et en y regardant de plus prêt encore, les associations étaient loin d'être laissées au gré de dame nature. Les panais plantés parmi les poireaux, oignons, échalote et ail étaient protégés des insectes comme cette espèce de mouche qui habituellement s'en délecte. La ciboulette et la sauge comblaient les espaces libres pour en renforcer la protection. Sauge qu'on retrouvait en divers endroits encore, comme parmi les concombres, en association avec la capucine, régal des pucerons. Contre ces derniers, la menthe n'étaient pas en reste, les pieds peuplant les endroits les plus humides près des murs de la cabane. Avec les rosiers à proximité...
Il était impossible de faire un inventaire exhaustif des aromates qui s'infiltraient ici et là. On pouvait reconnaître entre les laitues, en association avec de l'aneth, quelques pieds de thym, efficaces contre les limaces ; du persil à côté d'oignons, pour en stimuler la croissance...

"Aucun doute possible, je suis au bon endroit" se dit Jules en reconnaissant le jardin d'une experte en matière de botanique et pharmacopée.

Il pénétra alors dans l'enclos et frappa trois petits coups secs à la porte.


Toc, Toc, Toc.



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Julienas



Pas de réponse.

Il patienta quelques instants puis s’approcha des volets clos. Rien de probant, en cette fin d'août particulièrement sec chacun se protégeait de la chaleur excessive du dehors. Il s'épongea le front puis la nuque en levant la tête. Un mince tourbillon de fumée s'échappait par le toit. Un peu épais en sortie de cheminée, il s'amenuisait à mesure qu'il s'élevait dans les airs. Il crut alors sentir l'odeur caractéristique du saule qui brûle, mêlé à celle de pommes de pin : odeur âcre et agréable, odeur de bois vert que l'on brûle en été quand c'est nécessaire.

Et ça devait l'être pour que la jeune herboriste fasse du feu par une chaleur pareille, quand tout le monde attendait la pluie depuis plusieurs jours ! D'autant que personne ne pouvait se permettre de gaspiller le bois, denrée trop précieuse si on n'avait de contrat avec un propriétaire forestier local. De surcroit, il serait étonnant qu'elle se soit absentée en laissant un brouet quelconque sur son foyer, aussi mince soit-il.

Il revint donc vers la porte et approcha son visage des joints non étanches, humant l'air avec force. Son odorat entrainé à reconnaitre les fragrances lui confirma que la donzelle était bien présente. Non, décidément, une personne censée, au sens pratique bien développé - c'est ainsi du moins qu'elle lui apparaissait jusqu'à présent - n'abandonnerait pas une infusion ou une décoction au vinaigre sur le feu.
A moins qu'un malheur lui soit arrivé...
Il redoubla donc ses coups sur le bois de la porte.


Toc, toc, toc.

Un bruit sourd. A travers la porte, il entendit distinctement la chute d'un siège sur la terre battue. Puis des sabots qui s'entrechoquent. Sans aucun doute. Le son est caractéristique. Lever brusque, brève hésitation. Puis un pas rapide, à peine audible, de courte durée.
Le pas ralenti cette fois. Suivi d'un court silence...
Puis de nouveau le pas accéléré avant d'atteindre la porte. Il rit intérieurement.


La jeune Ysabeau apparut alors dans l'embrasure, le visage confirmant les déductions du frère. Particulièrement ses yeux clairs.

- Bonjour, c'est à quel sujet ? demande-t-elle en s'efforçant de maîtriser sa voix qu'elle éclaircit ensuite en toussotant au niveau du larynx.

- Bonjour ma sœur, je suis Julienas, dit-il en ôtant son chapeau.
Je ne suis pas d'ici mais l'on m'a avisé que vous pourriez m'estre utile.
Je pense que vous me pardonnerez de vous avoir réveillée quand vous aurez sauvé cette décoction de pétales de roses des flammes,
ajoute-t-il en riant doucement.

- Mon Dieu oui, ma tisane ! s'exclame-t-elle en faisant volte face pour disparaitre derrière la porte restée entrouverte.
Mais entrez, entrez donc, crie-t-elle avec un débit saccadé.

Ce qu'il fait sans se faire prier davantage, trop content de trouver un peu de fraicheur à l'intérieur. Un peu surpris en même temps. Il s'attendait à plus de défiance de la part de la jeune femme...

Et tandis qu'elle soustrait sa bouilloire du maigre foyer en cours d'extinction, elle explique qu'elle s'est effectivement assoupie en surveillant sa décoction.


- Ainsi donc vous vous y connaissez en pharmacopée... dit-elle en filtrant sa mixture à travers un linge propre.

Puis elle enchaine aussitôt, avec un geste du menton en avant :

C'est destiné à un gargarisme. Une dent qui devrait être arrachée depuis deux jours, pensez donc ! Le pauvre vieux ! dit-elle en hochant la tête.
Ils attendent toujours que les choses empirent pour m'envoyer quérir... Les enfants ou les femmes toujours, bien sûr. Et encore, à la tombée de la nuit pour elles. Les gars, eux, n'oseraient pas venir ici. D'ailleurs, dit-elle en le regardant, vous ici... Ça va dégoiser au village...

Puis elle se reprend.

- Mais qu'est-ce qui vous amène ici dans ma cagna ?


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Julienas



- C'est le vieux fripier qui m'a indiqué vostre demeure. Celui qui loge face à la boulangerie...

- Ouai... J'imagine sans peine le portrait qu'il a pu vous faire de moi, dit-elle en pinçant les lèvres et en fixant un point invisible.

Puis elle le fixe à nouveau en ajoutant presque aussitôt :

- Ceci-dit, vous estes tout de mesme venu jusqu'ici. C'est donc que vous ne croyez point à ces boniments ou que...

Elle s'interrompt brièvement, puis ses yeux s'agrandissent. Il peut y lire une légère surprise mêlée de curiosité.

- Mes services vous seraient donc à ce point indispensables ? demande-t-elle sans cesser de l'observer.

Il rit doucement.

- Probablement les deux ma soeur, répond-il sans se départir de son sourire, même s'il devient de plus en plus intrigué par la sagacité de la brune, qui tranchait avec ce qu'il pouvait entendre habituellement dans les villages qu'il visitait.

- Pourtant, vos paroles... votre accoutrement... vos allures... Cette croix d'Aristote autour de vostre cou... Vous estes clerc n'est-ce pas ? Ou vous l'avez été...
Vous ne craignez pas d'entrer dans la demeure de celle dont on dit qu'elle commerce avec le...


L'interrompant d'emblée, il agite ses paumes en disant :

- Allons ma sœur, oublions tout ceci et laissons les superstitions aux superstitieux.
Je suis venu vous voir parce que j'ai effectivement grand besoin de vous. Quant au sans nom... mon Très Haut me protège, n'ayez crainte.
Et pour ce qui est de la bestise humaine... Mon esprit m'en préserve bien et à...


Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase qu'elle renchérit :

- N'est-ce point là des paroles de l'orgueil à défaut d... du Livre des Vertus... mon... frère ? dit-elle, à moitié surprise, sur un ton dénué de tout sarcasme.

Alors, pour la première fois depuis bien longtemps, il sentit son visage s'empourprer. Ce n'était pas tant la critique, judicieuse au demeurant, qui l'avait ébranlé, mais plutôt le sentiment de se retrouver comme... entièrement nu devant cette jeune femme bigrement perspicace.

- Hé bien vous ma soeur... Vous...

Il tenta de bafouiller quelques mots puis renonça à botter en touche.
Il pinça les lèvres, puis les ouvrit pour dire simplement :


- Et si nous abordions le véritable sujet de ma visite ?



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Julienas



Elle hocha la tête, esquissant un léger sourire signifiant qu'elle convenait en avoir trop dit et l'invitait à exprimer ses attentes. Ce faisant, elle libéra un tabouret de bois et posa la claie couverte de simples en cours de séchage sur sa petite table en disant :

- Asseyez-vous. Dites-moi ce qui vous amène ici...

Il la salua en retour, en guise de remerciement tant pour le siège que pour la reprise d'une conversation cordiale et prit place face à elle. Le rai de lumière qu'une lucarne étroite consentait à entrer caressait les rares boucles brunes débordant de sa coiffe sur son oreille gauche. Ses grands yeux fatigués ne bénéficiaient pas de l'éclairage de biais. Cependant on pouvait y déceler, même dans l'ombre, une lueur singulière mêlée à une authentique tristesse.

Il sortit de sa bourse suspendue à sa ceinture un morceau de papier de sa confection, sur lequel étaient notés quatorze noms de plantes. Il lui tendit.


- J'imagine que vous lisez, dit-il avant de toussoter, un peu gêné par le contenu de sa phrase qu'il jugea postérieurement maladroite.
J'aurais besoin de ceci, pour un jeune homme blessé que j'ai rencontré il y a quelques jours et dont j'ai la garde depuis. Il se remet assez bien de ses navrures mais...

La jeune femme lisait à voix haute en l'écoutant.

- Grand plantain, plantain lancéolé, coquelicot, verveine, renoncule bulbeuse...

Sa voix s'interrompit tandis que ses yeux parcouraient le minuscule document de plus en plus rapidement.

Le frère Jules pinça les lèvres, soupira en lisant ses réactions sur son visage. Il leva alors brusquement la main droite, paume ouverte, et dit d'une voix ferme, devançant ses conclusions :


- Attention, ceci n'est qu'à titre préventif ma soeur ! Rien ne me permet d'affirmer aujourd'hui que mon jeune ami est atteint de ce...

- Le mal des ardents ! s'écria-t-elle en le fixant dans les yeux, le papier serré entre ses doigts. Puis elle demeura un moment silencieuse, absorbée dans ses réflexions.

- Quels signes vous font penser à ça ? demanda-t-elle, rompant bien vite le silence.

- Et bien, avant de vous en dire plus, je précise que l'enfant a subi une attaque il y a quatre jours, dans la forest de Malmaison, au sommet des coteaux. Il en est sorti avec une plaie peu profonde au flanc droit, causée par une dague, et une contusion au sommet de l'occiput. Du moins pour l'essentiel...

Il marque une pause, semblant chercher d'autres points importants à présenter en préliminaires.

- Je n'ai cessé de le soigner depuis trois jours, il cicatrise bien et devrait garir assez vite... Enfin, c'est ce que je pensais...

Cette fois son visage s'assombrit et sa voix devient quelque peu hésitante.

- Et depuis ? risqua la jeune Ysabeau, à mi-voix, comme pour l'encourager.

- Depuis ? reprit-il en prenant une profonde inspiration.
Il se redressa subitement sur son tabouret et enchaina :


- Depuis... Quelques hallucinations, perte de sensibilité au bout des doigts de la destre, sensations de brûlure dans le bras destre et dans la poitrine, fièvre irrégulière avec de fortes poussées en général en fin de journée, avant vespres. Quelques éruptions cutanées également, avec des tasches bleutées qui peinent à s'estomper sur la destre également.

Il avait énoncé ses observations sur un ton neutre, sans la moindre hésitation ; le médecin reprenant le contrôle sur l'homme qu'il était.

- Oui, je vois... dit-elle évasive. Des signes qui s'apparentent en effet au mal des ardents, mais qui peuvent s'expliquer tout autrement, comme vous le savez j'en suis sûre...

- De fait, ma sœur, de fait ! Je conviens que son membre droit a été atteint plus que je ne l'avais estimé initialement. Je redouble de soins pour ses blessures comme pour les remèdes que je lui administre. De plus, je sais fort bien que durant un jour et une nuit, il put contracté mille et une affections, d'autant qu'il s'est réfugié dans diverses endroits qui devaient rivaliser d’insalubrité. Sa fièvre en atteste et peut à elle-seule expliquer les hallucinations qui le hantent tantost la nuit. Ce qu'il a vécu également d'ailleurs... Un véritable cauchemar qu'a vécu ce jeune novice durant toutes ces heures ! On peut effectivement comprendre qu'il lui faudra du temps pour passer outre.
Le temps ma sœur... Vous savez bien... Ça finit par dissoudre à peu près tout...


Le rythme de ses propos devenait graduellement plus lent et son esprit semblait s'échapper au fil de son monologue, qui fut suivi d'un long silence.

- Mais vous préférez envisager le pire, n'est-ce pas ? Combattre ce terrible mal avant qu'il ne s’empare de vostre ami ? C'est bien ça ?

Il esquissa un sourire en la regardant, revenant de ses méditations.

- Voila, c'est exactement ça ma sœur. Je préfère le préserver du feu de Sainct Antoine, tant qu'il est encore temps. Je l'emmènerais en pèlerinage à l'abbaye de Sainct Antoine près de Valence s'il le faut, dussé-je quester pour me procurer une pauvre monture qui le soutienne...

Elle regarda à nouveau le papier en secouant la tête.

- Je ne peux vous procurer de Saint Vinage malheureusement. Et je ne possède pas tous les ingrédients qui entrent dans sa composition.
Ceci-dit, je peux vous préparer une infusion d’ail, absinthe, romarin, sauge, et menthe dans du vinaigre. En y ajoutant d'autres simples locales, moins connues des apothicaires qui rédigent les traités, cette potion devrait pouvoir vous aider à garir ce jeune homme.


Elle s'était levée et se dirigeait déjà vers sa réserve de plantes séchées en achevant sa dernière phrase.

- Je n'en ai pas pour bien longtemps, dit-elle. Je vous sers une tisane en attendant ?



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