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[Patay] Mes yeux, ta bouche... qui es-tu, étranger ?

Una_agnes
Les yeux qui se ferment et s'ouvrent, sans leur avoir rien demandé. La tête qui tourne. La faim qui me tenaille. L'envie de me coucher, là, à même le sol, et ne pas me relever.

Le retour est plus éprouvant que l'aller. Pourquoi suis-je rentrée ? Parce que le silence de mère commence à me peser. Parce que ne pas lui écrire non plus me fait culpabiliser. Parce que la dernière missive de ciosàn m'a littéralement obsédée. Parce que... je suis là. Je n'ai pas besoin de me demander pourquoi. C'est fait.

J'ai laissé Tibère et Elisabeth ce matin. Les traits de cette dernière n'ont pas pu continuer à me cacher la vérité. Je suis pucelle certes mais pas si niaise qu'il y parait. Je ne sais que penser de ce que j'ai vécu avec eux. J'ai toujours du mal avec ces hommes là. Trop jeune sans doute, trop... maniéré, aussi. Il m'évoque le danger. J'aime Elisabeth malgré nos caractères si différents. Nous avons le même âge et pourtant, j'ai l'impression d'être une enfant à côté d'elle. Nous n'avons pas grandi dans le même monde non plus, il est vrai. Que penserait mère si je lui ressemblais ? Je n'ose y penser...

Patay, voici donc où je suis. Il faut que je me repose, que je m'asseois, que je mange aussi. La première des tavernes, et je serais ravie.

Sio'...

Une écossaise en terre étrangère. Ai-je vraiment envie de finir les jambes écartées de force sur une barrique ? Pauvre folle que je suis...

Addis...

Non, plus !!! Ici, ce n'est pas comme à Périgueux. Les gens parlent autrement. Je ferais bien de ne rien dire du tout, de m'asseoir au fond, là où se pressent les femmes qui ont encore quelques prétentions en matière de vertu, et d'attendre pour passer commande. Et puis non ! Je suis trop lasse, je veux de la lumière, je veux sentir l'air, alors ce sera sous l'arcade ou rien !


Une soupe, du pain et du fromage, s'il vous plait ! Et du cidre, au pichet !

Dans ma bourse, un parchemin froissé...
Citation:
à retrouver l’usage de la parole. De part le fait, elle aura des choses à vous dire des que possible.
De là a prêter a l’Hôtel St Paul des vertus miraculeuses et y faire faire pèlerinage a tous les miséreux


Mère parle et ciosàn Arth a tenu sa parole. Il ne me reste plus qu'à découvrir ce que la MacFadyen a à me dire qu'elle n'a pas pris le temps de m'écrire. Il ne me reste plus qu'à... Hadrien me manque terriblement. Et voilà, je recommence à pleurer.
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Soren
Point de fuite cette fois. Il m'a laissé partir de mon plein gré. Il m'a dit que la blessure a été soignée, qu'elle va maintenant guérir. Le poison a été neutralisé. La plaie va maintenant pouvoir cicatriser. Et de ce fait, les fièvres hallucinatoires ne réapparaitront plus. Par contre, il ne peut rien pour mes crises noires ou rouges. Lorsqu'il m'a avoué son impuissance sur le sujet, j'ai baissé la tête, dépité. J'avoue que je m'en doutais un peu. Il va falloir que je vive avec elles encore et encore. Je n'ai pas le choix. Le poids du passé ne disparait pas ainsi. Mon ascendance va continuer à me hanter. Elle va encore vouloir prendre le contrôle de mon esprit. Ils veulent que j'agisse comme eux et personne n'y peut rien. Ce moine est intelligent. Il lit dans mon esprit comme dans un livre ouvert. Il sait ce que je ressens. Il connait cette grande fatigue qui vient de s'emparer de moi, et il ne peut rien faire.

Ainsi, je suis redevenu celui que j'étais avant la folie qui s'est emparée de moi à Sarlat. Ni plus ni moi. Retour à la case départ quoi! Le groupe de voyageurs que nous avons formé se scinde peu à peu. Suyzanna part pour Angers. Enigma, elle, est partie vers Ste-Menehould. Moi, je n'ai plus rien à faire ici. Il est temps que je rentre au bercail.

Instinctivement, je passe la main sur le crâne rasé. Retour à la case départ? Hum... pas complètement. Il me reste encore quelques traces de ma folie passagère: des cheveux qui ont disparus sous les assauts d'une dague folle... Des bras couverts de plaies en cicatrisation avancée... Ouais! Je sens que je vais avoir des explications à donner moi! Et dire qu'elle vantait ma chevelure!

La taverne n'est encore qu'à moitié pleine quand j'en franchis le seuil. D'un pas agile, je monte les marches deux à deux. Il est temps de faire mes bagages et de prendre la route. Ceux-ci sont d'ailleurs vite faits. Quelques rations de nourriture, une petite bourse de cuir contenant ce fameux pavot raffiné et SA canne de marche précautionneusement emballée dans un vieux fichu. Je redescends avec tout cet attirail dans le dos et vient prendre une dernière bière.


Voilà pour toi aubergiste! Je viens te régler ce que je te dois. Je retourne à Sarlat! Mais avant de prendre la route, donne-moi donc de ta meilleurs bière! On dirait que ça fait une éternité que je n'en n'ai pas bu une!

Une chope de bière à la main, un liquide ambré qui rafraichit une gorge restée asséchée bien trop longtemps, je me retourne vers la salle commune. Elle est à l'image du village: sans aucun intérêt! Aucun! Aucun... sauf...cette jolie brune là-bas, dans le fond de la salle. "Seurn, tu es un homme à femmes!"... Ah oui? Vraiment?

Ma chope à la main, je m'approche de la donzelle. En pleurs? Elle est en pleurs? Je passe la main droite sur le crâne rasé. Je plisse les sourcils et la regarde de travers. Puis, sans même lui demander l'autorisation, je m’assois à sa table, dégustant tranquillement mon jus de houblon. Pas de doute, elle est jolie. Très jolie même!


Vous! Vous avez un sacré besoin de vous saouler! Je peux boire en votre compagnie?

Mon regard n'est pas braqué sur elle, mais sur le fond de la chope qui arrive bien trop rapidement à mon goût.
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Una_agnes
Le jeune homme est entré. Je n’ai pas vraiment fait attention au début, trop concentrée que j’étais sur ma mélancolie. Puis il s’est assis en face de moi, fanfaron comme un gamin, rasé chauve comme un moine, avec dans son regard une complexité qu’il est bien rare de voir chez… quel âge peut-il avoir ? Etrange sensation. Je perçois le danger, il ne doit pas être bien vieux. Je perçois aussi autre chose, que je ne ressens pour personne hormis Adriano et sans doute Martin. Le vieux monsieur me manque aussi.

Les hommes naissent sans cheveu ni dent ni illusion et meurent de même¹…

Pourquoi ai-je dit ça ? Aucune idée… Il est sans doute grand temps que je me pose la question avant d’agir et non après. Cela devient lassant de tout remettre en cause constamment parce que je suis incapable de me contrôler. Je n’étais pas comme ça avant. C’est depuis qu’elle est entrée dans ma vie. Tout va si vite avec elle, même lorsqu’elle dort, elle dort plus vite ou plus intensément que les autres.

Gabh mo leisgeul²… Eh ! Je ne t’ ai pas invité à t’ asseoir, jeune soudard !

Pourquoi l’ai-je traité de soudard ? Aucune idée… C’est ce qu’il m’inspire. Cet accent déjà c’est comme entendre le passé, sans se souvenir de quand exactement. Je ne reconnais c’est tout. Son accent a le goût du sang, de la peur, et de m’être étrangement familier. Ca y est : je suis folle…

Et nenni, aucune envie de me souler, bel étranger ! Et je n’aime pas la bière, d’façons…

Bel étranger !?! La gourde ! Qu’est-ce que je raconte ? Faut-il que je sois fatiguée ! Machinalement, je verse la bière dans son gobelet qu’il a vidé à la vitesse d’un farfadet. C’est l’habitude du couvent : servir d’abord, se servir s’il y en a encore. C’est malin ! Il va prendre ça pour une invitation du style « Quand les filles disent non, c’est qu’elles veulent dire oui » ou bien du même tonneau d’inepties. Puis je n’ai rien à lui dire en plus. Je ne le connais même pas.

Je mets mes coudes sur la table et mon visage dans mes paumes. J’ai vu mère le faire tant de fois pour interroger les nonnes que la position me parait la plus impressionnante pour ne pas perdre la face contre ce jeune chauve. Si je pouvais lui ressembler un tant soit peu ! Pas physiquement, s’entend, il parait que je suis son portrait craché. Mais de cette façon qu’elle a de vous laminer jusqu’au fondement d’un seul regard, quand elle a décidé. Elle m’a dit un jour que c’était le privilège de l’âge, que ça compensait les fesses ridées. Cela me met d’autant plus en rage, qu’elle n’a pas une ride sur le derrière, je le saurais.

Bon, maintenant que tu es là, et que visiblement tu n’as pas l’intention de bouger, tu peux m’expliquer ce qui est arrivé à tes cheveux ? Tu viens de t’enfuir d’un couvent pour t’enrôler, ou bien ?

A mon tour je remplis mon gobelet de ce cidre douçâtre qu’ils font par ici. Je sors ma dague de son fourreau, pour couper le pain et le fromage. Pas ma dague, sa dague. La nôtre, celle de grand-mère en fait. Je pique le fromage sur la pointe et la tends à mon convive improvisé : La hache, le cyprès, le laurier³ sur la garde et un morceau de chèvre sur la pointe. Ca en jette !

Tiens, pour que tu te soules moins vite... et que tu puisses me raconter...

Je suis en train d'inviter un homme à manger avec moi et à me parler. Aristote, faites que je me réveille de ce cauchemar, ce n'est pas moi du tout là. Elisabeth, que m'as tu fait ?


¹ Alexandre Dumas. ² Excuse-moi... ³ Ornements des MacFadyen
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Soren
Philosophie et alcool font rarement bon ménage. Je m'étouffe presque en entendant ses premières paroles. Sa voix est agréable à l'oreille. Le fond de ses paroles est pour le moins surprenant. Y'a t-il quelque chose à comprendre dans cette pensée sans doute métaphorique? Hum... Si elle attend une réponse intelligente de ma part, la seule que je puis lui faire, c'est... de me taire! Continuer savourer cette bière, feindre la réflexion sans pour autant marquer un certain désintérêt pour sa personne, pour son discours.

La deuxième impression, quand à elle, me laisse dubitatif. Ses mots, je ne les comprends pas. J'ai l'impression, aux sonorités, que cela ressemble au dialecte de Arth... Je plisse imperceptiblement les sourcils tout en continuant à boire. Mon regard se pose volontairement avec plus d'insistance sur ma chope que sur la donzelle.


Bel étranger? Eh bien! Vous, si vous m'aviez croisé trois semaines plus tôt, vous m'auriez littéralement sauté au cou pour abuser de mon physique!

Avec les femmes, il faut toujours en rajouter. Sans ça, elles vous trouvent vite ennuyeux. Elles sont comme ça! Toujours dans l'excès! Je dépose ma chope sur la table, fixe enfin ses mirettes. Je décroise les bras et viens prendre appui sur la table pour approcher ma tête de la sienne. Je la scrute sous toutes les coutures. Pas de doute, elle est jolie. Fort jolie même. Quel dommage cependant qu'elle n'aime pas la bière! Bah! Il faut bien qu'elle ait tout de même un ou deux défauts!

En quoi ce qui est arrivé à mes cheveux peut bien vous intéresser, hum?

Elle me tutoie, je la vouvoie. Je cherche à la déstabiliser. A affermir mon emprise sur elle. On dirait qu'elle s'est prise au jeu et je ne tiens pas à perdre la face devant une inconnue... aussi séduisante soit-elle! Cette forme du visage... ces yeux... ces cheveux... Il y n'a pas à dire, elle m'attire! Il faut que je marque son esprit. Et quoi de mieux que l'impertinence et l'effronterie pour marquer l'impertinence d'une donzelle?

Vous avez là une jolie dague... mais si vous croyez m'impressionner avec la qualité de vos armes, vous faites fausse route! Je ne suis guère impressionné par les étalages de richesses.

Le fromage de chèvre passe de sa dague à ma bouche en quelques instants.

Pas mauvais! C'est vous qui le faite?

Tout trahit son émoi: ses mirettes, ses initiatives, sa voix, ses jambes qui frôlent les miennes sous la table. J'arque un sourcil, esquisse un sourire et me lève. Sans attendre une quelconque réaction de sa part, je prends sa main et l'invite à se lever.

Ce n'est pas après avoir partagé un simple morceau de fromage que je vais vous dévoiler tous mes secrets... mais plutôt avec une danse! Enfin... au moins une danse! Et vous n'avez pas le droit de prendre comme excuse que vous ne savez pas danser car bien d'autre filles ont déjà usé et abusé de cette raison dans le passé.

Et maintenant... Passer au degré supérieur de séduction. Abandonner le vous pour quelque chose de plus intime, de plus proche... Proximité d'esprit, proximité de corps. J'approche mes lèvres de ses oreilles et ajoute...

Ah! Tant que j'y suis, je m'appelle Seurn et j'ai bien l'intention de vous saouler ce soir! Que ce soit avec de la bière...ou toute autre approche de mon cru!

Ni une, ni deux, je tire sur mon bras et l'emmène au milieu de la pièce, devant toute l'assemblée. Je passe ma main autour de sa taille. Initiative, impertinence, culot... Quand on veut arriver à ses fins, il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus.
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Una_agnes
J'ai faim, monstrueusement faim. Je le sens à mon estomac qui gargouille. Je le sais aussi au temps infini que je mets pour déglutir une toute petite bouchée de pain. Le bol de soupe fume encore, au point que j'en ai peur de me brûler, mais j'ai la vague impression que tant qu'il ne sera pas avalé, rien d'autre n'arrivera à passer. J'ai encore maigri, je le sens aussi. Bientôt je ne serais plus qu'un fantôme transparent, je pourrais mourir et personne ne s'en apercevra. Je ne sers à rien de toutes façons.

Bel étranger? Eh bien! Vous, si vous m'aviez croisé trois semaines plus tôt, vous m'auriez littéralement sauté au cou pour abuser de mon physique!

Eurf. Par Sainte Kyrène ! C'est bien ce que je craignais : un jeune godelureau, une seule idée en tête, si l'on peut appeler ça la tête. L'homme est-il un animal qu'on peut exorciser ? J'en doute chaque jour davantage. Je savais ce qu'il m'arriverait en m'asseyant sous l'arcade, en plus, en tenue de voyage. Il me prend pour une catin à me regarder comme si j'étais à l'étal du marché. Pire : vu qu'il me vouvoie, il doit me prendre pour une aristocrate venue s'encanailler. Quelle idiotie que n'avoir pas remis ma bure !

En quoi ce qui est arrivé à mes cheveux peut bien vous intéresser, hum?

En rien, c'était juste histoire de parler... Je ne décontenancerais pas. Je vais poursuivre, calmement, comme une grande fille qui sait ce qu'elle fait. ... pour savoir si comme tout un chacun ton haleine pue après avoir avalé du chèvre...

Il ne cesse de me dévisager pour autant, j'ai dû mal, vraiment du mal avec ce genre de comportement. Je sais depuis toujours ce qu'un homme est capable de faire à une femme pour arriver à ses fins. J'entends à nouveau les chocs, les hurlements, les larmes. Ils me reviennent sans cesse, jamais je n'oublierais. Ce jeune homme, sans doute le trouverai-je charmant si j'étais comme les autres. Il a de jolis yeux, avec du gris dedans comme les miens, un autre gris plus bleuté, encore, mais cela le rend expressif et lui donne l'air presque intelligent. Je l'imagine en colère, virer sur un gris acier. Des pommettes hautes, en cela non plus nous ne sommes pas différents. De toutes les façons, son accent est loin d'être chantant ; tranchant, coupant, comme celui de nous tous, gens du nord... Des pomettes et un accent saillants. Je souris malgré moi, juste parce que je suis fière de mes pensées. Pourvu qu'il n'aille pas s'imaginer que je le trouve spirituel. Par St Arnvald !

Vous avez là une jolie dague... mais si vous croyez m'impressionner avec la qualité de vos armes, vous faites fausse route! Je ne suis guère impressionné par les étalages de richesses.

Là, ça suffit. Il a dépassé les limites. Mais la vertu et la recherche de la médiété me recommande la tempérance, et c'est dans cette voie que je dois m'engager.

Tss... Ma dague n'a d'autre qualité que de couper... et de me permettre de ne pas en répandre partout avec un fromage qui s'émiette. Tant mieux si tu trouves que c'est une richesse, c'est mon seul bien. C'est ma richesse oui... mais je doute que tu puisse un jour comprendre ce que cela signifie

Certes, oui, sur cette dernière phrase, j'ai été désagréable et j'ai manqué de tempérance. Je suis comme je suis. Et ce n'est sûrement pas ma faute s'il fait tout ce qu'il faut pour passer pour un crétin.

Après une dernière remarque que je ne prends pas la peine de relever, le voilà qui se lève et ose me toucher. Instinctivement mes doigts se contractent sur le manche de ma dague. Ce n'est guère tempérant, certes, et s'il me faut encore expliquer à Mère que notre patrimoine familial a servi à bistourner un autre porc, je crois que cette fois, elle va me la retirer. Il me faut me raisonner, toucher ma main, ce n'est rien, c'est même plutôt galant. Lorsque j'aurais prononcé mes voeux, je serais enfin débarrassé de toutes ces attentions déplacées, mais tant que je suis de ce côté, il me faut apprendre à composer.


Ce n'est pas après avoir partagé un simple morceau de fromage que je vais vous dévoiler tous mes secrets... mais plutôt avec une danse! Enfin... au moins une danse! Et vous n'avez pas le droit de prendre comme excuse que vous ne savez pas danser car bien d'autre filles ont déjà usé et abusé de cette raison dans le passé.

Je ne sais effectivement pas danser. Il veut faire le fanfaron ? Je vais le laisser faire... il aura tôt fait de déchanter. Je n'ai jamais appris à danser. Je suis née pour remplacer une légende, essayer d'en devenir une moi-même. Et même maintenant que j'ai renoncé, ma seule ambition sera de servir le très Haut. Et le Très-Haut ne danse pas...

Sa bouche s'est approchée si près de mon oreille que j'ai senti mes cheveux se hérisser au contact de son crâne nu. Je crois même que j'ai senti son haleine par les oreilles. Je confirme : le chèvre ça pue. J'ai senti le goût de ma mort en quelques secondes, et leurs visages se sont mis à défiler pour me dire ce qu'il fallait faire maintenant.

D'abord, Elisabeth... elle aurait dansé et certainement badiné. Elle sait comment faire sans jamais reculer.
Puis, Pattricia... elle attendrait encore quelques instants avant de lui écraser le pied.
Puis Caoillain... elle rirait à gorge déployée, après lui avoir envoyé son genou dans le haut de chausses.
Et Sachiko... elle l'aurait déjà étranglé, poignardé, mutilé, écrabouillé... enfin le problème serait définitivement réglé.
Et Mère... faire comme Mère ferait, même si j'ai renoncé à réussir à la satisfaire. Me pencher à son tour sur son oreille et lui passer l'envie de me titiller.

Je m'aperçois qu'il est grand, bien bâti. Il me dépasse d'une tête presque, c'est étonnant. Oui, cela va avec l'accent, sans doute.


Ah! Tant que j'y suis, je m'appelle Seurn et j'ai bien l'intention de vous saouler ce soir! Que ce soit avec de la bière...ou toute autre approche de mon cru!

Le peu-tit trou du cul ! Me souler, rien que ça ! Seurn ? C'est... une monstruosité... toute ma vie vient de me défiler devant les yeux. Autant dire rien mais c'est un choc quand même.

SEURN ? C'est norrois ça !!! Tu es... Mes yeux se sont surement arrondis sous la surprise. Je me retrouve coincée dans ses bras sans même le vouloir, et en cet instant, je ne cherche même pas à m'en dégager, trop ébahie. Je dirais même qu'à cet instant précis, j'apprécie que ses bras soient là pour éviter de me répandre sur le carrelage. Je le suis aussi... à moitié. Soeur Ag'... Hélène-Adélaide.

Je ne mens pas vraiment. C'est le nom que j'ai choisi quand je prononcerais enfin mes voeux. Sauf que je ne les ai pas encore prononcés. Mais ça, il ne peut pas le savoir. Machinalement, ma main est remontée jusqu'à son crâne et me voilà à l'effleurer. Juste pour savoir ce que ça fait d'être chauve. Juste pour savoir ce que c'est un norrois qui ne serait pas... papa.
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Soren
Je le sais. Je le sens. A sa manière de se comporter avec moi, de me dévisager, elle me trouve attirant. Ses yeux plongent dans les miens à la recherche d'une certaine vérité. Elle me sonde. Elle veut savoir ce que je désire. Elle veut voir si l'intérêt est réciproque. Malgré ses dehors tranchants, elle est timide, réservée. C'est sans doute parce que je suis un homme. On la rend faible. Et elle n'aime pas ça! C'est une femme forte, oui! Le genre de femmes qui doit en imposer, qui à l'habitude de donner des ordres. Mais lorsqu'un homme lui plait, elle doit abandonner son armure de métal... sous peine que l'amant potentiel lui file entre les bras.

Je sais que la partie est déjà gagné... ou presque. Ses railleries sur l'haleine de chèvre, son discours pédant sur les richesses matérielles, tout ceci n'est que lambeaux de bouclier qui s'effritent à chaque pas de danse. Ma main, elle ne l'a pas lâché. Je retiens un sourire en pensant à tout ceci. Elle est comme le poisson dans la rivière. Elle voit un beau ver se démener devant elle et elle a envie d'y goûter. Mais elle sait que c'est dangereux. Et ce danger attise sans doute encore plus son désir. Elle est là, devant ce ver. Elle tourne autour, avance vers lui et se rétracte. Mais elle va mordre! C'est évident! A moins de ferrer au bon moment. Prendre son temps. Ne pas être trop pressé. Sans ça, elle prend la poudre d'escampette et je ne la reverrais pas! Ça serait dommage. Elle est une belle pièce! Une très belle pièce! Cela serait même dommage qu'elle soit la seule fille de sa famille.

Qu'est-ce qui l'attire chez moi? Mon physique? Ma prestance? Les étincelles dans mes prunelles? Mon odeur corporelle? Ma façon de danser? De parler aux dames? Hum... non, sans doute pas ce dernier point. Je n'ai jamais été très doué pour les paroles. Ni dans le domaine de la diplomatie, ni dans celui du jeu de la séduction. Alors quoi? Bah! ne sois pas pressé Seurn, tu pourras toujours le lui demander une fois qu'elle sera passée dans ta couche! Je meurs d'envie de diminuer la distance entre nous, de passer mes mains dans son dos, de voir mon souffle rouler dans ses mèches volages, de sentir sa peau se hérisser sous l'effet de mes caresses, de mes effleurements... mais elle n'a pas encore mordu dans le ver! Et c'est le moment qu'elle choisit pour prononcer sa phrase assassine...


Sœur? Vous.... vous êtes une sœur? For fand...

den! C'est une religieuse! C'est bien ma veine de tomber sur une coincée du bas-ventre! Je suis un brin décontenancé. Je ne me rends même pas compte qu'elle vient de m'avouer son ascendance scandinave. Remarque... une sœur qui se comporte ainsi est sans doute une sœur frustrée. Le péché de chair doit la tenailler au plus au haut point. Et le jour où elle cédera, c'est à un véritable maelström de plaisirs qu'elle voudra s'adonner. La carpe enfle. La prise n'en sera que plus grosse... et donc plus intéressante! Vite! Reprendre ses esprits et trouver quelque chose d'intelligent à dire! Ne pas la laisser filer.

Eh bien... Puis-je vous appeler ma sœur?

Oui, je sais... pas de commentaires voulez-vous?

Chère sœur, je suis effectivement norrois! J'espère que cela ne vous gêne pas! Rassurez-vous, je sais me tenir! Je ne vous basculerai pas là, sur la table!

Quoi que....

Mon père est danois...

Père? Lequel? Celui de Hoy? Celui du Jutland?

... mais j'ai aussi la finesse de l'Écosse qui coule dans mes veines!

Ah oui? Vraiment? C'est fin un écossais? Même pas un brin rustre? Qu'est-ce qu'il ne faut pas dire tout de même pour quelques instants de plaisir! Et si je passais mes mains dans son cou? Et si je déposais mes lèvres sur sa nuque? A trop vouloir attendre, elle va me filer entre les doigts. La main aux fesses? Ah non! Ç'est d'un manque de goût! Par contre... Je prends ses mains et les dépose dans mon dos, sur le bas de mon dos..Ainsi, elle ne peut rien me reprocher. Au vue de tous, c'est elle qui me courtise! Et c'est moi dont les pensées sont impures! Mais ça, personne ne peut le savoir!

Ma bouche s'approche de ses joues. Je dévie de ma cible au dernier moment et reviens à nouveau vers ses esgourdes.


Foi de Seurn Eriksen, si vous me tirez la langue pour mon outrecuidance, je vous embrasse! Vous voilà prévenue!

C'est là qu'elle mord... ou qu'elle fuit!
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Una_agnes
Je n’aurais pas dû boire de cidre, alors que j’avais si faim et que je suis si fatiguée. Le danois sent le chèvre, le danger, les herbes drainantes, et la sueur aigre… A moins que ce ne soit le mélange chèvre-bière. Si on peut appeler bière l’immonde pisse d’âne qu’ils servent ici. Cela manque de genièvre, d’airelles, de je ne sais quoi. Ils ne savent pas brasser la bière, ou alors vraiment juste pour les danois… Ils ne savent pas faire de cidre non plus, mais leur mixture sirupeuse vous assène un coup violent sur le crâne à jeun, tout de même.

Son discours est aussi creux que mon estomac est vide, il me lance du « ma sœur » d’une manière aussi sirupeuse que le cidre, c’en est presque obscène dans sa bouche. Et pourtant comme le cidre, ma tête tourne. Quelque chose ne va pas : un pressentiment, le sang des fées qui se réveille.

Chère sœur, je suis effectivement norrois! J'espère que cela ne vous gêne pas! Rassurez-vous, je sais me tenir! Je ne vous basculerai pas là, sur la table!

Il me prend pour une enfant idiote, certainement. Comme si un danois savait faire autre chose que forcer une femme. Je le saurais et je n’aurais pas tous ces cauchemars, et ces bruits dans ma tête, tout le temps.

Mon père est danois mais j'ai aussi la finesse de l'Écosse qui coule dans mes veines!

Je déglutis. Mes yeux se fixent sur les siens. J’ai dû mal comprendre. Il ne peut pas être écossais. Je l’aurais su, je l’aurais senti, tout de suite. J’aurais dû le savoir, le sentir. Non, ce n’est pas possible, de toutes manières, aucun escote ne dirait « la finesse de l’Ecosse ». C’est précieux, pédant et totalement inepte. Nous ne sommes pas fins. Nous sommes mélancoliques, valeureux, futés et pratiques, mais nous ne sommes pas fins. Un écossais ressemble à sa terre : rude, lumineuse, puissante, chaleureuse, immuable… fins, c’est presque une insulte.

Il est définitivement danois. Menteur, enjôleur, et si je n’y prend pas garde, la liste de ses « qualités », pourrait encore s’allonger. Il vient de glisser mes mains sur ses fesses, et naturellement je m’entends rétorquer.


Dis-moi, les novices ne langent pas nécessairement les fessards souillés. Mais sinon, je peux aussi faire comme avec mon petit frère lorsqu’il en met partout : te faire tremper le pilou dans une bassine d’eau froide pour t’apprendre à le contrôler, hein !

Han ! C’est moi qui ai parlé ? Pas possible ! Mes joues s’empourprent, ça je le sens comme le cidre. Je dois avoir atteint une teinte entre le cramoisi, et le très moisi. Si ça continue, je vais me mettre à trembler ou je vais vomir. Ca sera bien fait. Je retire mes mains prestement mais me retient néanmoins à sa taille, tant la tête me tourne. Je sens son souffle dans mon cou alors qu’il me parle.

Foi de Seurn Eriksen, si vous me tirez la langue pour mon outrecuidance, je vous embrasse! Vous voilà prévenue!

Mon estomac se soulève, une fois, deux fois. Je n’ai pas assez mangé pour vomir. Erikssen… Aristote protège les MacFadyen. Qu’il protège ma mère. Nous ne les avons pas tous tués. Qui est-il pour moi ? Un oncle, un cousin… une autre ombre du passé ?. Pourquoi n’ai-je pas compris plus tôt ? Je ferme les yeux un instant. Je dois tout faire pour qu’ils ne la retrouvent jamais, qu’ils ne lui fassent pas mal à nouveau. Je ne pourrais le supporter. Et Hadrien ? Lui aussi je dois le protéger de ces monstres… Ne rien lui dire. Tout faire pour qu’il oublie ce qu’il est déjà venu certainement faire : recréer notre enfer. Le laisser m'embrasser, pourquoi pas ? Si c'est le prix à payer.
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Soren
Cela fait longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien. Oui! Bien longtemps. Ce poison insidieux m'a complètement annihilé. Il m'a volé plusieurs semaines de vie. D'ailleurs, je n'en n'ai même plus aucun souvenir. Lorsque son regard croise le mien, des pensées sarladaises reviennent à la surface de mon esprit. La réunion du Sept sur cette île, la découverte de cousins, de proches de la famille, Virginia qui rôti sur la broche, la bière qui coule à flot… Et Kildara qui a réussi à esquiver la danse qu'elle me devait. Et puis… plus rien! Le vide total! Un grand trou noir jusqu'au moment où je me retrouve dans cette cellule. Le monastère dont parlait Pattricia.. J'y suis! Mais seul! Un moine vient me rendre visite. Il parait qu'il me soigne. Je cligne des yeux. Il faut que je fasse disparaître ces idées-là. Trop noires! Et je ne veux pas replonger dans le noir. Pas encore! Pas maintenant! Plus jamais même! Doux rêve Seurn… Doux rêve!

Je reporte mon attention sur elle. Elle semble… perturbée? Curieuse? Mal à l'aise? Je donnerai cher pour connaître ses pensées actuelles. Oui… très cher! C'est drôle, mais je ne la vois pas du tout moniale! Pourquoi? Je ne saurais dire. Est-ce à cause de sa beauté naturelle? Eh quoi? Faut-il forcément être un laideron pour entrer dans les ordres? Quel gâchis! Oui! Je ne peux concevoir cela que comme un gâchis! La vie est bien trop courte pour ne pas en profiter… surtout quand on a ce qu'il faut pour en profiter! Bah! En attendant, je profite un peu moi aussi. Je l'ai dans mes bras et je ne la lâcherai pas de sitôt même si elle retire ses mains de mes fesses. Malgré les apparences, la tactique a porté fruit. Seurn, tu n'es peut-être pas complètement un homme à femmes, mais tu fais des progrès! Ses mains sur tes hanches, c'est elle qui les a mises. Toute seule! Elle doit se sentir tiraillée de toutes parts. Affreusement tiraillée. Son côté sensuel et féminin désire céder à la tentation. La part austère de son esprit, celle qui l'a poussé dans les bras de Dieu, cherche à résister de toutes ses forces! Manifestement, elle danse la danse du déni de l'évidence .

Mon regard se pose une nouvelle fois sur elle avec insistance. Je détaille chacun de ses traits. On se connait à peine et pourtant j'ai l'impression qu'elle m'est familière. Ses yeux, sa bouche… Qui est-tu belle estrangère? Oui… Qui es-tu? Pourquoi me réponds-tu toujours par un sarcasme? Est-ce ainsi que tu te défends contre tes propres chimères? Contre toi-même? Ta tactique va échouer. Je ne céderai pas. Tes mots entrent par une esgourde et ressortent par l'autre. Je ne m'occupe pas de la forme… simplement du fond de tes pensées. Celles que je perçois… celles qui font mon affaire.

Ma provocation est restée lettre morte. J'y vois une porte ouverte. Une invitation à continuer. Nos pas nous ont mené non loin de la cloison, au fond de la pièce, là où elle espérait se terrer quand je l'ai débusqué. D'un geste qui ne souffre aucune hésitation, je la pousse contre le mur. Oh! Non pas comme le ferait un vulgaire guerrier pour décharger sur elle ses humeurs guerrières. Non! Je suis scandinave oui… et pourtant je n'ai jamais participé à ces étalages de stupre, de luxure, qui suivent la plupart des batailles victorieuses. Après une crise rouge, je ne ressens aucun appel charnel. Aucun!


Sais-tu que les femmes prétendent que j'ai une chevelure magnifique? Enfin… n'eut été de la vermine, tu aurais pu te faire ta propre idée!

Encore une platitude! Une de plus! Décidément, la parole n'est pas mon fort. Qui plus est, quand elle supporte un mensonge! Bah! A quoi bon tout lui expliquer? Le poison, la blessure infectée, la folie… Parait que je me suis fait ça en me coiffant à la dague. Oui, il parait! Quel gâchis! Il faut maintenant attendre que cela repousse! For fanden! Ça va prendre des semaines! En attendant, au lieu de l'embêter avec ton verbiage sans relief, embrasse-là donc! Si tu veux lui plaire, c'est ainsi que tu dois t'y prendre. C'est ainsi que tu la séduiras!

Coincée entre le mur et mon corps, elle ne peut fuir sans user de violence. Mes mirettes rencontrent les siennes un instant. Ni oui, ni non… J'ai l'impression qu'elle est toujours aussi ambiguë. Je place ma main droite sur le mur à hauteur de son buste. Premier geste. C'est une barrière. Je cherche à lire ses impressions dans la prunelle de ses yeux. Cette première brique signifie que je ne veux pas que tu t'esquives. Ma main droite remet en place une mèche qui lui barre le front. J'arque le sourcil gauche. Tu n'as rien à craindre de moi. Je ne suis pas comme tous ces françois. Rustre, manquant de délicatesse, violent avec les femmes et ne pensant qu'à leur propre plaisir. Je donne toujours avant de recevoir. J'approche mon visage du sien et ma joue légèrement râpeuse vient frôler la sienne. Mon menton dessine le contour du pavillon de son oreille avant que mes lèvres ne viennent s'y poser. Mes lèvres happent le lobe, le mordille un instant avant de lui redonner sa liberté. Mon souffle houblonné vient tournebouler le long de sa nuque pour finir par mourir quelque part au bas de son échine. Partant de son oreille, mes lèvres font le tour de son visage. Son front est le premier endroit où je m'arrête. Mon souffle devient plus court, plus saccadé. Je redescend vers sa tempe située de l'autre côté de son visage avant de venir effleurer sa joue. Ma lèvre supérieure s'accroche à son nez et y glisse comme dans une pente enneigée en hiver. Mes frôlements s'accentuent… L'autre joue, le cou d'un côté puis de l'autre. Toujours avec délicatesse, toujours avec lenteur. Je murmure de manière presque inaudible.


Alors dis-moi, tes amants françois avaient-ils plus de talent que moi? La fraicheur scandinave t'inspire t-elle?

Mes lèvres sont maintenant à un flocon de neige des siennes. Instant d'hésitation. Je me lance. Je les dépose sur les siennes comme une plume venant heurter le sol après une chute de plusieurs mètres. Tout en délicatesse. Ma bouche dessine les contours de la sienne. Je ferme les yeux, entr'ouvre mes lèvres et cède à la passion qui me dévore depuis que j'ai posé le regard sur elle. Plus rien ne compte que le goût délicieux de ce baiser. Mon étreinte se resserre. La main que j'avais posé sur le mur glisse le long de son bras, poursuit son chemin sur sa jambe droite, pour goûter aux rondeurs ensorcelantes de ses fesses de fer.

Soudain, j'ouvre brusquement les yeux. Une faille apparait dans cette union charnelle. Mais qu'est-ce que je fais moi? Une image se matérialise à moi avec force, avec vigueur! Une écossaise! Elle est rousse! Et elle n'aimerait sans doute pas me trouver dans cette situation…. Syu! Syuzanna NicDougall! Les images affluent à toute vitesse dans mon esprit. La taverne mainoise… Mayenne… Le Mans… Un baiser.. un voyage… une étreinte sur les chemins… Sarlat… et puis le vide! Plus rien! Où est-elle désormais? Ce qu'il me reste d'elle? Une lettre! Enigmatique! Pleine de points d'interrogations! Mon baiser s'est arrêté net. Je n'ai aucun doute: elle a du s'apercevoir de mon émoi. Je marque un instant d'hésitation puis je rompt le contact. Vite! Retrouver un peu de contenance. Donner une explication! N'importe laquelle! Ne pas perdre la face. Tout simplement!


Excusez-moi je…

Et toujours ce mélange de vouvoiement et de tutoiement. Confusion. Déséquilibre mental. Perturbations. Impossible de retrouver une froide logique.

… Il est tard et j'ai un long voyage à faire. Je dois partir pour Sarlat et.. euh…

J'ai du mal à détacher mon regard d'elle. Elle m'attire encore. Irrésistiblement. Son visage se superpose à l'image de Syu. Je ferme les yeux. Je n'arrive toujours pas à m'éloigner d'elle.
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Una_agnes
Non ! Pas Sarlat !

L’expression m’a échappée, comme tout le reste depuis qu’il s’est assis en face de moi. Mes yeux me picotent, je sens les larmes les noyer tout en réussissant à les maitriser suffisamment pour qu’elles ne coulent pas. Je dois avoir les yeux brillants, et je suppose qu’il assimile cela à du désir… Tant mieux s’il y croit, j’arriverais sans doute à le faire changer d’idée, suffisamment longtemps pour pouvoir la prévenir.

Sa façon de poser les yeux sur moi, cette morgue insolente sur cette bouche trop large : tout devrait me pousser à le fuir. Lorsqu’il m’a parlé de ses cheveux, de la vermine, j’ai repensé aux séances d’épouillage à Chateaubernard, en me demandant si un pou sur un danois ne se demande pas qui est le parasite. Je regarde à nouveau sa bouche. Des lèvres fines, longues, longues. Mère m’a dit que c’était la différence entre Hadrien et moi : la même bouche trop large, sauf que la sienne est faite pour sourire, la mienne pour mordre… que ce sont nos pères respectifs qui nous ont donné cela. La bouche du Danois est celle d’un Erikssen. A un moment ou à un autre, il mordra.

J’ai eu hâte qu’il en finisse, qu’il réclame son dû. Non pas que j’en ai eu envie. Je n’ai envie de rien. C’est le sentiment qui monopolise mon âme depuis que j’ai pris la décision de prononcer ces foutus vœux. Vœu, ça vient de vouloir. Et pourtant ce qui m’anime n’est pas une volonté, mais au pire, la reconnaissance d’une possibilité. Je peux servir. Soit Dieu soit à un homme croisé au détour d’une envie de soupe, si c’est pour servir ma famille. Puis le moment est arrivé. Je pensais qu’il allait aller droit au but, mais non : il a préféré me torturer.


Alors dis-moi, tes amants françois avaient-ils plus de talent que moi? La fraicheur scandinave t'inspire t-elle?

C’était pire que je ne croyais. Il me prenait vraiment pour une dévergondée. Alors pourquoi me coincer comme une biche aux abois ? Fallait-il que j’y comprenne quelque chose ou bien le laisser faire sans rien laisser transparaitre avait-il suffi ? C’est à cet instant que j’ai senti les larmes. Mais nulle envie de lui donner satisfaction à croire qu’il peut m’effrayer : le laisser accroire qu’il me séduit, que je suis habituée à ces enjoleries ? Plus longtemps il pourra le croire, plus longtemps Elle sera à l’abri…

Puis ses lèvres m’ont prises…

Je me suis souvenue du baiser de Jehan. Comparaison étrange, mais c’est le seul élément que j’ai pour comparer. Sauf que Jehan c’est Jehan. Si je l’ai laissé m’embrasser, ou lui ai presque quémandé de le faire, c’était pour ne pas être en reste par rapport aux autres sœurs. Déjà que je suis l’héritière il n’aurait pas manqué qu’en plus je me montre trop fière alors que toutes mes congénères me prônaient ses talents. Mais embrasser Jehan ne m’a pas laissé ce sentiment de talent particulier. Il a couvert mes lèvres, a voulu tourné sa langue dans ma bouche comme un gros pervers et puis c’était terminé. Jehan est comme un frère pour moi, et de toutes manières, embrasser son frère, c’est franchement dégoutant. Je n’aurais jamais dû céder à la facilité.

Les lèvres du danois sont chaudes et douces à la fois. La bière ne sent plus tout à fait la bière. Je sens quelque chose d’étrange me porter. Ses mains me touchent également sans que je veuille le tuer. Enfin, pas tout de suite, du moins, plus tard sûrement dès qu’il aura fini. Rien à voir avec Jehan. Envie de le tuer aussi, mais c’était de peur qu’il aille cafeter. Là, c’est l’envie de sang… qui coule trop vite dans mes veines, fait battre mon cœur de manière effréné, m’incite à des gestes irraisonnés. Et lorsqu’il abandonne ma bouche, ce cri que je répète.


Non ! Pas Sarlat ! Je t’en supplie !
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Soren
La question me taraude l'esprit. Qui ai-je réellement embrassé? Syuzanna NicDouggal ou cette inconnue qui a attiré mon attention depuis que je suis entré dans cette taverne. Sincèrement, je n'en sais rien. Tout se mêle dans mon esprit. Le moine a soigné ma blessure. Il a visiblement réussi à neutraliser le poison…mais il ne m'a en rien aidé à retrouver mon équilibre. Je le sais maintenant. Je suis et je serais toujours une âme tourmentée, perturbée, contrariée. Depuis toujours, je lutte contre moi-même. Je combat ces fatalités: ma propre naissance et l'héritage de mon père. La violence et la haine. Je suis né ainsi et je le resterai tout le restant de ma vie. Je dois composer avec cet état de fait. L'aristotélisme prône la vertu de la conservation? Durant toutes ces années, je l'ai mise à mal! J'ai voulu changer le cours inéluctable des choses, quitte à mettre ma propre existence en danger.

Pourquoi m'attire t-elle autant cette inconnue? Elle n'a même pas daigné se présenter. Je l'ai embrassé alors même que je ne connais rien d'elle. Pas même son nom. C'est la première fois que je me comporte ainsi. C'est un étrange sentiment qui m'anime en ce sens. J'ai encore le goût de ses lèvres sur les miennes. Le baiser n'a cependant pas duré assez longtemps. Je ressens en moi le désir de visiter chaque parcelle de sa peau, d'hérisser chaque pore, de sentir mon souffle rouler et se fracasser sur les moindres formes de sa silhouette. Je veux voir son corps se cabrer sous les assauts du désir qui monte à la surface de son esprit. Je veux encore effleurer son visage, glisser mes doits longs et agiles le long de sa gorge, ôter un à un tous ces oripeaux qui empêchent un contact plus intime. J'imagine ses bras autour de mon bras, ses jambes autour de ma taille, son bassin qui vient à la rencontre du mien. Mais… Est-ce vraiment elle que je désire? Je ne connais rien d'elle. Puis-je juste être attiré par son enveloppe charnelle? Ne faut-il pas plus pour aimer et désirer une femme? Elle est brune, mais quand je la regarde n'est-ce pas des reflets roux qui je perçois dans sa chevelure? Elle est sauvage… comme Elle! Elle sait se défendre… comme Elle! Toute bonne soeur qu'elle prétend être, je la sens capable de tuer par amour… comme Elle! Alors est-elle brune… ou rousse?

Je la sens crispée. Elle ne s'est pas complètement libérée. Moi non plus. A t-elle perçu mon trouble? Je n'en sais rien. Mais un mot anodin semble l'avoir perturbé plus que tous les autres. A regrets je relâche mon étreinte, la prend par la main et reviens prendre place à table. Je devrais lui fournir des excuses. Je le sais. Mais je n'en n'ai pas assez envie. Je passe outre. Après tout, je suis un danois, un descendant des fiers vikings… et les françois ne voient toujours les danois que comme des brutes sanguinaires qui pillent, volent et tuent pour le plaisir. C'est leur droit. Leur droit inaliénable! Tout le monde a le droit… de se tromper! Mais moi, si j'étais une femme, je préférerais mille fois être l'épouse d'un danois que celle d'un françois. Je tiendrais trop à mon honneur et serais bien mieux traité!


Tu peux te détendre tu sais! Je ne vais pas te mordre! Et…rassure-toi, je ne t'embrasserai plus!

...Et c'est aussi toutes les excuses que tu entendras de ma part!

Je hèle le tavernier et passe commande. Une bière pour moi. Une tisane pour elle. N'a t-elle pas dit qu'elle détestait la bière? Je la laisse reprendre ses esprits. Je ne souffle mot tant que l'aubergiste n'est pas revenu avec les boissons. Je me contente de l'observer, d'essayer de deviner ce qui peut bien se cacher derrière ces yeux brillants. De l'envie? Du désir? Le plaisir de se sentir belle? D'être tout simplement courtisée par un homme? Je déglutis ma première gorgée et j'attaque d'un ton calme et posé.

Pourquoi ne veux-tu pas que je retourne à Sarlat? Voilà qui est étrange!

La chope de bière en étain claque sur le chêne de table. Je la pose et avance mon visage vers elle, les bras croisés sur la table, le regard ancré dans le sien.

Qu'est-ce qui ne va pas avec toi? Tu ne veux pas que je te quitte?

Provoquer! Oui, il faut parfois savoir provoquer pour débloquer une situation. Je sais pertinemment que ce n'est pas la bonne raison, mais peut-être cela l'incitera à dévoiler un peu son jeu.

Je ne connais même pas ton nom. Mais si tu veux que l'on reste ensemble encore un peu alors… Suis-moi à Sarlat car c'est là que je vais! Ne t'en déplaise, j'y ai à faire! Des personnes à retrouver. Des projets à mener. C'est à environ 10 jours de marche d'ici. Ça nous donnera l'occasion de faire connaissance. Car quoi que tu dises ou fasses, j'ai une dette d'honneur à y honorer… et je tiens toujours parole! Tu peux m'accompagner là-bas si tu le souhaites. Je te servirai d'escorte jusque là et quand tu voudras repartir, je t'en trouverais une autre. A moins bien sur que tu aies mieux à faire ailleurs… ce qui serait dommage!

Je n'en reviens encore pas! Je la connais à peine et je viens de lui proposer de m'accompagner? Mais pourquoi? Pourquoi est-ce que je me comporte ainsi? Remarque…Je ne connaissais pas non plus beaucoup Enigma quand je lui ai proposé de nous accompagner.
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Una_agnes
Nous voilà revenu à la case départ, je suis assise devant mon cidre, mon fromage et mon pain et une tisane en plus. Quelle idée saugrenue… une tisane ! Et puis cette phrase qui me trotte dans la tête « Je ne vais pas te mordre! » comme s’il avait lu dans mes pensées. Les danois sont-ils sorciers ? Est-ce pour cela que j’entends ces voix, encore et encore ? Il me dévisage, toujours, à nouveau, de nouveau, je ne sais plus très bien. Ses yeux sont très beaux, argent bleuté, quelque chose d’approchant. Il est moins idiot qu’il en a l’air. Je le vois dans son regard, là, tout au fond, quelque chose qui brille plus que de raison.

Qu'est-ce qui ne va pas avec toi?
Rien ne va, depuis que nous avons quitté le bateau. J’ai adoré la mer, comme à chaque fois. Je comprends tellement bien grand-père. Et les deux capitaines ont été charmants avec moi, mestre Didier ou dame Harpège… des Orcades elle aussi. Et de sourire à l’intérieur, même si mes lèvres restent serrées.

Tu ne veux pas que je te quitte?
Ma première envie, c’est de lui dire non. Mais je ne suis pas sûre de devoir lui répondre. Je veux savoir pourquoi il est là, ce qu’il est venu faire dans notre monde. Il n’a tout simplement pas le droit. Je ne lui réponds pas. Je me contente de baisser les yeux, comme une gentille idiote.

Je ne connais même pas ton nom.
Sœur Hélène-Adélaïde… du couvent héllénine du Périgord. Je te l’ai déjà dit.
Suis-moi à Sarlat car c'est là que je vais! Ne t'en déplaise, j'y ai à faire ! Des personnes à retrouver. Des projets à mener.

Je sens mes mains qui tremblent sous la table. Il a donc déjà un contrat. C’est trop tard : ils savent. Ils vont la retrouver après toutes ses années. Prévenir Arthanagor ? Aurais-je seulement le temps ?

Car quoi que tu dises ou fasses, j'ai une dette d'honneur à y honorer… et je tiens toujours parole!
Là les larmes se sont mises à couler, je n’avais pas prévu. Je les ai juste senties sur mon nez alors que je regardais mes mains. J’ai relevé la tête en essayant de me donner contenance.

Je te suivrais à Sarlat, oui… Avec plaisir, Seurn Erikssen. Nous pouvons nous escorter mutuellement…
Cela me laissera le temps de découvrir son plan. Je le tuerais de mes mains s’il le faut, sinon, je demanderais à Sachiko. Jamais il ne saura, jamais il ne l’approchera.

Et puis mon regard dévie vers le petit gros fripé qui s’approche de nous, mon cœur s’emballe :


Ca alors !!! Agnes Erikssen !!! Et bien, ma belle, je ne pensais jamais vous revoir ! Vous vous souvenez ? Marceau le Dunkerquois ! On a voyagé ensemble l’an dernier ! Chi ben content d’vous revoir, ma fille ! Alors ? La grande corneille qu’était comtesse du Périgord ! C’était bien vot’ mère ou pas ?

Mes yeux se sont posés sur les prunelles si belles du danois... et à cet instant, je suis morte. Pour de vrai.
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Soren
Alors là, c'est le bouquet! Elle me prend vraiment pour un imbécile ou quoi? Soeur Hélène-Adélaide? Je hoche imperceptiblement la tête de gauche à droite en plissant les lèvres. Dis-donc ma chère, ce n'est pas ton nom d'artiste que je te demandais, mais celui que tes parents t'ont donné lorsque tu es sortie des entrailles de ta môman! Un doute s'insinue dans mon esprit. Elle ne joue pas franc-jeu. Pourquoi? Mais qu'est-ce qu'elle a? Après tout, vu la silhouette qu'elle trimballe, ça ne doit pas être la première fois qu'un homme la courtise dans une taverne! Comme quoi, quelques mots peuvent changer toute l'orientation d'une discussion. Oui, je suis intrigué maintenant. Soupçonneux. Mon esprit retors s'est réveillé et je cherche à comprendre ce qui ne va pas et pourquoi il y a un petit nisse dans la tête qui me dit de me méfier.

Je me trompe ou elle pleure? Pourquoi? Mais qu'est-ce que j'ai bien pu dire? Pfioouuuu.... Elle est vraiment bizarre. Décidément, je pense que je ne comprendrais jamais les femmes. Mieux vaut ne pas relever. De toutes façons, j'ai l'impression qu'elle essaie de masquer son émoi. Peut-être le mieux est-il que je parte? Que je la laisse tranquille? Je suis sur le point de me lever lorsqu'elle accepte ma proposition. Elle va m'accompagner jusque Sarlat. Je lui souris. J'essaie d'être le plus amical possible, de la rassurer. Je veux maintenant percer son mystère.


Tu ne le regretteras pas! Tu verras, Sarlat est une ville magnifique! Je te présenterais à mes amis si tu veux. Et même à ma famille! Mais je te préviens. Ils sont un peu rustre, parfois difficile d'approche. Ils parlent un dialecte qui va te sembler étrange. Ils vont peut-être te paraitre turbulent, un brin fou, voire même dangereux parfois... mais je les adore! Je suis sur qu'ils te plairont également! Et puis les paysages sont magnifiques....même si rien ne vaut le Danemark! Es-tu déjà allée au Danemark! Je t'assure, il faut que tu y ailles au moins une fois dans ta vie! Il n'y a pas pays plus beau que le Danemark!

Mon visage s'assombrit alors. Oui, c'est le plus beau pays sur terre... et je ne peux plus y mettre les pieds! Jamais! Tout au moins... pas tant que Erik Larsen est en vie! Maudit bannissement. Je me renfrogne rien qu'à penser à ça! Des envies de meurtres passent dans mon regard. Si nos chemins se croisent Erik Larsen, prends bien garde car il est possible que je cherche à te faire passer de vie à trépas... de quelque manière que ce soit!

Deuxième tentative pour me lever et partir. Deuxième échec! Un malotru qui connait visiblement mon interlocutrice vient s'imposer à notre présence! Et là, la surprise est immense! Agnès Eriksen!!!!! Eriksen? Je n'en reviens pas! Se trompe t-il de personne cette andouille... ou bien? Et la comtesse du Périgord? Sa mère ou pas? Tout s'embrouille dans ma tête! Je ne connais pas bien les différentes comtesse du Périgord mais... j'en connais une qui a des relations avec une famille Eriksen! Ai-je en face de moi une cousine? Une fille bâtarde du premier mari de Bryn? Je ne connais pas encore bien ma famille. Je sais que Bryn a eu une fille avec Eriksen... une certaine Una. En a t-elle eu d'autres qu'elle m'aurait caché? Toute cette affaire m'intrigue au plus haut point. J'espère juste qu'elle ne le remarque pas... mais je veux savoir si elle s'appelle bien Agnes Eriksen et si elle a un lien de parenté quelconque avec Bryn ou avec ma famille paternelle!

Je toise l'impétrant de haut, le pousse légèrement et prends la main de soeur Hèlène Machin.


Viens! Il est tard et nous devons partir pour Sarlat! Sieur... désolé! Ce n'est pas de chance hein, mais on est vraiment pressé là!

J'emporte vivement mon inconnue hors de la taverne, d'un pas pressé.

Toi! Tu vas devoir me donner tout un tas d'explications! Mais pour l'instant, on va chercher tes affaires et on se met en route, direction Sarlat!
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Una_agnes
Je n'ai pas compris ce qui s'est passé. Quelqu'un pourrait-il gentiment m'expliquer ? Je revois le visage de Marceau, vieux, ridé, rougeot, et infiniment attachant. Un homme comme je les aime : qui me regarde comme une enfant.

Je me souviens avoir partagé ma soupe et nettoyé ses plaies purulentes après qu'il se soit fait rosser par quelques poivrots. Je me souviens qu'il m'a appris le françoys du nord, tout au long de la route. Je me souviens que c'est lui qui m'a prévenu à Paris. « Agnes, mon p'tit y'a une rumeur qui dit que la comtesse du Périgord c'est une escote et une géante... que même la reyne, elle aurait eu l'air impressionné... S'appelerait Mac quequ'chose, comme vous aut'...» Je m'en souviens mot pour mot.

Je m'entends mentir à Marceau, je ressens la peine que cela m'a fait à cet instant, non pas de mentir... mais de devoir le faire à un homme si bon, sans qui rien n'aurait été possible. Il était avec moi jusqu'aux portes de Périgueux : « Allez, mon petit, courage... faut que tu y ailles toute seule maintenant. Elle va pas te manger... au pire c'est pas elle, et je t'attendrais deux jours à Angoulême... » Elle ne m'a pas mangé, non. Elle m’a happé dans son sillage et je n’ai jamais revu Marceau. M’at-il attendu à Angoulême ? Sûrement… Alors lui mentir aujourd’hui, je sais qu’il saura que je lui mens. Et c’est bien pire…

Le danois m’a parlé du Danemark. Il aime son pays visiblement. Biern m’a dit que s’ils étaient tout venus pourrir chez nous, c’est parce que ça ressemblait trop à chez eux. Alors si son pays est aussi joli que le mien, je veux bien croire que ce soit le plus beau pays du monde. Le Danois m’a parlé de Sarlat, de sa famille là-bas. Il me propose le mariage ou quoi ?.. Il est fada ! Je viens de lui dire que je vis en Périgord, et il m’explique à quoi ça ressemble… Voilà bien ma veine : un tueur fada ! Il a de la famille, à Sarlat ? Mon cœur cogne dans ma gorge, j’étouffe. Il me tire sans ménagement, je hurle.


Ma dague ! Ma bourse ! Je n’ai que ça...

La lettre d’Arth est tombée sur le sol, les larmes roulent sur mes joues, je vais mourir, je sais. Je veux mourir en escote : me battre jusqu’à ce que mon corps se disloque…

J'ai rien à expliquer, Seurn Erikssen. De quelques droits tu me traites comme ça !!! Non mais, pour qui tu te prends ?! Des gredins de ton engeance, j'en avale quatre par jour, à peine levée, à titre de petit déjeuner...

Je gonfle mon poitrail pour me donner de l'assurance, je le regarde droit dans les yeux sans ciller. Je regarde sa tignasse ou plutôt son absence de cheveux, qui fait encore plus étrange maintenant que nous sommes dehors. Mon œil est attiré par ses tempes légèrement écrasées. Je me souviens d’un bébé rouge sang avec la même configuration. Les marques des pinces sur les deux côtés : « Ton petit frère, Agnes… N’es-tu pas fière ? » Je m’arrête alors : Seurn Erikssen, moitié danois, moitié écossais… je le retiens un instant, l’oblige à me regarder. De ma main libre, je remonte vers ses tempes. Si je ne me suis pas trompée, je vais sentir le plat de la pince dont on extrait les morts-nés.

Håkon ?
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Soren
Les femmes ont l'étonnante faculté d'être capable de passer d'un extrême à l'autre dans la palettes des sentiments, et ce en quelques instants seulement. Alors que je me dirige vers le marché pour faire provision de quelques denrées, ne voilà t-il pas qu'elle m'invective! Elle étale sa colère sans aucune gêne, comme si nous étions seuls au monde. Je m'arrête, me mords la lèvre inférieure pour éviter de m'épancher à mon tour. Je ferme les yeux pour repousser le noir qui en profite pour essayer de s'immiscer. Je me retourne et lâche sa main dans un geste qui tient plus du théâtre que de la spontanéité.

De quel droit je me comporte ainsi?

Je ne suis pas encore complètement sur de son identité, mais…

Dis-moi Agnès Erikssen… tu ne trouves pas ton comportement un peu étrange? Hum?

Nos yeux se croisent une nouvelle fois, mais cette fois l'intrigue, le doute, la curiosité et un brin d'animosité ont remplacé le désir et l'envie.

Je te dis que je m'appelle Seurn Eriksen, et toi, tu ne réagis pas? Pas même un 'Oh tiens, c'est amusant! Tu portes le même nom que moi! De quelle région du Danemark es-tu originaire?'. Car ne me dis pas qu'avec un nom pareil, tu n'es pas danoise toi aussi! On est même peut-être cousins, tu sais, ma sœur!

Le sang bat la cadence au niveau de mes tempes. Les traits de mon visage se durcissent. S'il y a bien quelque chose que je hais, c'est que l'on me prenne pour un fat! Un idiot! Un corniaud ! Et c'est exactement ce qu'elle fait actuellement!

Gredin?!?!?! Gredin?!?!?!? Eh toi! Ce n'est pas parce que tu as un physique avenant que tu as le droit de m'insulter!

Ça y est! Elle a réussi à m'énerver la bougresse! Et dire que cette journée commençait si bien!

Crois-moi, s'il le fallait, je passerais outre tes jolies fesses! Si tu veux que tes entrailles s'étalent sur un dallage de marbre, dis-le moi, je peux arranger ça! A moins que tu ne veuilles juste que je te coupe une main? Un bras? Cul-de-jatte, ça pourrait être amusant aussi! Au moins, tu arrêterais de me faire du pied sous les tables dans les tavernes! Rassure-toi, quand il s'agit d'ennemis, je ne fais aucune distinction entre les hommes et les femmes… excepté que les femmes, je ne peux les émasculer. Mais franchement! T'as vraiment un problème avec les hommes toi! Remarque, c'est sans doute pour ça que tu as intégré les ordres hein! Ah moins que ça aussi ne soit que des fadaises? Comme tout le reste?

Et voilà! Comme d'habitude je m'emporte! Il me suffit d'un petit aiguillon placé au bon endroit pour que je m'affole, que je prononce des paroles grandiloquentes que je ne contrôle plus! Ah je hais ça! Tout ça est de sa faute!

Je détourne mon visage de son regard de façon à ce qu'elle ne voit pas la haine s'emparer de moi. Je m'écarte d'elle, lui tourne le dos. Je me calme.


Excuse-moi, je me suis emporté! Je ne comprends juste pas pourquoi tu m'en veux autant. Ceci dit, me menacer est complètement stupide. Tu sais que je te tuerai sans aucun remord s'il le fallait vraiment. Heureusement pour toi, j'en arrive rarement à cette extrémité.

Je sens sa présence dans mon dos, même si je ne la vois pas. Elle ne souffle mot. Le calme est revenu entre nous. Un calme tendu. Elle me contourne, me fait face. Elle m'observe et de sa main droite tourne mon menton de manière à ce que nos mirettes se croisent. Elle lève la main vers moi. Son geste ne contient pas une once de violence ou de haine. Elle prononce un mot, un seul. C'est un nom… Non! C'est un prénom! Un prénom que j'ai déjà entendu. Une et une seule fois. ‪Håkon‬… ‪Håkon‬ Hårfagre Eriksen… Je fronce les sourcils sous l'effet de la surprise. J'essaie de comprendre. Faut-il que je me dévoile?

‪Håkon‬? Pourquoi dis-tu cela danoise?
Je n'ai aucun H‪å‬kon parmi mes connaissances. Aucun. La seule fois où j'ai entendu ce prénom…


J'expire rapidement le trop-plein de sentiments qui m'assaille. Si je veux en savoir plus sur cette énigmatique inconnue, c'est le moment de lâcher quelques informations…

Ce fut à l'hôtel Saint-Paul à Paris!

J'ai besoin de savoir.

‪Håkon‬ Hårfagre Eriksen est le nom de mon père! Enfin… de mon géniteur!
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Una_agnes
Il braille. Aussi. Et pourtant je ne l'entends pas vraiment.
Il m'a appelé "Agnes Erikssen". A part Marceau à l'instant, personne n'a utilisé ce nom depuis des ... mois. Agnes Erikssen est morte, ou du moins je le souhaiterais tellement. Bien sûr que je la vois à chaque fois que Mère pose les yeux sur moi. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-elle oublié ma monstruosité ? Bien sûr que lorsque me vienne mes accès de colère, je sais que c'est de ce sang pourri qu'ils me viennent et qu'il me faudra les combattre à chaque instant. Oui, tout de suite, je me suis comportée comme Agnes Erikssen en me laissant peloter comme une trainée dans une taverne, et en hurlant comme une damnée après.

C'est sans doute pour ça qu'il braille et que je ne l'entends pas vraiment.
Mes yeux restent concentrés sur là, où j'ai placé mes doigts.

Il parle de St Paul, comme dans la lettre d'Arth...
Il parle d'Hakon, comme s'il ne savait pas...
Il parle de...

papa.

Le sang a déserté mon corps. La colère également. Je relève calmement mes yeux vers lui. Ma voix sort, étrangement calme, les mots viennent sans que je les choisisse.


Mon nom n'est pas Agnes Erikssen.
Mes fesses ne sont pas jolies... jamais elles ne doivent plus l'être pour toi en tout cas.
Je ne suis pas ta cousine...
Je ne suis pas danoise...


J'ai dégluti instinctivement à ce moment là.

Je m'appelle Una MacFadyen, fille de Brygh Ailean, fille de Moira Ailean, fille de Catriona. En moi coule le sang des fées et des voleurs de poneys...
Et je viens d'embrasser mon frère cadet comme on embrasse un amant. C'est... Répugnant, abject, dégoutant, infâme.
Mon dieu ! Je viens d'embrasser un gamin en plus... C'est... Désespérant, navrant, édifiant, consternant.

Les mots me manquent pour exprimer ce que je ressens. Il ne me reste plus qu'une chose à faire : m'enfuir en courant.

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