Niels
« Houx-Rouges, salle du trône - Vers la sortie »
Il sétait tût. Lorsque Niels jouait avec ses amis, Thorvald savait que sa place était en dehors de la scène ou plutôt à larrière-plan: les chiens ont le droit de jouer avec le gibier quand ils lont débusqué mais quand les chasseurs arrivent, ils doivent se mettre à leurs bottes et suivre les directives. Le borgne observait le spectacle de trois hommes à la carrure impressionnante sen prendre à une femme pas plus haute que trois pommes. Pour quels résultats? Celui de perdre du temps. Certes, ce nétait pas ce qui leur manquait: qui se soucierait de la disparition dune brune enceinte jusquau cou et de deux danois sans importance? La prévôté de Paris avait bien dautres chats à fouetter, chats dont lui, Thorvald, abusait de temps à autre pour servir son maître. Des émotions? Le borgne ne les montrait que rarement. Il avait été éduqué dans le but de servir et il servait. Cela incluait le fait que le côté humain de sa personne nétait souvent quun frein à lexécution de son travail. Même si ce soir, il napprouvait pas la façon de faire, même sil la trouvait inutile, inefficace, même si selon lui tout ceci nétait que perte de temps, ce nétait pas à lui den juger.
A lavant-plan, Niels avait rompu le contact. Les bras croisés dans le dos, il avait contourné la béarnaise pour sapprocher de Morten et la toiser de toute sa hauteur. Morten Sans doute lui avait-elle sauvé la vie et cétait tant mieux. En son for intérieur, il en était convaincu: il aurait regretté perdre Morten. Il y avait trop de souvenirs qui le liait au valet des épées. Le tuer aurait permis de satisfaire son besoin de vengeance, celui de montrer quon ne pouvait lui désobéir ou lui tenir tête. Il y avait mieux à faire. Morten ne nécessitait quun « petit » redressement de son esprit. Oui, cétait ça: un redressement.
Les dernières paroles dEudoxie mijotaient à petit feu dans lesprit du roy de deniers. Ainsi donc, Søren sétait ouvert à elle. Il avait évoqué avec elle le prequel de toute cette histoire. Elle connaissait le nom de sa cousine. Savait-elle que cette idiote avait accusé le blond de meurtre à cause dun détail auquel lui-même navait pas pensé? Larme du crime. Larme du crime appartenait à Søren. Cétait ce brave Morten qui en avait fait cadeau au Eriksen et larme sétait finalement retrouvé entre les mains de Niels. Le roy de deniers avait même oublié ce détail quand il avait frappé. Albanne. Ah Albanne! Elle avait toujours voulu joué les intrigantes. Elle avait hérité cela de son côté scandinave. Il fallait croire que le côté Pelletier avait tout gâché. Jamais elle naurait été de taille pour sopposer à lui. Jamais! Le regard dardé vers le sol, caressant de sa froidure le visage bouffi du Sørensen, Niels répondit enfin à la captive.
- Je sais quAlbanne était avec lui quand il a trouvé ce livre. Ma cousine a eu la bonté desprit de laisser un de mes hommes la servir, un homme que personne naurait jamais soupçonné et qui navait rien de danois.
Edouard Ce brave Edouard avec ses manières ampoulées. Qui aurait pu en effet croire que ce vieil homme avait certaines addictions à son âge? Il ne fallait jamais se fier aux apparences, elles pouvaient être trompeuses.
- Jai fait fouiller en vain les affaires dAlbanne avant sa mort et après que la maladie leut emporté Enfin, la lame de Seurn. Vôtre chevalier servant vous a t-il dit quil na pas hésité pas à tuer de sa lame une pauvre femme sans défense aux portes de lagonie? Le bien et le mal Pour vous je suis lincarnation du mal parce que je prends les moyens de mes désirs nest-ce pas? Et lhomme que vous aimez est celle du bien pour la simple raison que vous laimez. Le fait quil tue sans aucune pitié ne fait pas de lui un suppôt du Sans-Nom comme je dois lêtre à vos yeux. Si le monde était manichéen, cela serait trop facile et navrant. Les cas de conscience « dame Castera » sont de petits bonheurs dont il serait dommage de se passer.
Sven et Jørgen tournèrent alors Eudoxie vers Niels afin quelle puisse gouter non seulement aux paroles du Roy de deniers mais également à son non verbal.
- Albanne a emporté son secret dans sa tombe. Quelle ait confié ces feuillets à Søren, quelle les ai transmis à un tiers ou mis en sureté mimporte peu. Et je serais quelle naurait jamais détruit une telle richesse. En tuant ma cousine, Søren a hérité du fardeau de me les ramener ou il le paierait cher. Vous et votre bâtard aussi.
Elle lavait agacé. Elle lui rappelait son échec, un échec face à une femme, face à sa propre cousine. Albanne lavait toujours mis en échec. Elle sétait refusée à lui lorsquil lui avait fait part de son intérêt pour elle. Elle était la cause de certaines leçons paternelles quil avait dû subir et elle lavait mis en échec pour récupérer ces feuillets. Aussi jolie soit-elle, sa mort était amplement justifiée même sil ny était pour rien. Le Très-haut lui même abondait dans ce sens en la punissant de ce fléau. Oui: Fléau mais pourquoi lui? Pourquoi lui aussi? Inconsciemment, Niels porta la main sur son bras, à lendroit où une tâche noire sétalait inexorablement, jour après jour, sur sa peau. Dos à Eudoxie, le Roy de deniers se dirigea alors vers la porte sans pour autant jeter un regard vers celle qui était toujours détenue par ses sbires. Il attendit que Thorvald vienne lui ouvrir la porte et lorsque cela fut fait, il tourna lentement la tête vers la béarnaise.
- Vous avez trois jours. Ma patience nira pas plus loin. Mes sieurs, je crois que notre invitée na plus besoin de notre « soutien ».
À ces mots, Jørgen et Sven relâchèrent la béarnaise. Ils emportèrent avec eux le corps inerte de Morten, lagrippant par les aisselles et laissant ses pieds trainer au sol. ils rejoignirent Niels, sapprêtèrent à sortir avec lui. Le danois franchit le pas de la porte, Thorvald, Jørgen et Sven et les autres lui emboitant le pas. Du couloir, des sons gutturaux à laccent scandinave retentirent une fois encore.
- Trois jours pour convaincre Søren de me ramener ces documents et obtenir titres et terres. Sans cela vous devrez en assumer les conséquences. Tous les trois.
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