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[RP] L'Encrier : Bouleverser, culbuter, édifier, rétablir.

Gabrielle_montbray
« I'm not looking for another as I wander in my time,
walk me to the corner, our steps will always rhyme
you know my love goes with you as your love stays with me,
it's just the way it changes, like the shoreline and the sea,
but let's not talk of love or chains and things we can't untie,
your eyes are soft with sorrow,
Hey, that's no way to say goodbye. »

- Leonard Cohen -

Enzo s’accroche à elle, comme un marin à la providentielle planche après un naufrage. Il s’accroche à sa taille, à sa chemise, à son bras, il s’agite, se bat contre un ennemi invisible et dit des phrases sans aucun sens. Gabrielle reste là, le nez dans les cheveux d’Enzo, les bras autour de lui, attendant l’apaisement qui viendra sans doute.
Son corps est calme mais son esprit est tourmenté, elle réfléchit, il ne faut pas que quelqu’un soit au courant du geste d’Enzo, personne, pas même Audoin. Elle nettoiera elle-même toutes traces du poison, elle pataugera dans le rejet stomacal de son mari pour les enlever une à une, elle cachera la lettre, ou la brûlera, mais elle la lira avant, pour comprendre.
Dans un dernier murmure, Enzo se calme, et ils restent là, tous les deux, enlacés, agrippés l’un à l’autre, sans qu’on ne sache vraiment qui soutient qui.
Evidemment qu’elle lui pardonne, elle lui pardonne ce geste insensé, les autres, elle lui pardonne tout, elle veut juste qu’il ne meurt pas. Elle est revenue et il doit vivre.

Gabrielle réfléchit, il faudrait bien qu’elle aille fouiller dans les livres de médecines d’Enzo, incertaine de ce qu’elle doit faire après ça, il a vomi, les baies sont ressorties mais il doit bien rester du poison dans son corps. Est-ce que c’est dangereux ? Est-ce qu’il risque encore de mourir ? Est-ce qu’il y a une herbe, une tisane, quelque chose pour l’aider ? Mais elle ne veut pas l’abandonner ici, le laisser, même pour un court instant. Et elle ne veut demander de l’aide à personne. Personne ne saura, jamais.
Elle regarde Enzo et essaie de se détacher doucement de l’étau de ses bras. Elle enlève les siens.


- Ne bouge pas…

Phrase idiote en la circonstance, Enzo est probablement incapable de bouger, ou il n’irait pas loin. Elle sait qu’il va se sentir lâché, abandonné, que ça n’est pas le moment, qu’elle devrait rester là, contre lui. Mais il est en danger… Alors Gabrielle se penche, elle pose ses lèvres sur celles d’Enzo, malgré ce qu’il vient de faire, malgré l’odeur répugnante, elle s’en fiche, il est lui et elle l’aime, même malade, faible et malodorant. Un baiser pour sceller son retour et la promesse qu’elle se fait intérieurement de ne plus jamais partir, de ne plus jamais le laisser. Il lui avait promis tous les matins du monde, elle lui promettait le reste de sa vie. Mais ce n’était pas le moment d’en parler. Pour l’heure, elle devait s’assurer que l’aube qui se levait ne serait pas la dernière d’Enzo.

- Je reviens tout de suite.


Elle enlève les bras d’Enzo, ses mains qui la tiennent, elle se détache et sort de la chambre en prenant soin de bien fermer la porte. Une ombre est là. Une ombre qu’elle n’avait pas vu en arrivant. Une ombre discrète qui fait sursauter Gabrielle quand elle l’aperçoit.

- Audoin ! Je ne vous avais pas vu ! Je suis rentrée. Tout va bien… Vous pouvez disposer.

Sans un regard de plus vers lui, regard qui pourrait bien la trahir, elle redescend l’escalier, calmement, doucement, alors qu’elle voudrait courir. Mais tout va bien, elle l’a dit au garde.

Un instant d’hésitation sur le seuil du bureau. Enzo détesterait qu’elle entre dans cette pièce, qu’elle regarde, qu’elle fouille. Mais il ne lui a pas laissé le choix. Gabrielle pénètre là où elle n’est guère allée jusque là et ses yeux se promènent sur les quelques meubles et objets. Des malles, fermées à clé, un secrétaire, une chaise… Pas grand chose. Gabrielle regarde les lettres soigneusement empilées et sourit devant le petit tas impeccable. De l’encre, une plume, des vélins vierges, un caillou. Pas de livres. Gabrielle soupire et s’impatiente. Pas de livres sur les coffres non plus. Ni en pile sur le tapis. Ni sur…
Sa besace. Elle doit trouver la besace d’Enzo. Il a toujours un bouquin là dedans. Gabrielle laisse son regard parcourir les moindre recoins de la pièce..
Elle s’approche du sac en cuir qu’elle vient de repérer. Calme toujours, des fois qu’Audoin débarque, lui ou un autre. Si elle s’écoutait, elle ouvrirait les tiroirs, détruirait les serrures des malles, soulèverait le tapis… Mais elle se retient. Elle s’accroupit et renverse le contenu de la besace d’Enzo sur le tapis, qu’il lui pardonne. Elle ne s’attarde pas sur les lettres, le ruban, le mouchoir, le petit pot de confiture et autres. Elle ne voit que le petit ouvrage relié de cuir. Elle ouvre le livre et… Sh*it ! De frustration, elle se relève et jette le livre qui ne traite pas de ce qui l’intéresse.

Elle sent la nervosité la gagner. Elle doit trouver cet imbécile de recueil sur les plantes qu’il lisait quand ils étaient encore à Orthez. Un livre qui appartenait à sa mère, il l’a forcément gardé. Rester calme. Réfléchir. Debout au milieu de la pièce, Gabrielle se demande où elle, elle l’aurait rangé. Question idiote. Gabrielle ne range pas, elle dépose. Ici, tout est si… ordonné. Angoissant presque.
Elle tente d’ouvrir une première malle. Fermée. Un coffre. Même chose. Une autre malle. Pareil. Holly sh*it ! Où est-ce qu’il les cache toutes ses clés ? Et puis qu’est-ce qu’il y a de si secret dedans ?
D’un pas agacé, elle retourne vers le bureau. Tant pis pour son intimité. Faites que les tiroirs n’aient pas de serrures. Elle les arrachera s’il le faut de toute façon. Et alors qu’elle s’apprête à ouvrir le premier, elle soupire.
C’est pas Dieu possible d’être aussi idiote ! La bibliothèque ! Enfin le meuble avec des étagères. Et des livres dessus ! Gabrielle se donnerait une gifle. Elle se précipite sur le meuble qui ne contient que peu de recueils. Celui qu’elle cherche, elle l’a déjà vu, petit, usé, noirci à force de trainer dans les poches et les sacs. Un sourire quand elle reconnaît le traité de botanique.

Gabrielle quitte précipitamment le bureau pour aller vers la cuisine où ça s’agite déjà un peu en ces premières heures matinales. Elle attrape un des gamins qui aide le cuisinier et lui réclame de l’eau bouillante. D’un ton qui ne donne pas envie de se soustraire à la tâche. Puis elle s’installe à la grande table de la cuisine sous l’œil médusé des gens qui sont là - gens qu’elles ne voient pas et dont elles se fichent - et tourne nerveusement les pages du livre à la recherche de quelque chose pour l’aider.

Un sourire.
Parfait.

- Préparez-moi de la tisane avec ça.

Et de pointer la plante au cuisinier.


- Donnez-moi du miel aussi ! Ca va être… amer…

Ca va jaser derrière son dos. Tant pis. Qu’ils jasent les gueux. Peu lui importe.

- Toi ! Viens avec moi !


Elle ne sait même plus comment elle s’appelle la gamine qui aide Margue. Mais elle sera très bien pour porter le plateau. Et Gabrielle de tourner les talons, elle sait que la petite suivra si elle ne veut pas être renvoyée sur le champ. Audoin n’est plus là. Tout garde privilégié d’Enzo qu’il est, quand le Seigneur est dans l’incapacité de donner des ordres, il est bien obligé de lui obéir à elle. Ca doit l’agacer certainement. Elle n’en abuse pourtant pas, limitant ses contacts avec Audoin au strict nécessaire. Elle est toujours courtoise avec lui, bien plus qu’avec les autres. Et elle le vouvoie aussi, pour faire plaisir à Enzo. Il n'est plus là en tout cas, ou du moins elle ne le voit pas, peut-être bien qu'il est là, juste un peu plus loin, tapi dans l'ombre. Peu importe au demeurant.
Elle renvoie la petite servante d’un geste de la main ; hors de question qu’elle entre dans la chambre et voit son Maitre dans cet état là. Une fois assurée qu’elle est seule, Gabrielle ouvre la porte, prend le plateau, entre dans la chambre et pousse la porte avec son coude pour refermer derrière elle.

Enzo !
Il git sur le sol.
Gabrielle sent son cœur s’arrêter. Elle manque lâcher ce qu’elle tient, mais elle se contient et pose le tout au sol avant de se précipiter vers Enzo. Il a du vouloir la suivre, ou aller vers le lit. Ses pupilles sont dilatées, trop, mais il respire, son cœur bat correctement semble-t-il.
Alors elle va lui chercher un gobelet dans lequel elle verse l’infusion de petite centaurée, elle y ajoute une cuillère de miel et mélange avant d’apporter le tout à Enzo. Elle est bien incapable de le relever, il est trop grand et trop lourd pour elle. Elle se contente donc de lui soulever la tête pour le faire boire. Ca coule un peu, ça n’est pas bon, il va vomir, encore, mais c’est un dépuratif des plus efficaces. Quand le gobelet est vide, il est envoyé balader sur le sol. Elle regarde Enzo. Elle aimerait pouvoir le porter sur le lit, comme l’avait fait Mordric en cette funeste nuit où elle avait choisit de tuer la vie qui naissait en elle. Elle aimerait pouvoir passer une main sous sa nuque, une autre dans le creux de ses genoux et le déposer doucement sur la couche. En cet instant, elle aimerait être son chevalier. Mais elle n’est que Gabrielle, sa femme. Alors elle le regarde, lui sourit, passe une main dans ses cheveux, s’allonge à coté de lui, sur le sol en pierre, pose sa tête sur son épaule et sa main autour de son torse et ferme les yeux.
Elle ne va pas dormir non. Elle va juste rester avec lui.

Il ne mourra pas ce matin.


Traduction de la citation (j’ai choisi la traduction littérale ce qui ne rend pas honneur au texte d’origine) :
Je ne cherche personne d'autre tandis que j'erre dans mon temps
Raccompagne-moi jusqu'au coin, nos pas rimeront toujours
Tu sais que mon amour va avec toi comme ton amour reste avec moi
C'est simplement leurs chemins qui changent, comme le rivage et la mer
Mais ne parlons pas d'amour ou de chaînes et de choses que nous ne pouvons délier
Le chagrin attendrit tes yeux
Hé, c'est impossible de se dire adieu

_________________
Audoin
[Pendant ce temps là, en Andalous... devant la porte de la chambre]

Il est à des lieues de savoir ce qui se trame derrière lui. S'il savait, il serait dingue. Vraiment.
Il avait vu son patron sortir vers les latrines, revenir tranquillement.
Il se doutait bien qu'il ne dormait pas, et c'était précisément pour cela qu'il veillait sur la porte.
Empêcher son maître de commettre une folie.
S'il avait su...

Mais il ignorait tout.
Il avait simplement vu Gabrielle rentrer. Ressortir. Revenir.
Et toujours pas un mot. Pas un cri. Du silence.
Les murs de pierres et les portes de chêne sont assez épais pour étouffer les étreintes feutrées.
Il suppose que c'est ce qui se trame là dedans.
Comment aurait-il pu imaginer ?

Il se méfie, cependant.
Il craint de nouvelles crises de cris.
Il craint pour Madame.
Un peu seulement.
Il ne faillira pas. Pas cette fois. Pas maintenant que Monsieur a tant besoin de lui.

Il veille. Il prie pour que tout se passe bien.
Demain, il ira se coucher.

S'il savait...

_________________
Enzo
    - Dans la chambre des maîtres.


Elle me quitte. Elle se détache comme on retire un nourrisson non désiré du sein de sa mère. Elle s’en va. M’abandonne t-elle à nouveau ? Je la regarde, impuissant. Je me demande ce qu’elle pense. Ce qu’elle se dit là, maintenant. Je suis minable. Je me sens minable. Je n’ai plus tellement envie de mourir, mais je ne sais pas si je vais survivre. C’est bête. Je sens mes yeux qui me piquent. Ai-je pleuré ? Où peut-être est-ce que je pleure actuellement. Je ne sais pas très bien. Ou peut-être que je voudrais pleurer et que rien ne sort. Tarissement de toutes les sécrétions. J’aurais peut-être envie de hurler là, maintenant. De faire ma gonzesse et hurler ma douleur. De lui dire de rester. Je voudrais encore m’accrocher à elle, lui interdire de me quitter. Et elle me dit de ne pas bouger. Phrase idiote. Phrase lourde. Phrase qui me fait croire qu’elle va réellement s’en aller. Pour quoi ? Chercher un médicastre ? Je vais avoir droit à la saignée, aux recherches, à tout pleins de choses désagréables qu’on fait au fou. Car c’est de la folie de vouloir mourir. Une hérésie. Et si ça se sait au delà de cet Oustau je pourrais même être excommunier. Je vais peut-être mourir et je pense à ses âneries. J’aurais presque un petit rire amer.

Voilà que tu te penches sur moi et vient glisser tes lèvres sur les miennes. Malgré que je viens de vomir. J’aurais trouvé ça affreusement dégoûtant dans un autre moment. Sauf que je ne suis plus vraiment moi-même. Alors je goûte un peu. Je cherche un peu salive. Celle que je n’ai plus. Mais tu te détaches déjà. Sauf que je te retiens, par la chemise. Tu me dis que tu vas revenir, mais je ne veux pas que tu me quittes. Et si je meurs durant ton absence. Si je reste les yeux ouverts à jamais sur le plafond de cette chambre ? J’aimerais au moins avoir comme dernière image ton visage si je dois mourir. Ne me quitte pas…Mais tu ne m’écouterais pas. Tu t’en vas déjà. Et je reste là. Las. Démuni. Je t’entends dire quelques mots. Audoin sans doute.

Et c’est long. J’essaie de me bouger vers la porte. La rejoindre. Oui, il faut aller la rejoindre. Sauf que mes mouvements sont lent, je discerne mal les objets de près et j’ai l’impression que mes yeux veulent explosés tellement je sens une pression. J’ai chaud. Tout est flou est c’est paniquant. Les cheveux qui me collent à la peau, le cœur qui bat bien trop vite, mais qui bat quand même, signe que je suis en vie. Je respire, mais j’ai si soif que ça en devient difficile. Les lèvres complètement sèches. Il me faut à boire. Je cherche du regard une bouteille. Je fais un peu de bruit d’ailleurs à chercher n’importe comment en tâtant. Je fous même ma main dans mon vomi. Ce qui me donne une violente envie de gerber de nouveau. Je ne trouve rien. Je vois si mal, et je sens mes muscles qui se fatiguent, à force de ne pas avoir mangé et d’avoir mal dormi durant plusieurs jours. Puis je m’effondre. Le regard vers le plafond. Haletant. Tout près du lit et bien loin de mon but, c’est-à-dire la porte. Je n’étais pas assis d’ailleurs avant ? Au sol ou sur ma chaise ? Je ne sais même plus. Peu importe. Là, je suis au sol. Complètement minable. C’est long. Elle n’est pas revenue. Elle ne reviendra peut-être pas. Je vais mourir seul. Je le sens. Ça tourne dans la chambre. Des images se dessinent devant moi. Je me vois. Petit garçon, et je cours dans le Logis familiale du Mont Saint-Michel.


- « Messire Enzo ! Messire Enzo. Revenez donc ici… ! »
- « Nah ! »
- « Ça n’est pas décent. Revenez ! »
- « Nah ! Je ne veux pas ! Je veux ma mère.»
- « C’est qu’elle est à Paris votre mère, Messire… »
- « Rien à faire ! Allez la chercher ! »


Et dans la scène le petit bonhomme d’âgé environ de 8 ans, pas spécialement grand – tellement qu’on aurait douté de sa future grandeur – sors dehors et déambule pour aller grimper sur le toit de l’écurie pour voir la manche. Il la verrai mieux des remparts et de la fenêtre de sa chambre, mais il s’en fiche.

- « Messire Enzo ! Si vostre père vous voit…»
- « Il peut pas me voir, il n’est pas là. »
- « Vous avez un entraînement avec Audoin d’ici quelques minutes, ne faites pas le gamin. »
- « Je fais ce que je veux ! Et je ne l’aime pas Audoin d’abord ! »
- « Messire Enzo, je vous en prie… »
- « C’est qui le cadet ici ? Moi. Alors je décide. Disposez ! »

Enzo rit de se voir ainsi. Petit et avec un avenir plein d’arrogance. Il rit, mais pas longtemps. Sa gorge est si sèche qu’il aurait du mal à parler. Puis il voit pencher sur lui Nennya. Sa mère. Elle sourit. Elle est belle sa mère. Les cheveux bruns comme lui. Des longs cheveux. Plus foncés par exemple. Ceux de Enzo étant un peu plus pâle. Les yeux marron. Un peu comme es marrons d’ailleurs. Elle n’a pas les yeux les moins fréquents, mais ils sont les plus beaux de tous. Avec ceux de Gabrielle. Et Enzo sourit un peu. Ailleurs. Il regarde l’image de sa mère. Elle n’est pas là. Il hallucine. Ça lui fait toutefois un bien fou. Peut-être est-il en train de mourir. Il ne sait pas bien lui-même. Il la regarde et lève une main vers elle. Tente de toucher ses cheveux, de retrouver cette odeur particulière. Il se souvient d’en avoir voulu quelques mois à sa sœur cadette quand elle était née. Il lui en a voulu, car après la naissance d’Hélène sa mère avait changé d’odeur. Une odeur de bébé. Et ça l’avait perturbé. En plus, elle était présente sur la Vicomté, mais bien loin de se préoccuper de son fils cadet. Le bébé avant tout. Une fille en plus. Après deux fils. Il ferme les yeux un instant.

- « Mère… »

Sauf que soudainement ça semble s’agiter autour de lui. Il ouvre les yeux, alors que l’image de sa mère se disperse. Un non est envoyé de façon plaintive. On le touche, et puis on lui soulève la tête pour qu’il boive un truc. C’est immonde. C’est atrocement dégueulasse. Très amer. Pourtant il boit. Il boit avec avidité ce qui lui est offert. Il a soif. Si soif qu’il avalerait n’importe quoi. Il regarde ensuite qui est là. Ça n’est pas sa mère. Elle est morte. Gabrielle. Elle est de nouveau revenu et c’est elle qui lui fait boire un truc épouvantable. Elle le soigne ? Il sourit un peu. Elle est revenue et glisse une main dans ses cheveux avant de s’allonger contre lui. Il ne la voit pas vraiment, mais il la sent. Ça lui suffit à s’apaiser un instant, malgré la confusion et les délires qui s’agitent. Et les minutes passent. Enzo bouge, murmure des phrases incompréhensibles. Réclame à boire, s’irrite contre tout et rien. Y’a le cœur qui lui défonce la poitrine et surtout une soudaine envie de pisser. Intense. Ça fait mal au ventre. Déjà que ce dernière ballote pas mal. Il ne sait pas ce qu’elle lui a donné, Gabrielle, mais ça fait effet !

- « J…je dois pisser… »

Et le Enzo de tenter de se relever. Sauf que ça contracte l’estomac qui n’a qu’une envie c’est de rendre le tout dans une odeur nauséabonde. Ce qui arrive… Sur Gabrielle. Il la regarde. Un peu blême. Le visage rouge, pas bien conscient. Et la douleur au bas ventre qui lui indique qu’il faut absolument qu’il urine ! Et vite. Alors il tente de se relever un peu plus, mais sa coordination n’est pas très efficace. Faiblesse toussa. Alors il n’arrive guère à grand chose et dans le temps de le dire, sa vessie s’occupe toute seule de la chose. Classe. J’ai vomis sur ma femme et pisser dans mes braies. Un murmure. Il se sent soudainement humilié et de devenir soudainement agressif. Enfin… dans l’agitation. Des jurons sont glissés, des paroles incohérentes et la tête qui se secoue.

- « M*rde ! »
- « Ah ha ! Tu es beau là !»
- « Ferme-là ! »
- « Tu vas me frapper ? »
- « Je vais te tuer oui ! »
- « C’est tout de même pas moi qui a tenté le suicide. »
- « Je ne veux plus mourir ! »
- « Trop tard ! Et tu vas crever minable. Plein d’urine, sentant le vomis. En plus tu regretteras, puis qu’elle est revenue. Ah ha ! »
- « Ta gueule ! »
- « Quoi, Enzo ? Tu n’apprécies pas ton arrogance ? Ah ha ! »


Et Enzo de faire des gestes pas possibles.
Il ne va pas mourir, han ?
En tout cas, il a encore soif.

_________________

©JD Marin
Gabrielle_montbray
« If walls break down, I will comfort you
If angels cry, oh I’ll be there for you
You've saved my soul
Don’t leave me now, don’t leave me now
(…)
Yeah you and me, we can light up the sky
If you stay by my side
We can rule the world »

- Take That - (ouais, mon côté midinette que voulez vous – et pis c’est une des chansons préférées de Simon Cowell je vous ferais dire)

Un moment de calme, un moment d’apaisement. Allongés tous les deux sur le sol froid de la chambre. Hors du monde et hors du temps. Gabrielle sent le cœur d’Enzo battre, un peu trop vite sans doute, elle entend son souffle, un peu irrégulier peut-être, mais ce sont les sons les plus doux du monde. Alors elle reste là à l’écouter murmurer des choses qui n’ont ni queue ni tête, elle reste là quand il commence à bouger, des mouvements aussi désordonnées que ses pensées et ses paroles. Il a soif. Gabrielle se relève un peu, elle s’apprête à aller lui chercher de l’eau. Et un seau manifestement, ils n’atteindra ni les latrines ni l’extérieur dans son état. Pas le temps de se lever complètement qu’un jet chaud et répugnant vient s’éclater sur sa chemise. Enzo la regarde avec la tête d’un gosse surpris en train de faire une grosse bêtise. Alors qu’elle reste un peu interdite devant le fait accompli, son mari tente de se relever, elle n’a pas le temps de reprendre ses esprits et d’aller l’aider qu’il est précédé par sa vessie qui relâche son contenu. Et Enzo de recommencer à s’agiter et de parler.

- Merde !... Ferme-là !... je vais te tuer oui !... Je ne veux plus mourir !... Ta gueule !...

Gabrielle le regarde, incertaine de à qui s’adressent ces paroles. Incertaine de leur sens également. Elle soupire avant de se lever en grimaçant. La brune enlève sa chemise, doucement, en prenant soin de ne pas s’en mettre dans les cheveux. Shit, elle en a sur les braies, et ça coule sur ses bottes. Un nouveau soupir. Un nouveau regard à Enzo. Elle enlève ses bottes, ses braies. Elle frissonne légèrement, il commence à faire un peu plus frais dans l’Oustau, l’automne approche. Elle se penche vers Enzo et l’aide à se relever.


- Je vais t’amener à boire mais tu ne peux pas rester comme ça.


Et sans lui demander son avis, elle entreprend de lui ôter ses braies. Elle sait qu’il déteste ça, mais elle ne va pas le laisser mariner dans sa pisse. Les braies d’Enzo rejoignent les siennes et sa chemise. Elle brûlera les vêtements. Impossible de les donner à laver, ça parlerait dans la mesnie et c’est tout à fait hors de question. Elle regarde Enzo. Il est beau comme ça son mari mais il est maladivement pudique et il ne dort jamais sans rien. Alors elle l’aide à enfiler une paire de braies propres, puis se couvre elle même d’une chemise.
Puis elle ouvre le lit, le pousse dessus, l’aide à s’allonger et tire l’édredon sur lui. Margue a bien fait son travail, il y a une cruche avec de l’eau fraiche et deux gobelets posés sur le petit bureau. Elle ramène de l’eau à Enzo. Elle installe un seau sur le sol de son côté du lit, s’il pouvait viser juste ça serait pas mal. Enfin les vêtements souillés sont posés sur la flaque malodorante, elle nettoiera tout plus tard. Là, elle est juste fatiguée et lasse. Elle rapproche le fauteuil du lit. Oui elle est fatiguée et lasse mais elle ne peut pas dormir, elle doit veiller.


- Plus tard -


Gabrielle a lu la lettre. En entier.
Et elle est descendue dans le bureau, chercher « tout ce que nous avons pu écrire durant ces longs jours ». Et elle a lu. Elle a lu les mots qu’il ne lui dira jamais, les mots qu’il détesterait qu’elle lise, des mots fous et insensés. Des mots insoupçonnés surtout.
Elle regarde Enzo dormir. Les lettres iront rejoindre le bureau, bien empilées, bien droites, dans l’ordre où elle les a trouvé. Il ne doit pas savoir qu’elle les a lu. Lui qui ne parle jamais, qui ne dit rien, et surtout pas l’essentiel, lui qui n’a jamais un mot doux est capable d’écrire des choses folles. Des choses rassurantes, des choses qui font du bien, des choses qui lui disent qu’elle a bien fait de revenir. Elle le savait, elle l’a toujours su qu’il était le seul et unique pour elle. Malgré les non dits, malgré les coups, malgré les infidélités… Oui, Enzo n’est pas un mari parfait. Loin de là. Mais il est le sien. Celui qu’elle voulait. Et il l’aime. Elle et pas une autre. Il ne lui a jamais dit, il ne lui dira jamais sans doute. Mais qu’importe, elle a lu et c’est maintenant une certitude. Alors elle va remettre les vélins à leur place, elle va continuer à lui sourire, continuer à le prendre dans ses bras, pas souvent, mais parfois, continuer à le regarder avec son regard qui lui dit « je n’aime que toi » et qu’il ne comprend pas et lui continuera à soupirer, à hausser les épaules, à dire que rien n’a d’importance et à ronchonner.

Mais elle s’en fout. Elle a lu. Et elle sait.


Traduction :
Si les murs tombent, je te réconforterais
Si les anges pleurent, oh je serais là pour toi
Tu as sauvé mon âme
Ne me quitte pas tout de suite, ne me quitte pas tout de suite
(…)
Ouais toi et moi nous pouvons illuminer le ciel
Si tu restes à mes côtés
Nous pouvons dominer le monde »

_________________
Enzo
    [Un autre jour, dans le bureau d'Enzo.]


Citation:
De nous, Enzo, Seigneur de Falmignoul
Rédigé le XXX Septembre de l'an grâce MCDL,


    C’est revenu sur le tapis.

    Une grosse bile qui nous serre un peu trop les tripes quand on la sent monter et venir bruler nostre intérieur. Un secret de famille qui fait pourrir un peu trop nostre intérieur et vient broyer nos souvenirs. Comme si rien n’avait existé. Comme si nous n’avions jamais été un fils ou un frère. Ça nous tourmente sans doute plus que de raison. Ça brule et ça fait mal. Nous étions héritier d’un Duché, d’une Vicomté et d’une Baronnie, et maintenant nous sommes qu’un petit Seigneur Impérial. Vassal d’un Prince ceci dit, mais n’en reste pas moins que Seigneur. Et il est difficile de tomber de si haut, d’entendre dire des phrases comme « Vous n’êtes que Seigneur » et autres. Puisque nous avons été plus. Le sang bleu coule dans mes veines, et nous avons grandi dans une éducation stricte que nous avons à maintes reprises d’esquiver. Né pour une carrière militaire, à sept ans nostre père avait préféré engager un jeune homme d’armes pour nous éduquer à cet art, Audoin.

    Bref. Enzo Sans nom. Voilà notre nouveau nom. Puisque nous ne pouvons plus porter celui de Blackney, qu’on nous a enlevé le droit d’être ce que nous sommes et de vivre sans famille et sans patronyme. Gabrielle dit que nous allons trouver un nouveau nom. Un pour nous. Tout les trois. Nous n’y croyons pas trop. De toute façon, ça ne sera jamais vraiment le nostre de nom. Nous sommes né Blackney. Fils d’Alcalnn et Nennya. Le sang reste le sang, et nous nous refusons de perdre ce droit. Nous nous sentons rien. Plus qu’un vulgaire orphelin abandonné. Et pourtant, nous avons été fils. Nous avons été frère. Nous avons été héritier. Avons nous eu raison de tout sacrifier, de prendre un tel risque pour Gabrielle ? Nous ne doutons pas réellement, mais nous nous posons plusieurs questions. Quel avenir pouvons nous réellement offrir à Gabrielle et cet enfant qui pousse dans son ventre et percute les bords comme un poisson qui sort de l’eau ?

    Rien. Nous sommes que Seigneur. Sans nom. Nous espérons au moins avoir un avenir. Nous écrirons peut-être encore un peu plus une autre fois. Là, nous sommes fatigué et allons rejoindre nostre femme au lit. Nous avons vu l’enfant donner des coups dans le ventre de Gabrielle ce jour. Il nous a même frapper quand nous avons déposer la main, curieux. C’est totalement fascinant. Il bouge et frappe sur les bords. Nous n’avions encore jamais vu cela auparavant. Nous trouvons ça tout à fait captivant. Et de plus, il semblerait que cela donne envie à Gabrielle de nous sauter dessus régulièrement. Ce qui ma foy de nous déplait pas. Mais peu importe. Il y a encore ces histoires de familles qui nous inquiète et cet avenir incertain que nous ne connaissons pas. La roture n’est jamais bien loin d’un jeune Seigneur.

    Eyquem. Ça se sera son prénom.

    Et nous tenterons bien de lui trouver un nom de famille. Un jour il nous vengera. Il nous vengera de cette famille qui nous a renié. Il nous vengera pour ce qu’il nous a été fait. Oui. Et ça sera forcément un fils. Fort et en santé. Parce que même Alcalnn ne pourra nié qu’il y aura du sang Blackney dans les veines de notre fils. Jamais ! Il n’en reste pas moins que toute cette histoire nous tourmente trop. Nous qui croyions que nous étions Blackney à vie. Fier de l’être. Pour l’instant nous ne sommes plus fier de grand chose…

    Faict à l’Oustau de Château-Thierry, Montpellier.

    Enzo Sans nom

    Seigneur de Falmignoul
    Grand Escuyer du Prince de Dinant


Un baîllement s'extirpa de ses lèvres tandis qu'Enzo délaissa le parchemin sur le bureau. Il avait une femme qui l'attendait dans sa couche, et c'était suffisant pour qu'il monte les escaliers un peu plus rapidement qu'à l'accoutumer.
_________________

©JD Marin
Enzo
    « Le bonheur est une femme. »
    Friedrich Nietzsche

    [- Seul et malade, dans la chambre des maistres]


Scène de ménage silencieuse en taverne. Enzo avait besoin d'écrire. C'est donc dans la chambre, en toussant et buvant de l'eau chaude avec du miel qu'il s'était mit à rédiger.

Citation:
De nous, Enzo, Seigneur de Falmignoul
Rédigé le XXII Octobre de l'an grâce MCDL,


    Qu’attend t-elle de nous ?

    Nous aimerions être celui qu’elle veut. Qu’elle recherche. Un père. Un frère. Pas vraiment un mari. Nous ne doutons pourtant pas de ce qu’elle peut ressentir de nous. Nous ressentons pour elle des émotions fortes qui nous bouscule toujours un peu plus chaque jours. Ce manque qui inonde quand elle n’est plus là, cette envie de créer quelque chose. Nostre cœur qui fait un bond quand sa main glisse dans la nostre, quand ses lèvres rencontrent les nostres, lorsque ses mains se baladent sur nostre torse. Des nuits blanches d’angoisses et de calme. Un mélange de détresse et d’exaltation. Pourtant, il semblerait que nous ne sommes pas à la hauteur de ses espérances. Que veut-elle ? Que recherche t-elle en nous ? Tente t-elle de renouer avec ses pertes, comme nous le faisons parfois avec elle ? Il n’y a que de la poussière. Deux corps qui se combattent et finissent poussiéreux du mal qu’ils se sont fait. Des blessures internes qui ne saigne pas, mais laisse tout de même couler un vide profond dans les veines.

    Elle ne veut pas de l’enfant. Elle ne veut pas ce bout de nous. Ce bout de nostre histoire. Ce que nous considérons comme nostre combat. Pour lui donner la vie qu’il mérite. L’amener à récupérer ce qui lui appartient. Son nom. La reconnaissance de son sang. Nous ne comprenons pas pourquoi. Nous avons l’impression de lui avoir nuit en faisant installer cet être qui nous le croyons demande rien d’autre que de vivre un peu. Nous connaissons très peu de chose sur ces choses là. Ça n’est pas le travail d’un homme d’aimer son enfant. Pas comme ça. Peut-être. Nous ne savons pas très bien comment il faut agir. Nous voulons juste qu’il puisse porter nostre épée, qu’il soit fier de son père. Qu’il devienne celui que nous n’avons pas réussit à être et ne réussira peut-être jamais.

    Nous avons l’impression que ce se rejet de l’enfant, est une forme de rejet de nous. Que par le biais de ce lui, elle cherche à nous montrer que nous ne somme pas à la hauteur. Nous ne sommes pas le mari parfait. Que nous ne sommes pas ce qu’elle attendait de nous. Et pourtant nous voudrions, parfois. Nous cherchons à comprendre ses espérances, à transgresser nostre égocentrisme. Elle a dit être terrifié. Nous n’avons pas bien compris si c’était d’enfanter ou de la présence de l’enfant en elle. Les deux peut-être. À nous aussi, l’accouchement nous fait peur. Nous ne le disons pas trop, mais nous craignons qu’elle disparaisse en donnant la vie. Ou la mort. Nous serions bien incapable de voir grandir le fils ou la fille si elle n’était plus là. Il ou elle serait la cause de la mort. Nous ne pouvons pas l’envisager. Nous n’avons que des illusions déçus dans nos souvenirs. Gabrielle est plus forte que nous. Nous ne lui dirons jamais. Nous savons qu’elle est plus que nous ne le serons jamais. Nous refusons d’en prendre conscience entièrement, mais si elle devait mourir, qui porterait nostre monde. Qui guiderait nos pas quand nous hésitons ? Qui nous calmera nous faisons des cauchemars ? Qui appliquera chaque jour le baume sur la mort de nostre mère ?

    Eyquem. Ne tue pas ta mère.

    Nous avons tant laissé derrière nous. Tant sacrifié. Mais nous aimerions comprendre pourquoi elle n’en veut pas. Pourquoi elle le voit comme un intrus. Nous non plus, nous n’en voulions pas. La peur de la perdre était bien trop grande pour prendre en considération que devenir père est un moment important dans une vie. Puis, il a donné signe de vie avec la vigueur de ses coups de pieds. Nous nous sommes rapprocher de ce que c’était vraiment un « nous ». Un peu. Nous ne parlons toujours pas assez, nous restons odieux et aux humeurs instables. Nous ne sommes pas certains d’arriver à être un bon père. Comment cela se pourrait-il après tout. Nous avons été un mauvais fils, un mauvais frère, nous somme un mauvais mari. Pourtant, nous avons cette envie de voir le front de ce petit bout du monde. Ce que nous avons fait. Tout les deux. Un bout de nous. Ne comprends t-elle pas que c’est le lien de nostre secret, de nostre interdit ? N’est-ce pas cela qu’Aristote veut finalement ?

    Peut-être est-ce nous qui sommes plus sentimentales que nous voulons le faire croire. Les mots ne servent à rien, mais il semblerait que cela me fasse un certain bien de les écrire. Gabrielle. Dites-nous ce que vous attendez de nous. Dites-nous ce qu’il faut faire. Est-ce que vous allez nous pardonner un jour de vous avoir engrossé ? De vous faire vivre ce qui semble être une angoisse permanente ? Allez vous nous pardonner de vouloir qu’il arrive ? Allez-vous m’offrir la rédemption de ne pas être celui que vous auriez besoin ? Nous avons erré des mois à rechercher un avenir. Nous avons tout perdu. Nostre virginité, nostre envie de vivre, nos ambitions. Nous avons tant cherché à effacer ses souvenirs, la mort de nostre mère dans l’illusion des sentiments. Puis vous êtes arrivé. Nos sangs nous l’interdisaient, et pourtant nous sommes allé plus loin quand même. Nous avons connus la dureté des ébats, la passion et la chaleur d’une femme qui se donne. Nous avons eu moins peur. Nous prenions beaucoup, mais vous nous avez aussi offert quelque chose d’autre. Un bout de vous. Dans cette auberge où nous avons commis l’infamie.

    Gabrielle.

    Pourquoi faites vous offense à ce que nous sommes en le détestant lui, de grandir en vostre ventre ? Nous ne comprenons pas. Et ce qui nous semble être un rejet nous fait mal. Nous sentons la brulure de la toux rejoindre le désoeuvrement de nostre esprit. Et la fièvre de nous gagner de nouveau tout comme les maux de tête et le corps qui nous semble lourd, alors que nous nous essoufflons au moindre effort...

    Vous devez vivre.
    Tout les deux.

    Faict à l’Oustau de Château-Thierry, Montpellier.


    Seigneur de Falmignoul


Le jeune homme se leva ensuite, lettre en main, qu'il déposa sur le petit meuble près de son lit. Il s'engouffra ensuite dans le lit froid et vide pris soudain d'une quinte de toux, laissant aller quelque crachats dans le sceau qu'il avait fait déposé sur le bord du lit. Il souffla dans un sifflement et une respiration douloureuse la bougies et ferma les yeux. Valait mieux pour lui qu'il s'endorme, la fièvre saura très bien le réveiller et lui donner une nuit agité, sans compter la toux qui le prenait de plus en plus.Il ne savait pas si Gabrielle allait rentrer... il l'espérait, mais ne l'avouerait pas.
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©JD Marin
Gabrielle_montbray
« Viens, viens, c'est une prière
Viens, viens, pas pour moi ma mère
Viens, viens, reviens pour mon père »

- Marie Laforêt (j’ai inversé père et mère) -

Scène de ménage silencieuse en taverne. Gabrielle avait besoin de boire. Elle ne buvait presque plus. Et plus jamais trop. Elle avait vieilli et laissé derrière elle ses mauvaises habitudes de gamine sans repères, de gamine trop libre, trop seule.
Mais cette nuit, elle avait comme une envie d’oubli, une envie d’alcool, une envie d’avant et d’ailleurs. Pourtant la vie allait bien. Certes, Enzo était malade depuis son retour de l’armée mais Gabrielle voulait croire qu’il irait mieux très vite. Certes la fièvre et la toux faisaient remonter des souvenirs qu’elle aurait voulu laisser dans l’ombre. Une autre fièvre, une autre toux venues du passé. Et celle qui les subissaient n’étaient plus là pour en parler. Et elle manquait parfois à Gabrielle. Elle aurait bien aimé pouvoir poser sa tête sur les genoux maternels, fermer les yeux et sentir la main apaisante se poser sur ses cheveux. Entendre encore une fois la voix douce qui demandait « qu’est-ce que tu as encore fait ? », une voix qui tentait d’être sévère sans y parvenir vraiment.

Alors que la petite chose qui avait pris place au fond d’elle se manifestait de plus en plus vigoureusement, Gabrielle sentait le manque. Elle aurait voulu partager ses angoisses, ses cauchemars, ses doutes, ses interrogations avec cette femme à qui elle ressemblait si peu et à qui elle devait tant pourtant.
Et Enzo qui ne comprenait pas. Qui n’entendait pas. Qui s’en fichait. Qui aurait voulu qu’elle aime cet enfant à venir, qu’elle l’accueille, qu’elle lui fasse une place dans son esprit comme dans son corps.

Gabrielle détestait son état, elle détestait sentir des coups venus de l’intérieur, elle détestait voir bouger son ventre, le voir grossir – même s’il restait bien modeste, trop peut-être. Elle était terrifiée par cet être inconnu qui l’habitait. Elle faisait des cauchemars toujours plus atroces, toujours plus sanguinolents, toujours plus violents. Elle aurait voulu qu’il parte, qu’il disparaisse, elle en venait presque à souhaiter faire une mauvaise chute de cheval, recevoir un coup tragique lors d’une garde nocturne sur les remparts de la ville. Elle voulait se réveiller un matin et découvrir qu’il n’avait jamais été là.
Cet enfant qui n’était pas encore né se mettait entre Enzo et elle. Il créait des tensions et elle le détestait pour ça. Gabrielle ne laissait personne se mettre entre eux deux, pas plus son fils que les autres.
Car ça serait un fils. Il le fallait. Une gorgée de whisky. Gabrielle boit, assise dans une chambre de la taverne de Traverse. Une chambre qui fut la sienne quelques semaines, à son arrivée à Montpellier. Elle regarde les ombres danser sur le mur et sa silhouette, vascillante à la flamme de la bougie, qui se projette en grand. Cette silhouette monstrueuse et difforme. Son ventre qui n’était plus tout à fait plat. Une gorgée d’alcool. Elle n’arriverait pas à se saoûler. Rester ici était inutile.


- I don’t want you and I don’t like you!*


Et Gabrielle envoie la bouteille se fracasser sur le mur, visant l’ombre de son ventre.

- Forgive me…*


La brune quitta la pièce, quitta la taverne et rentra chez elle. Là où était sa place. Là où elle devait être.
En pénétrant dans la chambre à l’oustau, plongée dans l’obscurité, elle entendit la respiration encombrée d’Enzo. Encombrée mais régulière. Il devait dormir. Elle se déshabilla dans le noir et rejoignit le lit à tâton. Elle se glissa sous l’édredon, contre, tout contre, le corps d’Enzo. Elle posa une main fraiche sur le front fiévreux, main qui glissa ensuite pour venir entourer les épaules. Un murmure avant de fermer les yeux et de sombrer dans un sommeil peuplé de mauvais rêves.

- C’est toi que j’aime…

* Je ne te veux pas et je ne t’aime pas ! / Pardonne moi…

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Enzo
Une lettre. La première d'une longue liste.

Citation:
À Toi, notre fils.

    Tu es né. Une nuit de novembre, tu as fait souffrir ta mère pour pointer le bout de ton nez dans ce monde brutal. Un monde dans lequel tu n’as pas vraiment le droit d’exister. Un monde qui verra en toi beaucoup trop de pêchés. Un monde qui te veux déjà du mal parce que tu n’aurais jamais du naitre. Normalement. Ne pense pas que nous n’avons pas voulu de toi. Là n’est pas la question, mais nous t’expliquerons pourquoi cette haine est déjà au dessus de ta tête, comme une auréole au dessus de cette d’un ange. Nous te dirons tout. Mon fils. Ne t’en inquiète pas. Tout ce que tu devras savoir. Rien ne te sera caché. Nous ne te haïssons pas. Ta mère a survécu à ta naissance, et c’est tout l’important. Seulement, tu es un peu de l’interdit. Un peu de cette clandestinité. Un peu de ce secret. Légitime enfant. Premier mâle. Mais il y a des histoires qui ne sont pas toutes chevaleresque avec une fin digne de la chanson de Roland. Quoique finir mort n’est pas nécessairement une bonne chose. Retiens le mot digne surtout. Il faut toujours mourir en héros, et jamais en lâche. Retiens ça aussi. Sinon, jamais tu ne pourras être un Blackney.

    Nous ne savons pas bien comment réagir à ta naissance. On ne se connait pas bien tous les deux, et nous n’avons pas réellement un caractère facile. Il parait que tu nous ressembles. Nous avons trouvé que tu ne ressemblais pas à grande chose tout enveloppé comme tu l’étais. Il parait que tu es vigoureux. C’est bien, car l’hiver arrive et nous espérons que tu vas y survivre. C’est mieux en ville, il fait moins froid dans les Oustaus que dans les vastes châteaux. Tu auras bien le temps de visiter les terres qui nous appartiennent à ta mère et nous, plus tard. Pour l’instant, tu n’as que quelques jours. Enfin, peu importe. Ça n’a guère d’importance. Cette lettre est la première que nous t’écrivons. Il y en aura plusieurs. Ça parlera un peu de nous. Le passé. La raison de ton existence. Qui nous sommes, ta mère et nous. Ça te servira plus tard. Quand tu pourras lire. Pour comprendre ce que tu n’auras pas compris. Au cas où la guerre nous éloigne de toi, et que nous ne revenions jamais. Tu sauras. Tu connaitras ton passé et ton avenir. Tu ne seras pas seul, mon fils.

    Jamais.

    Tu es né, dans la nuit du 23 au 24 novembre. L’ironie de la chose c’est que c’est un 23 novembre que notre propre mère se mariait avec notre père. Peut-être est-ce un signe. Ta petite main tiendra rapidement l’épée de la conquête mon fils. Tu as le sang des Blackney qui coule dans tes veines. Un sang d’hommes d’armes. Un sang bleu. Un peu normand. Un peu gascon. Même si ton lieu de naissance sera cette Capitale Languedocienne. Nous t’avons décidé un avenir qui te sera prospère, et nous allons tout faire pour que tu puisses porter fièrement des couleurs et des armories. Ne dénigrons pas ce sang qui est le nôtre, et l’héritage qui aurait dû nous revenir. À nous comme à toi. Reste néanmoins que nous allons devoir nous apprivoiser, puisque nous ne nous connaissons pas très bien. Beaucoup te voudront du mal, mais le moment venu, ces lettres serons là pour t’aider. Pour accomplir ce qui doit être accompli mon fils. Puisque cela doit être, et qu’il pas possible de tolérer tel balayage de la main provenant de ton grand-père. Plus tard tu comprendras. Pour l’instant, nous allons terminer ici cette première lettre. Sache seulement qu’il ne faut jamais oublier qui nous sommes, Eyquem William de Montbray-Sempère. Et soit fier du nom que tu portes, même si ça n’est pas le bon. Soit fier du sang bleu dans tes veines.

    Qu’Aristote te protège mon fils,

    Ton père,




Et Enzo de ranger soigneusement la lettre dans un faux livre.
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©JD Marin
Enzo
Parce que ça méritait des derniers mots...

Citation:
À Toi, notre fils.

    Cette lettre, tu ne l’as liras jamais. Tout comme la première. Et pourtant, nous espérions tant que tu en aurais pleins à lire lorsque la vie et le temps auraient fait son office sur nous. Il y a des choses qui arrivent sans que l’on puisse vraiment faire quoi ce soit. Des choses qui font s’effondrer ce en quoi nous croyons. Des évènements, des paroles, des émotions qui chamboulent tout une vie. Tous les rêves. Tous les espoirs. Dans la première lettre nous t’avions dit que tu n’avais pas réellement le droit d’exister. Que tu n’aurais jamais du naitre. Que le danger et la haine plainait au dessus de toi comme un archer près à faire son meurtre. Nous allons t’expliquer pourquoi. Peut-être ta mère t’expliquera plus tard. Peut-être te dira t-elle que les hommes de notre famille sont des lâches. Qu’ils abandonnent leurs enfants. Nous ne savons pas bien. Même si tu ne liras sans doute jamais cette lettre.

    Ta mère et moi avons un même sang qui nous lie. Ce sang qui rend notre relation interdite. Ce sang qui pourrait nous amener à l’inquisition, si nous ne cachions pas ce qui est, pour certain, une infamie. Une relation incestueuse qui n’aurait jamais du voir le jour. Et pourtant elle a existé. Elle a perduré. Et nous l’avons marié. Contre toute attente. Contre le monde. Contre notre famille. Nous avons perdu héritage, nom et famille pour cet acte vu comme un pêché abominable. Pour ta mère. À l’époque c’est ce qui nous semblait le plus honorifique. Le plus évident. Nous l’aimions. Et c’est encore le cas. Nous ne regrettons pas ce choix. Toutefois, nous t’avons aussi privé de ton héritage, ton nom, et d’une famille plus complète, quoique nous n’avons jamais connu notre grand-père non plus.

    Quoiqu’il en soit, pour notre famille nous sommes l’imperfection. Le fils cadet à oublier. Un soit disant fils. Puisque nous avons pêché avec ta mère. Puisque nous avons liés nos vies pour le meilleur et pour le pire. Pour regagner nom et potentiel héritage il nous faudrait alors répudier ta mère, nous soumettre à ton grand-père et implorer clémence. En d’autres mots, abandonner la femme que nous aimons. Même si nous ne lui disons jamais. Pour l’instant tu es trop petit pour comprendre. Nous ne savons pas bien comment tu prendras les choses. Mais nous t’avions promis que tu saurais tout. Alors nous t’écrivons tout. Même si nous avons la certitude que tu ne pourras jamais lire ce que nous écrivons en ce moment.

    Par principe, nous avons informé notre père de ta naissance. Nous lui avons dit ton nom. Nous lui avons demandé s’il oserait te renier toi aussi. Réponse nous avons reçu. Puisque tu n’es pas coupable du pêché, puisque tu n’es qu’un enfant innocent il exige que tu lui sois remis. À lui ou notre sœur. Ainsi ton sang Blackney sera reconnu. Ce sont les conditions. Des conditions minables visant à ce que nous t’abandonnions ou que nous partions, ensemble, sans ta mère, rejoindre la famille. Pour demander pardon. Reconnaitre nos fautes. Et nous avons hésité. Nous ne savons pas bien ce qui est bon pour toi, Eyquem. À peine né que ton héritage se compose de haine. Qu’il est parsemé d’interdit et d’illégalité. N’est-ce pas là un cadeau empoissonné que nous t’offrons. Nous ne sommes pas certains de ce qui est le plus judicieux à faire. Et pourtant, nous t’aimons. Oui. Tout du moins, nous croyons t’aimer. Une affection grandissante. Parce que tu es un peu de nous, à Gabrielle et moi. Un peu de cette passion qui nous lie. Un fruit interdit, vrai, mais le fruit d’une union qui est la notre.

    Nous nous connaissons pas très bien. Quand nous te regardons souvent tu dors. Tu as cette même tranquillité que nous quand nous dormons. Les petits poings fermés, tout enveloppé dans tes langes. Tu es peut-être beau. Nous n’en sommes pas très certain. Ta mère risque de te cacher. Nous avons embrouillé la confiance qu’elle avait pour nous, parce que nous avons hésité à la proposition de t’abandonner. Peut-être nous pardonneras-tu jamais tu jamais d’avoir eu la moindre hésitation. L’angoisse nous enveloppe et nous ne savons pas bien ce qui est juste pour toi. Nous ne voulons pas répudier ta mère, mais toi dois-tu payer le prix de nos pêchés ? Le prix de nos amours interdits ? Le prix de cette passion incestueuse ? Eyquem William de Montbray-Sempère. Nous n’avons aucune envie de t’abandonner. Aucune envie de te savoir grandir ailleurs. Aucune envie de ne pouvoir te connaitre. Alcalnn nous a abandonné par deux fois. En étant un père absent et en nous reniant.

    Nous n’avons pas vraiment envie que cela se produise pour toi aussi. Et pourtant, nous ne savons pas bien ce que nous devons faire. À l’heure qui l’est, ta mère est sans doute partie avec toi. Et nous sommes seul et abandonné. Sans elle et sans toi. Si jamais tu trouves un jour cette lettre, nous aimerions que tu saches que dans l’hésitation nous avons eu peur, mais qu’au final nous n’avons pas vraiment voulu t’abandonner. Nous ne savons pas si on va se voir un jour. Si ta mère reviendra après t’avoir caché. Nous ne savons pas comment dire les choses et nous souffrons de ta perte. Toi, notre fils. Nous ne sommes pas à la hauteur pour être ton père. Nous ne sommes incapable de te protéger comme il se devrait. Nous payons le prix de nos silences.

    Eyquem William.
    Dis-lui aussi à ta mère, que nous l’aimons.
    N’oublie pas d’être digne et fier, malgré tout.
    Et n’ai jamais peur de tes convictions, mon fils.

    Qu’Aristote te garde,

    Ton indigne père,




Et la lettre est abandonné dans le faux livre. Faux livre qui est mal rangé...
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©JD Marin
Enzo
    « Bien avant qu'on se soit connu
    Bien avant qu'on se soit parlé
    Bien avant que j'étais venu
    Je savais déjà que je t'en voudrais […] »

    Bien avant - Benjamin Biolay


Tu étais la main qui a retiré le voile devant mon regard embrumé par la peur et la tristesse. Tu as été la femme différente. Celle qui est venue, qui m’a détesté, mais qui ne s’est pas enfuie. Tu t’es allongée. Alanguie. Tu as haleté aussi, avant. Tu m’as regardé avec tes yeux bleu sombre. Tu m’as laissé m’immiscer dans ta vie. Dans tout les sens du terme. Tes provocations, ta main, notre orgueil. Tu me voulais et tu m’as eu. Même si je t’ai tué un peu, aussi. Tu étais celle qui n’aurait jamais dû être là. Celle qui n’aurait jamais dû arriver. Celle avec qui je n’aurais jamais dû coucher. Et bien avant que tu ne viennes, je savais que tu viendrais. Je savais que ça arriverait. Et que je t’en voudrais. Elizabelle m’avait sortie de mon mutisme. Je pouvais vivre un peu plus auprès d’elle. La bouée qui t'aide à flotter, mais ne t'apprends pas à nager. Une image par dessus une image. Une continuation strict et sans réelle passion. Un amour faux pour cacher la douleur. Pour cacher les sentiments. Pour cacher la mort. Sauf qu’il y a eu toi. Il y a eu toi, comme une coïncidence étrange. Et tu tenais la glace du reflet que j’évitais. Tu tenais l’arme la plus traitre, moi. Les batailles, les jeux, l’alcool, les femmes, et les affaires n’étaient qu’un moyen d’exister parallèlement à la vie que j’essayais d’oublier. À la mort qui avait saccagé mon existence et détruit mes repaires. Lui, il ne savait rien. Il s’en foutait sans doute. Quelques échos, peut-être, lui étaient parvenus. Et absent il avait toujours été. Il avait fallu que tu arrives dans ma vie, dans la notre, pour qu’il sorte, s’intéresse un peu plus à moi. À ce fils cadet qu’il oubliait, et sur lequel planait les responsabilités de l’ainé. Responsabilités que je ne savais pas prendre en charge.

Je suis un minable. Définitivement. Et bien avant que tu bouscules ma vie, je savais que je te détesterais autant que je t’aime. Que je t’en voudrais d’être arrivée à Orthez. Que je t’en voudrais d’avoir eu envie de toi. D’avoir osé une deuxième nuit. Que plus je voudrais te détester plus je t’aimerais. Plus que je m’éloignerais, plus je sentirais mon âme se scinder en deux, que plus je voudrais limiter les dégâts, plus je nous ferais souffrir. Regarde, mon amour. Je t’aime comme un con, mais je ne sais même pas te le dire. Regarde, Gabrielle comme j’ai l’âme retournée par ta faute, même si ça ne se voit pas. Il y a tant de choses à voir, à décrire et à vivre. Dis-moi pourquoi est-ce si dur de t’aimer. De te plaquer contre un mur, foutre ma langue dans ta bouche, mes mains sur ton corps, mon regard dans le tien et te murmurer un je t’aime, haletant. Je te néglige, je te maltraite, je t’insulte, je t’ignore. Je te fais l’amour avec mes tripes, et c’est bien tout ce que je suis capable de te donner. Que chaque coup de rein soit un peu ce que je n’arrive pas à dire. Qu’il représente ce que je ne donne à personne d’autre. Mais ça n’a pas d’importance, sans doute. Rien n’a d’importance, n’est-ce pas Gabrielle ? Je suis couché sur notre lit, par dessus l’édredon, à fixer le ciel de lit. Regard superficiel. Et on s’en fiche. Je suis seul dans la pièce. Les sinoples restent secs. Bien avant que je prenne possession de toi, je savais que tu serais ma perte. Je savais que j’aurais mal. Et que je te ferais mal. Indéniablement. Je suis un minable.

J’ai même râté mes adieux.


    « […] Bien avant qu'on se soit déçu
    Bien avant qu'on soit des déchets
    Bien avant ce goût de déjà vu
    Je savais déjà qu'on y resterai […] »


La vie peut être longue ou courte. Remplie de calme ou d’embûches. J’ai la main qui glisse sur l’édredon pour prendre entre mes mains l’épée qui est mienne. La seconde. Ne pouvant plus garder celle que mon père m’avait offerte à ma majorité, avec un « gloire aux Blackney » inscrit dessus. Mes doigts voyagent sur la lame, mes sinoples l’observent et croisent le reflet de mon visage. Nous y resterons, Gabrielle. Nous y resterons. Un jour. Tous les deux. Moi, tout seul. Et toi, à cause de moi. Enchainés nous sommes. Enchainés l'un à l’autre, nous quitterons. Le cœur dans l’étau d’une histoire ridicule. D’une histoire que nous n’aurions jamais du créer. Bien avant de goûter tes lèvres une première fois, bien avant de glisser une main dans tes cheveux, bien avant le premier coup de rein impérieux, je savais qu’on allait se brûler tous les pores de la peau. Qu’on finirait brûlé par notre infamie. Que le goût qui nous resterait serait celui du goût métallique du sang. Je te tuerai. Je te tuerai, mais pas comme dans mes cauchemars. Tes yeux sombres regarderont le vide et tu disparaîtras. Dans l’espoir de me rejoindre peut-être. Bien avant que mes lacs irlandais ne rencontrent tes océans, je savais qu’on se pendrait à se connaître. Gabrielle. Je bascule. Et ma main gauche de venir s’appuyer sur la lame de l’épée, tandis que ma main droite fait un léger mouvement. J’observe la plaie qui brûle et le sang qui commence à couler, faisant tomber quelques gouttes sur ma chemise et l’édredon. Et je reste là à observer la blessure infligée, l’épée étant abandonnée sur mes cuisses. Je ne sais pas où tu es. Je ne sais pas si j’ai envie de le savoir. Mes yeux se ferment un instant, ainsi que ma main gauche. Main gauche que je dépose ainsi fermée sur mon torse.

Tu es mon amour, mais je ne te le dis pas. Jamais. Indéniablement tout s’effrite et s’effondre, nous sommes comme un bout de parchemin qui disparaît sous le feu qui le consume. Que se passerait-il si je me laissais couler dans le port ? Que se passerait-il si mes pieds me guidaient vers un précipice ? Qu’arrivera t-il si jamais un canon me sautait à la tronche parce que je n’ai pas fait attention ? Que penserais-tu si je me laissais pourfendre par le premier venu qui en voudrait à ma vie ? Je m’égare. Il n’y aurait jamais dû avoir quoi ce soit entre nous. Et pourtant, je suis toujours là, sur notre lit, la paume de ma main tâchant le bout de mes doigts et ma chemise. Je suis là, à t’attendre, comme une défection. Tu es tout. Si tu savais. J’aime tes doigts qui glissent dans mes cheveux. Ton odeur particulière. Quand tu oses tes baisers ailleurs que sur mes lèvres. Quand tu me touches et cherches à connaître tout de moi, et ce bien que je te regarde peu, et ne te touche que le minimum. J’aime quand tu me souris en embarquant dans mon baquet. Que tu passes tes bras autour de mon cou et t’y agrippes. J’aime glisser mes doigts sur ta peau, juste quelques secondes pour y sentir la douceur. Oh, si tu savais Gabrielle tout ce que j’aime. Nos danses indécentes, nos corps qui s’accrochent l’un à l’autre, qui se cambrent et en veulent plus. Nos souffles qui se mélangent, nos langues qui s’unissent.

Je savais que tu serais ma perte.
Je me doutais que je te briserais, te casserais, te détruirais.
Et si j’osais hausser des épaules
Et si j’osais un soupir.
Et si j’osais disparaître.
Que se passera t-il…

Mon amour.
Gabrièla…

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©JD Marin
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