Ursula! Ursula! Il m'a répondu! C'est ce que criait la brune, à la blonde, évidement au courant de ses démarches douteuses. Malheureusement, la noble nétait pas là, sûrement occupée à essayer de supporter son promis.
Première lecture enthousiaste, donc, appuyée contre un mur, debout. Elle écarta ensuite le feuillet de ses yeux, le gardant précieusement, tenu serré, à le froisser.
Il a répondu, il a répondu...
Oui, elle se répète, la chenille, mais il faut dire qu'elle n'en revient pas que quelqu'un envisage même de loin, de l'espousailler pour ses belles qualités.
Çà lui simplifierait la vie, de se trouver si facilement godillot au pied. Même si...même si... Linquiétude demeure. Ne fait-elle pas une vaste connerie?
Mais sa petite voix lui dit, impérieuse, enjôleuse :
Mais non, mais non. C'est ce qu'il te faut. Allez... assise! Réponds!
Mais elle, elle voulait le conseil de la blonde, ou de Richard. Résistant un peu, elle ressortit de la chambre, où elle avait passé la nuit au pied du lit d'Ursula, pour cause de dangereux monstres nocturnes.
Elle s'en vint à la taverne où la veille elle avait passé tant de temps, à entretenir un feu, voué à la rassurer. Et le ranimant, s'asseyant, elle lu, relu, rerelu, jusqu'à interpréter chaque mot, chaque courbe de lécriture, cherchant même à en deviner l'odeur.
Les problèmes en fait, commencèrent dès qu'elle voulut débuter sa réponse. Lui la tutoyait. Et çà ne la gênait pas. Mais elle, qu'allait-elle faire?
Cher de Pommière? Un peu guindé. Et Cher Finn sonnait trop convivial. Avec un rien de malice, elle opta pour une dernière solution, gardant pour l'instant le voussoiement plus naturel chez elle.
Fait en le jour 10 du mois 9 de 1460. Jour heureux.
Cher Pommier
Voulez-vous être pour la chenille, l'arbre nourricier, le refuge, et le nid? A l'ombre de vous, avec lenteur et ondulations, je cheminerai. Au creux des branches jéviterai moineaux, étourneaux, et autres rapaces. Vos feuilles dévorées me feront grandir, et en mon âme, la chrysalide s'ouvrira, laissant fuguer le papillon éphémère.
C'est une jolie image, non? Cela vous plairait-il?
Rappelée à l'ordre par une pensée, qui disait : Doucement, la belle. Doucement. Ce n'est pas de çà dont il s'agit. Allons, soit plus terrestre, et cesse tes envolées.
Elle faillit tout déchirer et recommencer. Mais non.
Ainsi reprit-elle, appliquée à garder le cap et de la retenue
Plus sérieusement, mon sobriquet me vient certainement de ce que je sois trop terre à terre pour être un papillon. C'est Richard, qui en a trouvé l'idée, m'expliquant que jétais encore loin d'avoir la grâce volubile de ces jolis volatiles, mais que j'y arriverai peut-être un jour. Sans doute sous entendait-il : si quelqu'un la prend en main.
C'est avec un plaisir certain que j'ai lu, et relu votre lettre. Pas tant qu'elle soit si agréable, mais ma fierté s'est ragaillardie que vous me trouviez assez dintérêt pour me voir prometteuse. Je préfère donc ne garder que çà à l'esprit, et passer sur les quelques autres qualités que vous me trouvez, qui, elles, n'ont pas l'air d'avoir l'heur de vous convenir.
Voyons maintenant où en venir. Un arrêt, un petit conciliabule avec elle-même. Une hésitation et une décision. Parlons comme lui, et voyons ce qu'il en dit.
Car à la fin, que cherchez vous? Une femme qui prendrait soin du foyer, n'entreprendrait pas de ternir votre réputation, et se tairait la plupart du temps. Pour cela, aucune n'a tant besoin de qualités, à part de n'être ni stérile, ni stupide. Je pense pouvoir vous assurer que je ne suis pas bête, n'en déplaise à mon surnom d'animal rampant. Quant à la première des conditions... Il faudra bien essayer pour le savoir, et vous aurez toujours le loisir d'annuler le mariage s'il n'est pas fécond.
Je suppose qu'une telle femme devra aussi démontrer être assez soumise au joug marital pour se complaire en pareille situation. Car évidement, ce n'est pas le cas de toutes. Cela, moi je peux le concevoir, étant avancé qu'un mariage est un contrat, dans lequel j'offre bras et ventre, et vous sécurité et respectabilité. Si vous tenez votre part du contrat, je me fais fort d'au moins m'appliquer à essayer de tenir la mienne, comme définie à l'avance.
Je peux aller, s'il vous plait, jusqu'à détailler les tâches que je sais accomplir, mais j'ai bien peur que la liste n'en soit aussi longue que rébarbative. Sachez tout de même, que ma mère qui était très amoureuse de son mari, et lui d'elle, était une piètre ménagère, et qu'il a bien fallut que quelqu'un se charge de tout.
Et là, plume filant, sans le frein de ses hésitations, elle en vint à ce qui linquiétait
Par ailleurs, vous parlez dans votre lettre de longues soirées d'hiver. Mais n'aviez vous pas dit, dans l'annonce, que vous étiez souvent absent?
Car si je suis parfaitement consciente de ce qu'il m'en coutera de conclure l'affaire, je ne peux quand même pas envisager de vous tenir compagnie tous les soirs, sans avoir d'autres loisirs que vous regarder boire. Vous imaginez bien qu'à ce rythme là, n'importe qui finirait en état de léthargie avancée.
Ainsi donc, je réclame une part de liberté, et le droit doccuper mon temps hors devoirs, comme je le désire. Par exemple... en m'employant comme Dame de compagnie, pour un public qui aime à bavarder. C'est ce que je fais, en ce moment, même si j'ai démissionné pour d'obscures raisons que je ne vais pas relater ici. Je ne gagne donc pas ma vie, mais vit du bon vouloir de cette Dame et de quelques emplois physiques, glanés au fil de mon temps libre. Car je me charge tout de même du poste vacant, afin de ne pas laisser seule la noble Dame que je suivais, et suit toujours, ayant le gout et à cur de loccuper, et de la distraire. Elle me loue de mes capacités en la matière, me trouvant fort distrayante. Si vous voulez, je lui demande une lettre de référence?
Quant à mes gouts et capacités... et bien, il en reste sûrement à découvrir. Et puis, ce n'est pas aisé de s'en couvrir, comme çà.
Disons, pour commencer, puisque ce point vous tient à cur, que j'ai une foi solide, et un peu enfantine, peut-être. De celles qui pleines de confiance ne s'embarrassent pas de lectures savantes. Je crains l'enfer, et prie les saints. Je suis assez superstitieuse. J'ai peur des monstres des placards, et des remugles des nuits trop lourdes, ainsi que des orages. J'ai besoin des autres, et de me sentir protégée. Même si... j'aime à croire que je me débrouille très bien toute seule.
J'ai déjà dit que j'aimais bavarder, questionner, rire. J'aime l'océan, qui m'a vue grandir, et un jour, je monterai dans un bateau pour voir s'il est si grand qu'il parait. J'aime les chansons salaces de mon ami Ambroise, et sa voix à faire trembler les murs. J'ai le gout sûr, en matière de vêtements, même si aucun moyen de m'en parer. De peu de choses je fais un tout, et de rien mon bonheur. Je ne suis vraiment pas compliquée, quoiqu'un peu méfiante. On me dit taquine, aussi, mais je ne m'en rends pas forcement compte, mes reparties nétant pas toujours très contrôlées.
Je suis capable de loyauté, et d'abnégation, dans une certaine mesure. J'ai du bon sens, comme déjà dit, et rien d'une évaporée. Je ne connais rien aux armes, ni à la politique, mais serait capable d'apprendre, s'il le faut. D'ailleurs, j'avais demandé à quelqu'un de m'apprendre à me servir de dagues, mais il n'a pas voulu. Peut-être que vous, vous pourriez?
Et enfin, les questions. Elle brulait d'en poser un tas, dévorée de curiosité, cherchant à cerner les contour de son correspondant, mais aussi voulant s'assurer des points qui en ferait, ou non, un bon mariage.
Moi, ce que je voudrais savoir, d'un point de vue pratique c'est combien de temps par an vous êtes absent, déjà? Et puis, songez-vous à accorder à votre future femme un pécule suffisant pour qu'elle puisse ne pas avoir à subvenir à ses besoins? Avez vous des maitresses par trop voyantes, ou savez vous sur ce point là, vous en tenir à les garder cachées? Cet enfant, que vous avez... quel âge a-t-il, et fréquentez vous toujours sa mère? Votre train est-il suffisant pour employer au moins un domestique, une aide pour les enfants par exemple, ou faudra-t-il tout faire? Comment voyez-vous notre relation, en dehors de ces tâches dont vous semblez vouloir m'accabler avant même le mariage conclu? Où habitez-vous? Faudra-t-il que je vienne jusqu'à vous, ou viendrez-vous me cherchez, si d'aventure les choses se font? Voulez vous me voir avant, ou prendrez vous le risque de signer pareil contrat sans m'avoir vue?
Et puis, aussi, quels sont donc vos gouts et capacités à vous? Êtes vous aussi sec en paroles qu'en lettres? Avez-vous des parents, des amis?
Je crois vous en avoir trop dit, mais il est mieux, en ces cas, que d'en apprendre trop par la suite. Si ma candidature devait être repoussée, auriez vous la gentillesse de m'en conter les raisons, afin que je ne reproduise pas les erreurs ici commises?
Karalynn Kermance, d'une chenille à un pommier.