Mondine
Mondine sortit en trépignant de la taverne municipale, entièrement à sa joie d'avoir retrouvé Zev et Inba. Après avoir, la veille au soir, fêté un bien triste anniversaire, elle s'était attendue à passer encore quelques longues journées silencieuses, seule avec autour du cur l'étau des souvenirs. Mais le destin en avait décidé autrement, et voilà que deux sourires qui lui avaient sacrément manqué faisaient leur retour, effaçant de moitié les maux qu'elle pensait fatals.
Elle traînait avec elle deux gros sacs de farine qu'elle comptait mettre en vente avant la nuit ; ainsi prit-elle joyeusement la direction du marché. Chemin faisant, elle tomba nez-à-poignée avec la lourde porte du bureau du cadastre... et se sentit un rien embarrassée d'avoir mis de côté ses responsabilités en même temps que sa vie sociale Espalionnaise. Vrai qu'il n'y avait plus grand monde à noter sur cette pauvre carte, mais tout de même... Sans doute était-ce les récentes retrouvailles, ou bien peut-être était elle enfin sortie de sa période d'hibernation : toujours est-il que la rouquine laissa choir les deux sacs contre un mur et poussa la porte du bureau qu'elle avait lâchement abandonné.
Et abandonné, le bureau l'était. Cela se sentait, et cela se voyait : la pièce s'était habillée d'une odeur de renfermé plutôt corsée, et couverte d'un manteau de poussière. Si l'on en était pas revenu au chaos complet que la rouquine avait eu le plaisir tout relatif de découvrir lors de ses débuts au bureau du cadastre, on en était pas bien loin.
Son sang ne fit qu'un tour, son chemin qu'un détour et sa volonté qu'un retour : elle ouvrit grand la bouche pour capturer une conséquente goulée d'air frais de la rue, puis traversa la pièce en trombe pour en ouvrir toutes les fenêtres. Ceci fait, Mondine dénicha son vieux balai qui dormait contre une étagère et entreprit de chasser l'écosystème qui semblait vouloir voir le jour sur le tapis. Chaque parcelle de plancher goûta ensuite au balai de la victoire, ainsi que chaque mur et chaque poutre. La douzaine de familles d'araignées qui avait établi domicile à chaque angle disponible se vit expulsée sans préavis, et un chiffon déjà grisonnant termina le travail le long des étagères et sur le bois lisse du bureau.
En quelques heures, la pièce était de nouveau présentable. Mondine balaya - et c'est le cas de le dire ! - l'endroit d'un regard satisfait et surpris : l'effort qu'elle avait jadis mis des jours à accomplir avait été un jeu d'enfant. Elle songea que, peut-être, elle avait besoin de recommencer à s'activer, à ne pas tenir en place, à se rendre utile. Peut-être aussi combattait-on mieux la tristesse avec les mains occupées. Tout à son oeuvre, elle avait fermé son esprit aux assauts répétés de sa douleur ; c'était mieux ainsi. Le vagabond le disait, dans cette si jolie lettre qu'il s'était empressé de lui adresser après qu'elle se soit épanchée auprès de lui : "On ne doit jamais oublier, Mondine, car oublier serait inacceptable. Non, ce que nous devons faire, c'est faire de ce souvenir une arme à présenter aux douleurs à venir." Il avait raison, comme toujours ; et, si c'était plus facile à dire qu'à faire, la rouquine comptait bien essayer de se ranger à cette philosophie. La lutte continuait, quelque part, en sourdine...
Mondine soupira et s'approcha du bureau. Quelques notes traînaient çà et là, qu'elle eut quelques peines à déchiffrer. Finalement, elle fila vers la carte et colora quelques emplacements, dont son nouveau moulin flambant neuf. La liste des noms fut elle aussi rallongée, et c'est avec un sourire fatigué mais content que la demoiselle ferma la porte derrière elle pour reprendre la direction du marché.
Elle traînait avec elle deux gros sacs de farine qu'elle comptait mettre en vente avant la nuit ; ainsi prit-elle joyeusement la direction du marché. Chemin faisant, elle tomba nez-à-poignée avec la lourde porte du bureau du cadastre... et se sentit un rien embarrassée d'avoir mis de côté ses responsabilités en même temps que sa vie sociale Espalionnaise. Vrai qu'il n'y avait plus grand monde à noter sur cette pauvre carte, mais tout de même... Sans doute était-ce les récentes retrouvailles, ou bien peut-être était elle enfin sortie de sa période d'hibernation : toujours est-il que la rouquine laissa choir les deux sacs contre un mur et poussa la porte du bureau qu'elle avait lâchement abandonné.
Et abandonné, le bureau l'était. Cela se sentait, et cela se voyait : la pièce s'était habillée d'une odeur de renfermé plutôt corsée, et couverte d'un manteau de poussière. Si l'on en était pas revenu au chaos complet que la rouquine avait eu le plaisir tout relatif de découvrir lors de ses débuts au bureau du cadastre, on en était pas bien loin.
Son sang ne fit qu'un tour, son chemin qu'un détour et sa volonté qu'un retour : elle ouvrit grand la bouche pour capturer une conséquente goulée d'air frais de la rue, puis traversa la pièce en trombe pour en ouvrir toutes les fenêtres. Ceci fait, Mondine dénicha son vieux balai qui dormait contre une étagère et entreprit de chasser l'écosystème qui semblait vouloir voir le jour sur le tapis. Chaque parcelle de plancher goûta ensuite au balai de la victoire, ainsi que chaque mur et chaque poutre. La douzaine de familles d'araignées qui avait établi domicile à chaque angle disponible se vit expulsée sans préavis, et un chiffon déjà grisonnant termina le travail le long des étagères et sur le bois lisse du bureau.
En quelques heures, la pièce était de nouveau présentable. Mondine balaya - et c'est le cas de le dire ! - l'endroit d'un regard satisfait et surpris : l'effort qu'elle avait jadis mis des jours à accomplir avait été un jeu d'enfant. Elle songea que, peut-être, elle avait besoin de recommencer à s'activer, à ne pas tenir en place, à se rendre utile. Peut-être aussi combattait-on mieux la tristesse avec les mains occupées. Tout à son oeuvre, elle avait fermé son esprit aux assauts répétés de sa douleur ; c'était mieux ainsi. Le vagabond le disait, dans cette si jolie lettre qu'il s'était empressé de lui adresser après qu'elle se soit épanchée auprès de lui : "On ne doit jamais oublier, Mondine, car oublier serait inacceptable. Non, ce que nous devons faire, c'est faire de ce souvenir une arme à présenter aux douleurs à venir." Il avait raison, comme toujours ; et, si c'était plus facile à dire qu'à faire, la rouquine comptait bien essayer de se ranger à cette philosophie. La lutte continuait, quelque part, en sourdine...
Mondine soupira et s'approcha du bureau. Quelques notes traînaient çà et là, qu'elle eut quelques peines à déchiffrer. Finalement, elle fila vers la carte et colora quelques emplacements, dont son nouveau moulin flambant neuf. La liste des noms fut elle aussi rallongée, et c'est avec un sourire fatigué mais content que la demoiselle ferma la porte derrière elle pour reprendre la direction du marché.