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[RP]Autophobia

Aethys
« La peur est un cri, la terreur un murmure »

[Première nuit]

Silence. Le Havane s’était tu, les derniers joueurs s’éteignant comme autant de souvenirs cendrés. Le tripot était vide, vide de tout. Ou presque. Quelque part, une planche craqua. Un rat peut être. Ailleurs, une goutte d’eau s’écrasa dans un vacarme funèbre. Il avait plu plus tôt dans la journée. Tout était détrempé. Et là, un drap se froissa. Lentement. Crispation douloureuse d’un poing fermé.

Allons Aethys…ne fais pas semblant, tu ne dors pas.

Les paupières s’agitèrent, cherchant le relâchement tant attendu du sommeil. Des heures qu’elles s’agitaient ainsi, brassant l’air moite de leurs longs cils ourlés. Des veines bleues palpitantes y vibraient, intensément, nourrissant des poches sombres qui s’étendaient depuis quelques jours sous elles. Les ambres quant à elle, n’osaient plus se montrer. Rougies, meurtries, elles ne refusaient de se poser sur la pièce, refusant d’affronter l’absence de tout être, rejetant cette présence esseulée.

Combien de temps joueras-tu à ce jeu stupide, Gasconne ? Allons, ouvre les yeux.

Les lippes se tordirent en une moue agacée. Leur peau asséchée s’étira. Fugace souffrance. Les nacres étincelèrent un court instant dans la pénombre, s’y plantant de rage mais déjà une langue apaisante y coulait, délicate. Non, non, résister encore…attendre le sommeil…il viendra c’était certain. Les traits se teintèrent malgré tout d’inquiétude. Depuis combien de temps était elle allongée là ? Quelques secondes, une poignée de minutes, des heures ? Oui des heures…Non, elle dormirait…

Tu sais bien que non. Même tes drogues ne t’adoucissent plus désormais. Rien ne me fera disparaitre. Je fais partie de toi et tu m’es revenue. A nouveau. Ma faible enfant.

Non ! Ne pas écouter, ne pas entendre. Se laisser bercer. Tout irait bien. Le sommeil viendrait, bienfaiteur et la nuit passerait. Comme celle d’hier. Et d’avant-hier. Oui tout irait pour le mieux. Le corps nu se tendit, s’étirant pour mieux se recroqueviller. Là…tout irait bien. Les mains fines vinrent enserrer les genoux, les attirant contre la poitrine. Là…Et un balancement lent naquit. Tendre, profond. Chuuutt…

L’imagines-tu ? A cet instant, besognant avec délice sa nouvelle favorite ? Je le vois moi. Ses traits couturés baignant dans cette lueur animale, ses muscles tendus de sauvagerie, ses cris à elle, ses cheveux défaits qu’il empoignera avec fermeté…

Tais-toi ! Tais toi….Je ne veux pas t’entendre. Les mouvements se firent plus rapides, pulsions d’un esprit qui s’égarait. Les jointures blanchirent peu à peu alors qu’une pression douloureuse envahissait le ventre, se répandant dans la poitrine, glissant insidieusement sur le cœur. Dormir…voilà tout ce qu’il fallait. Dormir et se réveiller au matin, revêtant le masque de la garce insolente, joueuse, malicieuse…Oui…Demain tout irait mieux.

C’est pour lui que tu es revenue, n’est ce pas ? Et pourtant, tu es seule. Seule depuis combien de jours déjà ? Allons, son envie de toi lui sera vite passé…Il faut dire que tu n’es plus si belle. Ni si piquante…Il est aisé de te remplacer. Surtout pour lui. Elles sont toutes dans ses bras.

Non ! Non…Il…Il ne m’abandonnera pas. Il l’a dit…Il me l’a toujours dit. Je suis sa favorite. Je lui ai même manqué. Souviens toi son ardeur, sa violence…Il ne peut pas m’avoir menti. Il ne peut. Le balancement devint chaotique, saccades brutales. Les larmes apparurent, perles brillantes encore retenues par la barrière des cils. Les ongles labourèrent les genoux, laissant de profondes marques en croissant dans la peau hâlée.

Et puis, il n’est pas le seul à ne plus vouloir de toi. De quand date ton dernier amant, hein ? Ma pauvre garce, tu es seule. Abandonnée de tous ! Personne ne viendra te tendre la main, personne ne brisera ta solitude. Tu n’as que moi.

Non !

Le cri jaillit puissant, se brisant sur les murs de la chambre minuscule. Le corps nu se releva d’un bond avant de retomber à genoux, prostré sur une couche rêche de cauchemars. Alors des torrents acides de détresse se répandirent sur les joues livides de la jeune femme. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-elle être sereine ? Pourquoi cette voix maladive revenait-elle sans cesse ? Pourquoi les drogues ne fonctionnaient plus ? Et surtout, pourquoi cette peur si viscérale, si imprégnée en elle ? La Gasconne se laissa aller à son chagrin, abandonnant toute idée de salut dans le sommeil. Non cette nuit, elle ne dormirait pas. Comme toutes les autres depuis quelques jours. Non cette nuit serait la nuit de sa phobie.

Veux tu que je te laisse ?

Non reste…je ne veux pas être seule…jamais…
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Aethys
« Il y a des présences qui finissent par être plus douloureuses que certains abandons »Jérôme Touzalin - Le passager clandestin

[Deuxième nuit]

Nuit. Le corps ne dormait pas. Encore. Les mains jouaient anxieuses sur le drap moite. Les doigts s’enlaçaient pour mieux s’abandonner, errant d’un bord à l’autre du tissu rêche. Les lippes rougissaient sous les attaques incessantes et sournoises des crocs émoussés. Pourtant l’esprit s’était apaisé dans la folie. Les ambres planaient sans éclat sur la pénombre de la chambre. La chevelure, soigneusement démêlée retombait lourde en boucles sombres. Les muscles se faisaient lascifs, alanguis dans la couche.

A quoi penses-tu, Gasconne ?

Les purpurines s’étirèrent en un sourire las, étrangement mélancolique. Le visage s’anima d’une moue pensive, se décolorant en un rictus passé. Le corps s’étira se redressant pour s’assoir alors que les ambres se plantèrent au plafond, atteignant pourtant déjà des paysages chimériques lointain. Une main tremblante de folie retenue, vint se perdre sur sa nuque en un massage dur.

« Il n’est toujours pas revenu à moi. »

L’aveu fut soufflé, rauque entre les lèvres tendues d’un sourire triste. Les prunelles luisirent d’un éclat aqueux avant de se laisser happer par les paupières. Le drap fut ramené de la seule main libre autour des épaules. Le sourire se mua en un rire, fragile, dément dans la bouche gasconne.

Allons croyais tu qu’il reviendrait ? Tu n’es rien pour lui. Une parmi tant d’autres. Et ne te l’ai-je pas dit ? Tu es aisément remplaçable.

La tête acquiesça lentement. Oui, oui elle devait l’être. Des jours maintenant qu’elle ne l’avait pas vu. Des jours qui lui semblaient des mois, des mois ou peut être même des années…Elle ne l’avait pas même croisé. Il fallait avouer qu’elle était peu sortie. Quelques tours en forêt, quelques fois en taverne. Jamais bien longtemps. Et toujours seule. Le corps trembla.

Si cela te pèse tant, la Garce, va donc le supplier. Va donc te jeter à ses genoux, te glisser à son cou. Il te susurrera à nouveau des mots tendres. Te jurera que tu lui as tant manqué. Te prendra comme si vous vous apparteniez. Va, ma pauvre fille, va quémander son amour que tu n’auras jamais.

Les traits se durcirent lentement. Lui, cet autre qu’elle détestait et aimait tout à la fois. Celui qui avait réveillé ce mal, cette folie dont elle ne pouvait plus se défaire. L’imaginait-il seulement ? Non…non, il devait la croire dans d’autres bras, d’autres draps. Elle n’irait pas le rejoindre. Pas cette fois. Elle préférait souffrir milles tourments loin de lui que de le rejoindre. Elle s’interdirait d’éprouver à nouveau cette plénitude dans ses bras pour ne plus être meurtrie par ses absences. Ne pas s’attacher…ne jamais s’attacher…

C’est trop tard, tu le sais.

Oui...elle le savait. Depuis qu’elle avait quitté Dax, depuis qu’elle avait accepté de le suivre, depuis ce stupide contrat, elle avait perdu la raison. Elle s’était attachée. Pire…elle avait aimé. Elle continuait à l’aimer. Toujours malgré tout. Un jour, elle se faisait douce, tendre contre lui, lui arrachant ses sourires et ses baisers, dévouée à cet amour, aveugle à tout. Le lendemain, les sourires fondaient sous les larmes, sous la colère. Tous ses mots étaient mensonges, tous ses pseudos sentiments foutaises. Même ses actes ne voulaient plus dire grand-chose. D’ailleurs, n’était-elle pas que la simple maitresse ? N’avait-il pas retrouvé femme ?

Et pourtant, s’il l’avait voulu, tu foulerais depuis bien longtemps le sol à ses côtés, tenant son bras à la lumière.

Les ambres s’ouvrirent lentement, scintillantes de larmes amères. Elle le haïssait. A cet instant, elle le haïssait. Ses poings serrèrent le drap avec rage. Jamais il ne l’aimera à la hauteur de ses propres sentiments. Elle serait à tout jamais son jouet, celle dont il peut user et se débarrasser au matin. Les nacres revinrent se planter dans la pulpe rose des lèvres, étouffant un gémissement de détresse. Il était comme tous ces autres, imbus de lui même, avide de conquêtes faciles. Et elle, pauvre sotte, elle gonflait son égo, le flattait dans cet avilissement. Elle devait mener, toujours. Pour ne pas souffrir.

Là, là…il te faut oublier pour ce soir. Oublier pour que demain tu puisses leur offrir à tous ton masque habituel.

Alors les mains tâtonnèrent à la recherche de la bougie et le corps quitta le lit pour s’installer sur la minuscule table. Une pipe d’écume de mer apparut de sa ceinture de barbier ainsi qu’un coffret empli d’étranges perles percées. L’une d’elle trouva sa place dans la pipe alors que le tuyau fin rencontrait les lèvres. Un nuage âcre plana dans la pièce. Les muscles se détendirent, les traits s’adoucirent. La respiration se fit lente tandis que la voix, elle, s’éteignit peu à peu. Jusqu’à la prochaine nuit. Jusqu’au prochain abandon.
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Aethys
« L’enfer est tout entier dans ce mot : Solitude » - Victor Hugo, La fin de Satan

[Troisième nuit]

Parti. Il est parti. Sans l’avertir, sans même la croiser. Ce fut de la bouche d’une autre, d’une amie qu’elle avait du l’apprendre. Elle avait conservé un sourire d’apparence, une indifférence feinte. Même si ses mots l’avaient trahie, même si son amie l’avait découverte. Elle était restée digne, l’air affecté mais sans plus. Les ambres n’avaient pas tremblé, les mains étaient restées sage sur le bois de la table, le visage las mais tranquille. Oui, il l’avait prévenu quelques semaines auparavant. Il devait aller étudier, qu’il lui avait dit. Mais en ce temps là, elle n’avait pas imaginé qu’il la délaisserait. Qu’il l’oublierait à peine arrivé. Chez eux…Chez eux qu’il avait dit lorsqu’ils avaient passé les portes de la ville ensemble. Chez eux…

Parti. La minuscule chambre avait été ravagée. Le peu de mobilier avait été jeté sur les murs, se fracassant dans des cris de rage brûlant. Les draps avaient été déchirés et pendaient lamentablement sur les échardes grossières de bois. Le braséro s’était répandu au sol, marquant les pierres de ses morsures ardentes. L’endroit avait flambé, dévoré par une colère odieuse et puissante. Une colère teintée de dégoût, de haine brutale. Elle aurait voulu le tuer, qu’il se présentât à elle, son regard gris imperturbable, son air hautain sur ses traits burinés. Oh oui, ce qu’elle aurait souhaité qu’il fut là. Lui cracher son fiel au visage, s’épancher sur ce corps qui supporterait sans broncher la tempête. Mais il était parti. Toulouse, si proche et pourtant si loin.

Parti. Et la colère était retombée. Brusquement, le corps avait perdu de sa violence. Il s’était affaissé dans un bruissement de tissus. Seule…Elle était seule. Même la voix sordide de ces derniers temps s’était tue. Assise sur le sol jonché de débris, la Gasconne semblait morte. La cascade sombre de sa crinière retombait en un linceul sur son visage terni. Ses lippes blanchâtres ne souriaient plus. Abandonnée la mine insolente, perdue la malicieuse lueur. Les doigts enserraient le goulot d’une bouteille, unique rescapée de la tornade qui avait agité la pièce. Et dans sa tête résonnaient des mots suaves, il y a peu encore chéris et désormais porteurs de cette phobie atroce.


« Ne me laissez plus ma garce »

Un rictus froid et narquois maquilla le visage éclairé de folie de la Gasconne. Foutaises ! Foutaises que tous ces mots mielleux qu’il avait pu lui vomir. Foutaises que ses promesses qu’il lui avait fait à son retour. Foutaise que cet avenir en tant que favorite qu’il lui offrait. Foutaises…Les ambres se virent à nouveau envahies de larmes amères. Roulant sur les joues blafardes, elles glissèrent sur le menton et s’écrasèrent sur les jupons froissés. Jamais, elle n’aurait du revenir. Elle avait eu l’audace d’y croire, l’audace de penser qu’elle retrouverait sa naïveté cette fois-ci, l’audace de croire qu’il la réclamerait, avec avidité, chaque nuit. Dans un sanglot, la bouteille fut vidée. Illusion…Les ambres s’embrumèrent rapidement en scrutant le verre sombre. Illusion. Elle l’avait créé il y a quelques temps de cela. Opium, cigüe et mandragore. Dosée si fort que ce qu’elle ingurgitait aurait pu la tuer. Lentement, les doigts se détendirent sur la bouteille, la laissant rouler lentement près d’elle. Dans un froissement de tissu, Aethys s’effondra en douceur. Ses paupières s’abaissèrent sur les ambres ternes. Toutes pensées solides la fuyaient maintenant. Toutes ? Pas exactement. Une unique flottait comme une litanie en elle.

Parti. Il est parti.

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Aethys
« Un mort qu’on abandonne est mort deux fois » - Marie Lefranc, O Canada

[Toujours la troisième nuit ou peut être au matin]

L’errance fut longue et douloureuse. Seule, perdue au milieu de ses jupons lie de vin, les paupières closes et tremblantes, les lèvres entrouvertes murmurant des paroles incompréhensibles, le visage couvert d’un voile luisant de sueur, la Gasconne délirait. La bouteille désormais vide d’Illusion flirtait avec ses doigts blanchis sous des contractions involontaires. La drogue faisait si bien son effet, menant la brunette sur les chemins de sa mémoire, l’entrainant toujours plus en arrière sur des pas qu’elle n’avait pas foulé depuis longtemps.

Il y eut la Rose. Les cris, les pleurs, les gémissements rauques des hommes en plein effort, les tentures imprimées de cette odeur sale. Les gamines travaillaient sans cesse, jouant tantôt de leurs charmes enfantins, tantôt de leurs lames d’argent. Les jours ne se ressemblaient pas, grimpant un à un les échelons du danger. Les contrats étaient de plus en plus périlleux, de mieux en mieux payés, toujours plus haut dans les sphères du royaume. Et puis, il y eut la fin. La mort de sa mère, livide dans son bain, la bouche ouverte sur un filet de bave. Elle s’en souviendrait toujours de cette image, la brunette. Elle se souviendrait toujours du bonheur cruel et puissant qu’elle avait ressenti ce jour-là. Mais qui pourrait bien imaginer que sa vie avait commencé ainsi ? Dans le sang.

Ensuite vint la fuite. Loin de Paris, loin de la Cour, chacune traçant sa route sur les pas de son Protecteur. Aethys elle avait fui en Gascogne, retrouvant ses marques, sa langue, ses terres. Son Protecteur l’y avait conduit puis l’y avait laissé. Seule pour la première fois. Oh, elle avait bien tenté de rentrer dans le lot, de se faire sage, timide et rosissante. Elle s’était liée à un homme ou plutôt un gamin, sans histoire qui l’aimait d’un amour aveugle. Si bien qu’il n’avait jamais vu qui elle était réellement. Elle avait adopté un enfant. Premier essai d’une longue suite de chagrin. La petite était morte peu de temps après. Fièvre. Etait-ce là que ce besoin maladif était né ? Oui à n’en pas douter. Car la gamine, d’abord discrète s’était faite garce, insolente et effrontée, collectionnant les amants, cherchant avec avidité les regards, l’attention, l’amour. Car si elle ne pouvait rester seule. Jamais, il ne fallait qu’elle le fut. Oui, c’était là qu’on l’avait appelée la Garce pour la première fois. Un Leu…Des crocs aiguisés, le verbe facile, acide à souhait. Une idylle évidente, un jeu des sens. Mais il était Vicomte et elle rien. Il disparut la laissant enceinte d’un nouveau malheur qui la plongea dans une terreur sombre. Pourtant ce fut également à cette époque qu’il apparut.

Lui…cet homme qu’elle ne possèderait jamais totalement, qui serait sien en étant aux autres. Cet homme dont elle s’était méfié, qu’elle avait craint, puis admiré, avec qui elle avait joué, contre qui elle s’était dressé. Cet homme qu’elle avait suivi, comme par mécanisme. Cet homme qu’elle voulait plus que tout. Cet homme qu’elle avait finalement aimé, d’un amour sans borne, d’un amour sans concession. Pour son plus grand malheur. Ils avaient brillé ensemble, joutant avec les mots, avec leurs corps. Ils s’étaient appartenus. Mais le mal rongeait toujours l’âme de la Gasconne, se nourrissant de cet état passionnel qui l’agitait chaque fois qu’elle se trouvait près de lui. Alors, il y eut les colères, les affronts, l’insolence maladive, la jalousie futile. Soigneusement, la Garce détruisait son bonheur pour mieux sombrer dans sa folie. Fusse son fils, leur fils qui l’entraina encore plus loin, réduisant à néant sa propre conscience ? Oui à n’en pas douter. Sentir cette âme morte en elle l’avait perdu. Alors elle avait fui. Encore. Finalement, cela, elle ne le faisait pas si mal.

Le corps prostré de la jeune femme d’à peine 19 ans s’agita. La suite était bien récente, encore vive dans son esprit. Blessure sanguinolente qui nourrissait en tout temps sa folie mortelle. Le tissu frémit sous les mouvements saccadés. Les poings se serrèrent, les paupières se crispèrent. La drogue relâchait son emprise. Le cœur s’accéléra brutalement, amenant un souffle ténu aux lèvres sèches.

Mourir, elle allait mourir.

L’esprit se fit liquide, filant entre les doigts de la raison. Spasme de l’âme et du corps. Les muscles se paralysèrent brutalement. Elle allait mourir empoisonnée. Quel comble pour une empoisonneuse, non ? Un frêle sourire naquit sur ses lèvres. Ou peut être n’était-ce que dans sa tête ? Elle devait se l’avouer, elle y était allé fort cette fois. Plus que les autres. Mais tout était de sa faute. Pourquoi était-il parti ? Pourquoi ne revenait-il pas ? Mourir, elle allait mourir pour un homme. Ineptie sans fond.

Les sensations de ses jambes disparurent. Ou peut être avaient-elles déjà disparu bien avant. Impossible à dire. La Gasconne fut secouée d’une nouvelle convulsion. Elle allait mourir à 19 ans. Bel âge pour tout dire. Jeune et vive, elle n’aurait pas eu à connaitre les affres de la vieillesse. Elle n’aurait pas eu à supporter de le reste de sa vie seule, sans mari ni famille. Un froid profond lui envahit le bassin puis le ventre. La cigüe ou l’opium. Certainement, l’effet combiné des deux drogues.

La Garce allait mourir. Les femmes n’auraient plus à craindre pour leur mari, les puceaux ne perdraient plus leur innocence dans ses bras brûlant de passions. Lui ne souffrirait plus de ses absences, de ses mensonges, de son insolence. Les traits de la jeune femme se détendirent. Ses muscles s’apaisèrent une dernière fois, la laissant alanguie dans une position élégante. L’image aurait été plaisante si elle n’avait pas été si mortelle.

Aethys allait mourir. Regrettait-elle ? Non, rien…ou peut être si, elle regrettait de n’avoir jamais pu être mère, elle regrettait de n’avoir pas connu le bonheur de mettre au monde une nouvelle vie, de n’être qu’une matrice stérile et sans but. Et qu’allait-on dire ? Rien certainement. Récemment arrivée, personne ne la connaissait bien. Lui peut être, mais il était loin. Il l’apprendrait plus tard, par d’autres bouches charnues et rougies, au détour d’une conversation de taverne. Qu’en penserait-il ? Qu’elle fut faible à n’en pas douter. Qu’elle n’avait même pas eu la force de vivre, de se battre pour cette existence qui était la sienne. Qu’elle avait cédé à une fin idiote et sans grandeur. Qu’elle aurait pu accomplir tellement plus. Mais à la fin, qu’importe toutes ces remontrances, puisqu’elle ne les entendrait jamais.

Elle allait mourir.

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Aethys
« La fuite n'est qu'un détour. Si le détour est parfois salutaire, il est le plus souvent inutile. » - Denis Bélanger, Rue des petits dortoirs

[Sixième nuit]

Elle avait survécu. Dans le silence d’un crépuscule agonisant, un frisson parcourut la peau bleuie de la Gasconne. Imperceptible et pourtant plus puissant que n’importe quel séisme. Il naquit au creux de son épaule, roula sur sa nuque et s’essouffla dans l’arrondi de son dos. Imperceptible et pourtant, il raviva une parcelle ténue de vie dans le corps amaigri et terne de la jeune femme. Les muscles endoloris se crispèrent sous un élan vital. Déchirement des lèvres asséchées suivi d’une inspiration profonde. Elle avait survécu.

Les yeux toujours clos, Aethys fronça le nez. Comment avait-elle pu survivre ? Une douleur brûlante irradia dans sa poitrine, trahissant l’action odieuse de ses poisons. Une main dépourvue de toute force, se souleva pour venir rejoindre son cœur. Il battait. Lentement, ses pulsations chaotiques trouvèrent leur chemin jusqu’à la paume sale. Illusion l’avait terrassée, l’amenant dans les chemins tortueux de son passé, retraçant ses instants qu’elle avait cru oublier, réanimant des sentiments qu’elle voulait éteints. Elle aurait dû la tuer. Elle n’aurait pas dû survivre. Comment était-ce possible ? La Gasconne eut un mouvement incontrôlé qui lui arracha un cri de souffrance. Tout son corps était brisé mais elle vivait. Un rire dément s’échappa de ses lippes pâles. Même Illusion l’avait rejetée. De longues minutes, elle laissa s’épanouir son fou rire. Une quinte de toux brutale y mit fin, la forçant à se tordre au sol, brusquant ses muscles douloureux. Dans une grimace, Aethys ouvrit les yeux. Elle vivait.


[Au matin]

Combien de temps avait-elle passé sur ce sol ? Combien de temps lui avait-il fallu pour se lever ? Elle n’en était pas certaine. Quelques heures, une journée, peut être plus. Son esprit désormais perdu la fuyait, l’empêchant de cristalliser des idées concrètes. Elle se souvenait s’être levée malgré la douleur. Elle se souvenait avoir fouillé ses coffres pour trouver de quoi calmer son corps meurtri. Elle se souvenait avoir fumé plus que de raison. Elle se souvenait d’avoir écrit une lettre qui trainait encore sur le sol, oubliée.

Citation:
Je suis partie. Je vais rejoindre Paris. Peut être. Je ne peux rester près de vous. Je vous aime.


Rien de plus. Son destinataire se reconnaitrait. S’il venait dans cette chambre sordide. S’il la cherchait un jour. Aethys ne pouvait s’empêcher d’y croire, d’espérer encore. Lentement, comme par mécanisme, elle avait ramassé quelques affaires, une poignée de poisons, sa ceinture de barbier. Rien de précieux, aucun souvenir. Que le reste l’attendit ici. Si un jour elle revenait. Chez elle…Chez eux…

Les ambres brûlant d’une folie mortelle, le corps amaigri, les cheveux emmêlés, elle avait pris son sac sur l’épaule et avait quitté la ville.


FIN
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