Sous la pluie de novembre,
Tous ces nuages
Au moment où je me jette à l'eauAvait-elle dit qu'elle n'y mettrait pas les pieds sans y être invitée. Certes mais il est des nuits qui se font oubli. Après tout, ce n'est qu'une mésaventure de plus, une menace superflue parmi toutes celles qu'elle a déjà subie de sa part. Elle aurait eu besoin de sages conseils ce soir, alors que le découragement, de sa main funeste, s'imprégnait en elle. La Dentellière faisait front et pour pallier aux actes du Seigneur pour lequel elle avait fait la folie - ou pas - de signer contrat, elle s'en était venue jusqu'à son échoppe. C'est que le Seigneur de Falmignoul avait - encore - eu une brillante idée ces derniers jours. Il n'en manquait apparemment pas ces derniers temps et l'Ecossaise commençait à en faire les frais. Mais elle ne réalisait pas encore dans quel pétrin - ou pas -, elle était allée se fourrer.
Aussi lorsqu'elle l'avait vu arriver avec son aconit, passé le temps de surprise et s'étant assurée qu'il n'en avait pas pris, elle avait pris sur elle de monter chercher quelques anti-poison en son échoppe. Elle les gardait précieusement fermés à clef et cela la rassurait un brin que de se munir de quelques fioles en "prévision" des nouvelles lubies du Seigneur.
Oui. Elle commençait à comprendre qu'il était différent. Ses humeurs pouvaient paraitre effrayantes pour quelques uns mais elle ne le craignait pas lui. Non. Puis elle n'avait aucune idée qu'Enzo puisse être atteint de névroses. Néanmoins, elle savait contourner les folies du Seigneur et savait que cela portait quelquefois ses fruits. Bien qu'il y ait des moments, comme ce jour, où elle se percutait à tous les éléments à la fois, et en ressortait épuisée. Et son père qui commençait à la rendre folle en lui parlant d'obéissance, de déshonneur si elle n'acceptait pas ses conditions. Et ce foutu froid qui s'était emparée d'elle depuis qu'elle avait posé ses embruns sur cette haute silhouette blonde au travers de ce carreau de taverne. C'était à n'y rien comprendre.
Cette mascarade de mariage était la seule qu'elle pouvait espérer lui avait martelé son père, alors même qu'avec tout l'affront dont elle avait été capable de lui fournir, elle l'avait informé qu'elle avait pris amant, se gardant bien de lui signifier de qui il s'agissait. Pas folle non plus la Charlye. Oh il avait tempêté oui. Mais pas comme elle l'espérait. Alors qu'elle s'était imaginé qu'il mettrait un terme à son idée omniprésente, en fait, elle n'avait réussi qu'à le conforter dans sa folie.
Et ce soir, c'est ici qu'elle s'en était venue. Charlyelle savait pertinemment que Judas Gabryel ne serait pas dans les lieux puisque dans sa dernière missive il l'avait informé qu'il se trouvait en Anjou. Ce n'est donc pas dans l'espoir de le voir qu'elle s'était dirigée en ces lieux ce soir mais bien avec la ferme conviction de se cacher et de rester immergée dans les lieux aussi longtemps qu'elle se sentirait traquée.
Elle a hésité pourtant devant la porte, avant que de se dégarnir la gorge de cette clef qui la ceint et qui se fait discrète. Le clanche a tourné et elle a pénétré dans les lieux. Tout y est resté comme lors de la dernière fois, de toute évidence l'endroit n' a pas été souillé depuis.
Et comme le tout premier soir, c'est auprès de l'âtre qu'elle se réfugie, ne mettant que peu d'ardeur à faire jaillir l'étincelle qui embrasera les lieux d'une lueur douce et accueillante.
Au moins ici se sent elle en sécurité. Personne ne sait qu'elle se trouve en ces lieux. Tout le monde ignore qu'elle fut montée chercher de quoi contrer les folies du Seigneur de la Mesnie pour laquelle elle vient d'être embauchée. Elle possède l'art qu'il faut.
Et malgré le feu qui se fait plus vivace et les braises qui rougeoient, ce n'est pas pour autant qu'elle se sent réchauffée.
Fallait-il qu'elle soit devenue folle pour s'adresser à un feu. C'est qu'elle s'inquiète pour Gabrielle. D'ailleurs, étrange qu'elle pense à elle en ces lieux. Car les deux jeunes femmes partagent un secret. Un de ceux qui ne se dit qu'en confidence au sein de quelques étuves après plusieurs coupes de vin de Bourgogne bien tassées. Et oui. Elles ont ce lieu et son propriétaire en commun. Avec une vision bien différente chacune de l'homme en question. Voix rauque qui se fait entendre dans le silence de la pièce. Ce soir, la flamme est sa complice. Sa confidente. A défaut du Satrape, il y au moins une présence qui ne la réchauffe pas. Mais l'illusion est là."- Dis moi la Flamme. Comment t'y prendrais-tu pour sauver une pauvre Dame en détresse d'une méchante et affreuse sorcière aux pouvoirs maléfiques qui s'appelle Déni ?"Car non. La Brune n'est pas entrée dans la Mesnie pour n'être qu'une simple décoration parmi les meubles du château. Et elle n'a pas manqué de voir et d'assister au déni de Gabrielle. Ni d'observer ce qu'il se passe depuis plusieurs jours. Et oui elle s'inquiète. Qui l'eut cru qu'elle en viendrait un jour à s'inquiéter pour quelqu'un d'autre qu'elle-même ou son vieil Ilug ?
Mais seule, une nouvelle question vient alors se faire entendre, ce vent glacial qui de nouveau s'infiltre dans tous ses pores ne la quitte plus depuis cette rencontre._ Et toi Charlyelle. Quand donc cesseras-tu de courir pour te fuir toi-même ?Agacée, elle s'enroule un peu plus encore dans son plaid d'Ecosse, regardant les ombres jouer sur les murs de l'endroit désert. Elle n'a parlé de cette missive reçue à personne. Pas même à Ilug et elle n'ose imaginer la tête de celui-ci s'il découvrait le pli et en reconnaissait les calligraphies. Car oui, c'est bien la main de celle qui lui fut présentée comme sa grand-mère qui lui a écrit. Maternelle. Qui la met en garde. Contre le sauvage que lui destine son père. Ne pas l'appeller Barbare cela avait eu l'air de fortement contrarier le Nordique qui revendique ses origines lui.
Et un coup de froid encore qui s'insurge et la laisse décontenancée. Elle regrette soudain que Judas Gabryel ne soit pas là, elle aurait ainsi pu s'assurer qu'elle pouvait aisément se réchauffer. Il faudra qu'elle le fasse quand l'occasion se présentera. Ce ne sont pourtant pas ces azurs là qui vont la glacer. Foutredieu !
La main tremble et les lignes deviennent floutées sous les perles de lune qui glissent, s'assurant encore de ce que l'aïeule a pu lui écrire. Si seulement la vieille dame savait. Mais elle ignore que Charlyelle est damnée. Elle ignore qu'elle a fauté. Elle ignore tout des cauchemars qui la hantent certaines nuits. Et des conseils qui se veulent avisés. Mais emplis d'une froideur toute relative.
".... Il n'est point bon de tenir des jouvencelles telles que toi sous une cloche de verre, telles de délicates roses de Damas pour les arracher ensuite si rudement au terreau de leur foyer...C'est fort simple et ne peut s'exposer de trente six façons mon enfant : le soir de ton mariage, ton époux te dépouillera de tous tes vêtements et t'examinera de la manière dont il reluquerait une haridelle à vendre. Parce que c'est un sauvage, tout comme ton père...Après quoi il délacera ses chausses ou pas, ouvrira sa braguette, sortira son membre viril et le poussera entre tes cuisses dans la partie la plus privée de ta personne, sans aucune considération pour toi ou pour ce que tu pourras ressentir...Parce que c'est un sauvage tout comme ton père...Et non ma petite, ce n'est pas une plaisanterie mais la pure vérité. Et tu devras le laisser faire car c'est son droit d'époux. Parce que c'est un sauvage tout comme ton père le fut avec ta mère...Mais il me reste encore un avertissement à te livrer. Tu connaitras la souffrance et le sang. Si tu étais fortunée avec ton mari comme je le fus de mon temps avec Ilug, tu connaitrais dans un tel cas, baisers, caresses et autres roucoulades qui forment le miel de la vie conjugale ou intra-conjugale, je t'arrache les yeux moi-même si tu n'en dis qu'un seul mot à Ilug de ce que je viens de te confier. Mais le reste, cette chose nommée accouplement, en est le plat de résistance ma petite. C'est tout de même l'affaire la plus naturelle qui soit te dirait il ce vieux Sage. Mais. L'homme que ton père te destine est un sauvage. De ses terres. Et j'ai ouï dire que ces gens là ne sont pas les meilleurs experts en ce domaine. Tu feras comme les autres ma petite, tu fermeras les yeux, tu resteras allongée sans bouger et tu penserais à l'enfançon grassouillet et dodu que ton père souhaite que tu lui offres comme héritier..."
"- Ah mon père que ne feriez vous mieux que de m'envoyer dans les bras d'un Barbare que d'un Sauvage. Au moins leur culture n'est-elle pas si différente que la mienne, Celtique que je suis."Et après sa lecture, Charlyelle passa une nuit agitée au coin de l'âtre, se tournant et se retournant dans ce plaid d'Ecosse qui ne la réchauffait pas, pour finir par sombrer dans un sommeil sans rêves.
Quand la cloche qui sonnait les matines l'éveilla, une lumière grise pénétrait par la haute fenêtre de la garçonnière. Dans l'aube brumeuse, la terrifiante missive de la veille ne lui semblait plus qu'un vague cauchemar seules, les images évoquées par les mots de sa grand-mère demeuraient gravées dans son esprit de façon aigüe. Si elle n'était plus l'innocente jeune fille que sa grand-mère s'imaginait qu'elle puisse être, elle n'en demeurait pas moins terrifiée par certaines paroles. Ce n'était pas tant celles de la douleur et du sang par lequel elle était déjà passée il y a plus de deux années, ce n'était pas tant ce dont elle avait vécu par la suite qui la tracassait. Non. C'était bien autre chose qui l'emplifiait d'une terreur sans nom au fil des jours qui passait. Et la grand-mère maternelle ne venait ainsi que raviver la hantise et la haine qu'elle pouvait éprouver.
Peut-être ce sauvage était-il une sorte de bête, est-ce donc ainsi qu'elle voyait son père elle aussi ? Elle se poserait le problème le moment venu, à croire qu'elle avait décidé de cesser le combat. Elle tentait de se persuader qu'elle avait des questions plus pressantes à régler.
Les lieux avaient été refermés après qu'elle ait soigneusement soufflé les braises. Sans doute verrait-il qu'elle était passée, sans doute pas. Il était plus âgé qu'elle, peut-être s'il avait été là aurait elle pu lui demander conseil. Elle les aurait pris pour ce qu'ils étaient. L'aurait-il réchauffée, peut-être aussi.Elle n'en saurait rien.
Et le retour lui paraitra insignifiant alors que perdue dans ses pensées, elle se persuade qu'elle devrait s'exercer à tordre sa langue pour maîtriser les rudes sons du parler occitan. Autant apprendre les rudiments des lieux où elle s'est posée actuellement._________________