Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Sur le chemin des roses

Eireann.
      « Ce qui reste de tous les voyages est le parfum d’une rose fanée... » {Cavidan Tumerkan}

      Octobre 1460, quelque part entre Bruges et le château de Belrupt.


    Les roues du carosse hoquetaient sur les pavés mal dégrossis de la vieille route, secouant la passagère alanguie. Les heures, les jours et les semaines s'étiraient sans fin, en une alternance de courtes pauses et de longs trajets. Eireann n'avait qu'une hâte : parvenir à destination et retrouver son fiancé. Bien qu'elle n'éprouvât guère plus que de l'amitié pour lui, il était de son devoir de faire bonne figure et de lui plaire au possible.

    Thomas et Eireann avaient le même âge et à peu près la même condition sociale. Cela avait achevé de décider sa vieille mère à l'offrir en épousailles à ce jeune et riche français. Par chance, le fiancé n'était ni sot, ni laid, ni affublé d'une quelconque infirmité. Eireann s'était donc résignée et avait accepté les fiançailles sans se plaindre et sans faire mauvaise figure. Son éducation ne lui aurait de toute façon pas permit le contraire : cela ne se discutait pas.

    Pensivement, elle regardait le paysage défiler par les vitres du carosse dont elle avait écarté les lourds rideaux. Le claquement régulier des sabots des chevaux sur le sol allait et venait selon la proximité du cavalier qui l'escortait. La jeune femme se redressa un peu pour passer la tête à la fenêtre et lui adresser la parole :


    - Dites-moi, ferons-nous une pause en début d'après-midi ? Je me sens bien lasse et j'aurais grand besoin de marcher pour me sentir mieux.


    Elle observa cet homme taciturne, qui était à la fois son ami et son garde du corps, et qui chevauchait au côté du carosse sans jamais se plaindre de la longueur du voyage. Mais lui au moins avait l'air frais sur son visage et la possibilité d'observer le ciel ! Eireann, elle, s'ennuyait à mourir, malgré sa patience habituelle.

    Le cavalier tourna la tête vers elle :


    - Nous arriverons dès ce soir si nous ne nous arrêtons pas en journée, madame.

    Un sursaut d'appréhension étreignit le coeur d'Eireann, qui se rendit soudain compte qu'elle n'aurait pas regretté que le voyage s'étire encore sur quelques jours... Elle rentra la tête à l'intérieur du carrosse et s'adossa aux coussins, à nouveau muette...

    Déjà ce soir...

_________________
Osfrid
    « La Nostalgie est un poison *»

    Les choses avaient bien changées depuis quelques temps. D’abord il y avait eu le départ de Briana, sa petite cousine puis la maladie de son père qui avait aboutie à une fin tragique. Et depuis son retour en terre de France, Osfrid avait soigneusement évité de retourner en Normandie. Non pas qu’il n’y était pas le bienvenu mais pour le moment, cette terre lui rappelait trop de souvenirs familiaux qu’il ne désirait pas encore affronter.

    La disparition tragique de son père lui rappelait trop que sa propre femme et son fils avaient péris eux aussi à cause des fièvres que l’on ne savait que peu soigner de nos jours et de ça, il en souffrirait toujours. Rester impuissant devant cette lente agonie qui retire chaque jour un peu plus le souffle de la vie… le danois en était marqué jusqu’aux tréfonds de ses entrailles mais comme toujours il lui fallait faire bonne figure. Alors il avait trainé sur le chemin du retour, pas pressé pour deux sous de retourner dans ce duché qui n’était pas vraiment le sien. Là-bas, on lui faisait encore sentir qu’il n’était pas le bienvenu, on le nommait encore le Barbare et sa cousine avait beau avoir été duchesse, les choses ne changeaient guère et les gens non plus d’ailleurs.

    Et puis il y avait le hasard qui s’en était mêlé. Une rencontre comme n’importe laquelle sauf que le danois avait alors trouvé une utilité à son existence. Il s’était mis au service d’une demoiselle. Comme lui, elle était issue d’un savant mélange de terres étrangères et des terres françaises et c’était sans doute pour cela qu’Osfrid n’avait pas hésité longtemps à accepter de devenir son garde du corps. Où bien est-ce tout simplement parce que cela lui permettait d’être ailleurs, loin des souvenirs ?

    Le danois ne cherchait plus à se convaincre de rien. Enfermé dans une attitude lointaine, froide et taciturne, il faisait son travail sans s’impliquer émotionnellement. Comment l’aurait-il pu lui qui semblait plus mort que vif ? La vie prenait un malin plaisir à le malmener et pourtant il était toujours debout.

    La voix presque incertaine de la jeune femme lui parvint depuis le carrosse tandis qu’il regardait au loin afin de scruter les alentours, s’assurant qu’aucune silhouette ne leur jouait un mauvais tour, histoire de les détrousser avant de reporter son regard azuré sur sa compagne de voyage. Il lui avait répondu machinalement tout en donnant un coup de talon dans les flancs de Grani qui fit une petite accélération afin de venir au niveau de la fenêtre du carrosse. Il avait vu une ombre passer dans le regard d’Eireann comme si elle demandait un peu de temps encore avant d’arriver jusqu’à son promis. Osfrid tint sa monture proche de la porte puis se permit de prendre la parole.


    - Madame... Si vous le souhaitez, nous pouvons nous arrêter au prochain village. Vous pourrez ainsi vous délasser avant de reprendre la route. Je me doute que le chemin vous parait bien long...

    Pas un mot de plus, Osfrid n’avait pas spécialement envie de faire la conversation plus que nécessaire. De une, ce n’était guère pratique et puis, que pourrait-il vraiment lui dire, ici en plein milieu de nulle part. Même s’il avait vu sur son visage les marques de l’ennui, au pire, il pourrait toujours discuter un peu plus tard avec elle... ou pas.



    Gao Xingjian, extrait de La Montagne de l'âme


_________________
Eireann.
    La voix d'Osfrid lui parvint, plus proche du carosse cette fois, et Eireann se redressa. Elle répondit, incertaine, partagée entre le besoin de prendre l'air, l'envie de retarder son arrivée, et le devoir de ne point faire attendre son promis.

    - J'aimerais... j'aimerais que nous nous arrêtions, oui. Je ferais bien mauvaise figure si j'apparaissais devant lui lasse et pressée d'aller me reposer.


    Excuse trouvée. Qui n'en était même pas une fausse : il était tout à fait certain que Thomas n'apprécierait pas que sa promise ne soit pas irréprochable dans sa mise pour leurs retrouvailles. Et elle n'en attendait pas moins de lui en échange. S'ils ne s'aimaient pas, ils avaient l'un pour l'autre le plus strict des respects ; du moins Thomas ne lui avait-il jamais joué de mauvais tour et pourvoyait à ses besoins comme il se devait.

    La jeune femme passa à nouveau la tête par l'ouverture :


    - N'êtes-vous jamais las de chevaucher, Osfrid ?


    Le danois, droit comme un I sur sa selle, semblait inébranlable. Et elle l'avait pris à son service pour cela. Discret, fiable et efficace. Qu'il ne soit pas bavard n'était guère un critère de choix pour l'irlandaise : elle-même n'était pas une grande adepte des bavardages inutiles. Aussi sa question n'était-elle pas dénuée d'une certaine arrière-pensée... Depuis plusieurs heures déjà, Eireann rêvait d'emprunter sa monture au danois et de chevaucher un peu au grand air.

_________________
Osfrid
    Le minois d’Eireann avait reparu et Osfrid cacha sa surprise. Depuis le début du voyage, la jeune femme ne s’était guère montrée et au final, le danois avait trouvé cela bien plus simple. Cela lui évitait de faire la conversation. Il n’était pas très doué pour cet exercice qui, la plupart du temps, finissait par une lassitude de sa part et invariablement des piques envoyés sans restriction aucune. Il avait encore en souvenir dans sa mémoire une rencontre à Rouen qui fut bien animée de ce côté-là.

    Aussi, lorsqu’Eireann lui demanda s’il n’était pas las de chevaucher, le danois redressa le dos tout en relevant le menton. Ses reins le faisaient légèrement souffrir mais il n’était pas homme à se plaindre de toute manière. Alors il lui sourit avant de lui répondre gentiment.


    - Question d’habitude Madame. Toutefois, je profiterai aussi de ce moment de répit afin de me délasser avant de reprendre la route. Ne jamais présumer de ses forces dit-on…

    Il aurait l’air malin si, sur les chemins, ils croisaient des pilleurs et qu’il se retrouvait à tant souffrir qu’il ne pouvait même pas combattre afin de défendre l’irlandaise. Et puis quoi encore ? Non c’était décidé, il prendrait lui aussi un moment pour se dégourdir sans compter que Grani apprécierait, sans aucun doute, d’alléger son dos. A cette pensée, la main du cavalier vint flatter l’encolure du cheval. Son vieil ami était le plus brave de son espèce, ne rechignant jamais à la tâche et Osfrid se félicitait chaque jour d’avoir une monture si fantastique. A croire que comme dans la légende, son cheval était béni des dieux eux-même.

_________________
Eireann.
    L'irlandaise réprima un sourire amusé lorsque l'homme se redressa fièrement sur sa selle avant de lui répondre. Cependant elle n'ignorait pas que plusieurs jours de chevauchée continue mettaient à mal le plus aguerri des cavaliers, et qu'Osfrid n'échappait sans doute pas à la règle. Le corps humain avait certaines limites, et les muscles endoloris réclamaient du repos. La jeune femme tourna son visage vers l'avant de la calèche :

    - Cocher ! Vous vous arrêterez juste avant le prochain village, je vous prie.

    Le vieux barbu qui conduisait se pencha sur le siège pour mieux entendre, et lui répondu d'une voix forte qui couvrait le claquement des sabots et les cahots des roues :

    - Y a une sorte de prairie juste là-bas, m'dame. J'm'y arrêterai si vous voulez.

    Et, quelques minutes plus tard, les roues du carosses s'engageaient dans un épais tapis d'herbe moussue. L'attelage fut arrêté, et enfin la voyageuse put se lever de ce siège qu'elle finissait par haïr. Elle poussa la porte de bois qui s'ouvrit sur une bouffée d'air frais à l'odeur d'herbe humide, et se laissa aller à un petit soupir de soulagement avant de poser le pied sur la première marche. Elle avait enfin un moment de liberté !

_________________
Osfrid
    Mais Madame… nous n’avons pas le temps…

    Il savait pourquoi elle se rendait là-bas, elle savait ce qui l’attendait. Ce n’était un secret pour personne et il avait été engagé afin de lui offrir la protection qu’elle méritait le long de son voyage. Et depuis qu’il était à ses côtés, discrètement, le danois l’observait. Et cette prise de décision rapide ne l’étonna même pas.

    Oh non ! Il avait deviné sous son attitude docile, le feu qui couvait. Certainement son héritage de ses peuples vivants plus au nord qui la rendait ainsi, du moins c’était ce qu’il pensait. Tout comme lui qui venait de ces terres lointaines, il n’était qu’apparence froide et distance mais bien souvent, son sang bouillonnait chez lui à le faire rapidement exploser.

    Un léger sourire vint étirer ses lèvres malgré tout. Eireann ne s’en laissait pas compter et il aurait pu lui décrocher la lune en échange de leur route à faire qu’elle n’aurait certainement pas cédé. Osfrid admirait les femmes de caractère et dans son fond intérieur, le fait de travailler pour elle l’apaisait lui que la vie venait une fois de plus tenter de l’abattre. L’arme mortelle avait distillé son poison dans ses veines mais il résistait à la tentation de rejoindre les siens dans l’au-delà. Son fils, son épouse et maintenant son père, petit à petit les pierres de son monde s’écroulaient les unes après les autres. Toutefois, le barbare était encore debout. Vacillant certes mais encore là, à faire ce pourquoi il était doué.

    Alors qu’il faisait ralentir Grani en arrivant dans la clairière et que le carrosse faisait mine de s’arrêter, Osfrid observa un instant les alentours afin de s’assurer que personne ne trainait dans le coin. Les détrousseurs de bourses étaient légion de nos jours et le danois ne voulait prendre aucun risque. D’un geste malgré tout encore alerte malgré la fatigue, il mit pied à terre avant de laisser les rênes en plan, laissant son compagnon à quatre pattes se trouvait le coin qui lui serait parfait afin de brouter quelques touffes d’herbes et déjà, le grand danois tendait une main afin d’aider sa dame à sortir du carrosse.


    - Franchement Madame, vous n’êtes pas raisonnable… même si cela nous fait du bien, cela retarde notre voyage… Je pensais que vous étiez pressée de rejoindre votre promis…

    Puis il se tut. Cela ne le regardait pas après tout. Inclinant légèrement le visage, Osfrid finit par s’excuser auprès d’Eireann.

    - Pardonnez-moi, ce ne sont pas là mes affaires…

    Lui qui avait l’habitude de dire ce qu’il pensait à qui voulait l’entendre, ne se souciant guère des convenances généralement tentait de faire un effort avec elle. Non pas qu’il avait changé mais il était à au service de la brune et se devait de bien se tenir... Enfin tant qu’il le pouvait parce que l’ombrageux qu’il était rongeait parfois rapidement son frein.

_________________
Eireann.
    Avec grâce, l'Irlandaise posa la main dans celle que son garde du corps lui offrait, et tout en descendant avec précaution, ankylosée, elle répondit avec un certain amusement :

    - Je suis irraisonnable dans la mesure du raisonnable. Nous savons tous qu'un tel voyage est si long qu'il est difficile d'en déterminer la durée à un jour près. Thomas n'est en aucune mesure de savoir où nous nous trouvons actuellement !

    Elle le regarda, un peu étonnée de l'entendre s'excuser...

    - Allons, vous n'avez rien à vous reprocher, mon brave.

    Elle failli ajouter quelque chose, puis se ravisa. Pourquoi donc irait-elle exposer plus en détail son sentiment à propos de ce rapprochement géographique? Retirant sa main de celle du danois, elle souleva légèrement le bas de sa robe et s'avança dans l'herbe. La douceur de la terre molle sous ses bottes lui procura immédiatement une sensation de détente, et elle fit quelques pas en inspirant profondément. Elle avait fort envie de s'étirer, mais ce n'était pas convenable en présence d'un cocher et d'un garde du corps.

    Thomas serait-il heureux de la revoir ? Serait-il un peu tendre avec elle, ou seulement d'une politesse retenue ? Elle appréhendait ces retrouvailles qui signifiait la fin de leurs fiançailles et le passage à une union officialisée. Le mariage. Une union définitive devant le Très-Haut, qui devait, selon Aristote, être engendée par l'amour entre deux êtres... Ha ! L'amour. Disons plutôt les arrangements familiaux. Mais après tout, Eireann n'était pas trop mal tombée : elle aurait pu se trouver mariée à un vieux fou grabataire. Thomas était plutôt bien fait de sa personne, et bien élevé. Restait à voir s'il resterait aussi respectueux tout au long de leur future vie commune...

    Un soupir s'échappa des lèvres de l'Irlandaise.

    Sa prison serait dorée, mais s'en échapper n'avait rien d'utile. Elle serait bien logée, bien entretenue et bien considérée. Que demander de plus en cette époque où nombre de femmes vivent dans la rue et sont malmenées par leurs hommes ?


    - Je vous envie, Osfrid.

_________________
Osfrid
    Osfrid l’avait regardée descendre, un léger sourire aux coins des lèvres. Sa grâce naturelle aurait enchantée n’importe quel homme et bien malgré lui, il laissa ses azurs détailler les mouvements qu’elle faisait, prêt à la retenir s’il sentait une faiblesse de sa part tandis qu’elle posait pied à terre. Le chemin parcouru avait été long et les corps s’en ressentaient, aussi bien celui de la jeune femme que le sien aussi était-il attentif. Et dire qu'ils n’étaient pas encore arrivés…

    Mais rapidement, Eireann le sortit de sa contemplation. Il l’écouta avec attention avant de conclure qu’elle venait de marquer un point avec sa réponse convaincante sur la raison. Et quand bien même le Thomas en question aurait su à quelle distance ils étaient, Osfrid n’était pas à ses ordres mais répondait à ceux d’Eireann. Donc si elle désirait se poser un moment, lui faire faire le poirier ou bien encore chasser un lapin blanc dans la prairie, il se serait mis en tête de la satisfaire. Oui, enfin, fallait pas exagérer non plus. Le danois n’aurait pas manqué de dire sa façon de penser à la demoiselle en question avant !

    Et tout naturellement, elle le gratifia d’un « mon brave » qui arracha une légère grimace puis un serrage de mâchoires à Osfrid. Quand elle prenait ce ton condescendant avec lui, il avait tendance à avoir le poil hérissé et la langue levée, prêt à lui dire ce qu’il avait sur le cœur. Toutefois, il se retint et lui offrit un sourire en coin.

    - Certes madame mais vos histoires de cœur ne me regarde point et je n’ai pas à juger…

    Voilà c’était dit quand même. Ça le titillait depuis un moment parce que mine de rien, elle n’avait pas l’air enjoué l’Irlandaise à rejoindre son promis et franchement, le danois se demandait s’il n’assistait pas à un sacrifice plus qu’à autre chose. Prenant le temps de l’observer, il s’appuya contre le carrosse, les bras croisés sur sa poitrine.

    Eireann ressemblait à une petite fille retrouvant les sensations chères à son cœur qui lui mettaient un peu de baume afin d’effacer le tourment des obligations qu’on lui imposait. Tournant légèrement le visage vers le cocher, Osfrid se rendit compte que ce dernier reluquait sa dame et fronça immédiatement les sourcils. Il allait lui apprendre à vivre à celui-là s’il ne détournait pas le regard de lui-même. Mais non, c’était qu’il insistait en plus. Et soudain, dans le silence de la petite clairière retentit un claquement de doigts impérieux qui voulait tout dire. Le danois venait de faire signe au cocher de reprendre sa place et de regarder droit devant lui. S’assurant que l’autre faisait ce qu’il venait de lui signifer, Osfrid se détacha du carrosse, une main sur son épée. Ce fut à cet instant précis que la voix de l’Irlandaise retentit. D’abord surpris, Osfrid choisit de laisser s’échapper un petit rire mi amusé, mi intrigué. Se moquait-elle de lui ou bien avait-elle réellement besoin de fuir sa condition pour envier comme cela celle du danois ?


    - Allons donc, m’envier et en quel honneur Madame ? N’avez-vous donc pas la vie dont vous rêviez ?

_________________
Eireann.
    Eireann revint lentement vers lui, sans avoir remarqué le comportement du cocher ni la réaction d'Osfrid. Celui-ci se tenait appuyé contre le carosse, un air presque amusé au coin des lèvres. Elle lui trouvait un petit air insolent, bien qu'il prenne visiblement garde à se tenir à son rang. Elle l'avait embauché pour qu'il la protège, et il ne l'oubliait visiblement pas. Cependant, cela faisait près de dix jours qu'ils voyageaient ensemble, et quelques paroles oublieuses des convenances s'échappaient parfois de l'un ou de l'autre.

    Elle l'observa. Le front fier, l'air à la fois buté et moqueur tout en étant remarquablement poli et discret, l'homme semblait capable du pire comme du meilleur. Pour le moment, elle n'avait pas à s'en plaindre : il prenait visiblement son role au sérieux, elle l'avait vu guetter un groupe de mendiants qu'ils avaient croisés, puis surveiller régulièrement les alentours.


    - La vie dont on rêve...

    La jeune femme resta pensive un instant, cherchant ses mots.

    - Je pense que je n'ai pas à me plaindre de la vie que je vais avoir auprès de Thomas de Belrupt.

    Elle se tut, laissa son regard errer alentours... Puis elle ajouta avec un peu plus de dureté :

    - Je serai à l'abri de la faim, du froid et de la pauvreté. Je n'ai pas le droit de faire mauvaise figure.

    Puis elle se détourna, fixant ses yeux sur un rapace qui venait de se percher dans un pommier à quelques dizaines de mètres de là.

_________________
Osfrid
    Il l’avait écouté, peu convaincu par ce qu’elle disait sur sa future vie de couple. Il avait été marié, père de famille et l’avait fait par amour et non par obligation. Toutefois, il comprenait que pour une femme le choix était plus difficile. Les convenances, les parents qui choisissaient le promis en fonction de la position sociale, toutes ses petites choses qui faisaient que finalement, Eireann n’avait peut être pas eu le choix.

    Machinalement, il s’avança et ramassa une pomme au pied de l’arbre. D’un geste leste, Osfrid attrapa le poignard qu’il dissimulait dans sa botte puis coupa le fruit en deux avant d’en tendre une part à la jeune femme.


    - Vous en voulez un morceau ?

    De l’autre main, il l’approcha de Grani qui ne se fit pas prier pour avaler goulument la pomme qui lui était tendue. Riant légèrement, Osfrid lui caressa le front.

    - Espèce de goinfre, tu mangerais n’importe quoi !

    Le danois se retourna à nouveau vers l’Irlandaise. Il cherchait une réponse au tas de questions qu’il se posait la concernant. Elle n’était pas très bavarde, pas plus que lui en tout cas mais pourtant, il appréciait être à ses côtés afin de prévenir le moindre danger. Son côté chevalier qui ressortait ces derniers temps. Mais il ne put s’empêcher de reprendre la conversation où elle l’avait laissée.

    - L’aimez-vous au moins ? Etre à l’abri du mauvais côté de l’existence c’est une chose mais envisagez-vous une vie faites de faux semblants, de devoir composer devant les autres constamment ? Serez-vous heureuse madame ?

    Se baissant, Osfrid reprit une pomme dans laquelle il croque à pleines dents. Ses yeux se portèrent sur le rapace qui les observait, curieux d’avoir des visiteurs dans sa clairière. Et sans regarder Eireann, Osfrid lui demanda.

    - Et en quoi vous m’enviez ?

_________________
Eireann.
    La main de la jeune femme silencieuse se tendit vers la pomme, et elle s'en saisit avec un hochement de tête qui signifiait sa reconnaissance. Elle porta le fruit à sa bouche tout en posant une main sur les naseaux du cheval, qui poussa doucement dans sa paume en sentant l'odeur de fruit. Elle caressa doucement le duvet fin de la tête de l'animal.

    Elle n'osa pas vraiment regarder Osfrid en face quand il lui posa toutes ces questions, à la suite, presque brutalement. Il était direct, droit. Il avait dit, par politesse ou par gêne, ne pas s'intéresser aux états d'âme de celle qui n'était après tout que son employeuse. Avec hésitation, Eireann répondit...


    - Non, Osfrid, je n'aime pas Thomas.

    Ses doigts caressèrent pensivement les naseaux du cheval, et elle continua à voix basse :

    - Ma mère m'a fiancée à lui il y a cinq ans, en échange de nous assurer à toutes les deux une vie décente. Nous étions dans une grande pauvreté à l'époque... il y avait une famine en Irlande. Thomas était venu acheter notre manoir. Et puis... ma mère a jugé opportun de proposer des fiançailles. Cela m'éloignait de la famine, m'assurait un avenir décent.

    La main d'Eireann glissa sur la joue du cheval, flattant son encolure.

    - Thomas et moi avons le même âge, le même rang social... Il n'est ni laid, ni sot, ni malpoli. Nous ne nous aimons pas d'amour mais nous nous respectons. Il y a parfois une sorte d'amitié entre nous. Être éloigné l'un de l'autre ne nous cause aucun chagrin, pas plus que nous n'aurons de peine à paraître devant le monde comme des époux soudés et aimants. Les apparences ne sont qu'un jeu... La société n'est qu'un jeu... et la France n'est qu'apparences.


    Enfin, elle se tourna vers Osfrid pour le regarder :


    - Si je serai heureuse ? Je l'ignore. Sans doute ne serai-je pas malheureuse, pour le moins. Et je vous envie car vous avez la liberté de vivre l'amour...

_________________
Osfrid
    Etrange était cette conversation au milieu d’une clairière, perdue entre ici et ailleurs, entre deux jeunes gens qui ne se connaissaient pour ainsi dire pas. Osfrid avait été engagé et il faisait ce qu’on lui demandait. Bête et discipliné ? Certainement pas mais il avait à cœur d’oublier ce que son esprit lui imposait comme torture. La mort, la désolation, le déchirement des siens, tout ceci lui aurait fait perdre la raison cent fois s’il n’avait pas cette volonté de fer de garder à l’esprit qu’il avait encore quelque chose à faire sur cette terre. Et ce fut la providence qui mit Eireann sur son chemin. Depuis lors, il s’attachait à la servir du mieux qu’il le pouvait, sans vraiment s’intéresser à sa vie. Mais puisqu’ils étaient en pleine campagne, autant faire la conversation, histoire de s’occuper.

    Grani se rappela à son bon souvenir en poussant sur son épaule, venant du bout de ses lèvres mordiller sa veste de cuir. Osfrid émit un petit rire en se redressant tout en posant sa front contre celui de l’animal.


    - Doucement mon beau, tu n’es qu’un vil gourmand qui ne connait aucune limite…

    Comme si l’animal s’offusquait de ses dires, il racla légèrement le sol avec son sabot avant de s’ébrouer. Osfrid lâcha un rire franc et sonore avant de ramasser une nouvelle pomme, la coupant en deux de son poignard.

    - C’est bon j’ai compris… mais si tu ne te tiens pas tranquille, je te renvois chez nous…

    La menace n’avait aucune valeur, Osfrid ne se serait jamais séparé de son compagnon de tous les instants mais il espérait sa voix convaincante pour que le cheval se calme. Tendant la main avec un quartier de pomme, le danois écoutait Eireann. Elle semblait si… blasée ou simplement réaliste face à sa vie future qu’il en fut un instant étonné mais sans vraiment s’arrêter sur ce fait. Après tout, avait-elle raison. Valait-il mieux un mariage arrangé qui la mettait à l’abri du besoin mais, pour avoir vécu l’amour, il trouva dommage qu’elle n’eut point connu ce sentiment au moins une fois dans sa vie. Tout paraissait alors si différent mais tellement plus douloureux quand l’amour s’en était allé.

    Redressant la tête, il croisa le regard de la jeune femme lorsqu’elle lui dit enfin le pourquoi de ce sentiment envieux. Et le danois eut un sourire d’une immense tristesse.


    - Encore faut-il le vouloir et laisser l’amour entrer dans sa vie Madame. C’est un choix que l’on fait tous à un moment donné… contraint ou forcé, de plein gré ou par nécessité… Mais il arrive que l’on refuse ce sentiment de toutes ses forces et que l’on passe son chemin. C’est une forme de liberté... Tout est toujours question de choix... Il faut simplement faire le bon pour soi.

    Et c'était celui qu'il avait fait. Le passé l’avait enterré presque vivant, il avait failli mourir d’un amour trop puissant qui l’avait laissé esseulé par la force du destin alors tout comme elle finalement, désormais, il se mettait à l’abri du moindre sentiment.

_________________
Eireann.
    Eireann écouta parler Osfrid, qui semblait soudain si attristé par ses propres paroles... Elle le regarda. Et elle se rendit compte qu'ils avaient tout deux beaucoup parlé, un peu trop sans doute... Avec une brève esquisse de sourire, un peu mal à l'aise, elle lui dit :

    - Repartons, voulez-vous ? Nous nous sommes déjà attardés...

    Elle posa un bref instant sa main sur celle du garde du corps, puis la retira et se détourna pour remonter dans le carrosse.


    - Reprenons notre route.

_________________
Osfrid
    Les paroles d’Eireann le ramenèrent sur terre. Alors le garde du corps acquiesça d’un mouvement léger de la tête. Partir, repartir vers des cieux nouveaux, reprendre le chemin de sa vie, chacun reprenant sa place. Fermer la porte aux souvenirs, à la confidence qui n’était pas la bienvenue et n’avait surtout plus lieu d’être. Osfrid ressentit un trouble, léger dans le sourire que la jeune femme lui adressait. Cacher sa gêne, cacher ses émotions, cacher sa vie… quelles qu’elles soient. Ne jamais s’immiscer dans l’existence des autres afin de ne pas souffrir, de ne pas périr. Il s’y tenait et s’y tiendrait, coûte que coûte. Au retour de son pays natal, il s’était juré de ne plus s’impliquer émotionnellement auprès de personne. C’était un choix qu’il avait fait, le sien…

    Le danois offrit sa main afin d’aider Eireann à grimper les deux marches du carrosse mais ce mouvement eut pour effet de voir la main délicate de l’irlandaise s’échapper de son contact. Osfrid se para alors de froideur, celle qu’il réservait à ceux qu’il tenait éloigné de lui tout en contractant légèrement la mâchoire. Ce geste presque insignifiant lui rappelait qu’il était là pour faire son travail et rien de plus alors il tint la porte ouverte durant quelques instants afin de voir celle qui l’employait prendre place bien à l’abri de tout.


    - Si Madame veut bien se donner la peine… Je vais donner des instructions au cocher afin qu’il tente de rattraper le retard que nous avons pris même si ce dernier n’est pas vraiment important. Nous pouvons encore arriver à la nuit tombée…


    Et le silence prit le relais. Osfrid poussa la porte jusqu’à ce que le loquet qui la maintenait fermée s’enclenche puis d’un pas rigoureux il alla donner des instructions à l’homme qui attendait patiemment que l’on se décide à repartir. Et enfin, main tendue vers une bride, Osfrid l’attrapa d’un mouvement vif puis grimpa sur le dos de Grani. Un petit coup de talons dans les flancs pour lui indiquer que la route leur appartenait et le convoi se remit en route.

_________________
Eireann.
    Sans voir l'expression d'Osfrid, Eireann remonta dans le carrosse et se rassit. Elle n'osa pas le regarder tandis qu'il fermait la porte. Elle en avait trop dit, avait trop parlé d'elle, et s'était plainte d'une situation que d'autres envieraient. La future épousée s'en voulait déjà, et se mordit la lèvre, même si plus personne à présent ne pouvait la voir. La porte s'était refermée. Le rideau était tiré sur la fenêtre. Dans la pénombre, elle s'entendit pousser un soupir retenu, puis le carrosse se mit en branle, et bientôt la douceur de l'herbe sous les roues fit place aux cahots de la route.

    Dans son esprit oscillaient la hâte d'être à l'abri chez Thomas, d'être épousée comme il se devait, de prendre son rôle de femme de bonne éducation... et ce besoin de liberté, de grands espaces, de choix qu'elle seule pourrait faire.

    Son regard se porta en direction d'Osfrid, bien qu'elle ne put le voir à travers le bois de la voiture. Il était libre, oui. Libre mais prisonnier de sentiments qu'il semblait refouler. Et elle, qui ne portait aucun sentiment en son coeur, qui se sentait vide et froide, destinée à être une jolie poupée sage au service d'une noblesse masculine.

    Elle frissonna.

    Ses mains se nouèrent l'une à l'autre, et elle repensa à son geste, quelques minutes auparavant. La main d'Osfrid était chaude, forte, calleuse, et l'avait soutenue comme si elle n'avait pas été plus lourde qu'un fétu de paille. Thomas serait-il ainsi avec elle, une fois qu'ils seraient mariés. Aurait-il des gestes attentifs qui dépasseraient la simple politesse ?

    Silence...

    Rien ni personne ne pouvait lui répondre. Ses pensées ne pouvaient qu'errer en d'inutiles conjectures.

    Dans ses malles, quelques livres, poèmes d'amour courtois, avaient pris la poussière depuis qu'ils avaient été lus pour la dernière fois.

    Les épouses des hommes froids trouvaient toujours un bel amant, selon les poètes. Mais d'une poésie à la réalité, bien grand est le fossé ; la vie de l'irlandaise n'était pas une chanson de geste. Tout au plus le vie banale d'une jeune femme de la petite noblesse, soumise aux volontés de ses parents et de ses pairs masculins.

_________________
See the RP information <<   1, 2   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)