Mondine
Il était tard quand Mondine arriva au 37 du Quartier du Lion, son panneau de bois sous le bras. La masure, choisie avec soin après examen de tous les plans disponibles au cadastre, était parfaitement située. Elle trônait, vieille bâtisse de tuiles pourpres et darceaux de fer sombre, au bout dune impasse peu habitée qui semblait conçue de toutes pièces pour abriter un établissement tel que celui quelle sapprêtait à ouvrir. Lorsquelle était venue, dans laprès-midi, rendre lendroit présentable, elle navait pas eu le plaisir de constater combien la nuit allait bien à cette venelle. Les pavés lisses reflétant léclat de la lune, les quelques lanternes où vacillaient des flammes chimériques, les lourdes portes de chêne brut, closes depuis des années
tout y était.
Posant sa propre lanterne sur le palier de la maison, elle sortit de son sac les clous quelle avait emmenés et entreprit de fixer solidement la pancarte de bois. Le martèlement sourd raisonnait dans la rue déserte à mesure que son travail progressait. Quand le panneau fut stable, elle lagrémenta dun morceau de parchemin et regarda son uvre.
La peinture avait peine à tenir sur le bois, et le parchemin rapidement manuscrit était à peine lisible, menfin ce nétait pas trop mal. Elle hocha la tête et, saisissant la grosse clé rouillée quelle avait accrochée à son cou, ouvrit la porte.
Lintérieur était tel quelle lavait laissé quelques heures plus tôt en venant faire un brin de ménage. Elle décida den faire à nouveau le tour pour vérifier quelle navait rien oublié.
Lorsquon entrait, on découvrait une petite pièce boisée dans laquelle flottait lodeur épaisse et entêtante du jasmin, mêlée à celle, plus âpre, des cendres de la cheminée. Quelques canapés aux allures confortables, velours sombres, soies nacrées, laines rougeoyantes, étaient dispersés autour dun long bureau qui serait celui de Smooth et delle-même. Une armoire vitrée, juste derrière, débordait de registres encore vierges, de bouquets de roses et de divers objets que la rouquine avait jugé bon de disposer là. Des futs remplis de bières, de vin et dhydromel dormaient paisiblement dans les coins.
Elle jeta un il à la pièce dà côté, meublée sommairement dune petite cuisine, dune table, de quelques chaises et dune bibliothèque. Ce serait la pièce-à-vivre des employés. Personne dautre que les gérantes et lesdits travailleurs nétait supposé y mettre les pieds.
Tout était en ordre ; elle retourna dans lentrée puis se faufila derrière une petite porte qui menait à un escalier vertigineux dont les rampes de fer forgé noir dessinaient des arabesques magnifiques. La rouquine monta pour commencer la vraie inspection
Lescalier serpentait de portes en portes, et derrière chacune de ces portes, on trouvait de drôles de chambres dont aucune ne ressemblait à la précédente. Le premier étage, par exemple, était partagé entre une première pièce aux murs blancs, avec un simple lit aux draps pervenche et quelques meubles dans les mêmes tons, un immense tapis moelleux camouflant le sol ; et une seconde, dont le baldaquin pourpre dissimulé dans une alcôve était gigantesque, et qui était parsemée de bouquets de fleurs séchées dans des vases aux formes fantaisistes. Les placards étaient remplis de robes et de chemises en tous genres, de chaussures, de coiffes dapparat. On trouvait ainsi, à mesure que lon arpentait la maison du 37, quartier du Lion, une vingtaine de chambrées, celle-ci exigüe et sombre, celle-là interminable et irisée de feux de cheminées Quelques paliers donnaient aussi accès à de grands salons meublés avec goût, des salles de bains dorées pourvues de gigantesques bassins et de mille senteurs, des arrières-chambres obscures ou encore de simples cagibis remplis de draps, de victuailles ou de vieux livres.
Une fois satisfaite, Mondine regagna lentrée. Trois femmes et un homme étaient assis sur lun des canapés, en face du bureau. Elle les observa avec un soupir.
Hortense, Julienne, Pétunia, Emilien rebonjour. Bon, je vous ai déjà expliqué. Vous avez vos affaires ? Bien. Emmenez-les dans la pièce à vivre, par là, et rangez-les dans lun des placards. Ensuite, bin vous pouvez aller visiter votre nouveau chez vous
Elle les regarda sactiver. Cétaient là quatre gueux de bas étages, gras et vulgaire ou bien maigrichons et ternes, bref, sans aucun charme. Heureusement quelle attendait sous peu de nouveaux employés, dont elle avait entendu dire quils et elles ! - seraient autrement plus appétissants que les trois rombières et lescogriffe déjà embauchés Heureusement, heureusement, parce que, sans ça, la Rosée de lAubépine, premier et fier bordel dEspalion, ne serait guère un succès ! Et la maquerelle top-secrète ne serait pas jouasse Elle gloussa en songeant à elle, puis sinstalla sur un canapé avec une chopine dhydromel et la savoura, se félicitant pour ce choix. Elle se glissa ensuite derrière le bureau et, de sa voix la plus suave, sadressa à un interlocuteur imaginaire :
Bienvenue à la Rosée, messire, le temple de la joie dans les braies ! Vous dites ? Une chambre pour la nuit Evidemment, évidemment, nous sommes une auberge très réputée clin dil appuyé au mur den face - ; et, messire, dites-moi vous voulez quelquun en particulier, dans la chambre ? Une blonde, une brune, une rousse ? Truc la douce, Machin limpétueuse ? Pardon ? Oh, vous me flattez, mais je ne suis que la taulière, ce nest pas moi qui tient compagnie aux clients Bon, je vais vous présenter Bidule, elle vous plaira, cest certain par ici, par ici
Elle sourit en coin, trouvant son discours pas trop mauvais pour une taulière débutante. Maintenant, restait plus quà voir si des clients montraient le bout de leur nez ou des demandeurs demploi ou Smooth
Elle sétira et attendit tout ce beau monde, relisant le large parchemin, dans un fond de la pièce, qui présentait létablissement.
La Rosée de lAubépine
Etablissement ouvert toutes les nuits de 21h à 8h pour votre plus grand plaisir !
Vous vous sentez seul ? Votre époux/épouse dort dans la pièce dà côté et est devenu(e) aussi aigre que vieux/vieille ? Vous avez envie de découvrir de nouveaux horizons, ou, tout simplement, vous aimez aimer ? Il est temps de partir à laventure dans lune de nos chambres, avec lun ou lune de nos Aubépiniens Plaisir et discrétion garantis !
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Posant sa propre lanterne sur le palier de la maison, elle sortit de son sac les clous quelle avait emmenés et entreprit de fixer solidement la pancarte de bois. Le martèlement sourd raisonnait dans la rue déserte à mesure que son travail progressait. Quand le panneau fut stable, elle lagrémenta dun morceau de parchemin et regarda son uvre.
La peinture avait peine à tenir sur le bois, et le parchemin rapidement manuscrit était à peine lisible, menfin ce nétait pas trop mal. Elle hocha la tête et, saisissant la grosse clé rouillée quelle avait accrochée à son cou, ouvrit la porte.
Lintérieur était tel quelle lavait laissé quelques heures plus tôt en venant faire un brin de ménage. Elle décida den faire à nouveau le tour pour vérifier quelle navait rien oublié.
Lorsquon entrait, on découvrait une petite pièce boisée dans laquelle flottait lodeur épaisse et entêtante du jasmin, mêlée à celle, plus âpre, des cendres de la cheminée. Quelques canapés aux allures confortables, velours sombres, soies nacrées, laines rougeoyantes, étaient dispersés autour dun long bureau qui serait celui de Smooth et delle-même. Une armoire vitrée, juste derrière, débordait de registres encore vierges, de bouquets de roses et de divers objets que la rouquine avait jugé bon de disposer là. Des futs remplis de bières, de vin et dhydromel dormaient paisiblement dans les coins.
Elle jeta un il à la pièce dà côté, meublée sommairement dune petite cuisine, dune table, de quelques chaises et dune bibliothèque. Ce serait la pièce-à-vivre des employés. Personne dautre que les gérantes et lesdits travailleurs nétait supposé y mettre les pieds.
Tout était en ordre ; elle retourna dans lentrée puis se faufila derrière une petite porte qui menait à un escalier vertigineux dont les rampes de fer forgé noir dessinaient des arabesques magnifiques. La rouquine monta pour commencer la vraie inspection
Lescalier serpentait de portes en portes, et derrière chacune de ces portes, on trouvait de drôles de chambres dont aucune ne ressemblait à la précédente. Le premier étage, par exemple, était partagé entre une première pièce aux murs blancs, avec un simple lit aux draps pervenche et quelques meubles dans les mêmes tons, un immense tapis moelleux camouflant le sol ; et une seconde, dont le baldaquin pourpre dissimulé dans une alcôve était gigantesque, et qui était parsemée de bouquets de fleurs séchées dans des vases aux formes fantaisistes. Les placards étaient remplis de robes et de chemises en tous genres, de chaussures, de coiffes dapparat. On trouvait ainsi, à mesure que lon arpentait la maison du 37, quartier du Lion, une vingtaine de chambrées, celle-ci exigüe et sombre, celle-là interminable et irisée de feux de cheminées Quelques paliers donnaient aussi accès à de grands salons meublés avec goût, des salles de bains dorées pourvues de gigantesques bassins et de mille senteurs, des arrières-chambres obscures ou encore de simples cagibis remplis de draps, de victuailles ou de vieux livres.
Une fois satisfaite, Mondine regagna lentrée. Trois femmes et un homme étaient assis sur lun des canapés, en face du bureau. Elle les observa avec un soupir.
Hortense, Julienne, Pétunia, Emilien rebonjour. Bon, je vous ai déjà expliqué. Vous avez vos affaires ? Bien. Emmenez-les dans la pièce à vivre, par là, et rangez-les dans lun des placards. Ensuite, bin vous pouvez aller visiter votre nouveau chez vous
Elle les regarda sactiver. Cétaient là quatre gueux de bas étages, gras et vulgaire ou bien maigrichons et ternes, bref, sans aucun charme. Heureusement quelle attendait sous peu de nouveaux employés, dont elle avait entendu dire quils et elles ! - seraient autrement plus appétissants que les trois rombières et lescogriffe déjà embauchés Heureusement, heureusement, parce que, sans ça, la Rosée de lAubépine, premier et fier bordel dEspalion, ne serait guère un succès ! Et la maquerelle top-secrète ne serait pas jouasse Elle gloussa en songeant à elle, puis sinstalla sur un canapé avec une chopine dhydromel et la savoura, se félicitant pour ce choix. Elle se glissa ensuite derrière le bureau et, de sa voix la plus suave, sadressa à un interlocuteur imaginaire :
Bienvenue à la Rosée, messire, le temple de la joie dans les braies ! Vous dites ? Une chambre pour la nuit Evidemment, évidemment, nous sommes une auberge très réputée clin dil appuyé au mur den face - ; et, messire, dites-moi vous voulez quelquun en particulier, dans la chambre ? Une blonde, une brune, une rousse ? Truc la douce, Machin limpétueuse ? Pardon ? Oh, vous me flattez, mais je ne suis que la taulière, ce nest pas moi qui tient compagnie aux clients Bon, je vais vous présenter Bidule, elle vous plaira, cest certain par ici, par ici
Elle sourit en coin, trouvant son discours pas trop mauvais pour une taulière débutante. Maintenant, restait plus quà voir si des clients montraient le bout de leur nez ou des demandeurs demploi ou Smooth
Elle sétira et attendit tout ce beau monde, relisant le large parchemin, dans un fond de la pièce, qui présentait létablissement.
La Rosée de lAubépine
Etablissement ouvert toutes les nuits de 21h à 8h pour votre plus grand plaisir !
Vous vous sentez seul ? Votre époux/épouse dort dans la pièce dà côté et est devenu(e) aussi aigre que vieux/vieille ? Vous avez envie de découvrir de nouveaux horizons, ou, tout simplement, vous aimez aimer ? Il est temps de partir à laventure dans lune de nos chambres, avec lun ou lune de nos Aubépiniens Plaisir et discrétion garantis !
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