Mondine regardait les vastes murs croulant de tableaux en écoutant la blonde. C'était en effet un bel endroit... Étrangement, l'abondance outrancière de décorations, de fleurs, d'objets étranges et précieux, abondance qui aurait eu n'importe où ailleurs le don de la faire partir en courant ou, du moins, de la mettre fort mal à l'aise, prenait ici une dimension agréable, rassurante. La Rosée de l'Aubépine était un petit écrin au milieu de la ville - dans l'une des ruelles où l'on se serait le moins attendu à trouver une telle profusion de beautés variées... Depuis quelque temps, c'était d'ailleurs devenu l'un des abris de prédilection de la rousse.
Hero se raréfiant, le moulin étant très loin sur la route de Mende et les tavernes étant parfois plus vides qu'un cerveau de politicien, Mondine s'était surprise plus d'une fois à prendre pour meubler ses ennuis la direction du bordel, et ce, même en plein jour, lorsque l'endroit était vide de clients. Elle commençait à apprécier Shae, Myst, Rivian, Mesrant et les autres, constatant qu'il y avait en eux d'autres choses que leurs belles frimousses. La nuit et le jour, c'étaient des personnes différentes ; il était intéressant d'observer leurs métamorphoses, d'oiseaux de proie - oiseaux de choix... - nocturnes à diurnes êtres humains. Ils avaient, ma foi, leur compte de faiblesses, d'angoisses et de défauts, mais étaient pour la plupart de bonne compagnie. Et ceci, Mondine avait toujours eu du mal à le concevoir lorsqu'elle faisait face à des personnes que la vie avait dotés d'une beauté hors du commun, partant d'un vieux principe acquis d'expérience selon lequel les plus beaux étaient toujours les plus vils.
Dans les premiers temps, l'ambiance pesante et tamisée du bordel l'avait poussée à ne guère y séjourner trop longtemps... A présent, elle s'y sentait bien. Pas autant qu'en ermitage dans son moulin, certes, mais les ermitages étaient une situation d'urgence qui ne devait pas devenir une habitude !
Combien d'heures à lire de vieilles missives, à raconter à une Hortense captivée ses premiers amours, à passer de superflus coups de chiffon sur l'éclat de l'argenterie... ? Beaucoup ! Et, bon Dieu, c'était plaisant à faire peur. C'était plein de souvenirs, aussi, de souvenirs d'une autre époque... A peine sciemment, elle avait calqué une bonne partie de la décoration du bordel sur ce qu'elle connaissait. S'il passait à l'Aubépine quelque voyageur qui, par un hasard affreux, avaient eu le plaisir de rencontrer la rouquine quelques années plus tôt lors de ses péripéties bretonnes, ce voyageur serait forcé de concéder au lupanar une ressemblance frappante avec une maison close, quelque part sur la côte... Enfin. Ceci, Mondine n'y pensait plus tellement. Elle n'en avait guère envie... Puis, maintenant, elle était taulière, rien de moins, rien de plus.
Elle fut ravie d'apprendre que Cerdan se plaisait ici, et nota dans un coin de sa tête qu'elle avait une potentielle future cliente à ajouter à la liste. Quand bien même la blonde ne consommerait jamais, la rouquine appréciait sa compagnie.
Eh bien, Cerdan, tu es libre de passer quand bon te semble ! Même hors des horaires d'ouvertures, si c'est en tant qu'amie et pas en tant que cliente ! J'essaierai de tenir Rivian, je crois qu'après ses récentes aventures il risque de vouloir sauter sur toutes les jolies demoiselles qui passent... On a eu une cliente assez âgée, je crois qu'elle n'y a pas été en douceur avec le pauvre gars... Mais bon, y'a Hortense qui...
Elle fut interrompue par un bruit provenant de l'étage. Ca ressemblait encore une fois à la voix d'Ixia, mais - encore une fois - Mondine soupira et chassa l'idée du dos de la main. Il fallait vraiment qu'elle arrête de voir la petite partout !
Pardon, Cerdan, je disais, Hortense...
...iiiineeeeeeeeeeeeeeeee!!!!! MONDINEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE
Là, le doute n'était plus permis. Elle regarde Cerdan en espérant très fort que cette dernière allait éclater de rire et lui expliquer que c'était une blague, mais visiblement, Cerdan n'était pas davantage au courant de ce qu'il se passait qu'elle-même. Rivian, en tout cas, avait du entendre aussi car il s'élança après une phrase pré-concue pour la rousse, laquelle ne l'entendait pas de cette oreille : namého, il croyait vraiment qu'elle allait laisser sa Ixia en danger comme ça ? Aussi laissa-t-elle Cerdan là avec un bref sourire d'excuse pour se ruer dans les escaliers à la suite du brun. Ixia ? Ixia dans l'Aubépine ? Pourquoi cela l'étonnait-elle, que diable, la gamine ne se décourageait jamais une fois qu'elle avait une nouvelle bêtise en tête. Mondine jurait en montant les marches, pestait, s'en voulait à mort, d'autant qu'à tous les coups, la petiote allait avoir débarqué dans la chambre où Jack finissait son affaire avec Myst, bah, oui, sinon ç'aurait pas été assez drôle comme situation !
Elle réfléchissait à toute allure à ce qu'elle allait faire. Bon. Mettre les petits yeux d'Ixia à l'abri de toutes les cochonneries que pouvait renfermer un bordel. Lui dire que tout va bien. Lui expliquer les choses. Être douce et calme. Attendre qu'elle aille mieux. Et là, là, lui passer le SAVON de sa courte vie ! Elle écarta Rivian qui braillait devant la porte - y'avait des moments, elle ne connaissait pas sa forcé, té ! - marmonna une remarque sur sa virilité et poussa d'un coup de pied la porte d'où provenait les cris, et aperçut... Oh, beaucoup de choses.
Bon, déjà, pas de Jack, il était passé où çui là ? Par contre, une Ixia larmoyante, plantée devant... Une Myst avec, avec... Hein ? Une dague ? Maisheuuu... Qu'est-ce qu'elle fichait avec une dague, la Myst ? Je ne dis pas, c'était raisonnable pour une fille de joie d'avoir un quelque chose planqué quelque part en cas de client violent, mais Ixia n'était en aucun cas un client violent. Ixia était une gamine de cinq ans, en train de pleurer toutes les larmes de son corps devant une catin qui ne semblait pas s'en émouvoir une seule seconde. Mondine alla rejoindre Ixia, posa ses mains sur les épaules de l'enfant, les crispa un peu pour lui faire sentir qu'elle était là, que plus rien n'allait lui arriver. Et regarda Myst, interdite.
Tu peux m'expliquer ce qu'il se passe, Myst ? Qu'est-ce que tu fabriques avec ce machin ?
Il serait temps, plus tard, de gronder l'enfant pour ses bêtises... Mais là, quelque chose clochait, et Mondine était bien décidée à en savoir plus. Elle n'était pas mécontente que Rivian soit là, finalement... On ne savait jamais, si la Myst était une dangereuse psychopathe...
