Elvire
Elvire était arrivée un beau jour à Mauléon, venant de nulle part, ne connaissant personne et personne ne la connaissant.
Une longue chevelure d'un blanc sale, son aspect loqueteux laissant entrevoir une poitrine fripée par les ans, les musettes débordant d'herbes inconnues qu'elle trimbalait, la bicoque à l'écart du village dans laquelle elle s'installa, sa propension au mutisme, répondant d'un vague grognement les villageois qui, du moins au début, la saluait , sa bouche dépourvue de nombreuses dents et surtout son âge que l'on ne pouvait déterminer mais était sans doute canonique eurent tôt fait d'éveiller la méfiance des villageois.
Les commères échangeaient des ragots à son sujet tout bas, veillant à ce qu'elle ne soit point dans les parages les jours de marché où elle venait chaque semaine acheter une grosse miche de pain noir, du moins cher.
Bientôt les ragots se transformèrent en rumeurs.
L'on murmura qu'elle pratiquait la sorcellerie.
Ne se promenait-elle point dans la foret où on l'apercevait ramassant des plantes, capturant des serpents au bout d'une longue perche munie d'un collet, qu'elle faisait sécher à l'entrée de sa bicoque ?
Et ces odeurs qui s'en échappaient, fort suspectes...
Les plus excités allèrent voir le Curé, réclamant à cors et à cris un inquisiteur...
Le Curé, ayant un certain bon sens, ne jugea pas utile de déranger l'Inquisition pour une vieille un peu marginale certes, mais qui ne faisait de mal à personne et leur fit savoir assez sévèrement.
Ils s'armèrent alors de bâtons, de pierres et de torches et battirent la vieille Elvire, qui sous une rouée de coups, sa bicoque incendiée, trouva refuge dans la forêt.
Elle s'y enfonça au plus profond, usa ses forces à se construire une cabane, se méfia désormais de tous, plus vigilante que jamais, se nourrissant de baies, de noisettes et de fruits sauvages ainsi que de quelques oiseaux qui se prenaient à ses collets.
Avec une certaine inquiétude elle en remarqua d'autres, les releva pour se nourrir.
Elle continuait à cueillir ses herbes, en cultivant certaines, fabriquant de mystérieuses potions, capturant toujours ses serpents lorsqu'elle vit des traces de pas, bien nettes dans la boue un jour de pluie.
Elle se confectionna un solide gourdin qu'elle gardait à portée de main, craignant alors la rencontre avec cet homme au vu des empreintes, qui se baladait non loin de chez elle et y resta l'oeil aux aguets le plus souvent possible...