Manon_
« Manon, Manon.. Quas-tu fait ? »
Lécho délicieux des mots dautrefois la berce, et les yeux fermés, elle savoure, se laissant guider par les souvenirs. Aucun na su murmurer son nom comme lui de façon si désespérée, aucun na su donner à son prénom les échos de la douleur et de la peur comme lui, et pourtant, elle la dit à tous les hommes rencontrés. Aucun na su, aucun na pu. Dans une taverne bourguignonne où elle a échouée, assise à une table vide dans un coin, elle ne voit pas les regards des hommes sur elles, la senestre gratte machinalement à travers le tissu rapiécé du jupon le substitut de jambe, comme pour mieux lisser le bois. Les yeux fermés, elle tangue, on pourrait la croire abrutie dalcool, elle lest de rêveries, elle songe. Manon se rappelle avec délectation des derniers mots de lhomme qui la fait renaître alors quil sétait appliqué à la tuer.
Mais Papa est mort et Manon rêve, et nentend pas les hommes arriver près delle. Elle sent à peine la main qui se glisse contre sa taille, jusquà ce que lhaleine avinée se penche vers elle, et que la voix lui adresse quelques mots qui percent la brume des rêves.
-« Et bien, tu es seule ? Où est ton mari ? »
Le regard vague se pose sur lhomme qui lui parle et elle sourit, de ce sourire rendu imparfait par lestafilade qui le coupe en son milieu, un sourire dexcuse.
-« Je nai pas de mari. Je mappelle Manon. »
Et elle se lève, posant sur la table, le dû pour son repas de la soirée, sans un regard au trio dintrus mâles. Lestropiée quitte la place en boitant avant de rejoindre la rue et ses dangers. Pour elle ? Jamais. Elle se fond dans la nuit, elle est lombre qui inquiète les honnêtes gens, la femme qui répugne les bons hommes, le bruit déroutant qui angoisse les enfants. Manon rêve en déambulant sur le pavé, repaissant tout un chacun du bruit régulier du bois qui cogne contre le pavé. Manon a inventé lalarme, elle est la catastrophe. Derrière elle, un bruit reconnaissable entre tous, le rire de lhomme convaincu de son affaire. Qui soccuperait dune vilaine défigurée, seule qui plus est ? Le pas est accéléré du mieux que le permette la jambe factice tandis quun sourire se dessine sur lersatz de bouche. La scène, elle la connaît par cur, du regard, elle guette le bout de la rue, la ruelle où il lui faudra tourner, non sans avoir jeté quelques coups dil en arrière dun air paniqué.
Les pas se rapprochent et elle pourrait rire de sa trop grande confiance en lui qui la poussé à se départir de ses compères. Elle pourrait rire mais ne fait quen sourire alors quelle sengouffre dans la ruelle aussi sombre que son âme. Le bruit nest plus si net, il fait écho à la souillure du sol, il éclabousse la fange de la ville et de son cur, et lhomme vient en un ricanement alors quelle touche le bout, touche le fond de la ruelle, sans retour en arrière.
-« Tu tes perdue, on dirait. »
-« Répète mon nom.. »
-« Hein ? Quest-ce tu baves ? Viens donc là que je sois gentil avec toi, je vais tfaire un beau mari pour la nuit, tu vas voir. »
-« Mon nom.. »
Lestropiée sapproche de lhomme, et dans la mare limpide de ses yeux, il y a de lattente, de langoisse. Le dira-t-il jamais ce nom ? Les dira-t-il jamais ces mots ? Les mains calleuses se posent, empressées sur son corps, elle résiste pour la forme, gémissant parce que ça les attise toujours un peu. Et alors quil pense lavoir calmée de quelques claques en plein visage, ses braies sont défaites et il en extirpe un vit à lardeur exacerbée. La main fine se glisse à la taille comme pour sappuyer contre le mur en désespoir de cause, les doigts jouent sur le manche quelle connaît de mémoire, et en réponse au rire triomphant de lhomme qui la tire du mur pour la jeter à terre, cest le sien qui répond, sinistre tandis que le pâle rayon lunaire qui simmisce dans la ruelle, vient se refléter sur la lame du hachoir.
Un cri mais pas de nom. Dans lobscurité, elle observe lhomme allongé tenant son entrejambe à deux mains qui pleure et crie, mais aucun nom, cest si simple pourtant, elle lui a donné. La senestre se saisit de la masse de cheveux pouilleuse, tandis que la dextre officie et que la gorge est tranchée sans précipitation. Un soupir de déception quand elle se détourne, la chausse vient cogner dans le vit esseulé, ver solitaire qui se noie dans la fange sanglante. Lestropiée vient essuyer la lame du hachoir avec le bas de son jupon, et quitte la ruelle, à la lune qui se révèle, elle offre une larme unique qui se repaît de la rondeur dune joue avant de séteindre sur le menton. Le menton est relevé et elle reprend sa route, du moins escomptait-t-elle le faire avant de se cogner contre une ombre. Le regard haineux est rapidement remplacé par un regard plus doux, plus craintif, celui qui sied à une jeune femme seule.
-« Pardonnez-moi... Je mappelle Manon. »
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Judas et Eusaias ils m'ont fait confiance. Je vais mouiller ma culotte !