Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   <   1, 2, 3   >   >>

[RP] L'Idiote rouge et or

Blanche_
Notez le passage du "tu" au "vous" lorsqu'Aimbaud de Josselinière reconnait la parenté d'avec le tas de boue qui babille en espagnol. Blanche, beaucoup trop loin pour entendre quoi que ce soit, se contente à l'instant où elle retrouve son fils de courir vers lui en bousculant les personnes qui se trouvent sur son passage. Elle n'emprunte pas le chemin de terre, elle traverse une avancée d'herbe, manque de glisser sur ce tas de végétaux humides, salit sa robe, la déchirerait presque en frôlant de trop près les portants d'armes, de haches de lances d'épées qui trônent entre chevaliers et écuyers. Aucune entrave ne la retiendrait, aucun homme ni bête, elle se glisse comme une souris pour éviter une armure, oublie son rang en pressant le pas, dit à peine pardon. Une fois elle donne même un coup de coude à un pauvre gamin, à l'aube de l'adolescence, qui porte un bouclier trop grand pour lui. Et elle ne s'excuse pas, ou elle s'excuse en retard, car ce qui compte, c'est bien le moment où la chair de sa chair sera serrée contre elle et protégée.
Un peu brutalement peut être, elle le serre contre son cou, remontant de la terre où elle s'est laissée choir pour le prendre dans ses bras. Là, relevée, deux traces de terre sur ses genoux, empreintes sur la robe, avec le ballant de sa ceinture dorée qui en écrase la sale masse en de plus amples traces. Rien n'importe, avant que le baiser maternel ne vienne réconforter ce petit bout d'espagnol.


Il t'a fait mal ?


Oh qu'elle a eu peur...! Qu'elle a eu peur...! Elle n'a de cesse de le serrer, de se le réapproprier. Veut-elle seulement savoir s'il est en vie? Il est à elle, il ne lui a pas pris. A-t'il mal? Elle le serre encore. Baise le cou, se recouvre de terre elle-même. On aurait pas dit que le matin même, elle le sermonnait de ne pas vouloir finir son bol. Blanche-mère est paniquée. Elle s'est vue orpheline de l'un de ses petits. Où est l'autre d'ailleurs? Ne faut-il pas toujours qu'il s'en aille celui-là? Johann! Elle l'appelle. Johann!
Un bref moment d'éducation -ou... la fatigue de cet enfantement qui est assez récent, Anne-Azilliz étant née très tôt...- elle pose le petit par terre, veillant telle une mère -c'en est une de plus en plus, de plus en plus protectrice, de plus en plus affectueuse- au petit blond au nez de crasse et de terre. Est-ce que cet homme t'a fait mal, Lestan? demande t'elle encore. Et cet homme, avait-il raison de s'inquiéter, c'est le pauvre Aymon, qu'elle dévisage emplie de sous-entendue, déversant sur lui les aprioris qu'elle ne peut exprimer envers Aimbaud.

Le petit ne dit rien encore. Elle reste là à coté de lui, mais redresse le nez et regarde Aimbaud. Il est difficile de ne rien laisser transparaître, c'est l'homme qui l'a rejetée... Il est difficile mais toute difficulté est surmontable n'est ce pas? Au nombre d'épreuves traversées, elle est inébranlable désormais. Peut être un peu neutre. Peut être un peu trop. Elle sourit avec politesse.

Pardonnez mon cadet s'il vous a offensé, Seigneur de Nemours. Les fils de Castille chahutent un peu trop, ils ont de la vigueur à évacuer après si long voyage.

Des banalités en guise de paraphe. Elle espère vite s'en retourner à sa tente, à l'Orléans, à Della.

_________________
Aimbaud
La main d'Aimbaud resta ouverte à une distance respectable de la tête de l'enfant dont les boucles s'enfouissaient maintenant dans l'épaule de sa mère, mère que le jeune-homme avait vu s'avancer avec une appréhension croissante. Il observait l'embrassade échevelée, la soie que l'on souillait de boue dans cette effusion d'amour maternel, et ces têtes blondes réunies, consolantes et consolées, à ses pieds. C'était bien Blanche de Donges, dont il croisait les coups d’œil assassins et terrifiés qu'elle lui jetait entre deux papouilles dévorantes à son fils, et il reconnaissait ce regard entre tous, fut-il moitié caché sous le rideau de ses cheveux évadés de leurs prisons de nattes.

Il restait là, un peu hébété, à regarder ces gestes de mère louve qu'on adressait à Lestan da Lua, ce gamin que l'on pétrissait, que l'on mouchait et dont on écartait la frange avec tant d'agressivité et de savoir-faire. Mais comme elle faisait ça bien ! Il n'avait jamais vu une chose pareille. C'était une jeune-fille qu'il avait quittée, et il retrouvait une fée de l'artisanat, qui faisait des tours de passe-passe pour façonner un bébé plein de terre. Chaque geste tombait comme pinceau sur la figure du gosse, ajoutant touche après touche sur le tableau, qui avait tout de religieux.

Comment ne pas se sentir inutile et exclus, face à un couple si complet, dont les bras s'enlaçaient si bien, dont les doigts épousaient si joliment le plis des vêtements et des gorges ? Lui, Aimbaud de Josselinière, aurait été bien incapable d'octroyer des preuves d'amour si justes envers qui que ce soit, de dire autant d'affection dans si peu de gestes, ou même juste de savoir où poser les mains sur ces épaules minuscules... On parlait là un langage très beau, dont il ne connaissait pas le niveau 1 des bases de la grammaire. Ou alors il les avait oubliées, depuis le temps qu'il avait quitté l'Anjou et les jupes de sa buse de mère...
Et il était singulier de réaliser que ce tableau, eh bien, pour une bonne part, il en était la cause. De facto.

Alors que dire et que faire, témoin parasite qu'il était ? Pauvre répondant au feu radical qui pleuvait des pupilles de son amante aujourd'hui mère, et Marquise en Castille. Lui, il n'avait guère changé, hormis la largeur de ses épaules et le noir qui estampillait un peu plus son menton. Il ne se sentait pas le moins du monde mûri et changé, quand son étrangère, elle, avait parcouru tant de lieues et fait grandir tant d'enfants dans son sein. Que dire à cette femme qui lui glaçait l'estomac par la peur d'être devenu un poltron indigne de l'été qu'ils avaient jadis partagé ?

Ça, il ne fallait plus y penser. Ils s'en était confessé, après tout...

Quand Blanche lui adressa la parole, il hasarda un début de réponse, un bégaiement qu'il interrompit pour lui tendre la main en vue de la relever.


Je ne suis pas offensé. Il dévia du regard vers Lestan. Au contraire c'est moi qui ai fait offense à votre fils, je veux lui en demander pardon. Mais il ne semble pas comprendre le français.

Ça, c'était ballot...
_________________
Blanche_
Le pire fléau de Blanche se trouvait devant elle.
Il avait des yeux dont elle ne savait plus se détacher ; malgré son regard dont elle sentait, ou imaginait peut être, la persistance dévorante sur elle. C'était douloureux, c'était affreusement perçant, aux antipodes de ce qu'avaient pu être leurs étreintes à Donges et dans les bois français quelques mois plus tôt. Où cela était-il donc parti? Où était leur amour, désormais? Refroidi, délaissé, à l'image de leurs phrases qu'ils s'envoyaient l'un l'autre comme des boulets de canons, Ah! Elle disait Castille, mariage, enfant, il répondait Français, il répondait votre fils. De ces mots naissaient des armes, ou tout du moins le croyait-elle, pauvre malheureuse qui n'avait plus évolué depuis sa séparation.
Elle soupira.


Il apprendra peut être un jour si son père le décide.


Le français n'était-il pas la langue des illustres et des sages? Si Astaroth, ainsi qu'il aimait le dire, savourait sa culture littéraire européenne, et aussi principalement française, il devait bien, assurément, avoir prévu un jour que Lestan apprenne le français. S'il ne l'avait pas décidé, ce n'était que par jalousie, et cela, Blanche, même avec toute la bonne volonté du monde, n'aurait pu le faire changer d'avis. Sa place, dans le couple, en tous cas en ce qui concernait ses bâtards, était évidemment reléguée loin derrière celle de son époux. N'était-ce point lui qui s'était sacrifié? Elle se devait de lui obéir désormais, et le français ma foi... Ça n'était pas grande perte quand on grandissait au milieu de bretons et d'espagnols. Lestan ne semblait pas s'en plaindre, lui qui parlait bien mieux castillan qu'elle, et qui avait plusieurs amis bruns de peau.

Je vous remercie, dit elle en se saisissant de la main qu'il lui tendait. Elle garda petit Lestan près d'elle, voulait écourter la conversation. Il n'était pas question de tourner le couteau dans une plaie si fraiche, que le moindre regard vers lui faisait saigner de plus belle : cela, elle se l'interdisait. Comme elle avait décidé de ne plus lui écrire, car les mots sans réponse lui auraient été trop douloureux ; il était peut être temps de ne plus lui parler non plus. Quoi que ses penchants lui enjoignent, et aussi cruelle soit la séparation de ses yeux sur les siens, elle sortit la carte inaliénable du mariage, pour mettre fin à la conversation. Ce n'était pas par cruauté. Ce n'était pas par jalousie. Mais s'il fallait qu'elle soit nommée pour que Blanche soit sauvée, à cet emploi elle s'autoriserait à la sortir de son silence :

Et votre épouse, comment va-t'elle? Si elle se trouve au Tournel, nous irons lui présenter son filleul. Johann se fera un plaisir de lui réciter un compliment que nous lui avons appris. Lui parle français, le saviez-vous ?

Mais, bien qu'elle se soit enjoint à le quitter à la fin de sa phrase, elle ne put s'y résoudre, et ne pivota que trop peu ; on eût cru qu'elle l'incitait à le suivre au long d'une petite balade, alors qu'intérieurement, elle hurlait. Ses yeux, d'ailleurs, se seraient gorgés d'eau s'il eût été quelque brise justifiant qu'elle pleurât. Mais il n'y en avait point, et elle se trouva là bien gourde, au milieu du chemin, près d'Aymon dont elle ne voyait plus qu'une robe de femme, près d'Aimbaud dont elle ne voyait plus que le corps allongé sur l'herbe. Elle serra son fils un peu plus fort, pour se rappeler un peu plus la réalité.

_________________
Aimbaud
Il écoutait ces paroles banales avec une grande attention, observant les rondes et les fermetures de ces lèvres tant de fois baisées. Elles avaient un contour boudeur en dessous, et un creux à peine marqué sur le dessus. Les lèvres de Blanche... Parfois entre deux syllabes, on pouvait voir ses dents d'émail pur qui disparaissaient aussitôt sans aucun sourire. Elle les dévoilerait sans doute un autre jour, au théâtre ou à une réception, et il ne serait plus là pour les apercevoir. Il écoutait si peu ce qu'elle disait, en fait, que son manque de concentration était flagrant, sans doute insupportable. C'était le moment où il aurait dû recevoir un coup de baguette de noisetier sur les mains, si son précepteur avait été présent, et s'il avait eu encore dix ans. Pourtant, pas de correction à l'horizon, il était seul avec ses scrupules.

Mais ses scrupules, il les écartait doucement, en relâchant la main de Blanche pour aller à celles de son écuyer, et, machinalement, lui abandonner l'étendard devenu trop encombrant. Le geste se fit sans quitter des yeux ses compères bretons, dont il observait les cils et la grisaille d'eau avec amitié. Il aurait volontiers baissé les siens, s'il s'était senti trop téméraire. Mais l'assurance qu'il croyait voir dans le camp adverse le poussait à plus d'audace. Puisqu'il fallait se regarder ! Après près d'une année de douleur...

A tout perdre ou tout gagner, il aimait autant la piller discrètement du bout des yeux, faire des provisions de son image, et il était presque à la déshabiller du regard, s'il avait été assez mal éduqué pour oser reluquer les dames plus bas que le cou.

Car dans un moment peut-être, il allait falloir la quitter pour une nouvelle année, deux qui sait. Il oublierait derechef son visage, jusqu'à la nouvelle rencontre. Une rencontre qu'il aurait confié au hasard, puisque prendre le destin en main était péché. Et le hasard ne fait pas toujours ce qu'on attend de lui. Il ôte des vies, il provoque des empêchements, il laisse si rarement l'amoureux croiser l'objet de son désir qu'il priait revoir, qu'il marchandait à Dieu contre le moindre de ses biens et jusqu'à sa santé, sans franc succès... Ou quand il accède à sa volonté, il faut, ce hasard, qu'il place l'action dans un lieu improbable, inapte aux confessions, disons par exemple... Au beau milieu d'un campement de joutes.

Il en était donc là, divisé en deux. Un pas vers la Castille. Un pas vers la Bourgogne. Tiré vers l'arrière par sa raison, et poussé devant vers la promenade que la Lua semblait lui promettre. Il hésitait à bouger, et pour se donner bonne conscience, et pour s'octroyer un temps de réflexion, il gardait les pieds en terre, bien campé sur sa position, la main serrée autour de son poing qu'il semblait façonner par des compressions pensives. Il n'avait pas le droit de se trouver ici, d'avoir cette conversation... Mais la bienséance voulait qu'il reste à parler... Le fond de son coeur aussi.

Un battement rigoureux agitait justement ce coeur-là. Son maître en écoutait les palpitations en tentant d'effacer toute trace d'inquiétude sur son visage. Il effaçait aussi bien l'eau qui lui perlait dans les lignes des mains, en frottant le devant rembourré de son gambison avec un geste calme. C'était le trac qui lui montait dans les tempes, le trac de devoir jouer son propre rôle devant ce public d'une personne : son amour réprouvé. L'indifférence et l'apparente noblesse de la jeune femme lui sciait les pattes... Et qu'il était douloureux de ne pouvoir lui demander ouvertement si elle avait toujours un brin d'estime pour lui... Faute de mieux, il poursuivit sur le chemin des faux-semblants.


Mon épouse... Les joutes ne sont pas à son goût. Elle aura préféré le calme de Nemours aux réjouissances du Tournel.

Un pas poussant le suivant, il se mit à marcher près du bord de la robe. Il couchait l'herbe sans même y penser, ravalant une respiration oppressée, la tête tournée vers l'enfant qui les accompagnait et qui entraînait tout son étonnement. Il était tout à fait éberlué par la mécanique du petit-d'homme, qui avançait comme un adulte sous la chaume de ses cheveux. À bien y regarder — et depuis qu'on avait posé un nom sur ce visage de poupon — l'enfant lui paraissait vraiment digne d'intérêt... De la vivacité de son oeil jusqu'à la ressemblance avec sa mère, dans la forme du nez, ou de l'oeil, ou du menton, en fait Aimbaud était bien incapable de dire pourquoi, mais la présence de cet être court-sur-pattes lui posait un certain nombre d'intrigues.
Et un semblant de fascination.

Par peur de paraître trop inquisiteur, il revint à l'observation de telle ou telle tente, d'un jouteur ou d'un écu passant. Mains croisées dans le dos, le nez en l'air, mine de rien, il ajouta un mot qu'il eut voulu doux, mais qui sonna autoritaire :


J'aurai plaisir à entendre votre aîné réciter.

Si tu veux ?
_________________
Blanche_
Il lui sembla un instant, que le bruissement des herbes sous ses souliers s'étaient tus. Tout comme le vent dans les arbres et les grillons des armures. L'immensité du territoire de ces hommes d'armes en préparation, que l'on arnachait comme des bêtes avait fait silence, ou tout du moins lui sembla t'il. Peut être était-ce l'émotion, la terreur, l'envie? Le désir de tout de lui, et le fait qu'elle ne s'en était repu depuis des mois, un an si long... Peu importait. Elle avait le son en fuite, et les couleurs qui cessaient de poindre. Tout devint sombre, elle faillit tomber.
Mais se retint.
Pour son mari, son fils, sa fille, la Castille, elle eut un semblant de contenance et de cet instant où elle eût pu tomber, ne laissa paraitre qu'une paire close de paupières immobiles. Et de ces yeux entièrement fermés, obscurcis, voyait-on une paire de mouvements désordonnés et volcanique, comme si ses deux yeux peinaient à maintenir fermés une éruption de mots. C'était l'éclosion de toutes ses idées que la bouche n'avait pas rôle à déployer, c'était l'expression muette de toute cette injustice et cette tristesse saillante : Blanche n'avait plus de pouvoir à dire ce qu'elle voulait, mais son cœur en maintes étapes arrivait, lui, à le dire en de multiples gestes et postures. Si ses yeux peu avant s'étaient tus en hurlant leur désir en tous sens, qu'elle les rouvre à demi noyés sous un rang de larmes contenues rendait la chose plus palpable encore. Voyez-la, décidée, tournant un visage qui l'abandonnait vers le chemin pour ne pas qu'il la voie.


Vous n'êtes pas son parrain, dit-elle.
Son menton tremblait, ses lèvres ne se touchaient plus que pour s'abandonner la seconde d'après ; en réponse à son abandon et à cette confrontation, il semblait qu'elle n'était plus capable de tenir sa carapace humaine en entier, et intacte. Elle avait au moins la décence d'épargner à la face du monde la vision de toutes ses protections s'effilochant au vent.


Et vous n'êtes pas son père non plus.

C'est toi qui ne voulais pas.
_________________
Aimbaud
Le coup de fouet de la réponse fit reculer la tête du marquis avec une tension dans le cou. En vrai, il n'avait bougé que d'un cheveu. Mais sa marche avait cessé aussi vite qu'elle s'était entamée. Il était séché sur place. Hagard, il tenta de trouver une défense à prononcer en bon français pour plaider sa cause. Car enfin, effectivement il n'était pas parrain, il n'était pas... Il n'était pas grand chose, mais après tout, ce n'était qu'une récitation de gosse. Et puis non ! Ça n'était pas qu'une récitation, c'était un prétexte, et ce prétexte avait été trucidé dans l'oeuf par les griffes de cette sauvage d'hermine, à peine dégrossie de son banc de sable natal où l'on devait inculquer la cruauté dès le berceau, à bien arracher le coeur des français, à les faire saigner dès qu'ils vous proposaient de parler en bonne intelligence... Allez, tue, tue. Je ne suis le père de rien.

Les yeux noirs d'Aimbaud désignèrent le dos qu'on lui montrait avec une pointe d'amertume. Il ravala son dépit en plissant le front sur la gouttière de ses sourcils, bredouillant à part lui une ou deux syllabes qu'il ne savait plus guère comment formuler. Il était évident que le rouge commençait à percer ses pommettes, car il sentait nettement moins combien le vent était frais. Cet air là ne lui apportait pas d'inspiration.

Il se mordit les joues en battant en retraite, la tête inclinée pour signifier la fin du duel. Pour masquer son embarras aussi. Puisqu'ici tout était affaire de mérite, le jeu n'était pas dans ses cordes. Un pas le ramena en arrière, plus près de son écuyer qu'il voulait rejoindre.


C'était une idée creuse. Saluez-le pour moi.

Le regard sur la boue, il pensait d'avance à la distance qu'il allait mettre entre Blanche de Castille et lui, et au prix que ces pas allaient lui coûter. Une petite fortune. Ou une bonne envie de vomir.
_________________
Blanche_
Attendez! cria t'elle peut être plus fort que ce qu'elle aurait souhaité. Des souhaits, elle en avait formulé une longue liste, une liste en tête de laquelle trônait des retrouvailles avec Aimbaud. Mais tous ces vœux, tous ces désirs étaient tués dans l’œuf depuis le départ, sauf peut être par miracle cette première intention, cette première envie, comme si par suprématie sur les autres il avait quelque part été décidé que Blanche souffrirait de ne voir aucun de ses désirs inférieurs menés à terme, tant qu'Aimbaud et elle ne se seraient pas revus. Comment dire... Elle n'avançait plus, c'était cela le mot. Elle était restée bloquée à leur séparation comme on reste en prison au Monopoly. Sans carte chance. Le reste ne suivait pas non plus : elle n'achetait pas de maison, elle n'allait pas voir la banque, elle ne faisait rien que suivre la partie d'Astaroth et d'admirer les manœuvres avec lesquelles il faisait se mouvoir leur famille. Mais elle même restait immobile, comme si les ans n'avaient aucun effet, comme si son être entier à la juste image de celle de son cœur, ne mouvait ni ne battait plus depuis qu'il l'avait quittée.
Il allait repartir, cette fois-ci encore peut être, et peut être que c'était la dernière chance qu'elle avait d'enfin en finir avec cette torpeur et cette lassitude. Après tout peu importait de ce qu'il adviendrait de leur discussion, peu importait qu'il lui parle de sa femme de sa vie ses enfants, peu importait que tout soit fini si elle pouvait à son tour faire quelques pas en avant et l'oublier.
Creusons la ensemble.

Elle sut sa réflexion stupide, déglutit en rajoutant, vite pour qu'il n'ait pas le temps d'objecter quoi que ce soit : Et vous pourriez transmettre à votre épouse les jolis mots de son filleul.

Suspendue à ses lèvres, les observant sans plus aucune restriction, mais avec dans les bras ce fils de lui qui lui empêchait une étreinte infidèle, elle sentait en elle cet aimant vers lui comme une attirance indélébile. L'annulaire de sa main gauche portait pourtant une bague de belle facture, et elle avait enfanté quelques mois avant d'une fille qui lui apportait toutes les joies du monde, mais il y avait quelque chose avec cet Aimbaud de Josselinière auquel aucun autre ne pouvait prétendre. Regardez simplement ses yeux... Et ses lèvres. Elle n'avait jamais rien goûté qui sentît aussi bon. Les deux carmines devenaient bleues au dehors du lit, mais brûlaient aussi souvent, il était frais et doux et terrible, tout cela à la fois, ou peut être délirait elle en mélangeant le vrai du faux, bernée par la distance qui s'était installée entre eux deux.
Si elle rêvait mal de lui, c'était pour autant de l'amour, et c'est bien cela qui la gardait face à lui à caresser des yeux ce que les mains ne pouvaient plus faire. Lorsque le désir fut trop grand et qu'il fut temps de s'en repentir, elle embrassa le front de petit Lestan et prit ensuite une longue inspiration.
Qu'en dites vous ?
_________________
Aimbaud
Le sang qui absorbait les joues d'Aimbaud battait en retraite, sous les yeux qu'il gardait baissés pour contenir le régal que lui procurait le rappel de Blanche, et son retour dans ses bonnes grâces. À ses tempes battait un tambour plein d'espérance, et il respirait profondément, incrédule.

Les complots de la cour de France, le second tour des joutes du Tournel, les rumeurs de disette hivernale, le combat du Roi pour son sacre, et tout le reste des ressorts du Royaume n'avaient pour l'heure pas la moindre importance aux yeux du jeune marquis, car son attention était entièrement dirigée vers Blanche de Castille, et les moyens de parvenir à passer un quart d'heure de plus en sa compagnie. C'était une course puérile et dangereuse, qu'il avait — à l'oreille de l'évêque de Nevers — juré sur parole de ne plus mener, sans parler des promesses qu'il s'était faites à lui-même, en essuyant l'eau qu'il versait sur son col comme un enfant au joujou mis en miettes. Cette quête était vaine, elle conduisait toujours à l'échec, à trop peu de plaisir ainsi qu'à de trop nombreux maux.

Cette femme, d'ailleurs, il la haïssait pour ses changements de coeur et son manque de constance. Elle lui avait montré bien trop d'indifférence, de doutes et de craintes envers Dieu, dans les derniers instants. Elle l'avait déçu. En vérité, il avait tant fait d'hypothèses et de théories sur le caractère décroissant de l'amour que Blanche da Lua lui portait, d'après ses calculs, sur la mort progressive de ses sentiments envers lui — l'influence virulente de la jalousie n'émettait pas un champ magnétique très propice à y voir clair en mathématiques — qu'il en avait conclu avec certitude qu'elle avait aimé l'enfant qu'il était, et qu'elle s'était vite lassée de l'homme qu'il était devenu. Il avait suffit, pour étoffer cette thèse, qu'elle manque de répondre à une lettre, ou dise deux trois mots plus froids que d'ordinaire. Les preuves étaient là. La furie s'était accoutumée à son mari, à sa multiple progéniture, elle n'avait plus de temps pour les jeux galants. Et le galant, excédé par cette liaison de papier, avait rompu le jeu. Le parchemin était le plus sournois des tue-l'amours...

La foi, elle aussi, mettait son nez dans le coeur des amants. Elle n'y décelait que des souillures... Ce n'était pas sans difficulté qu'Aimbaud de Josselinière avait fait choix de baiser l'anneau épiscopal, au détriment des lèvres de sa dulcinée. Mais la crainte des enfers avait mûrit en lui comme un fruit gâté, au gré de la solitude, et des heures de prière aux côtés de sa femme. Et de l'enfant qu'ils ne pouvaient avoir. Y avait-il là un soupçon de sentence divine ?

Nous l'avons dit plus haut, tout ceci n'avait plus la moindre importance. Car Blanche avait le buste à demi tourné vers Aimbaud, qu'entre ses mains s'abandonnait le corps de ce tout jeune fils né de leur été, et que ses yeux de mer grise fixaient son benêt de bourguignon toujours tant amoureux, dans l'attente ! Réfléchir ? Mais vous êtes pas dingues !

Il accepta sur-le-champ en s'approchant tout d'un pas, tel le chien qu'on aurait expédié trop rudement au panier, puis rappelé pour jouer à la balle. Il lui aurait fait une fête, à sa marquise de Gondomar ! Il aurait vêtu l'habit de page pour la suivre partout et porter sa traine ! Il l'aurait couverte d'or et de rubans de soie. Il l'aurait embrassée sur la bouche et sur le front. Et Lestan aussi, allez ! Les mains ouvertes au bout de ses bras ballants, comme deux pendus soudain réveillés, agités par le vent, il se prit à sourire pauvrement.


Oui. C'est parfait, faisons cela.

Faisons quoi, au fait ? L'amour ! Non, c'était pas ça... L'amour ! Non, ça avait plutôt un rapport avec... Faire l'amour ?! ARH ! La récitation de Johann, bien sûr. Tellement moins exaltant...

En ces lieux ma demeure se limite à quelques quartiers de toile de tente. Mais vous, vos enfants et vos gens y serez bien reçus, tant que durera le tournoi. J'attendrai le compliment de Johann avec hâte.

Il courba la nuque dans un salut simple, pour couper court au regard trop long qu'il lui adressait, malgré lui.
_________________
Johann_
On m'appelait. On m'attendait. Mais à mon âge, on a encore peur. Cette peur enfantine, celle du noir, celle des grandes personnes qu'on ne connait pas. Pourtant je suis grand. Du moins j’ai grandi. Et il y a eu cet incident. Avec l'autre, là, celui qui a une tête d'andouille. Tout du moins, moi, Johann, je trouve qu'il a une tête d'andouille. J’ai vu mon petit frère percuté par l'andouille. Pris en sandwich dans cette situation, je voulais crier... insulter cette andouille qui serait d'ailleurs à mettre dans un sandwich! Mais les grands, ils font encore peur. En fait, je crois que j'ai encore peur de ces gens qui portent des armes. Je l'aurais tapé donc... et puis? Si c'est un des amis de mère, elle m'aurait renvoyé en Bretagne, chez les tonsurés. Ou pire, l'andouille m'aurait tapé. Et pour le moment, je ne suis pas assez grand pour le coucher! Mais un jour, moi aussi je lui rentrerai dedans, il n'a qu'à bien se tenir! En attendant j'ai préféré partir, car j'ai peur.

Je me suis assis, non loin du camp. J'ai réfléchi... si si, ce n’est pas parce que je suis petit et blond, surtout blond, que je ne sais pas réfléchir. Je connais d'ailleurs des mots de grands, que les tonsurés m'ont appris. De mots du genre "aristotélichien". Ou même des mots comme "gourgandine"! Ca, c'est mon ami Longjohn qui me l'a appris... mais je sais toujours pas ce que ca veut dire... Il est chouette Longjohn. J'aimerais lui ressembler. Il a des cuisses aussi grosses que le corps de l'autre andouille! Si c'était lui qui avait été à ma place, l'andouille était cuite! Mais non, je ne suis que Johann, et je ne suis pas encore très bien bâti... Je me lève et joue avec un bâton. Je revois des images de guerre, des images qui avant me faisaient pleurer... et maintenant... maintenant j'appuie mes coups de bâtons dans les herbes hautes. Je m'imagine être Achille, et les brins d'herbe sont maintenant des soldats troyens tombant sous mes coups aguerris. Et c'est là que je me dis qu'avec mon bâton, je terrasserai l'andouille!

Je fais demi-tour, et je reviens, fier comme un jeune guerrier. J'essaie de prendre un regard de tueur! Du genre : "je vais te découper en rondelle, l'andouille! Car personne ne touche à mon petit frère !". Mais bon, j'ai encore un peu peur... Mon regard veut surtout dire... "Je te tape, et après ma mère me protège et t'achève!" La tente de madame ma mère n'est pas loin. J'entends un "Lestan", je ne me suis donc pas perdu. Je pénètre la tente, et je tombe nez à nez sur l'andouille. J'allais serrer mon bâton et foncer sur lui mais finalement je préfère le lâcher. Je regarde l'assemblée, l'air confus. Raaaaaaaaaaaaah je me déteste! Je veux être un HOMME! Un HOMME COURAGEUX! Alors je regarde l'assemblée, le coeur palpitant et surtout, je me tourne vers ma mère, car je sais que elle, elle est là pour me rassurer. Et ca marche! Elle me donne la force de regarder tout le monde, et même de parler. Est-ce que père serait fier de moi s’il savait que j’ai été courageux ?


Mère, je vous prie de m'excuser, mais...

Mais vous connaissez l'andouille qui a fait du mal à Lestan?

Et c'est qui l'autre avec sa coupe de cheveux de vieux moine? Je crois que je l'ai déjà vu mais je me souviens plus...


Sans attendre la réponse, une pulsion me prend… sans comprendre d’où elle vient, ni comment elle est arrivée… Toujours est-il que je donne un coup de pied dans le tibia de l’andouille, et, là par contre je comprends d’où me vient cette inspiration, je m’en vais me poster aux cotés de ma mère, le cœur battant la chamade. (Si Aymon est encore là, car j’ai pas trop compris s’il était parti ou pas).
_________________
Blanche_
Aimbaud repartait vers sa propre tente.
C'est tout logiquement que Blanche, prise au dépourvu par cette situation délicate et fortement inconfortable, essaya de calmer son fils. C'était chose laborieuse, elle-même étant fort troublée. Elle avait le cœur qui battait la chamade, pour un rien, son esprit lui répétant sans cesse que cette situation n'avait rien d'inquiétant ou de déstabilisant. C'était idiot de se mettre dans des états pareils pour une simple rencontre, amicale qui plus est, au beau milieu des jouteurs du Tournel, où, assurément, tout le monde pourrait témoigner de la distance respectable qui était restée entre eux.
Aucun argument ne tenait. Rien de ce qui s'était passé ne pouvait provoquer, logiquement, un quelconque trouble en elle.
Pourtant elle avait les jambes flageolantes, et le visage très pâle. Aussitôt qu'Aimbaud s'était tournée, elle avait perdu sang et force dans le haut du corps, prête à se liquéfier, sentant en même temps que la chaleur tombait dans ses jambes une très forte attraction vers le sol, où il aurait été aisé, si son cœur n'avait pas battu aussi fort pour la maintenir debout, de s'étaler en une seule seconde. Où, sans raison, sans argument valable, sans savoir pourquoi ni comment, elle aurait réagi à quelques mots d'une banalité affligeante, échangés avec un ami - car ils n'étaient désormais plus que cela aux yeux du monde - en tombant dans les pommes. Prise de vertiges, se sentant mourir pour l'allusion à Clémence, et à ses propres enfants, désireuse de fuir, ou de le suivre, ne sachant quoi faire et n'ayant la force que de rester sur place, perdue dans son délire et dans sa raison qui vacillait, obnubilée par son devoir et sa contenance, elle était là, immobile, tenant à peine debout, prête à pleurer et pourtant sèche en dedans, qu'elle avait la gorge nouée et le souffle rauque, incapable de parler et pourtant récitant un reproche à Johann qui s'était montré discourtois, bref, éplorée et malheureuse tant elle l'aimait encore sans oser se l'avouer à elle-même. La moindre allusion, la moindre idée ou soupçon était immédiatement bloqué, si bien qu'il se passa seulement une seconde ou deux, après avoir légèrement remonté les bretelles de son fils, où dans sa tête se fraya avec peine une petite idée, une idée stupide mais naïve, qui lui fit peur et rougir.
Dans tout le bric-à-brac de ces pensées anarchiques, où elle savait avec excellence empêcher tout passage vers Aimbaud, où elle savait s'arrêter et ne pas dire, même mentalement, les mots "amour", "appartenance", ou "désir fou", dans ces monstrueux efforts pour se forger une image indicible et fidèle de son mari pour que jamais, jamais! le visage d'Aimbaud ne se fraye un chemin vers son inconscient, il fallut une seconde d'inattention pour que l'idée perce et qu'elle rougisse jusqu'aux racines.

Elle prit la main de son fils et la serra fort.


Ça n'est point une andouille ni un moine. Et vous vous montrerez fort aimable avec lui lorsque vous le reverrez. Johann, m'entendez-vous bien? C'est Monsieur de Nemours, le mari de votre marraine, que vous n'avez plus vu depuis le berceau. C'est un homme pieux et bon.

Elle se redressa, sentant la vie revenir à son visage.
Mon Dieu... fit-elle en inspirant avec lenteur. Pourquoi lui fallait-il une nouvelle épreuve? N'était-elle pas assez fidèle, n'était-elle pas assez tournée vers son mari, vers lui seul? Etait-ce trop de chérir un souvenir? Pourquoi fallait-il toujours que les choses soient si compliquées?

Allez vous débarbouiller sous la tente, jeune homme. Vous avez sur le front ce qui hier encore, devait être de la bouillie pour chevaux.


Elle se força à rire comme elle le faisait toujours dans ces circonstances, bien qu'un feu sourd s'était mis à brûler en son intérieur. Une seule seconde, une seule seconde... Fallait-il être à ce point possédée!


Hâtez-vous, Johann! Et prévenez votre frère que vous irez présenter vos excuses tous les deux au Marquis de Nemours avant la nuit tombée. Votre père n'aimerait pas que vous insultiez ainsi un noble, et un ami.

Oh la douce douleur! Qu'elle brûlait, qu'elle dardait haut force et obsession! Ne pensant déjà plus qu'au moindre détail de ses mots et ses espérances, elle rentrait sous la tente obsédée et tendue, hagarde, effectuant tous les gestes de mère avec un esprit absent. Aimbaud avait été, Aimbaud était là, vivant, beau, éternel. Il avait changé comme jamais elle n'aurait cru cela possible, l'enfant avait disparu. Elle aimait déjà l'homme ! Oh oui, elle l'aimait encore, ça n'était pas possible, c'était cruel et malheureux, mais comme elle respirait elle l'aimait.

Et lorsque vint le crépuscule, même si elle avait la taille et les rides d'une femme respectable, même si elle avait perdu la naïveté et le sourire de l'innocence, même si elle portait une robe d'espagne et des bagues d'épouse, même si Astaroth était écrit sur chacun de ses mots, inscrit dans son parfum, sur sa nuque et son dos, même si sa voix était adulte et son vocabulaire fin et posé, même si elle avait l'allure droite et lente d'une femme éduquée, perdu son impatience et ses rebonds candides, même si elle tenait au bras deux enfants, en avait eu cinq, même si elle donnait des ordres et se faisait obéir, même si en parlant d'elle on disait "vous", elle disait "j'exige", elle disait "encore", même si elle était puissante et respectée, consort d'un ancien roi, moitié d'un ministre, seconde d'un castillan, quand vint le crépuscule et le doute, plus que toute cette enveloppe froide et hypocrite, elle présentait à Aimbaud la brûlante et sincère face de l'amante... à son galant.


Bon...s..oir. J'amène mes... mes fils. Pour leur compliment...
_________________
Aimbaud
La fine charpie blanche était resserrée sous les poumons d'Aimbaud, à l'aide d'épingles. Il avait une nouvelle fois vidé une fiole d'huile de sureau sur le pansement pour contraindre l'hématome à rebrousser chemin. Cette médecine n'était peut-être pas d'une grande efficacité, mais elle avait le mérite, au moins, de ne pas laisser d'effluves répugnantes dans la tente. Avec quelques prières, il serait en état de remonter à cheval le lendemain, et de tenir sa lance.

C'était sûrement cette perspective qui faisait tressaillir notre marquis, à l'heure où tombait le soleil. Il promenait des mains fébriles sur les cordons de son pourpoint, rajustant ces attaches, trouvant par-ci une peluche, par-là des cheveux, qu'il époussetait nerveusement. Chaque parole qu'il adressait à son valet se faisait plus pressante et moins précise. Il ne savait pas quel siège lui convenait le mieux, de ce fauteuil de cuir clouté ou de cette chaise garnie de velours vert... Tout lui paraissait inconfortable, rien ne lui semblait à sa place.

Éparpillant quelques manuscrits sur sa table, pour faire moins "rangé", il tomba des yeux sur un miroir gris auquel il cru bon de ne pas prêter attention. Mais à bien y regarder, il fut prit d'un sursaut d'anxiété et s'empara brusquement du disque d'étain, pour le plaquer tout près de son nez. Relevant la tête, il signifia à Aymon de lui porter sur-le-champ une noix de savon et une coupe d'eau bouillante. Toutefois, sans attendre que l'eau fut vraiment chaude et le savon bien malaxé, pressé par le temps, il entreprit de raser lui-même son menton avec des gestes rapides, ce qu'il avait toujours fait très mal et dont il laissait d'ordinaire la tâche au barbier.
Le soir tombait, la lumière baissait, l'on tardait à apporter les chandelles.

L'empressement aidant, une mouche de sang ne tarda pas à décorer la joue de notre perturbé Josselinière. Il jura tout ce qu'il savait en colorant son mouchoir. Ah qu'il était rude d'avoir l'air présentable ! Et puis pourquoi s'obstinait-il sur ces quelques picots noirs qui poussaient péniblement à l'emplacement où d'autres ont de vraies moustaches ? Les voyait-on vraiment ? Et si on les voyait, qu'avait-on à en penser ? N'était-ce pas encore un péché d'espérer toujours ressembler à un jouvenceau imberbe pour satisfaire au souvenir de madame ? Qu'est-ce qui lui passait par la tête ! Il était complètement fou.

Il envoya promener sa lame de rasoir parterre, et retint le poids de sa tête dans une main en socle, tandis que le chiffon blanc appuyait sur son visage pour se colorer de pois rouges, de plus en plus clairs et menus au fil des minutes.

Son coeur battait de manière intolérable.
Il imaginait les pas de Blanche qui approchaient. Il imaginait Blanche qui ne venait pas. Il revoyait Blanche plus jeune qui se penchait sur lui dans un recoin de Decize, pour lui apprendre un premier baiser. Ses mains se pressèrent sur son visage. Il était terrifié, excité, et profondément malheureux à la fois...
Comment était-il possible que cette jeune-fille ait vu son ventre gonflé par quatre enfants depuis qu'il avait croisé son regards lors des chasses automnales de Corbigny ? Comment était-elle arrivé, cette banale tragédie qui les amenait désormais à se croiser avec indifférence, comme des marchands de passage ? Comment l'instant de chaleur entre leurs peaux humectées, et leurs lins flattant le blé d'un champ, avaient-ils pu leur donner un fils ?
Où avait fuit le temps ? Par quelle porte dérobée s'était-il envolé...

Peut-être que tout avait prit fin à quinze ans, quand les hommes de Ménessaire l'avaient arraché à ce lopin de terre bretonne. Oui, tout avait été assassiné à ce moment-là. Mais il n'avait pas fait son deuil...

Il reposa sa main sur la table, enfouie dans le carré de toile blanche tâché. De longues minutes passèrent durant lesquelles il but du vin, les yeux à-demi fermés et vagues. On avait prit soin de couper l'alcool d'une part d'eau, pour la lucidité de l'esprit. Les bougies s'allumaient autour de lui dans un silence feutré. Etienne, un page de huit ans engoncé dans une livrée de Nemours, jouait dehors un air sur une flûte de corne. Le son, truffé d'erreurs, parvenait calmement aux oreilles d'Aimbaud qui ne bougeait plus du tout.

***


Entrez, entrez ! Bien sûr. Vous, vous devez être Johann... Entrez.

Aimbaud abandonna aux mains d'un serviteur le pan de toile qu'il avait précipitement soulevé lui-même, en entendant des voix se faire proches, suivies par un hoquet d'Aymon qui montait la garde. Il avait quitté son siège comme une tempête pour découvrir derrière le tissu, les trois silhouettes aux cheveux blonds, dont deux raz-de-terre semblables à des toits de chaume. Il tenta, en ramenant les bras près du corps, de contenir son entrain. Car il sentait la joie étirer de mille hameçons les traits de son visage, au point de paraître sans nul doute parfaitement ridicule. Comprenant que Blanche bégayait, sûrement gênée par son attitude empressée, il reprit aussitôt, avec plus de calme, mais non moins d'entrain :

Ma dame, mes seigneurs.

Il se fendit d'une révérence excessive en courbant le bras vers le parterre, il sur-jouait surtout la comédie du côté des deux frères. Il fallait rendre les choses un peu solennelles, pour ce fameux compliment...

Le souffle bref, il n'attarda les yeux vers ceux de Blanche que le temps de les baisser.

_________________
Lestan
Un poney quoi ! Evidemment, avec une promesse pareille, Lestan s'était assagi. En proie à l'admiration maternelle, il avait laissé sa Blanche-mère courir parmi les obstacles pour venir le cueillir contre son cou aux senteurs familières. Prends ça dans tes dents, Johann ! Tout en s'attachant à garder les poings refermés autour du cou de sa mère, emmêlant tant et plus les fils d'or qui lui faisaient une couronne tombante, il avait jeté par dessus l'épaule de Blanche un regard de vainqueur en direction de la tente où il soupçonnait son demi frère d'être resté. Ainsi vautré dans les bras de Blanche, il l'avait enduite allègrement de la bouillasse qui le maculait jusqu'alors. Une bonne fusion mère-fils. La Blanche et le Marron. Mais aux questions ulcérées de sa mère, Lestan n'avait rien répondu, trop désireux de se faire plaindre et papouiller le front. Gouzi gouzi ! Que Blanche le regardât, et c'est avec brio que le blondinet improvisait une larmichette au coin de l'oeil. Son air de chiot battu aurait fait mouche, sûrement, s'il n'avait pas eu cet éternel sourire enjoué plaqué sur ses commissures de lèvres encore pleines de lait séché.

Puis il y eut une conversation teintée de français, entre Blanche et l'homme en armure, à laquelle l'enfant prêta une attention évasive. S'il vouait sa langue aux seules éducations du castillan et du breton, Lestan n'en parvenait pas moins à saisir quelques bribes de ce français qui lui faisait tant défaut. Le français : en Castille, Blanche et Johann étaient les seuls à s'employer à ce verbe-là. Mais à Gondomar, au dessus du tumulte des vocalises, l'enfant arrimait son attention à leurs deux voix, chaque soir. Blanche et Johann, voilà ce qui faisait son port d'attache. Port trop rarement éprouvé, en vérité, puisque Lestan passait bien plus de temps en compagnie de petits amis -enfants de la domestique- à la peau brune, aux cheveux noir et à la voix portante, tous castillans, tous babillant, comme lui, un espagnol plein de bafouillages indistincts. Il lui arrivait cependant, parfois, au cours de conversations puériles tenues avec Johann, de répondre au français par du castillan pré-mâché. Si Lestan comprenait un peu la langue de son véritable sang, le prononcer tout à fait, il ne le pouvait. Par lésine, ou peur de se faire taper tout à fait sur les doigts par un Astaroth à la fois admiré et craint.

Et puis, comme déchu, porté loin de l'attention de sa mère, sans pour autant retrouver le plancher des poneys, Lestan se laissa porter par ses bras tandis qu'ils entamaient une courte balade. Morose alors, il avait suivi par défaut le pas lent de sa chair, posé contre sa poitrine. Appliqué par la seule volonté de se montrer sage en sa compagnie, il avait suivi, de ses yeux baissés sur l'herbe piétinée, la marche qui, sans être tout à fait nuptiale, en avait toutefois la lenteur. Ainsi, il pouvait aisément mieux ingurgiter les phrases françaises, loin des herbes folles qu'aplatissait Aimbaud. Ces herbes folles qui, à son aune, apparaissaient comme une faune sauvage. Si Lestan avait pu marcher à cet instant précis, il l'aurait fait en suivant le sillon qu'avait fait fléchir l'interlocuteur de sa mère. Car Lestan était bien petit. Au demeurant, ses joues bombées marquaient chacun des pas maternels par un léger rebond, qu'achevait d'agrémenter un rose encore poupon. Dans l'application qu'il mettait à éprouver sa sagesse, Lestan ne nota rien dans le comportement de sa mère qui pût prêter à confusion.

Le fils de 'Donges' en était là de sa contemplation des pieds du marquis lorsque survint Johann dans son champ de vision, qui assena un coup de chausse dans la jambe de l'écuyer. La réaction de Lestan éclata comme un gong dans les airs:


-JAAAAAAAAAAA ! JAJAJA! Ïohann !

Voilà qui aura peut-être provoqué un acouphène au tympan de sa mère. Puis bien vite, l'excitation le regagna, et toute trace de sagesse s'évada de ses traits. Johann entré en scène, l'excitation de Lestan atteint un pic compulsif, et les décibels avaient entamé un duel assourdissant. Jusqu'au prochain sermon. Et lorsque celui-ci avait commencé à poindre, Lestan s'était échappé des bras distraits de sa mère, pour filer ventre à terre, entre les tiges d'herbes, vers la tente Gondomar.

Tout le reste de la journée n'avait été que brouhaha.

Même que, le désir d'apprentissage aidant, Lestan avait refilé à Johann le même coup au tibia qu'il l'avait vu appliquer sur Aymon. Comme ça, juste pour essayer, ne mesurant ni le bien, ni le mal, ne cédant qu'à ses propres pulsions puériles. L'apprentissage s'acheva par une vilaine tape maternelle sur le haut du crâne. Dès lors, touché dans le fond plus que dans la peau, Lestan s'était mis à bouder.

Ainsi était son faciès lorsqu'il se présenta, avec Johann et leur mère, dans la tente de Nemours. Et sa voix haut perchée s'éleva sous la tente comme le coucou à l'heure du quatre heure, le R roucoulant, quand d'habitude, il était en proie à l'élision :


-Bueeeenas tardes, Señor marqués.

Si pleine de bonne volonté fut sa phrase, ponctuée d'une courbette infantile, son faciès, lui, n'affichait rien que du chagrin. Tiens ! Voilà du boudin.
_________________
Blanche_
L'abasourdie qu'elle était, les yeux rivés dans les siens, dans le vague, dans Donges, très très loin du Tournel, songeant à la campagne, au passé, aux fleurs, au hasard des choses, ne sachant pas l'implication d'Armoria, ne sachant pas tout du tout, elle prit une seconde pour réaliser ce que venait de dire son fils.

Aah, la boulette !

Elle s'empressa de rectifier le tir, marquant un point d'honneur à ne pas trop blesser Monsieur de Nemours.


¡LEstaan! Sabes decir buenos días en francés. Es agradable mi hijo. Diga buenos días. Et elle fronça les sourcils très fortement. Cela ne présageait rien de bon, comme il pouvait le savoir, or elle avait promis tout le contraire s'ils se comportaient bien. Dieu savait la difficulté qu'il y avait à tenir deux garçons de cet âge là de façon à ce qu'ils ne mettent pas un remue-ménage partout où ils passent, mais les promesses, les menaces, cela marchait assez bien. Il fallait juste mettre le ton qu'il fallait.

Johann, je ne vous ai pas entendu.

Ah, que n'avait-elle pas eu plus de filles à la place! Pourquoi des garçons en premier? Elle ne pourrait pas en faire de tous les deux des clercs, Astaroth ne voudrait jamais acheter une étude pour tous les deux. Il y avait fort à parier, d'ailleurs, que les études de Johann le prédisposeraient à épouser Dieu quand viendrait l'âge, tandis que Lestan, que l'on poussait à la guerre et aux combats, aiderait le fils d'Astaroth à garder les terres d'Aroussa en bon état. C'était cela, leur destinée à chacun, ou tout du moins ce qu'il se trouvait dans l'esprit de leur père d'adoption.
Blanche, quant à elle, ne voyait dans ces têtes blondes que le reflet de sa propre enfance, et de son frère Yrkon décédé des années plus tôt, à qui ils ressemblaient tous les deux beaucoup. Il valait mieux ça que trouver en Johann et Lestan une quelconque ressemblance avec leurs vrais pères, car si vous avez bien suivi, aucun des deux n'était réellement présent pour les élever.


Ne salissez pas. ¡No hacen idiotez, Lestan!

Elle ôta ses gants, fit un pas sous la tente. Une autre différence du temps de leurs amours, où elle ne faisait jamais un seul geste sans craindre de n'en avoir pas le droit ; l'âge et les titres avaient aidé à la rendre plus forte, elle ne tergiversait plus. Là où les règles et la politesse l'autorisaient à faire sans demander la permission elle faisait -il n'était plus question d'une quelconque hésitation, d'une quelconque honte-.
Peut être aussi parce qu'elle n'était plus seulement Bretonne, mais aussi Castillane et mariée. Elle avait endossé beaucoup de rôles, pas tous très gais. Mères plusieurs fois par par déception, épouse par obligation, et trouvant à tous ces statuts beaucoup de reconnaissance et bons aléas. Ils lui avaient apporté, comme en témoignait sa façon de se tenir au soir des joutes du Tournel, une façon posée et discrète de tenir son rang, mais de ne pas l'effacer.


Puis-je vous emprunter ce siège?


Elle ne voyait aucun fauteuil. Mais il faisait sombre, et à vrai dire, elle ne voyait pas grand chose tout court. Elle se contenta de tourner un quart de tour sur elle-même pour regarder derrière, entre-apercevoir l'effervescence du crépuscule entre les tentes, les écuyers qui s'affairaient, l'odeur de lentilles qui venait aguicher ses narines, et l'agréable posture enfantine de Johann, à moitié voûté, tirant sur ses manches dans l'impatience des enfants. Il avait du mal à tenir en place. Elle sourit. Fit un geste d'invitation pour que Johann récite ses excuses, espérant qu'il n'allait pas tout avoir oublié.

_________________
Aymon
C'était décidé.

Il n'aimait pas Blanche.
Et il n'aimait pas davantage ses excités de marmots, qui criaillaient dans des idiomes non identifiés et s'amusaient à vous balancer des coups dans les tibias - et même pas réprimandés, avec ça ! La castillane avait plus morigéné son aîné pour avoir traité Aimbaud de moine que pour l'avoir frappé, lui, et injustement. Bon, ça n'était qu'un gosse, le coup tenait de la pichenette et la douleur, aiguë de prime abord, s'était vite estompée.
Mais la rancœur, elle, persistait.

S'il avait pris conscience de l'aversion qu'il portait à la Gondomar, ça n'était pas à cause du coup de pied de l'aîné, ni des chouinements du cadet, ni même pour le travestissement humiliant que la mère avait entraîné : en réalité, ce qui le dérangeait à chaque fois qu'on voyait ondoyer le coin de sa chevelure d'or pâle, c'était l'état de quasi-débilité dans lequel se retrouvait plongé son maître. Et la présence de la belle n'était même pas nécessaire, notez ! Il avait vu le marquis hagard, hanter les couloirs de Nemours ou de Saint-Robert, traînant des pieds désespérés ou, à l'inverse, renverser verres et vases à force de fébrilité. Aymon était sot, mais point stupide, et avait fini par faire coïncider ces sautes d'humeur avec l'arrivée ou l'absence de certaines missives.

Et ce soir-là, rebelote. Toute la journée, depuis cette rencontre fortuite sur le campement, ça n'avait été que réponses vagues, ordres inachevés, phrases à demi-entamées. Où étaient l'énergique jeune seigneur, le compagnon enjoué, le danzelot goguenard qui répondaient d'ordinaire au nom d'Aimbaud de Josselinière ? Partis. Envolés. A la place, ce tourtereau éperdu, lobotomisé par sa blondasse espagnole, qui roucoulait de même, et semblait prendre un plaisir certain à l'attention qu'on lui portait, tantôt froide et impassible, tantôt troublée comme pucelle. C'était rageant. C'était inique. C'était...insupportable. D'autant plus insupportable que lui-même n'avait jamais eu un tel effet sur quelque membre que ce soit de la gent féminine.

Lorsque la dame fut entrée suivie de ses blondins, il se contenta donc de les suivre en la tente et se tint coi et raide comme un piquet, attendant les ordres du marquis, qui ne manquerait pas de lui faire servir la collation. Cependant, il s'opposait fermement à ce que cette visite dépasse ce qu'elle était en apparence : une simple politesse. Ah, mais ! On allait encore s'attirer des ennuis, avec celle là...pour sûr.

_________________
Johann_
Trouble.

Je suis tout content quand j'entends mon petit frère me féliciter, exulter, crier mon nom, vociférer. Je me fends d'un grand sourire, fier de la fièvre que suscitent mes bêtises... mais..
Je sens ma mère à coté de moi. Elle cherche à me réconforter, et sa seule présence me comble un peu plus... pourtant... pourtant cette fois je sens le trouble en elle. Un sentiment d'inquiétude envahi mon petit corps potelé qui commence à laisser se dessiner des muscles naissants mais loin d'être achevés. J'ai ce frisson qui actionne mon corps de façon spasmodique, cette sensation de picotement qui remonte le long de l'échine e avant de se nicher dans la nuque. Je lève les yeux pour croiser ceux de ma mère, et appréhende d'un seul regard tout le trouble qui a saisi ma mère depuis que le Aimbaud lui a tourné le dos, et est parti. Tout un flux de pensées peu claires viennent peser sur ma réflexion. Tout devient brouillé dans ma tête mais dans cette opaque brume qui voile mon esprit une pensée pourtant semble se dégager des autres, voler au-dessus de la masse pour se démarquer. Sans vraiment saisir tous les tenants et aboutissants qui marquent la relation que ma mère entretient avec cet homme, ce Aimbaud, j'en viens à me dire que maman pourrait aimer ou avoir aimé cet homme. Et bien que je veuille réfuter cette idée, je ne peux empêcher cette sagacité naissante de s'exprimer, de me montrer ce que je refuse. Ce regard perdu qu'elle a... cette faiblesse dans ce corps que je ressens d'un simple touché, d'une simple sensation qui se transmet entre deux corps... Cette pâleur qui vient blanchir son visage... tant de choses qui prises hors de leur contexte m'indiqueraient qu'elle est malade.Voici la conclusion qui devrait être la mienne. C'est la plus plausible, celle qui saute aux yeux. Mais non. Mon instinct, mon esprit m'orientent sur un autre chemin... un chemin qui me fait peur.

Défaite.

Je reste longtemps plongé dans un profond mutisme. Mon coeur est maintenant un véritable champ de bataille. L'idée d'un amour entre les deux a érigé un bastion... et moi, chef armé de la rébellion, attaque l'édifice. Mes catapultes envoient des pierres chargées de dénis, mes archers tirent des traits de dénégations. Mes fantassins chargent la porte, dotés d'un bélier solide en refus. Malgré les brèches qui s'ouvrent, les armées qui s'engouffrent, je me retrouve bientôt repoussé et même acculé. La force de l'inconscient est la plus puissante, et astreint à l'abnégation, je rends les armes définitivement.

Errance.

Que dois-je faire? Dois-je le haïr? Pourquoi suis-je en colère? Je hais ma mère, elle ment comme les autres. De toute façon, j'ai toujours été le vilain petit canard de la famille. Ecarté, envoyé au loin, pourtant je t'aime maman. Pourquoi suis-je aussi méchant subitement? Mes lèvres se crispent, des larmes suintent sur mes paupières. Je sens ma gorge se serrer, mais je retiens mes larmes. Je ne sais plus si je dois être en colère, ou ne rien dire, faire comme si de rien n'était. Pourtant je bouillonne. J'aimerais avoir un grand frère vers qui me tourner, mais le grand frère c'est moi. J'aimerais avoir un père pour me confier, mais il est pas là. Il est loin. Et il est toujours dur et strict. Alors...

Peter Pan doit grandir

... Alors maintenant c'est l'heure d'aller revoir le mari de ma marraine. Nous y sommes, et j'épie chaque geste. Mes yeux clignent, mais ils analysent tout. Je veux les fermer, je ne veux pas comprendre ce qu'il se passe! Mais mon corps et mon esprit échappent à mon contrôle, et tout est disséqué. Et ce qui se passe sous mes yeux, là, ne fait que corroborer mes conclusions. La gêne est palpable, et je sens une grande tension. Mon regard se détache enfin du manège qui s'opère entre ma mère et le Aimbaud, et se porte vers l'andouille, qui est là, lui aussi. Je fronce les sourcils, m'égare dans des délires guerriers, mais je suis rapidement rappelé à la réalité en entendant mon nom prononcé.


Citation:
Entrez, entrez ! Bien sûr. Vous, vous devez être Johann... Entrez.


J'entre effectivement sans rien dire. Et je m'incline spontanément en guise de salutations. Je crois que j'ai choisi. Et je crois que je commence à comprendre comment j'ai choisi et pourquoi mon choix s'est porté sur l'intériorisation de ma frustration. Je pense que j'entre dans ce que les grands appellent communément l'age de raison. Il était temps? Possible. Je suis en colère. Mais si je laissais exploser ma colère, je sais que ma mère entrerait dans une grande détresse, car elle nous aime tous les deux je crois. Alors... Alors je fais mon compliment, tachant de ne pas paraitre désobligeant. Et je commence en breton, pour montrer ma science.

Demat... penaos 'mañar bed?

Et de poursuivre en Français en s'inclinant encore une fois...

Nous vous prions, Monsieur, de bien vouloir pardonner notre vilain comportement la dernière fois.

Il regarde Aymon.

Nous prions également votre and... ami... de bien vouloir me pardonner pour ce coup reçu à la jambe qui doit lui faire très mal.

Il reporte son regard sur Aimbaud.

Et nous souhaitons que vous transmettiez toute notre affection à madame votre épouse, notre adorée marraine.

C'est encore loin le fond? Car j'ai l'impression que je vais bientôt le toucher.

Bonjour, comment vous portez-vous?

_________________
See the RP information <<   <   1, 2, 3   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)