Charlyelle
RP ouvert à qui le veut tant que cohérence est respectée.
[Quelque part sur les chemins en direction de Montpellier]
Nager dans les eaux troubles
Des lendemains
Attendre ici la fin
Flotter dans l'air trop lourd
Du presque rien
-Désenchantée-Mylène Farmer
Accroupie à présent, près de ce cerf mort, les pieds glacés et de plus en plus insensibles, elle le dépèce. Méthodiquement.
Elle est partie. A sa manière, la doucereuse attitude. Douce et heureuse en surface. Elle le lui a dit et s'en est allée. Sans nulle explication superflue. A quoi bon ? Perturbée par cette histoire mais ce n'est pas bien d'être rancunière parait-il. C'est pourtant dans les gènes de l'Ecossaise. Fais lui du mal elle te le rendra au centuple. Fais lui du bien elle te le restituera au millième. Ou vice-versa.
Elle avait donc choisi son jour la Druidesse Dentelière pour s'en foutre le camp et lui demander de fermer les portes derrière elle. Ce n'est pas une fin en soi, elle n'a rien à reprocher, juste elle qui se lasse et se relasse. Dans ces moments là, pas grand-monde peut la retenir. Elle les a donc laissé là-bas et pris roulotte et Ilug pour continuer, droit-devant. A l'instinct. Sans but défini.
Enfin si, elle en a un en ce jour.
L'équinoxe d'Alban Elfed. Pas pour rien qu'elle a abattu ce cerf. Célébration de Cernnunos. "Le Dieu Cornu" est le dieu de la virilité, des richesses, des régions boisées, des animaux, de la régénération de la vie et le gardien des portes de l'autre monde.
Elle le fêterait bien évidemment. Le temps de l'équilibre. Celle des forces du jour et de la nuit. Le début des jours où la nuit domine et ce, jusqu'au solstice d'hiver. Cest un temps de recul, de repos, de méditation, lautomne va permettre à la Kallipare de faire un bilan de lannée avant lhiver. Elle est un peu comme ces animaux qui hibernent.
Patiemment, elle regardait Ilug massacrer la peau pendant qu'elle dépouillait la carcasse. Ils étaient tombés sur la bête en pleine chasse. Ilug l'avait assommé avec une branche d'arbre et la Kallipare lui avait tranché la gorge.
Qui que soient les dieux ou les esprits qui régnaient sur ces collines couvertes de forêt, ils avaient été généreux aujourd'hui.
Elle s'arrêta et se gratta la joue d'un air affairé. Ses doigts maculèrent son visage de rouge. Les manches de son mantel et son jupon à hauteur des genoux étaient maculés de sang également.
"- Je prends le relais"
Hochement de tête approbateur d'Ilug. Elle caresse doucement le manche de sa dague. Puis désignant de la tête la corbeille près d'eux contenant le foie, la langue, le coeur et les reins de l'animal.
"-Pendant que je termine, tu pourrais porter le panier jusqu'à la roulotte Ilug ?"
Nouvel acquiesçement et le vieil homme s'exécute.
Elle le regarde se frayer un chemin vers la roulotte. Les abats laissaient échapper des gouttelettes qui formaient une trace rougeâtre sur le sol. Se penchant de nouveau vers l'animal, elle empoigna la peau et la libéra d'un coup de lame précis.
Après l'avoir entièrement dégagée, elle l'enroule et laissant le côté cuir apparent, elle le pose à part. La dextre s'applique ensuite à découper la dépouille en morceaux afin de les transporter. La lame disposait aisément des muscles et de la chair de l'animal.
La jeune femme disloqua ensuite les pattes aux articulations principales, et coupe les tendons entre les cavités articulaires et les têtes d'os pour séparer la carcasse en quatre parts. Avec le torse et la tête.
Et l'heure de l'offrande arrive.
" Grand cerf aux cornes dor,
Maître de la vie et de la mort
Coureur des landes et des bois
Accepte nos offrandes
Roi de la forêt
Seigneur des chênes des ifs et des bouleaux
Divin hôte de nos halliers
Accorde nous tes bienfaits
Nous sommes fiers dêtre tes enfants
Accorde nous tes bienfaits !
Tout comme au chêne et aux sangliers
Ô Maître de la Nature,
Guide tes fils au cur pur
Vers la clairière qui les attend
Sous les trois rayons dor du soleil invaincu
Au cur ultime de la foret
Et accepte les offrandes de leurs mains !"
Quand Charlyelle termina le gros du travail, le soleil effleurait l'horizon. Sous sa tunique, la transpiration baignait son corps, mais elle savait à quel point il serait stupide de l'enlever. Il valait mieux continuer à bouger et à transpirer que d'aller attrapper la mort.
Elle observa la piste un long moment, guettant le retour d'Ilug. Mais il n'y avait pas signe de lui pour l'instant. Il s'était sans doute écoulé moins de temps depuis son départ qu'elle ne le pensait. Ou encore, il s'était peut-être arrêté pour manger quelque chose avant que de revenir.
Pourquoi donc ce sentiment de noirceur qui lui traverse l'esprit ? Le panier était lourd, il aurait fait une halte pour se reposer en chemin et mis plus de temps que prévu à rejoindre la roulotte.
La brune se penche pour couper une fine tranche de viande rouge. La première bouchée emplit sa bouche du goût délicieux du sang frais. Rituel ancestral qui est honoré en ce jour. Le morceau disparut rapidement et elle en consomma un autre bien plus lentement.
Dans un soupir, elle se tourne vers les entrailles. Séparer les intestins, les vider des déchets en les pressant du bout des doigts. Une fois nettoyés ces boyaux étaient utiles de cent manière différentes. Puis prélever des morceaux de graisse qu'elle empile. D'un coup de dague, elle ouvre l'estomac et en vide le contenu. Il servira à transporter le suif. Il n'allait pas rester grand-chose aux corbeaux. Faut dire que la Dentelière est précise dans ses gestes. Elle sait ce qu'elle fait.
La jeune femme se redressa et prit quelques instants pour masser son dos douloureux avant de se remettre au travail. Nul doute que le baquet dans la roulotte ferait son office tout à l'heure. Plus tard, quand les ombres du soir passeront du bleu au noir.
La bise nocturne se levait, lui picotant le visage. En revanche elle ignorait ce goût de sentiment amer qui lui restait dans le palais. Une fois de plus, elle acquit la certitude que c'était ce qu'elle devait faire.
Nous avons tous dans le passé un jour de bonheur qui nous désenchante l'avenir.*
*-Gaspard de la nuit- Aloysius Bertrand.
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