Ilug
Des jours plus tard, Ilug remâchait toujours son sentiment d'impuissance et cette inquiétude manifeste qui ne le quittait pas depuis qu'elle l'avait renvoyé ici. Cette attente ne menait à rien, il y avait des zones d'ombre qui persistaient et se faisaient plus intenses. L'entêtement de la Pallikare dépassait tout entendement. Il commençait à supputer de manière fort réccurrente, qu'elle lui avait encore mené la vie dure et surtout qu'elle avait à nouveau tenté de se débarrasser de sa présence. Comme la fois où elle était monté sur Paris. Mais pourquoi ? Il n'avait toujours pas éclairci ce mystère.
Une écriture inconnue sur le vélin amené par le rapace qui vient s'abattre sur lui. Ce n'était pas une erreur, force lui était de le constater. Et le vieil homme vacille et blêmit à la lecture des quelques lignes. Son sang se glace dans ses veines. Quelque soit l'issue de ce combat, il se solderait de quelque manière que ce soit par une catastrophe.Que ce soit pour les uns ou pour les autres et pour la Pallikare en particulier. Il le savait que ça arriverait. Il aurait du être encore plus vigilant et se douter que ce n'était pas innocent qu'elle le renvoies ainsi.
Il savait bien qu'elle se trouvait dans une situation telle qu'elle ne pouvait ni souhaiter la défaite de son père, qu'elle se devait d'honorer malgré tout, ni sa victoire sur des gens qui avaient su inspirer au Vladimissime, respect, devoir et affection.
Le seul choix qui lui restait était clair. S'il avait moyen d'éviter le drame qui se jouait, il devait tout mettre en oeuvre pour le faire. Ils avaient prévu de quitter le port à bord d'un navire équipé de bombardes puis d'attaquer par surprise. Le Vlad était un stratège de génie mais il était bien trop sûr de lui, trop fier et trop obstiné pour son propre bien et surtout pour le bien de sa fille. Car Ilug comprenait, bien qu'il ne soit pas toujours d'accord, la fuite perpétuelle de Charlyelle face à son géniteur.
Ces esquisses de plan, dont l'auteur de la missive avait eu vent par un marin assez éméché pour oser trahir un maître aussi impitoyable que ne l'est le père de Charlyelle provoquèrent aussitôt la hargne du vieil homme.
Encore une fois, il ne pensait qu'à lui et peu lui importait si sa fille devait en subir quelques conséquences. Ilug gronde sourdement dans sa barbe. Non. Cette fois, il ne va pas le laisser faire. Il ne va pas faciliter la tâche à cet homme qui ne fait preuve de ni foi ni loi dans ses prérogatives paternelles.
Après tout, il est lui, le grand-père de la jeune femme.
Les mâchoires serrées, les yeux délavés du vieil homme sont tournés vers la mer. L'air sombre. En plus d'une guerre il ne tenait pourtant pas à se reprocher d'avoir rompu le lien qui le retenait encore au Vladimissime. Mais à choisir à ce moment précis, c'est sa petite-fille qu'il se devait de protéger.
Mais il ignore où elle se trouve, car il n'a reçu aucunes nouvelles. Peut-être que cette enfant pour laquelle l'Ecossaise s'est prise d'affection en sait elle davantage que lui. Il doit savoir.
Quoiqu'il en soit, cette nuit, il prendra la route. La retrouver coûte que coûte avant que malheur ne lui arrive.
Comme il se résignait au pire, les yeux rivés sur les tourbillons blancs qu'illuminaient la clarté du feu, un bruit sourd venant de la plage le fit sursauter. Il tendit l'oreille, essayant de distinguer des sons plus précis dans le vacarme de la tempête. Un moment plus tard, il reconnut sans aucun doute possible le raclement d'une coque et le heurt des rames sur les rochers. Une exclamation étouffée confirma l'arrivée d'une barque.
- Nous y sommes ! Hey vous ! Votre Seigneur est bien bon mon ami même s'il a fallu qu'un félon le prévienne de mon arrivée. Pour le remercier de sa clémence, faites lui donc savoir que je traverserais sa puînée d'un seul coup d'épée, au lieu de la tuer à petit feu comme je prévoyais de le faire.
Dites lui aussi que son geste ne peut en aucun cas suffire à laver l'offense qui m'a été faite et que j'y répondrais dès que j'aurais mis la main sur sa fille ! Mes espions savent où elle se trouve, cela n'est plus qu'une question de jours désormais.
Fort bien messire ! Votre message lui sera transmis !
Le vieux Druide ne bougeait pas d'une once, ne laissant rien paraître. Mais intèrieurement, une rage sourde grondait en lui. Il sait combien cet homme là est un chien enragé, et prêt à mordre. A lui d'être plus perspicace et surtout plus rapide.Un scélérat aveuglé par l'orgueil et la haine qui s'est mis en tête de faire payer l'humiliation que le seigneur princier lui a fait subir en s'en prenant à sa fille. Officiellement, il demandait vengeance. Il se trouvait face à un abîme terrifiant mais il savait qu'il devait avancer.
Il leva alors les mains au ciel.
Le ciel me préserve de ton obstination et ton orgueil Focker ! Mais Vlad, je ne laisserais pas tes erreurs coûter la vie de ma petite-fille. Car elle est McAlayg avant tout, elle est née sur mes terres et non pas sur les tiennes.
S'il se trompait il irait droit au désastre. Mais si son intuition était fondée, cette seule chance valait de courir tous les risques.
S'il touche à un cheveu de sa tête, il le regrettera. Il implorera la mort de venir le délivrer bien avant que je ne lui accorde cette grâce.
Il était temps qu'il se mette en route. Sur le chemin il enverrait prévenir la Matriarche. Mais auparavant, il lui fallait voir cette petite fille.