Osfrid
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« Jusquà la mort nous espérons toujours. » *
- Je suis là mon père je suis là .
Les mots navaient que peu dimportance, tout ce que pouvait dire Osfrid nétait quillusoire et pourtant, le danois ne pouvait se résoudre à laisser son père dans lignorance de son arrivée. Lorsquil avait franchi le seuil de la chambre, Osfrid sétait arrêté quelques instants laissant son regard se figer sur cet être quil avait connu toute sa vie robuste et plein de vie. Mais ce colosse nétait que dargile et aujourdhui il sombrait. Le cur meurtri de cette douloureuse constatation, le danois avança alors en direction du lit, retenant sa respiration avant de se laisser aller à prendre la main paternelle qui lavait si souvent retenu pour ne pas, à son tour, sombrer dans les méandres de la folie.
Mais aujourdhui, le combat était perdu davance, il le savait. Rien ne pourrait ramener cet homme sur les rives de Ribe. Le mal était bien installé, la fièvre, fleur carnivore, dévorait inlassablement sans conteste lâme du normand. Osfrid prit alors le fauteuil où il devina sa mère, jour et nuit, au chevet de son père, reprenant avec la délicatesse quun enfant envers son père pouvait avoir les doigts du de Courcy dans sa paume. Un court instant, sa tête bascula légèrement en avant sous le poids de la dure réalité. Force étant de constater quil revivait inlassablement la même scène. Une nouvelle fois il nétait pas du bon côté de la barrière, une nouvelle fois il ferait parti des vivants Alors il aiderait à faire ce deuil qui venait lui ronger lâme un peu plus longuement. Le mal avait déjà bien entamé le travail lorsquOsfrid avait perdu femme et enfant, il donnerait un coup supplémentaire afin de saper le reste du moral du danois et lentrainer un peu plus vers le fond avec légèreté. Mais lheure était au recueillement alors en bon fils quil était, il récita quelques prières, de celles quil avait appris chez les prêtres aristotéliciens mais aussi celles oubliées, dun passé pourtant si présent aujourdhui. Et ce fut ainsi que Sigrùn le découvrit, murmurant en danois les mots anciens. Elle sapprocha sans faire de bruit, posa une main sur lépaule de son fils avant de sinstaller à ses côtés. Puis ce ne fut quune voix qui séleva dans la chambrée. Les doigts noués à ceux de son fils, ensemble ils faisaient front.
Combien de temps dura cette mélopée, nulle ne sut le dire finalement mais une chose était certaine, elle eut le don de sortir Eudes de sa léthargie. Comme tiré de son sommeil trop profond, il ouvrit les yeux doucement avant de les poser sur son fils et sa femme. Quelques mots, une toux qui vint le saisir, Osfrid se releva rapidement afin daider son père à respirer tandis que Sigrùn lui offrait un peu de tisane aux plantes médicinales qui malheureusement, restaient sans effet. La respiration paternelle se calma doucement, des oreillers vinrent accueillir son corps afin quil puisse sentretenir avec son fils, en tête à tête, demandant ainsi gentiment à sa femme de les laisser entre hommes. Elle en profiterait surement pour passer du temps avec Briana comme elle le lui avait promis. Et la discussion dura un long moment. Osfrid avait parfois grincé des dents, parfois il avait souri mais il avait toujours approuvé la parole de son père. Rares étaient les fois où il sétait opposé à la décision paternelle et là, rien naurait pu ly obliger. Il recevait les dernières volontés aux frontières de la mort de celui pour qui il avait la plus grande admiration. Ça forgeait le respect. Puis vint le temps où Eudes désira voir sa petite nièce. Alors Osfrid se déplaça lui-même, laissant sa mère prendre le relais et profiter de cet éveil pour dire tout ce quelle navait pas pu dire à son époux.
Entrant dans la chambre de son fils, Osfrid se mit à respirer plus longuement, le chagrin faisant déjà son uvre, détruisant les premières barrières quil avait mis tant de temps à édifier. Sarrêtant au milieu de la pièce, ses yeux se posèrent sur chaque objet ayant appartenu à Ragnard, se souvenant de son rire denfant, de sa voix, de ses cris, de ses pleurs. Lémotion était trop forte mais le danois serra les dents , faisant signe à Inge de sortir. Il soccuperait de Briana lui-même. Lespace dun instant, il avala lair avec avidité, la tête légèrement en arrière, chassant des larmes qui montaient en lui. La faiblesse dOsfrid résidait dans cette maison. Sa famille était tout pour lui et il en perdait chaque membre un par un.
Doucement, ses pas le rapprochèrent du lit sur lequel il se posa délicatement. Sa main vint caresser la joue enfantine à laquelle il se réchauffa quelques secondes avant de déposer un baiser sur cette dernière, venant lui murmurer tout bas.
- Petite princesse, regarde ce que j'ai pour toi Et sans plus attendre, Osfrid posa Eleanore aux côtés de Briana, la laissant le retrouver comme bon lui semblait.
Puis se forçant à lui sourire, cachant sa peine au-delà de ses traits tirés, le danois observa lenfant. Il retrouvait un peu de ses cousins, les frères dAdeline surtout dans le regard, parfois les mimiques quelle faisait aussi Fil aurait été fière de sa nièce pensa-t-il encore alors que déjà Briana venait contre lui. Ce contact quils avaient établi, ce lien qui sétait créé au fur et à mesure du temps passé ensemble, Osfrid savait que si demain il arrivait malheur à la petite, il en mourait. Son cur usé ne résisterait pas à la perte de Briana. Elle lavait aidé sans le savoir, elle lavait porté de ses petits bras afin quil sorte la tête de leau, elle lavait accepté tel quil était, touché, brisé, meurtri et il lavait alors aimé comme un trésor dont on ne pouvait plus se séparer.
Refermant ses bras autour de Briana, il lavait bercé, retrouvant cette tranquillité quil navait quen sa présence puis soudain, il lui murmura.
- Ton oncle est réveillé et il voudrait faire ta connaissance. Tu crois que tu es prête ?
Laissant le choix à lenfant de savoir si elle le désirait tout autant que lui, il attendit quelle lui donne son approbation avant de la prendre par la main et de la conduire auprès de son père. Il lui présenta comme Eudes Cillien de Courcy même si, dans la maisonnée tout le monde lappelait Cillien. Il avait abandonné le Eudes en Normandie où là-bas il était connu sous ce nom. Puis Osfrid avait installé Briana sur le bord du lit avant de se mettre en retrait. Non pas quil désirait écouter la conversation mais, prévenant, il préférait être prêt sil savérait que son père se sentait mal. Et il regarda la scène sans vraiment y prêter attention, un léger sourire posé sur ses lèvres. Entre chuchotements et confidence, entre sourires et rires, Cillien parla dEnguerrand son frère et grand-père de Briana, il lui conta leur famille, ce passé dun autre temps qui bientôt serait oublié pour de bon, étant le dernier représentant de cette branche qui mourait avec lui. Et Osfrid sentit un poids venir laccabler. Il navait laissé aucune chance à la mère de Briana de venir ici afin de faire la connaissance de son père mais comment laurait-il pu elle qui semblait se moquer des siens. Il aurait aimé faire plus, la convaincre Oh pas pour Adeline, delle il sen moquait mais pour son père. Il aurait mérité de connaitre aussi Erwan
Se passant une main sur le visage, Osfrid chassa cette culpabilité à grand coup de pied afin de garder lesprit libre pour les heures à venir. Et ses heures furent bien sombres malheureusement car cette nuit-là, au milieu du silence qui habituellement peuplait les maisons, on entendit un cri retentir dans la chambre familiale. Osfrid navait pu que laisser faire la mort qui était venue prendre lâme prête à les quitter. Et dans un dernier effort, le danois sétait levé, avait déposé un baiser sur le front de Cillien avant de prendre sa mère dans ses bras, la serrant fort contre lui, retenant à nouveau ses larmes, les empêchant de montrer sa faiblesse dhomme. Puis tournant la tête, le visage grave, le regard perdu, il aperçut déjà Harald qui pénétrait dans la chambre suivi par Inge qui tenait la main de Briana. Briana qui allait être confronté à la mort pour la première fois de sa vie alors il l'appela doucement tout en lâchant doucement sa mère qui trouvait refuge dans les bras d'Inge tandis qu'Harald s'occupait de Cillien.
- Viens...
C'était tout ce qu'il était capable de dire le danois, les mots restaient coincés quelque part dans sa gorge. Se mettant à la hauteur de sa cousine, il l'attrapa pour la serrer contre lui. Mais qui avait le plus besoin de l'autre à cet instant ?
de André Chénier
Extrait du L'aveugle
Extrait du L'aveugle
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