Bordeaux,
Le quatorze aout 1460.
Bien chère mère Eloin,
C'est une joie réelle pour moi que de recevoir missive de votre main. Comme vous le savez certainement, votre départ de Bordeaux a créé un grand vide dans le coeur de vos paroissiens comme dans le mien.
Les nouvelles que je vous renvoie ne sont malheureusement pas aussi réjouissantes que je l'aurais souhaité. Si j'ai pu accéder au plus haut rang du pouvoir temporel en Guyenne jusqu'au début de cette année, je n'ai pu que remarquer à quel point notre Sainte Eglise reste frileuse lorsqu'il lui s'agit d'accepter quelques demandes de changements.
Je souhaitais modifier le concordat de Guyenne, le rafraîchir, le rendre surtout conforme aux lois Royales. Cela fut impossible tant le dialogue avec nos autorités spirituelles est irrégulier, voire inexistant.
Néanmoins, et grâce à l'insistance de votre filleule, je fus couronné par Mgr Aurélien en cathédrale de Bordeaux, ainsi que le veut la tradition en Guyenne. Tradition qui n'était plus respectée depuis de nombreuses années, et qui ne l'a pas été davantage depuis mon règne.
Le Prieuré Sainte Illinda du Rivet connait des jours difficiles. Notre grande chapelle, nommée " Chapelle Barchon " en l'honneur du père Bardieu est en effet consacrée. Deux baptêmes s'y sont déroulés et aussi bientôt
un mariage.
Pas n'importe quel mariage puisqu'il s'agit de celui de la Comtesse du Périgord, et que son altesse royale Vonafred en personne, en sera le témoin.
C'est là que les choses se compliquent.
Notre modeste Prieuré est encore une ruine. La soeur Ellya et moi-même avons investi la plupart de nos biens dans les travaux de reconstruction. Mais l'argent ne rentre pas car les fidèles se font rares, l'athéisme en Guyenne est grandissant faute de cures actives et d'éducation dispensée par les tribuns.
Ce mariage à venir m'inquiète au plus haut point. Si la Comtesse du Périgord est une amie, c'est toute l'image de la communauté Cistercienne qui va être mise sur le devant de la scène, face à notre Roy.
Et la soeur Ellya étant partie en pèlerinage, je me retrouve seul à devoir organiser une cérémonie fastueuse que je n'ai pas les moyens de financer. J'aurais souhaité que nous soyons deux officiants pour célébrer ce mariage, vous savez combien je peux parfois manquer de rigueur.
En outre, le Prieuré rencontre aussi des soucis d'intendance. Pour l'instant, et même si je fais de mon mieux
pour récolter des fonds, l'argent sort plus qu'il ne rentre. Nos légumes et notre lait se vendent peu. Nous manquons certainement encore d'organisation.
Je n'ai pas de nouvelles de Diia depuis plusieurs semaines. Notre engagement politique a eu raison des sentiments qui nous liaient, tout au moins de mon côté. Notre petite fille Aguiane aura bientôt l'âge de raison, nul doute qu'elle fera beaucoup parler d'elle en Guyenne lorsqu'elle l'aura décidé.
Elle me mènera également la vie dure, car j'ai commis beaucoup d'erreurs envers sa mère. Je n'ai pas su prendre soin de Diia toute cette dernière année, elle n'a pas su voir à quel point je me sentais seul dans ma vie sociale comme dans ma vie d'homme. De ces erreurs je me confesserai dès le retour de la soeur Ellya au Prieuré. Mais Aguiane je le crains, n'envisagera que les conséquences de la séparation de ses parents sans en comprendre vraiment les causes. D'autant que je songe à certaines heures, à prononcer des voeux majeurs.
Mais vous !
Contez-moi votre vie à Bourganeuf. Avez-vous trouvé plus grand épanouissement dans le Limousin qu'en Guyenne ?
Et notre chère abbaye de Noirlac, comment se porte-t-elle ?
J'ai appris très récemment le décès de Monseigneur Titca par son filleul Lietus. Ce fut un choc. Connaissez-vous les circonstances qui ont pu mener à une pareille tragédie ?
A mon tour d'être impatient de vous lire.
Que le Très-Haut vous ait en sa Sainte Garde.