Versieros.
Finissant la dernière lettre il appointa la plume pour le point final et la posa dans son plumier près de lencrier. Son regard gris parcourut le texte fraichement écrit. Malgré son âge et ses cheveux de plus en plus blanc il ne portait aucune lunette et se félicitait de garder toujours lil vif de ses 20 ans. Quand on est plus proche de ses 40 printemps que dautre choses on aime sattacher à ses derniers éléments de jeunesse.
Il attendit quelques minutes que lencre sèche puis referma limposant livre quil rangea avec précaution. Sa moitié dormait encore, et elle avait bien raison, il était encore tôt. Yosil navait plus sommeil, il déposa un baiser sur la joue dAbby, remonta la couverture, attrapa son mantel et il revint vers le lit ; comme si quelques chose venait dattirer son attention, comme si une force venait de lensorceler. Il fit demi-tour et se pencha près du visage de sa Douce. Lui remontant la frange pour mieux regarder sa beauté dans la légère pénombre ambiante. Elle dormait bien et ne risquait pas de se réveiller avec ces tendres caresses. Yosil nétait pas un grand extraverti et il avait la réputation davoir les yeux secs. Il se remémora cette discussion allongé dans un champ de marguerites avec Abby : « Yosil, tarrive til de pleurer ? » avait-elle demandé à sa façon si naturelle, timide et réservée. Il sétait alors contenté de quelques mots suivis dun clin dil « Non ma chérie. Je ne verse ni larme, ni sang. Tout à lintérieur de moi est si chaud que cela sévaporerait avant de sortir. Et si par miracle, tu devais marracher une larme, elle se cristalliserait instantanément. » Abby avait alors rit avant de le traiter de menteur et de lattaquer dun bond.
Abbygael avait été plus jeune une hyperactive qui faisait trembler le monde et qui avait surtout renversé le cur de Yosil, pourtant si amoureux dune première femme. Mais la passion lavait gagné et le charme dAbby gagna son cur jusquà prendre plus de place quelle naurait dû à ce moment là. Aujourdhui elle sétait calmée et restait des journées entières à rester à peindre ou à servir dans différentes armées qui demandaient des bras. Un dernier baiser et le Bourrin récupéra son mantel, attrapa son casque puis sortit en enfilant ses bottes dehors pour faire le moins de bruit possible, comme sil pouvait troubler la délectable quiétude de sa moitié.
Il huma lair frais du matin. Il avait besoin de saérer. Voilà des mois et des mois quil sattelait à lécriture de ses Mémoires mais cet exercice cérébral de mémoire et de création lui demandait beaucoup deffort et seul lair pur de la forêt Cambraisienne pouvait vider sa boite crânienne. Il avait encore du travail mais il était plutôt content de luvre déjà réalisé.
Lair était léger, la bise soufflait avec grâce et la forêt aux milles odeurs éveillait les sens du Cambraisien. Sa moustache frémissait et tous ses sens baignaient dans son coin de paradis, dans sa forêt.
Ayant perdu une grande partie de lusage de sa jambe droite il avait néanmoins appris à sadapter de cet handicap quotidien même si chaque jour il se posait la même question : « Vais-je pouvoir mélancer aujourdhui ? » Et sentant sa jambe se raidir et son muscle refuser de bien se contracter il répondait invariablement « Bon ! Nous verrons demain »
Ce handicap navait pas empêché le Cambraisien de continuer à sadonner à ses sports favoris, la descente de choppes en taverne, la Cambraisienne et la Soule. Il avait remis à jour le violent et sanglant sport de la Cambraisienne introduisant même lArtois entier. Connu en Poutreur chez les Taureaux il vouait à ce sport un tel culte quil fit organiser un grand Championnat de Soule pour son mandat au Haut Conseil dArtois.
Sengouffrant dans les bois il retira son casque. Ce dernier était, comme son mantel noir, sa façon la plus polie déloigner la plupart des curieux et des badauds. Yosil nétait pas quelquun de sociable, et lâge ne lavait pas aidé. Ses yeux gris inspectaient les bois avec précision. Comme un meunier regarderait son moulin, ou un paysan ses cultures, le Bourrin aimait à prendre soin de ces terres qui ne lui appartenait pourtant en rien. De toute façon, rien ne portait son nom, il navait ni domaine, ni blason, sétant toujours refusé à rejoindre cette « famille », la Noblesse comme on lappelle. Il navait jamais respecté davantage un homme en cape quun homme en guenille et sest toujours plus plu à appeler tout le monde Messire ou Dame, quimporte lusage et sans jamais nen changer pour un Titre plus honorifique. Ou alors cest quil en plaisantait. Comme il avait aimé déjà tout jeune appeler « Majesté » et autres « Duchesse » toutes celles qui lui avaient prêté de la tendresse. Et de la tendresse il en avait reçu beaucoup, bien assez pour un seul homme et pour une seule vie.
Dans une Cambrai dévergondée il avait grandi avant de ne trouver bonheur que dans sa fidèle quiétude et dans des amours uniques. Le premier, pour une femme à qui il brisa le cur en la quittant. Celle-ci disparut après cela, sexilant dans le Sud. Celle qui la remplaça, sa douce Abby, restait toujours auprès de lui, discrète, sombre, silencieuse. Un amour sans bruit, une passion sans mot, mais des sentiments pour autant fleuris et qui à chaque lettre ou paroles échangées ranimaient des hêtres dans des feux de cheminés. Cette simplicité lui plaisait, il était amoureux, pas enchainé, libre daller où il le voulait. Mais pas ailleurs, il nétait pas un « homme à femme », il nétait dailleurs pas un grand dragueur de taverne mais connaissait tout de même un certains succès auprès de la gente féminine. Il gardait secret le nom de celles qui lui avait dévoilé leurs flammes et sur lesquelles il avait du souffler. Il ne trouvait aucune gloire à se vanter davoir plu, et pouvait surement surprendre en donnant quelques noms de grandes personnalités féminines qui lui avaient susurré quelques mots doux et à qui il sétait excusé avant de sesquiver. Cétait peut être ce qui plaisait, son calme, sa distance, mais il ne sut jamais.
Cest vrai quil aimait sa liberté. Il ne trouvait de goût pour la vitesse quau moment de se battre.
Yosil ? Un grand militaire ? Un feignant de première ! Dynamique à lheure de la bagarre, muet à lheure des corvées. Fervent défenseur de ses terres et amoureux de son Comté il y aurait laissé sa vie si lennemi avait su jouer de lui. Passé plusieurs fois tout près, les grandes blessures qui parcouraient son corps étaient autant de mots et dhistoires qui se lisaient dans sa peau. LOST avait été une grande partie de lui. Il avait appris que chercher ses libertés revenait à se battre constamment si bien quon ne lest jamais alors que la discipline était lart absolu de se délivrer des contraintes et des luttes. Chaque homme devrait faire un passage à lOST et découvrir lesprit de camaraderie et de solidarité qui y régnait. Il aimait son Fort, son hamac et maltraiter les petits nouveaux.
Cétait aussi un Bourrin, pas un virulent, mais il était là dès la première heure. Toujours modéré, il navait pas cette verve quil admirait chez ses ainés. Il nen était pas pour autant un Bourrin convaincu, piètre Chef mais meilleur des Lieutenants. Pour lui, responsabilité rimait avec perte et il navait aucune envie de sennuyer avec tout cela.
A la mort des Pères Bourrins et de la plupart des anciens, Yosil connut une certaine mise en avant quil ne désirait pas, sortant un peu sortant de sa contemple, mais apparaissant plutôt comme un gardien du Temple. Il séchina à écrire quelques mémoires et travailler à lédification dun Cimetière Bourrin, sy attachant en sachant bien, que ce serait là, un jour, son dernier jardin.
Cambrai, lArtois ? Toute son énergie et sa foi !
Ce nest pas parce que lon parle peu, que lon nagit pas mieux. Travailler, il savait faire et donner de sa personne pour autrui nétait pas chose rare chez lui, préférant presque cela que se servir lui-même. Etrange complexité et contradiction pour un homme ne semblant pas aimer ses compagnons. Sous ses airs dours et de brutes, se cachait un homme attentionné qui ne rêvait que de faire le bien autour de lui. Abby, sa moitié, neut dailleurs jamais à redire, dun amant soigné, la faisant toujours passer en priorité première, peu importe le lieu, le contexte et lhoraire. Non Yosil nétait pas un homme sans cur, cétait seulement un homme dur, et froid, au cynisme étrange et à lhumour acide pourtant toujours délivré dun ton placide. Son mandat de Comte avait été loccasion de faire prendre un virage à son Comté quil nattendait pas. Yosil le Boiteux, un surnom taillé pour lui.
Pour les rares gens qui prirent le temps et surtout eurent le courage de le connaître, la plupart se rendit compte que derrière ses grands airs, se cachait un petit garçon profondément espiègle, samusant de rien et ne trouvant plaisir que dans la moquerie et le jeu.
Ce matin là pourtant cet homme ne se doutait pas que quelque chose viendrait tout bouleverser. Alors que ses pensées vagabondaient à la recherche de réponses sur la présence des étoiles et de la voie lactée, il remarqua un buisson frémir et bondir un peu plus loin. Une biche.
Dégainant son fidèle couteau, Yosil eut des envies de chasse, de traque. Sa mobilité réduite et sa vigueur diminuée lui donnait peu de chance de réussite, mais le plaisir de chasser nétait pas de tuer, cétait seulement de traquer et se prouver que lon pouvait être aussi fort et malin quun animal. Il savança lentement, humant le vent qui soufflait sur son visage et éloignait son odeur et le bruit de ses bottes. Il gagnait du terrain lentement, progressant à pas de loup.
La biche se pencha comme pour boire, le Vétéran de lOST voulut faire un grand pas quand sa jambe le lança. La douleur était telle quil saccroupit en pressant de ses doigts la zone douloureuse. Le gibier alerté par le bruit suspect senfuit.
Tant pis, il se contenterait dun des beaux morceaux de viande que lon proposait sur le marché. Bourrin, il avait participé à plusieurs attaques, plusieurs pillages qui lavait enrichi plus que pour une vie. Il avait fait bâtir une modeste maison pour lui et sa douce à proximité deau douce et de la forêt. Avec largent gagné, sa soif de culture lavait porté à lUniversité pour apprendre tout ce qui coïncidait avec larmée mais lavait éloigné dès que les mots Aristote ou finance furent citées. Il savait bien compter et la croyance des autres et même du monde qui voulait en imposait une ne lintéressait pas. Si lenseignement avait du sens, lembrigadement nen avait pas et cest pourquoi Yosil sétait toujours dit Athée, même sil avait sa propre vision et ses croyances.
La douleur dans sa jambe saccentuant, le Cambraisien observa autour de lui jusquà déceler à 2 pas une plante utilisée pour calmer la douleur. De sa longue carrière militaire, il avait découvert quelques secrets, mixtures et potions étrangères afin de prodiguer les premiers soins à ses frères. Nayant aucun outil, il mâcha lui-même avant de frotter énergiquement la jambe paralysée.
Cest quil en avait vu tomber des camarades. Des soldats et des frères. Même toute sa famille. Ainé dune fratrie [ayant existée] de trois frères et deux surs, il était aujourdhui le dernier dune inconnue lignée. Daprès ce quil avait pu tirer de sa grand-mère qui lavait en partie élevé, il était descendant de Vikings par son père et Barbare par sa mère. Un drôle de mélange. Un froid cristallin avec en son sein, un sang chaud, un sang bouillonnant. Ses colères étaient aussi rares que violentes. Se maitrisant mal ensuite il en perdait presque sa raison et il valait mieux léviter quessayer de stopper la chimère qui lembrasait.
Quand enfin la douleur fut passée il put se relever. Sétendant verticalement et retrouvant de la hauteur il voulut respirer une grande bouffé dair frais quand tout à coup .FLOP !
Sifflant lair elle le fit basculer en arrière. La flèche vint se planter en plein poitrail. Yosil sadossa à un arbre sans comprendre la force qui lavait projeté en arrière. Il remarqua le dard enfoncé. Il toussa et sentit la pointe ferrée le gêner. Ses poumons eurent quelques difficultés à se remplir alors que ses jambes cédèrent de nêtre assez oxygénée.
« Je lai eu ! Je lai eu ! »
Le Bourrin regarda le sang perler et tâcher son impeccable mantel. Lui le tisserand expert, lui lamoureux de sa matière sétait toujours beaucoup occupé de ses affaires et prenait grand soin de ses créations.
Il toussa à nouveau et la douleur le prit soudain, comme se réveillant après un instant de surprise malsain. Comme si la pointe le rayait intérieurement il sentit la chaleur lui remonter et atteindre jusquà son palet. Il crachait à présent du sang.
Sortant dun fourré, un jeune arbalétrier apparut. Son visage blêmit soudain. Yosil sentit ses paupière devenir lourdes, ses oreilles durent surement se boucher quelques instants car il vit son assassin faire de grandes gestes et sa pomme dadam sagiter en des cris déraisonnés.
Le Cambraisien avait bien compris, cétait fini. Son corps avait subi bien des coups, bien des chocs pour quenfin il décide darrêter les frais et dappuyer sur stop.
Il se sentit soulever, il eut comme dernier reflexe, dattraper et de serrer sa fidèle épée : Laure, du nom de feue sa sur bien aimée qui lui avait forgé.
Quand il ouvrit à nouveau un il, dans un étourdissement extraordinaire, il semblait dans un tourbillon de lumière, le ventre chaud, de sang et de larme qui coulait du visage dAbby en plein drame. Les bougies qui lencerclaient dansaient dans son esprit de leurs lumières dorées. Il dérapait, les plantes devaient faire effet. Le calmer, le droguer, alors la douleur, il se souvenait ! Laccident tout à lheure !
Un guerrier comme lui, mourir si bêtement. Il avait tant bravé la mort pour la trouver au détour de son bosquet bien-aimé. La réalité nest jamais à la hauteur des espérances. Il aurait désiré mourir en héros, sur un pont, contenant seule ou avec une poignée de ses frères une horde dennemis venant piller et brûler son Comté. Un sacrifice comme un gain de temps avant larrivée de renforts triomphant ensuite de larmée ennemi et un Général qui au moment dêtre acclamé dirait seulement : « Aux vaillants qui ont tenu le pont, je bois cette gorgée ». Nul besoin de fanfares ensuite, ni de portraits de lui accroché. Juste une pensée qui aurait accompagné son âme au firmament des redoutables.
La drogue le faisait délirer, mais il y eut comme une étincelle, un choc électrique dans sa cervelle. Il ouvrit les yeux, presque conscient, un regain de vie brûlait en sa pupille à présent. Ses amis étaient là. Des Bourrins et autres Artésiens qui lui tenaient la main.
Il dicta quelques ordres qui avaient lieu ici de testament avant de recevoir une nouvelle quil nespérait jamais recevoir à ce moment. Maéva se pencha à son chevet, les mains tremblantes. La gorgé serrée, elle semblait lui demander découter, une attente.
« Je ne suis pas loin, je ne serai jamais très loin. » articula til lentement alors quAbby venait se placer devant ses yeux en lui attrapant le visage de ses deux mains. Il aurait voulu remercier tout le monde, faire un discours à chacun mais ses forces le quittaient et lamour de sa vie cherchait sérieusement à établir un contact visuel alors que son regard se brouillait de plus en plus. Il fit un dernier effort pour la regarder et lui entendre crier :
« Yosil ! Yosil ! Je suis enceinte ! Tu mentends ? Je porte notre enfant ! Yosil ! »
Limpression faciale de Yosil sétait stoppée. On tirait un peu Abby qui hurlait et la tête du mourant vint reposer sur loreiller blanc.
« Inutile de continuer Abby, la coupa Ater, il ne tentend plus désormais. »
Lil de Yosil venait de perdre son brillant. Il ne bougeait plus et sétait figé dans le néant mais lon put néanmoins voir apparaitre, une larme en son coin.