Soren
Trois fois. Je suis venu trois fois dans cette boutique et à chaque fois, cela s'est mal placé. Le première fois, j'avais reçu une invitation pour m'y rendre. J'y ai rencontré mon meilleur ami d'enfance...qui est devenu l'un de mes pires ennemis. L'histoire s'est terminé par un coup derrière la tête, une perte de connaissance et une période de captivité passée dans l'hôtel particulier des houx-rouges dont Niels s'était préalablement porté acquéreur. La deuxième fois, j'accompagnai celle qui était devenue ma compagne (Comprenez par là celle qui cumule les fonctions d'amie, d'amoureuse et de maitresse) et que j'avais fortuitement rencontré lors de ma première visite. Elle venait y rencontrer son ex-amant pour honorer un contrat de fournitures de perles précieuses. L'épilogue de cette épisode réside dans le fait que le dit-amant a pris les jambes à son cou lorsque j'ai pointé le bout du nez. Hum...Jaloux le bonhomme! Il faut dire que sa maitresse venait de lui apprendre qu'elle allait se marier. Forcément, quelque part, je comprends un peu son attitude. Et là troisième fois...aujourd'hui! Charlyelle n'est plus simplement ma compagne, elle est devenue entre temps mon épouse...et une future mère. C'est là que le bas blesse...ou plutôt a blessé. Alors admettez que je commence sérieusement à penser que cet endroit ne m'aime pas et qu'à chaque fois que je mets les pied ici, j'y amène ou j'en sors avec mon lot de soucis.
La nouvelle de la grossesse de Charlyelle m'avait surpris. Certains diraient qu'elle m'avait pris la culotte baissée. Que votre maitresse vous apprenne qu'elle est enceinte ne devrait pas être après tout si étonnant: la plupart du temps, les jeux auxquels l'on s'adonne ne sont pas sans danger à ce propos et Mère nature est parfois retors. Oui, je le reconnais: il existait un risque non négligeable pour que cela arrivât mais allez savoir pourquoi, mon esprit n'avait même pas envisagé cette possibilité. Je savais que son père voulait une descendance, masculine qui plus est. Je savais aussi qu'elle refusait de lui obéir. Pour moi, il était évident qu'elle faisait ce qu'il fallait pour rabaisser sa fertilité avant que je ne la retrouve le soir. C'était d'une telle évidence que je ne lui avais même pas posé la question. Et puis avouez qu'une fois la machine des sens emballée, lui glisser au creux de l'oreille un "Tu as pris tes précautions ou il faut que je prenne les miennes?" n'est pas forcément ce qui vous vient naturellement à l'esprit...même quand comme moi, vous demandez au Très-Haut de ne jamais vous donner de descendance.
Ses "aveux" étaient venus par hasard, au détour d'une conversation où je trouvais qu'elle prenait la mouche pour des futilités. J'ai même eu du mal à comprendre ce qu'elle me disait mais quand j'ai réalisé qu'elle était sérieuse, ma colère a éclaté. Je n'ai jamais voulu de descendance. Le sang des Eriksen est maudit! Toute ma vie d'adulte, j'ai lutté contre cette fatalité, ne jamais avoir d'enfant. Tuer dans l'oeuf cette malédiction, la faire mourir avec moi. Lars Eriksen n'a pas de descendance. Son frère Hakon III a eu deux enfants: ma soeur Agnès et moi-même. Agnès ou Una comme elle se fait appeler en Périgord est soeur au couvent des cordeliers. Elle va prononcer ses voeux. Si elle se fait ordonner, elle n'aura pas de descendance. Enfin, sauf si Jehan arrive à ses fins par des moyens dignes du Sans-Nom. Ne reste donc plus que moi pour pérenniser le nom des Eriksen. La branche maudite allait s'éteindre. Elle devait s'éteindre. Et voilà que Charlyelle m'annonce cette nouvelle. Comment pensiez-vous que je pouvais le prendre? Pendant trois jours, la bataille a fait rage entre elle et moi, une bataille sans coup, une bataille froide mais les mots sont parfois plus tranchants que la plus aiguisée des lames. Et puis le soir où j'avais décidé de noyer ces soucis dans un nectar houblonné, elle a décidé que c'en était trop. Elle a quitté Bergerac avec sa monture. Mes souvenirs de cette soirée sont vagues, perdues dans les brumes alcooliques de Ste-Illinda. Je crois me rappeler qu'elle a dit qu'elle ferait ce qu'il fallait pour régler le problème. Elle a pris ses armes, son mantel, sa sacoche et a disparu dans la nuit périgourdine. Le reste? Vous le connaissez.
Les marches craquent sous mon poids. Mes yeux s'habituent peu à peu à la pénombre ambiante. Je ne connais pas bien les lieux. Cette boutique, c'est son chez-soi, son antre, là où elle doit se sentir en sécurité. Peut-être qu'il en sera de même pour le couvent des Eymet au sud de Bergerac un jour mais celui-ci n'en n'est pas encore là. Ça, je viens seulement de le comprendre. Au fond du couloir, un mince filet de lumière vacille sous la porte. Des bruits émanent de la pièce. Elle est là, étendue au sol, les yeux ouverts, visiblement sous l'effet d'une extrême fatigue.
- Charlyelle!
J'ai l'impression qu'elle me parle, qu'elle m'appelle. For fanden! Que s'est-il passé ici? Accroupi à ses côtés, je relève sa tête et colle son dos contre moi.
- Charlyelle, réponds-moi! Ça va? Charlyelle, qu'est-ce que tu as fait?
Pourquoi cette question? Parce que l'endroit ne me dit rien qui vaille quand on se trouve être sous l'emprise de la colère. Je n'avais jamais mis les pieds ici auparavant. L'escote m'avait déjà parlé des talents particuliers de son grand-père. Est-ce ici qu'il officiait? Ou qu'elle a ramené tous ses effets? Au sol, git un bol dont le contenant me parait suspect. Je n'y connais rien en herboristerie et la première idée qui me vient à l'esprit, c'est : a t-elle voulu mettre fin à ses jours? Est-ce cela qu'elle voulait dire quand elle disait qu'elle allait faire ce qu'il y avait à faire?
- Charlyelle! Réponds-moi! As-tu pris de cette mixture?
Elle n'était pas aristotélicienne alors...
- As-tu voulu mettre fin à tes jours?
Quel abruti! Quel crétin je fais! Je...Ce n'est pas vraiment le temps de regretter ce qui s'est passé. L'urgence est ailleurs. Si sa vie est en danger, il faut que j'agisse et vite! Un antidote? Impossible! Tout ce que je vois ici ne me dit rien. Lui faire avaler quelque chose, c'est risquer encore plus sa vie! Alors quoi? La faire vomir?
- As-tu voulu avaler quelque chose? Charlyelle, réponds-moi! Tu me reconnais au moins?
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La nouvelle de la grossesse de Charlyelle m'avait surpris. Certains diraient qu'elle m'avait pris la culotte baissée. Que votre maitresse vous apprenne qu'elle est enceinte ne devrait pas être après tout si étonnant: la plupart du temps, les jeux auxquels l'on s'adonne ne sont pas sans danger à ce propos et Mère nature est parfois retors. Oui, je le reconnais: il existait un risque non négligeable pour que cela arrivât mais allez savoir pourquoi, mon esprit n'avait même pas envisagé cette possibilité. Je savais que son père voulait une descendance, masculine qui plus est. Je savais aussi qu'elle refusait de lui obéir. Pour moi, il était évident qu'elle faisait ce qu'il fallait pour rabaisser sa fertilité avant que je ne la retrouve le soir. C'était d'une telle évidence que je ne lui avais même pas posé la question. Et puis avouez qu'une fois la machine des sens emballée, lui glisser au creux de l'oreille un "Tu as pris tes précautions ou il faut que je prenne les miennes?" n'est pas forcément ce qui vous vient naturellement à l'esprit...même quand comme moi, vous demandez au Très-Haut de ne jamais vous donner de descendance.
Ses "aveux" étaient venus par hasard, au détour d'une conversation où je trouvais qu'elle prenait la mouche pour des futilités. J'ai même eu du mal à comprendre ce qu'elle me disait mais quand j'ai réalisé qu'elle était sérieuse, ma colère a éclaté. Je n'ai jamais voulu de descendance. Le sang des Eriksen est maudit! Toute ma vie d'adulte, j'ai lutté contre cette fatalité, ne jamais avoir d'enfant. Tuer dans l'oeuf cette malédiction, la faire mourir avec moi. Lars Eriksen n'a pas de descendance. Son frère Hakon III a eu deux enfants: ma soeur Agnès et moi-même. Agnès ou Una comme elle se fait appeler en Périgord est soeur au couvent des cordeliers. Elle va prononcer ses voeux. Si elle se fait ordonner, elle n'aura pas de descendance. Enfin, sauf si Jehan arrive à ses fins par des moyens dignes du Sans-Nom. Ne reste donc plus que moi pour pérenniser le nom des Eriksen. La branche maudite allait s'éteindre. Elle devait s'éteindre. Et voilà que Charlyelle m'annonce cette nouvelle. Comment pensiez-vous que je pouvais le prendre? Pendant trois jours, la bataille a fait rage entre elle et moi, une bataille sans coup, une bataille froide mais les mots sont parfois plus tranchants que la plus aiguisée des lames. Et puis le soir où j'avais décidé de noyer ces soucis dans un nectar houblonné, elle a décidé que c'en était trop. Elle a quitté Bergerac avec sa monture. Mes souvenirs de cette soirée sont vagues, perdues dans les brumes alcooliques de Ste-Illinda. Je crois me rappeler qu'elle a dit qu'elle ferait ce qu'il fallait pour régler le problème. Elle a pris ses armes, son mantel, sa sacoche et a disparu dans la nuit périgourdine. Le reste? Vous le connaissez.
Les marches craquent sous mon poids. Mes yeux s'habituent peu à peu à la pénombre ambiante. Je ne connais pas bien les lieux. Cette boutique, c'est son chez-soi, son antre, là où elle doit se sentir en sécurité. Peut-être qu'il en sera de même pour le couvent des Eymet au sud de Bergerac un jour mais celui-ci n'en n'est pas encore là. Ça, je viens seulement de le comprendre. Au fond du couloir, un mince filet de lumière vacille sous la porte. Des bruits émanent de la pièce. Elle est là, étendue au sol, les yeux ouverts, visiblement sous l'effet d'une extrême fatigue.
- Charlyelle!
J'ai l'impression qu'elle me parle, qu'elle m'appelle. For fanden! Que s'est-il passé ici? Accroupi à ses côtés, je relève sa tête et colle son dos contre moi.
- Charlyelle, réponds-moi! Ça va? Charlyelle, qu'est-ce que tu as fait?
Pourquoi cette question? Parce que l'endroit ne me dit rien qui vaille quand on se trouve être sous l'emprise de la colère. Je n'avais jamais mis les pieds ici auparavant. L'escote m'avait déjà parlé des talents particuliers de son grand-père. Est-ce ici qu'il officiait? Ou qu'elle a ramené tous ses effets? Au sol, git un bol dont le contenant me parait suspect. Je n'y connais rien en herboristerie et la première idée qui me vient à l'esprit, c'est : a t-elle voulu mettre fin à ses jours? Est-ce cela qu'elle voulait dire quand elle disait qu'elle allait faire ce qu'il y avait à faire?
- Charlyelle! Réponds-moi! As-tu pris de cette mixture?
Elle n'était pas aristotélicienne alors...
- As-tu voulu mettre fin à tes jours?
Quel abruti! Quel crétin je fais! Je...Ce n'est pas vraiment le temps de regretter ce qui s'est passé. L'urgence est ailleurs. Si sa vie est en danger, il faut que j'agisse et vite! Un antidote? Impossible! Tout ce que je vois ici ne me dit rien. Lui faire avaler quelque chose, c'est risquer encore plus sa vie! Alors quoi? La faire vomir?
- As-tu voulu avaler quelque chose? Charlyelle, réponds-moi! Tu me reconnais au moins?
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