Ameline
Quelque part en France, ou plus précisément dans le Duché d'Alençon...
Améline y avait longuement réfléchi. Parce que contrairement à ce que les mauvaises langues pouvaient bien dire, l'Imaginative savait réfléchir. Après, savoir si cela aboutissait à quelque chose de concret - et même de réaliste - c'était une autre histoire. Mais pour ce cas précis, sa moitié d'âme, Cristaline, sa jumelle, avait été du même avis. Et comme des deux soeurs, Cristaline était celle qui était la plus censée, c'était forcément que le raisonnement d'Améline avait été le bon. Pour une fois.
Elle s'ennuyait. Elles s'ennuyaient. Après les cracheurs de venin de la capitale du Duché, elles avaient dû faire face aux nonnes gentiment extrêmistes qui avaient voulu leur faire prendre le voile. Mais il n'était pas dit que les jumelles Vrigny finiraient religieuses, aussi étaient-elles finalement parties de là, et, bravaches, étaient sorties têtes-nues, cheveux au vent. « Na », avait pensé Améline comme si cela réglait définitivement la question.
Mais leur liberté retrouvée n'avait pas servie à grand chose. Verneuil - puisqu'il fallait la nommer - était aussi animée qu'un cimetière à l'abandon. Pas de quoi rire, donc.
Depuis leur engagement politique, les jumelles n'avaient plus de nouvelles de Jean et Marie-Pia, leurs parents. A croire qu'ils les avaient reniées, quelque chose comme ça. Et les jumelles n'avaient de toute façon, entrepris aucune démarche pour les revoir. Et de plus, leur père aurait bien été capable de leur interdire de voyager, ce dont les deux soeurs avaient très envie. Un lieu avait déjà été décidé, d'un commun accord. Leur première étape serait Mayenne. Vive le Mans, songe doux des deux identiques.
Mais dès le départ, des complications. Cristaline était partie pour Argentan, laissant sa distraite de soeur entre les choux et les poireaux, à rêvasser, loupant le départ. Lorsque l'Imaginative était enfin sortie de sa torpeur, il était trop tard : Cristaline était déjà bien en route, la croyant sans doute déjà partie. Quelle histoire ! Affolée, Améline avait tourné en rond un bon moment, avant d'avoir la présence d'esprit de jeter un oeil à la liste des gens en partance pour Dieu seul savait où. Et ni une ni deux, cédant à la panique plus qu'à autre chose, l'Imaginative avait pris un plume, un parchemin propre, un gras pigeon, et s'était attelée à la rédaction d'une lettre à l'adresse d'un total inconnu. Un certain Osfrid. Elle avait essayé de transmettre l'urgence de la situation sans paraître complètement folle. Et cela avait marché : il avait répondu par l'affirmative. Ô joie ! Le Très-Haut le bénisse !
Ils avaient donc cheminé ensemble. Le pauvre. Supporter les délires imaginatifs d'Améline était sans nul doute une tâche digne d'être récompensé par une médaille, genre « Acte de Courage Exceptionnel ». En plus d'imaginer, elle était affreusement bavarde, et commentait tout, d'une fleur aux pétales amusants en passant par la vitesse du vol d'une délégation d'oies en partance pour les pays chauds, voire même la couleur particulière de la poussière du chemin. Elle lui avait parlé de son enfance, près du lac Vrigny dans la forêt d'Ecouves, de ses six frères et soeurs, de sa chère jumelle, de ses parents, de son lapin Pitsoui sauvé de la gamelle grand-maternelle, de tous les recueils de poésie qu'elle avait lu, et de manière générale de tous les textes qui lui étaient tombés entre les mains.
Mais enfin, au matin, ils étaient arrivés à Argentan. L'Imaginative était assoiffée, étrangement... Mais plus que la soif, ce qui lui importait encore davantage, c'était de retrouver Cristaline.
« Messire Osfrid de Courcy ? Je vais chercher Cristaline ! On se retrouve bientôt, et sinon, ce soir près des portes de la ville ? », avait-elle lancé en filant à toutes jambes, ses jupes vert d'eau retroussées sur ses mollets pour aller plus vite.
Et comme la discrétion ne faisait pas partie de ses qualités, on put entendre à travers tout le village les appels lancés à voix (très) haute, d'Améline.
« Criiistaliiiiiine ! Criiiiiistouuuu ! Où es-tu ? C'est moi, Améline ! »
Sans blague...
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A song for Améline
Améline y avait longuement réfléchi. Parce que contrairement à ce que les mauvaises langues pouvaient bien dire, l'Imaginative savait réfléchir. Après, savoir si cela aboutissait à quelque chose de concret - et même de réaliste - c'était une autre histoire. Mais pour ce cas précis, sa moitié d'âme, Cristaline, sa jumelle, avait été du même avis. Et comme des deux soeurs, Cristaline était celle qui était la plus censée, c'était forcément que le raisonnement d'Améline avait été le bon. Pour une fois.
Elle s'ennuyait. Elles s'ennuyaient. Après les cracheurs de venin de la capitale du Duché, elles avaient dû faire face aux nonnes gentiment extrêmistes qui avaient voulu leur faire prendre le voile. Mais il n'était pas dit que les jumelles Vrigny finiraient religieuses, aussi étaient-elles finalement parties de là, et, bravaches, étaient sorties têtes-nues, cheveux au vent. « Na », avait pensé Améline comme si cela réglait définitivement la question.
Mais leur liberté retrouvée n'avait pas servie à grand chose. Verneuil - puisqu'il fallait la nommer - était aussi animée qu'un cimetière à l'abandon. Pas de quoi rire, donc.
Depuis leur engagement politique, les jumelles n'avaient plus de nouvelles de Jean et Marie-Pia, leurs parents. A croire qu'ils les avaient reniées, quelque chose comme ça. Et les jumelles n'avaient de toute façon, entrepris aucune démarche pour les revoir. Et de plus, leur père aurait bien été capable de leur interdire de voyager, ce dont les deux soeurs avaient très envie. Un lieu avait déjà été décidé, d'un commun accord. Leur première étape serait Mayenne. Vive le Mans, songe doux des deux identiques.
Mais dès le départ, des complications. Cristaline était partie pour Argentan, laissant sa distraite de soeur entre les choux et les poireaux, à rêvasser, loupant le départ. Lorsque l'Imaginative était enfin sortie de sa torpeur, il était trop tard : Cristaline était déjà bien en route, la croyant sans doute déjà partie. Quelle histoire ! Affolée, Améline avait tourné en rond un bon moment, avant d'avoir la présence d'esprit de jeter un oeil à la liste des gens en partance pour Dieu seul savait où. Et ni une ni deux, cédant à la panique plus qu'à autre chose, l'Imaginative avait pris un plume, un parchemin propre, un gras pigeon, et s'était attelée à la rédaction d'une lettre à l'adresse d'un total inconnu. Un certain Osfrid. Elle avait essayé de transmettre l'urgence de la situation sans paraître complètement folle. Et cela avait marché : il avait répondu par l'affirmative. Ô joie ! Le Très-Haut le bénisse !
Ils avaient donc cheminé ensemble. Le pauvre. Supporter les délires imaginatifs d'Améline était sans nul doute une tâche digne d'être récompensé par une médaille, genre « Acte de Courage Exceptionnel ». En plus d'imaginer, elle était affreusement bavarde, et commentait tout, d'une fleur aux pétales amusants en passant par la vitesse du vol d'une délégation d'oies en partance pour les pays chauds, voire même la couleur particulière de la poussière du chemin. Elle lui avait parlé de son enfance, près du lac Vrigny dans la forêt d'Ecouves, de ses six frères et soeurs, de sa chère jumelle, de ses parents, de son lapin Pitsoui sauvé de la gamelle grand-maternelle, de tous les recueils de poésie qu'elle avait lu, et de manière générale de tous les textes qui lui étaient tombés entre les mains.
Mais enfin, au matin, ils étaient arrivés à Argentan. L'Imaginative était assoiffée, étrangement... Mais plus que la soif, ce qui lui importait encore davantage, c'était de retrouver Cristaline.
« Messire Osfrid de Courcy ? Je vais chercher Cristaline ! On se retrouve bientôt, et sinon, ce soir près des portes de la ville ? », avait-elle lancé en filant à toutes jambes, ses jupes vert d'eau retroussées sur ses mollets pour aller plus vite.
Et comme la discrétion ne faisait pas partie de ses qualités, on put entendre à travers tout le village les appels lancés à voix (très) haute, d'Améline.
« Criiistaliiiiiine ! Criiiiiistouuuu ! Où es-tu ? C'est moi, Améline ! »
Sans blague...
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A song for Améline