Lacoquelicot
- [ Si tu peux rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître.
Alors tu seras une femme, ma fille ! Adapté de Rudyard Kipling. ]
La soirée sétait écoulée sans heurt entre les murs de schiste de la lourde bâtisse. Tout aurait pu être parfait si seulement, la protégée du satrape avait eu le cur un peu plus enjoué. Cest linconvénient des dîners en petit comité, lorsquun convive ne se sent pas bien, lon ne voit que ça. Et cétait le cas ce soir, Ella ne souriait quà peine, se contenant de manger du bout des lèvres et de souffrir en silence. Toute la journée son corps lui en avait voulu sans trop quelle sache pourquoi. Une punition divine pour un excès de gourmandise sans doute. Mais les petits gâteaux de la vieille cuisinière étaient si appétissants quelle navait pu y résister. Acceptant son châtiment, la jeune fille avait pris congé rapidement pour aller se coucher, la mine en berne et le moral dans les chaussettes. Pour rajouter à sa peine, demain, la mesnie tout entière partait pour un voyage de plusieurs mois vers la Bourgogne. À mesure que léchéance approchait, la Fleur se sentait de plus en plus attaché au Tournel auquel elle voulait senraciné plus que tout autre part. Arrivée dans sa chambre, sa tenue est ôtée rapidement, et la petiote couché rapidement. Recroquevillée sous la lourde courtepointe, la maigrelette posa un dernier regard sur la lucarne avant de fermer les yeux. Il faisait noir dehors...
Sur la vallée du lot, seule lopalescence de lastre lunaire troublait lobscurité ambiante. Sous un arbre, une silhouette aux jupons fournis observe de loin languleux rocher et son château. La source de ses tourments y est enfermée, et cette nuit, à laube de son départ, elle allait agir. Dune main à la peau exsangue, lassassin réajuste le bandeau dorfèvrerie qui maintient son voile en place et se met en marche vers la lourde porte de bois. La nuit est avancée, lair est lourd et la garde somnole. La vallée escarpée suffit dordinaire à éloigner les maraudeurs et son visage est connu de la valetaille. Aucun soupçon ne pèse sur elle alors quelle pénètre lédifice. Seul le feulement de la soie noire sur le sol de pierre et une subtile effluve de parfum marquait son chemin au travers du château. Lombre avançait de son pas martial jusquaux escaliers, derniers remparts entre sa proie et elle. Avant de gravir les marches de bois, la jeune femme sarrêta, écoutant les alentours pour être sûr que tout le monde dort. Cest très certainement le cas. Pas un bruit ne résonne entre les murs épais, si ce nest un lointain ronflement. Un garde ou le maitre des lieux peut être. Qui sait. Peu importe, le guttural ronronnement est signe que chacun est occupée à cajoler Morphée. La criminel poursuit donc son ascension et pousse une porte toute proche. La vile créature est là. Ella. Sa chevelure rousse - témoin de sa folie - cascade sur lédredon. Sa vue ne fait que renforcer la haine qui tenaille déjà les entrailles de lombre glaciale. Des replis de sa robe noire, une lame claire et brillante est sortie pour sélever juste au-dessus de linfâme créature. La Protégée doit mourir, et la dague sabat sur le ventre denfant. Pénètre dans sa chair à la vitesse de la foudre. Meurt Ellaaahhh
Aaaaahhhh !!!! AAAaaaaaahhhhHH !!!
Le front en sueur, les cheveux en bataille, la jeune fille sétait redressée dun bond dans sa couche. Son souffle expulsait par saccade les souvenirs pénibles de ce songe bien trop réaliste. Lombre noire Ingeburge. La dague dans son ventre. Avec empressement, les bras plongent parmi les épaisses courtepointes pour libérer son corps. Les jambes se débattent pour vérifier que ce cauchemar en est un. Quelle est finalement bien en vie. Que tout va bien... Mais là ou létoffe de sa chainse devait être immaculé, une tache sombre imbibe profondément le tissu. Partout autour de ses hanches du sang sest répandu La gamine gémit péniblement et pourtant sur son ventre aucune dague plantée. Aucune plaie non plus. Alors que ses esprits ne semblent vouloir se calmer, la porte souvre de nouveau, plus violemment que dans ses songes cette fois. Et une silhouette masculine - le torse nu - fait face à leffroi dune môme qui nen est plus vraiment une mais qui peine encore à le comprendre
Ingeburge a voulu me tuer Et Dame Nature la fait.
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Image: Jenifer Anderson - Texte: La rue Kétanou