Mortimer_
La dernière lettre était posée sur un coin du bureau depuis plusieurs jours déjà. La précédante, à laquelle il n'avait pas pris la peine de répondre, y trainait depuis plusieurs semaines. Mortimer en avait après sa soeur, qui ne cessait de lui écrire pour lui réclamer de l'argent sous prétexte qu'elle ne parvenait pas à subvenir elle-même à ses besoins. Et bien, qu'elle apprenne à se débrouiller toute seule ! Voila ce qu'il avait envie de lui répondre, et basta !
Sa cadette le prennait vraiment pour une vache à lait, s'imaginant peut-être que dans le Maine, les écus tombaient du ciel. Et bien ce n'était pas le cas ! L'intendant gagnait sa vie à la sueur de son front, lui, et il était grand temps que Lison prenne conscience qu'il ne suffisait pas de pleurnicher pour percevoir une bourse bien garnie.
Citation:Elisabeth,
Je suis rassuré de voir que malgré tes jérémiades, tu sembles te porter plutôt bien. Assez du moins, pour étaler ton ingratitude sur un bout de parchemin en espérant éveiller en moi un semblant de pitié. Le jour où tu m'écriras pour me remercier de t'avoir fait parvenir trois misérables deniers, comme s'il s'agissait d'un véritable trésor, je commencerai à m'inquiéter, mais temps que tu ne sauras pas te satisfaire d'une bourse représentant quasiment la moitié de ma solde, j'estime que tu n'auras pas encore touché le fond du gouffre.
Elle allait devoir apprendre ce que "se serrer la ceinture" voulait réellement dire. Pas de nouveau versement, donc.
Citation:J'imagine bien ta déception lorsque tu te rendras compte que le messager que je t'ai envoyé n'est ni jeune, ni beau, ni riche et qu'il est arrivé sans aide financière de ma part. Je ne pouvais pas continuer ainsi éternellement. Ma bourse n'est pas sans fond !
Sache tout de même que ce n'est pas là une façon pour moi de me détourner de toi pour te laisser à ton triste sort (comme tu le dépeints si bien). Ma porte te seras toujours grande ouverte. Je serais ravi de te revoir et de t'accueillir chez moi le temps que tu te fasses une situation.
En attendant, prends soin de toi,
Ton frère qui t'aime,
Mortimer
Inutile de lui préciser la "situation" qu'il avait en tête pour elle : enfin baptisée et promise à un parti assez riche pour pouvoir l'entretenir - ou à défaut, à un parti tout court, car il serait probablement compliqué de trouver un pigeon assez couillon pour la prendre comme épouse.
[HRP/ Titre inspiré d'une fable de Lafontaine du même nom]
Lison
[Dans une taverne miteuse de Blaye, Guyenne]
- Toc toc toc
- Hrmmmpff
foutez moi la paix
- TOCTOCTOC
- Tain mais vous allez dégager oui !
- Jviens de la part de votre frère et je
.
*hrmmpff* bruit dun drap repoussé suivit dun choc dans ce qui pouvait être au choix : une table, une chaise voir une commode le tout agrémenté dune insulte à peine retenue. Un visage blanc, livide, aux yeux explosés vint accueillir et lorgner le visiteur.
Rapidement son avis fut posé : vieux, moche, y avait rien à en tirer. Dune brusquerie à peine retenue, elle arracha le message et le merci quobtint le pauvre coursier fut une porte qui vint claquer sur son visage au sourire édenté.
Le sourire dailleurs ne faisait pas partie des points forts dElisabeth. Un soupire à peine retenu laissait entrevoir la joie de la gamine quand elle reconnu de sceau de son frangin et le juron qui laccompagna lorsquelle réalisa que la lettre était accompagnée de
Rien
laissait entrevoir lentier de sa joie et lamour inconditionnel quelle portait à sa chère et tendre famille.
- Couillon
La lettre fut jetée dans une sacoche qui en contenait déjà un certains nombres toute similaire les unes aux autres et surtout intacte.
Elle prit sa pipe, la bourra de feuille de chanvre, alluma et inspira profondément avant de poser un regard désabusé sur son chat.
- Mregarde pas comme ça ! Rien à foutre de ces blablas
La pipe fut remplacée par le goulot dune bouteille de mirabelle quelle termina dune traite avant de reposer le tout brusquement sur une table.
Hésitante elle se redressa, pris un espèce de regard hautain et toisa Aristote :
- Une fille de bonne famille ! Épouser un homme bien qui tentretiendra ! Apprend à devenir une dame Elisabeth.. tu es la honte de la famille *burp*
Pense à ce quétait maman
Elle se laissa choir sur le lit, repris sa pipe et aspira.
- Ils lont tué avec leur connerie.
Elle saffala sur sa couche, ramassa un bout de parchemin froissé et sa plume.
Citation:Cher frère que jaime,
Merci pour tes mots qui mégaient le cur, le simple fait davoir de tes nouvelles alors que je me trouve si loin de toi me permettent de relativiser mes soucis quotidiens.
La famille me manque
et jai donc pris la décision de te rejoindre. Ainsi je deviendrai la chère sur dont tu as toujours rêvé.
Ainsi nous serons bientôt à nouveau réuni pour ton plus grand bonheur
je nen doute point.
Ta sur qui taime
Elisabeth.
Et elle rit
elle rit comme jamais.
- Tu verras Aristote, il va avoir la trouille que je lui gâche sa siiiiii belle vie et son ascension sociale ! Il voudra jamais me voir ! Il va menvoyer des sous
il va préférer me payer pour que je reste éloignée plutôt que ses cherrrrs amis découvrent qui je suis ! Foutu poltron !
Elle rit encore
puis les vapeurs de drogues faisant gentiment effet, elle finit par sassoupir.
Un sommeil dépourvu de rêves, unique moment où elle se sentait véritablement exister.
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Mortimer_
Devait-il se réjouir ou s'inquiéter ? Telle était la question que Mortimer se posait en relisant la dernière lettre de sa sur. Ainsi, elle avait finalement décidé le rejoindre, ici, à Courceriers, probablement plus par dépit que par réelle envie. Mais lui avait-il vraiment laissé le choix ? Evidemment ! Après tout, rien ne l'avait obligé à accepter la proposition qu'il lui avait faite. Il l'avait simplement incité - très fortement - à céder. La menace de couper les vivres fonctionnait à tous les coups. Mortimer en avait encore une fois la preuve.
Restait toutefois quelques ajustements à faire avant l'arrivée de Lison, comme par exemple, se trouver une épouse, des enfants et un chien -oui, un chien c'était bien, c'était même essentiel - car la jeune femme était persuadée que son frère avait trouvé chaussure à son pied et fondé une famille modèle. Mieux valait ne pas briser ce rêve idyllique et qu'il continue à représenter un exemple à suivre pour sa cadette, plutôt que de lui dévoiler l'envers du décor.
Il lui fallait donc préparer une petite mise en scène - où tout le monde il était beau, tout le monde il était joli - et espérer que la jeune femme ne remarque pas le subterfuge.
Alors, alors... par où commencer ?
Observant le parchemin vierge étalé devant lui, l'intendant s'accorda un instant de réflexion avant de se saisir de sa plume et de se mettre à transcrire ses idées par des mots soigneusement tracés :
Citation:Elisabeth,
Je suis ravi d'apprendre la nouvelle de ta venue prochaine. J'ai d'ores et déjà fait préparer une chambre à ton attention. Bien quelle soit sommairement meublée, j'espère que tu la trouveras à ton goût. Elle sera probablement plus confortable que les chambres d'auberges miteuses où tu dois passer tes nuits, si tant est que tu ne couches pas dans une ruelle sordide ou dans les bras d'un homme mal avisé.
Prends garde à toi et ne traines pas trop sur la route. Il me tarde de te revoir après toutes ces années ! Il me désole seulement que tu ne puisses pas rencontrer ma femme et mes enfants. Ils sont partis en cure au bord de la mer. Mon fils cadet souffre de problèmes respiratoires. Rien d'alarmant mais les médicastres nous on dit que l'air marin lui ferait du bien.
Je pense avoir retrouvé trace de notre père. Un homme portant son nom était procureur dans le duché voisin. Crois-tu que je devrais l'inviter lui aussi ?
A très bientôt, ma sur,
Mortimer
Lettre en main, le parisien sortit de son bureau et prit la direction de la cuisine, où il trouva le messager attablé devant un fugace repas.
Après s'être débarrassé de la missive, l'intendant gagna la cour, où il apostropha le valet d'écurie :
Hé toi ! Oui, toi là ! Il faut que tu me trouves un chien. Au chenil ou n'importe où ailleurs, mais il me faut un chien. Tu sais, ce truc plein de poils, là. Prends-en un pas trop laid, ni trop puant, et assez sociable pour être ami avec un asocial. Ou au moins qu'il sache faire semblant. Compris ?
Mortimer, l'ami des bêtes.