Noelia.
Le départ - Sur les chemins...
Une moniale lui avait dit un jour qu'il était toujours plus aisé de se laisser aller à faire ou dire des sottises, que de travailler à devenir raisonnable et sage.
Noëlia réservée et docile, ne manquait pourtant pas de caractère. Cependant, laissait-elle volontiers aux esprits chagrins le soin de la brocarder.
Persifler, se montrer acrimonieuse, n'était pas dans sa nature. Pour exister, elle n'avait besoin ni de verser de fiel, ni de s'exposer aux conflits.
A cela, elle ne trouvait pas meilleur remède que la tolérance, et en pareille circonstance, rares étaient les mots qui valaient mieux que le silence.
Cette nuit là, c'est en toute confiance qu'elle suivit le diacre, sa besace en bandoulière, un bâton dans la main gauche.
La dextre quant à elle, était devant sa bouche. Elle ne cessait de caresser de la pulpe de ses lèvres, l'endroit qui avait été à peine effleuré d'un baiser.
La douce délicatesse de doigts enserrant les siens, le souffle chaud sur le revers de sa main...
Tandis qu'ils senfonçaient dans les chemins, éclairés par une lanterne et la voute étoilée, on entendait au loin le tintement du clocher de Saintes qui égrenait les heures.
Ici et là, on percevait dans la nuit, des bruissements d'ailes et de feuilles, le hululement des oiseaux nocturnes, le coassement des grenouilles annonçant la proximité d'une mare.
Le chant monotone diurne des grillons, lui, s'était tu.
Fruits, champignons, humus, le parfum émouvant de la terre remuée... un florilège de senteurs sauvages venait chatouiller leurs narines.
Ils avançaient, les pierres roulaient sous leurs pieds.
Elle conservait le silence, ne voulant troubler la paix de son compagnon de route.
Il la considérait sotte, elle n'allait pas le détromper : spécieuse ou non, elle respectait cette opinion.
Elle se laissait quant à elle, le temps de se faire la sienne, ne le connaissant que peu.
Elle levait souvent la tête vers le ciel, observant le ballet gracieux des étoiles, mais c'était dans le souvenir d'un regard vert qu'elle se laissait glisser.
Et si part mégarde, elle s'attardait trop, voyant le diacre s'éloigner, elle pressait le pas pour le rejoindre afin d'éviter une énième remarque désobligeante.
* Titre du rp : Alfred de Musset - Extrait du poème Idylle
Noelia.
La Rochelle - La mer qu'on voit danser...
C'est à l'aube qu'ils arrivèrent, se séparant devant l'auberge Le Capitaine des mots où elle prit pension, dans une petite chambre mansardée.
Bien que fatiguée, l'appel de l'océan fut le plus fort. Elle trouva une petite plage déserte à l'abri des regards indiscrets, dont elle n'avait pas à se méfier vue l'heure.
Le sable était humide et froid, elle effrayait des crabes, frêles et légers, qui disparaissaient dans leurs trous
Un lent scintillement montait avec les premiers rayons de soleil qui crevait la surface encore lointaine de l'eau.
Elle humait avec sensualité toutes les odeurs qui montaient, et s'obstinait à remettre en place ses mèches brunes qui s'envolaient sous le vent.
La mer s'était échappée laissant pour seuls témoins de son passage des coquillages et des lambeaux d'algues.
Elle la contemplait au loin et l'observait qui se rapprochait, une lueur de convoitise dans les prunelles claires.
Elle ne l'attendrait pas, elle le savait déjà, laissant glisser ses hardes à terre.
Elle marchait droit vers l'océan, ses pieds nus descendaient dans le lit déclive, humide...
Il la rejoignait et bondissait sur son corps et y restait. Elle plongeait puis réapparaissait, portant le léger et fragile masque de la mer que l'air cherchait à lui enlever.
Elle reprit son souffle...
Quelques minutes plus tard, elle écrasait sa joue sur la grève.
Elle comptait les battements de son cur qui s'assourdissaient dans leur chemin de sable jusqu'à son oreille.
Elle aimait le sable. Ses muscles, ses épaules, ses reins, ses bras et sa nuque se détendaient, seuls ses doigts tracaient dans le sable que le soleil avait séché des sillons qui portaient le nom de l'homme aimé.
Le soleil n'arrivait pas à sécher l'eau salée sur son jeune corps qui s'endormait.
Noelia.
L'auberge "Capitaine des mots" - Au petit matin
A l'heure de tierce, Noelia était installée à la table de l'auberge.
Un bol de soupe épaisse de légumes et de pain, et un verre d'eau constituait son petit déjeuner.
Non, elle ne se désolait pas de ne pas avoir de jus d'orange, de baguette et de croissants frais, le tout arrosé d'un café noir sans sucre s'il vous plait.
C'était une jouvencelle de son temps, donc quand elle ne gagnait pas sa pitance, ne courrait pas par monts et par vaux, son esprit lui vagabondait.
Elle se remémorait sa journée de la veille.
Le port, ses défenses, son chenal, son phare, avec tous ces navires arrivés ou en partance pour d'autres contrées, chargeant ou déchargeant leur cargaison.
Les manières bourrues des marins, qui cherchaient des plaisirs faciles et sans lendemain. La jeune fille observait toute cette agitation de loin, essayant d'imaginer la vie à bord des bateaux et toutes villes et pays qu'elle ne connaissait pas.
Ses pas la poussèrent ensuite vers la criée, véritable fourmilière, où ce serait à qui y mettrait plus de voix et vendrait le fruit de ses efforts halieutiques, de son vin ou de son sel.
Et à bien les écouter, ils vendaient tous le meilleur produit que l'endroit pouvait connaitre.
Noelia n'avait jamais vu autant de cargaisons dor, divoire, dépices et de bois précieux...
Tout lémerveillait. Elle s'extasiait pour tout.
Le soir venu, sa toilette faite, elle se glissa dans les draps blancs de son lit, relisant à la lumière de la bougie les missives qu'elles avaient reçues...
Revenant à la réalité, elle se mit donc à se sustenter.
Elle n'avait aucune idée de ce qu'allait être cette journée, ni de ce qu'elle allait faire ou même découvrir.
Seuls quelques vers lui venaient à l'esprit, qui lui faudrait noter à tout prix, pour un poème inachevé :
Au sommet de la côte, à notre vue surprise,
L'océan d'un seul bloc s'impose, apparition
Au point culminant de la grande aspiration
Et la monotonie de l'infini se brise
L'océan comme un bloc de pierre précieuse
Une pierre frivole et parfois turbulente
Qui fond et se déforme en une marée lente.
Ô pierre peu précieuse mais si gracieuse!...
Noelia.
Saintes - LÉternel retour
Ce mercredi là, la brunette ne tenait pas droit - on la touche du doigt elle souffre...
Penchée sur les légumes qu'elle ramassait, une goutte plus salée que la rosée du matin vint s'écraser sur les fanes d'un chou.
On aurait pu s'étonner de ne pas soudain les voir se dissoudre.
Avec lui elle apprenait à compter les pétales, à parler végétal.
D'une voix blanche, vint mourir sur ses lèvres :
- Mon amour, je te jure les légumes je les fais boire...
Ensemble on est désaltérés tu ne pourrais pas le croire...
Je siffle tes mots et ta tendresse comme tout le reste...
Elle se redressa pour inspirer profondément, s'essuyant les joues d'un revers de manche.
Ménager la chèvre, le chou, et s'assurer du sourire de la chevrière. Cherchez lintruse.
Elle prit place sur une balançoire de fortune, installée à l'ombre d'un pommier séculaire, sa chausse gauche glissant légèrement de son pied, les mains crispées sur les cordes.
Lui son mystère, son étonnement constant, sa racine lui enseignait à élucider la sève du feuillage.
Elle avait, sur elle près du cur le vélin où il avait tracé l'ébauche de leur bonheur, et sur ses lèvres le feu émouvant, pénétrant d'un baiser.
Elle se laissait bercer par le mouvement répété, entre ciel et terre, mélancolie et félicite. Et comme un oiseau que nul vent ne pouvait arrêter, elle s'envolait.
Noelia.
Dégaine ta plume comme une épée
L'autre jour, Noelia est tombée sur Dame Vulgarité.
Rien n'est pire qu'une nigaude sournoise qui n'a rien à dire mais qui martèle sans cesse son lot de niaiseries,
pensant ainsi combler tout à la fois son vide et son besoin de reconnaissance.
- Tac! Tac! Tac!
A ce bruit Noelia aurait pu répondre :
- Ne forcez point votre talent, vous ne feriez rien avec grâce.*
Noelia détestait les gens qui bernaient leur monde en changeant de visage comme de chemise selon leur interlocuteur du moment.
Parangon de trivialité, dimpudeur et de cynisme, Dame Vulgarité trônait là, hâbleuse, visqueuse, à la fois m'as tu vu et sainte nitouche,
qui envahissait peu à peu l'espace, exhibant le spectacle de ses charges croupissantes comme on promeut de la viande,
faisant étalage de son intimité jusquà transformer son « ego » en porcherie.
Dame Vulgarité se complaisait dans sa médiocrité, sa grégarité, faute de recul ou de hauteur de vue,
et portait au pinacle l'éloge de la bêtise, son unique argumentation.
Ne savait elle donc pas qu'on pouvait être éclatante sans vulgarité, et douce sans fadeur?**
Fort heureusement, il y avait plus important qu'une allégorie.
Il était des terres mystérieuses qui recelaient bien des secrets.
Lui, il avait posé au large pour les oubliés : les mauvais présages, ses démons aimés.
Son chagrin en cage l'avait enfermé.
Et elle espérait bien en détenir la clé, que le vent des merveilles fasse s'envoler ses histoires anciennes, ses histoires passées.
Il avait eu peur, alors que pour cette confiance qu'il lui accordait un peu plus chaque jour, elle ne l'en aimait que davantage.
Si elle était son trésor, lui était sa précieuse pépite.
L'égo, la suffisance, et l'orgueil excluaient l'amour. Et la tristesse donc?
Elle repliait les êtres sur eux-mêmes, et les coupait des autres.
Noelia choisissait d'aimer au gré du temps, dans la tendresse, la patience, la compréhension, la poésie.
* La Fontaine
** Proust
Aktarion
Il ne s'y entendait guère en amour.
Une partie de lui n'était qu'une bête sanguinaire.
Une partie de lui n'avait connue que la guerre et les combats.
Une partie de lui avait le gout du sang.
Une partie de lui, pourtant, avait cédée devant Elle...
Une partie de lui, dont il ignorait alors l'existence, s'était reconnue en Elle.
Tout en lui n'était que surprise devant Elle.
Tout en lui était en joie, en rage, en éclat, en méfiance, l'esprit alerte et les crocs prêts à mordre quiconque s'approcherait trop près d'Elle.
Rien en lui ne l'avait préparé à cela.
Tout en lui la réclamait, corps et âme.
Rien nul part n'effacerait ce qui venait de naître.
Noelia.
[Observer... Interpréter... Comprendre]
Saintes semblait à la brunette un vaste jeu d'échec.
Quelqu'un bougeait ses pions et se faisait le chantre de la destinée.
Dans le petit monde de Saintes chaque chose avait sa place, chaque personne avait son rôle à jouer : noirs ou blancs, dames ou rois, cavaliers, tours, fous et pions tout y était.
Quelqu'un faisait entrer ou sortir les personnages de la partie, et les évènements se bousculaient en réaction en chaine.
Tout cela était mené de main de maître et l'on n'avait plus qu'à attendre le finale qui serait à n'en pas douter grandiose.
Oui toutes les femmes, tous les hommes de Saintes semblaient n'être que de petits pions dans la marche du destin.
Et parfois, cela prenait des airs épiques, fait de batailles, de trahisons, de tourments et d'amours contrariées.
Saintes immense labyrinthe d'une aventure condamnée à l'échec.
De part et d'autre, tous pensaient avoir le nom de celui qui avançaient les pièces.
Des noms, connus ou inconnus de la jeune fille, étaient avancés.
Elle s'étonnait que Kenneth lui même n'en ait pas eu l'intuition encore.
Lui, qui en général tirait les mêmes conclusions qu'elle, n'avait jamais formulé cette éventualité.
Dans la partie, pourtant une arrivée était belle et bien annoncée, sans que quiconque en eut réellement conscience.
Certains signes ne trompaient pas...
Noelia attendait avec impatience de voir cette personne roquer et se mettre à l'abri ...
Noelia.
Elle avait été blessée de nombreuses fois, ne s'était que rarement plainte, s'autorisant parfois à se confier à ses amies.
Combien de fois, à l'abri de sa maison, avait elle versé de larmes? Elle n'aurait su les compter.
Combien de fois avait elle voulu échapper à l'amour par amour? Souvent.
Elle avait toujours été persuadée qu'il vivrait plus sereinement sans elle.
Et puis, ses résolutions s'étaient envolées à chaque fois au creux de la douceur de ses bras.
Elle se drapait dans sa dignité, et pardonnait toujours, encore et encore.
Elle s'était souvent effacée, à son détriment.
Elle n'avait pas de regret, elle l'avait fait parce qu'elle l'aimait et pensait naïvement qu'il était plus important qu'elle.
Saintes et ses habitants avaient toujours eu sa préférence.
Il ne s'en était jamais caché, et elle avait compris quelles étaient ses priorités.
Reléguée au second plan, elle avait accepté sans broncher.
Lorsque des jeux de séduction aux sous entendus à peine voilés,avaient eu lieu sous ses yeux, elle s'était tue ravalant encore et toujours sa peine.
Après tout, que pouvait bien espérer une jeune fille qui avait été abandonnée à son arrivée au monde?
Elle pouvait tout aussi bien être la bâtarde d'un noble, celle d'une prostituée, que le fruit d'un viol ou celui de gueux sans le sou. Finalement elle n'avait jamais espéré être plus que cela.
Lorsqu'il l'avait présentée à Ephedemia, elle s'était sentie honorée et elle avait pensé que c'était le rite initiatique obligatoire pour un passage vers une autre vie.
Mais rien, rien n'avait finalement changé.
Ce jour là elle était arrivée le cur et lâme chantants, pleine d'allégresse, comme tous les jours.
Si ses baisers n'avaient jamais trouvé d'écho lorsqu'elle faisait son entrée, cette fois elle en était persuadée, il ne pouvait pas ignorer celui là tant il avait quelque chose de particulier.
Mais pire cette fois il avait changé de place et poursuivi sa conversation sur des impôts.
De toutes les attaques qu'elle avait eu à subir, il avait été le seul à la blesser aussi cruellement.
Elle pouvait affronter les tempêtes des unes, les fourberies des autres, mais elle ne s'était jamais habituée aux coups qu'il lui portait consciemment ou non.
Elle le rendait à sa ville, à ses habitants qui le méritaient certainement plus qu'elle.
Elle, elle en avait fini de se faire broyer le cur.
Elle avait promis de le suivre en son enfer. Et lui?
Avait il seulement vraiment désiré la suivre en son paradis?...
Il avait été finalement son pire ennemi. Ce dont elle était certaine c'est qu'il n'y en aurait plus d'autres.
Elle emportait avec elle cette douleur et son amour qui la dévastaient toute entière.
L'univers tenait dans un baiser. Le sien venait de s'écrouler
Le seul vrai langage au monde est un baiser.
Aktarion avait donc tout dit... et malgré la porte brisée, elle savait son soulagement.
Elle lui souhaitait d'être heureux, et était persuadée qu'il ne lui faudrait que peu de temps...
Aktarion
Le seul langage au monde est un baiser.
Voilà la vérité qui le trompe et le perd
Car il est amoureux mais ne sait que le taire
Ce seul langage qu'il ne sait pas parler...
Le seul langage qu'il ait connu était celui des armes,
Du sang, de la violence, du fracas et des larmes.
Dans le noir des décors, il fut l'âpre pénombre
Et la mort en personne se cachait en son ombre.
Il traversait les villes et parcouru les terres
En héros pour certain, en assassin pour d'autres
Au milieu d'ennemis, de judas et d'apôtres,
Prêchant sa parole crue en prêtre solitaire.
Son regard était gris tel l'acier de sa lame
Aiguisé, dur et froid, les reflets de son âme.
Comme une étoile éteinte au creux de l'univers
Naviguant à l'envie, à l'endroit, à l'envers.
Puis ses lèvres connurent son sucré
Et sa vie plus jamais ne fut la même.
Alors que désormais il aime
Le seul langage au monde est son baiser.
Aktarion
Arrivé à Bordeaux, Aktarion écrivit deux lettres.
La première pour prévenir Noelia qu'il était ici, et qu'il l'attendait, la cherchait de taverne en taverne, scrutant les silhouettes dans les rues, observant les vagabondages sur le quai du port.
La deuxième à ses supérieurs, au poste de police, pour prévenir qu'il rentrerait avec quelques jours de retard sur ses prévisions, sans en dire d'avantage.
Il avait pris la décision de rester quelques jours.
Il avait pris une autre décision, l'esprit clair et apaisé, comme une évidence.
Il n'avait pas pris cette décision en chemin en réfléchissant sur la route, comme il est parfois de coutume que l'esprit se questionne, échafaude, lorsque le corps marche longtemps.
Non, cette décision fut prise dès le moment où ses pieds chaussés avaient quitté Saintes.
Il n'avait plus pensé à rien sur le trajet, il n'avait qu'une idée simple en tête et rien ne pouvait l'en détourner.
Il avait parcouru les chemins quasiment sans faire le moindre arrêt, gardant toujours le regard fixe devant lui, tendu vers son objectif, sa destination, sa surprise, et la surprise qu'involontairement il lui préparait.
Il ne lui manquait plus qu'à la retrouver pour la partager avec elle.