Il parcourait les venelles, sans trop dempressement, profitant du temps de cette fin daprès-midi. Le soleil navait point encore entamé sa descente et ses rayons procuraient encore une douce chaleur à la cité toute entière. Le vent, lui non plus, ne semblait guère décidé à abandonner et soufflait donc encore une légère brise embaumée de doux parfums. Nîmes était une fort belle ville et le Sud en général respirait la vie. Un agréable soleil, des senteurs parfumées, le bruit du ressac et des cigales en fond sonore
Oui, cétait une bien belle ville.
« Ah
»
Le soupir fut long et empli dune sorte de nostalgie. Quil était loin le Nord du Royaume et sa grisaille permanente ! Elle avait parfois une utilité cette grisaille et était bien souvent de circonstance lorsquil devait effectuer un contrat, néanmoins, il préférait de loin le ciel ensoleillé du Sud. Aujourdhui, il était heureux et prenait donc son temps. De toute manière, le spadassin naimait jamais se presser plus que de raison. Et puis, si la brune ne trépassait pas aujourdhui, ce ne serait pas un drame
Il navait pas dimpératif de temps après tout.
Toutefois, quelque chose le tracassait âprement, quelque chose tiraillait sa conscience, faisait appel à sa compassion. Non, cet assassin-là nétait pas de marbre, il était humain, il était comme tout le monde dans une certaine mesure, tout du moins. Il ne taisait pas ses sentiments car il aimait ressentir peine et déception, tristesse et morosité, joie et légèreté, amour et passion
Cétait un homme de la vie, qui en connaissait toutes les aspérités, des plus joyeuses aux plus sombres, et qui sen nourrissait.
Toujours est-il que cette chose le harcelait depuis quon lui avait transmis les termes de son contrat, depuis que cet homme, ce noble balafré, lui avait commandé une prestation. Tuer une femme, voilà ce qui lui causait soucis et tracas
Il avait toujours eu du mal à ce faire, dautant plus que dans ce cas, on lui avait demandé un « service spécial » quil lui déplaisait daccomplir. Il le ferait - car il ne refusait jamais un contrat et quil avait un sens du devoir développé mais cela troublait son esprit.
Levant les yeux au-devant, il aperçut enfin la roulotte qui se dressait au milieu du champ en jachère, perdue au milieu dune mer dherbes et de plantes folles de moult coloris. De blanc et dazur parée, elle jurait quelque peu dans le paysage mais en cet instant, nimbée dun soleil qui se faisait de plus en plus rougeoyant, elle resplendissait.
Curieux devant cette « chose à roues », le spadassin se risqua à lapprocher pour la détailler de plus près. Caressant le bois de sa senestre, il examina dabord les roues et les essieux renforcés, puis le toit et sa drôle de cheminée. Enfin il jeta un il par la fenêtre. Un rideau masquait une grande partie de lintérieur toutefois, de ce quil put en voir, celui-ci semblait coquet et confortable.
« Un vrai petit nid douillet
quel dommage
»
Il patienta ainsi quelques longues minutes, sans que personne ne se montrât. Les deux étaient absents et ne semblaient visiblement pas pressés de rallier leur petit nid damour
Soit. Il séloigna lentement de la roulotte et se dirigea vers larbre bordant le champ puis sadossa à son large tronc. Un chêne, épais et haut, un chêne au majestueux ramage
Le parfait compagnon pour une attente prolongée.
Perdant alors son regard dans le mordoré que renvoyait le reflet du soleil déclinant dans les feuilles, le spadassin se laissa surprendre à une nouvelle rêverie.
***
Une heure - peut-être un peu plus était passée et le soleil fleurtait désormais avec la ligne dhorizon. Le soleil laissait place à sa compagne blafarde, les cigales épuisées davoir chanté toute la journée tiraient leur révérence pour saluer larrivée de leurs cousins grillons et le vent sembla lui aussi se retirer dans ses quartiers insubstantiels. Le spadassin, lui, était toujours à son poste et guettait paresseusement larrivée de lun des bruns. Cependant quil était encore adossé à larbre, quelques centaines de fourmis prenaient progressivement possession de ses jambes. Maugréant quelque peu, lorsque la gêne fut à son paroxysme, il se mit en mouvement. Se redressant lentement, il exécuta plusieurs séries de flexions rapides puis sétira afin de conserver souplesse et vivacité.
Tout à coup, du coin de lil, il perçut enfin un mouvement à lautre bout du champ. Une petite silhouette se hâtait vers la demeure mobile et, après un instant, sy engouffra. Au vu de la taille de cette silhouette, il sagissait de la brune, sans aucun doute. Le moment était donc venu
Il observa la silhouette qui se découpait à travers la fenêtre qui lui faisait face, se demandant encore comment il allait procéder, puis, finalement, fit un premier pas en direction de la roulotte. Mais avant même qu'il ait pu en faire un second, il s'arrêta net. Sa cible était ressortie et se dirigeait paisiblement vers le petit bosquet d'arbre - situé à l'est de sa propre position -, une lanterne à la main. Si le fait qu'elle se mette en mouvement avait de quoi lui faire penser qu'ils étaient décidés à lui rendre la tâche difficile, la présence du bosquet sur le chemin de la brunette était indéniablement une chance, une opportunité à saisir.
Il se glissa alors plus avant dans les ombres, se protégeant du tronc de l'arbre pour voir évoluer la petite femme à travers les hautes herbes, puis, lorsqu'elle fut à bonne distance, lui emboita discrètement le pas. Il la suivit ainsi furtivement jusqu'au bosquet et au bienheureux couvert qu'il fournissait. Enfin, une fois parvenue au milieu du petit bois, elle se mit - sembla-t-il - à la recherche de branchages, sûrement destinés à la préparation du repas.
Le spadassin, qui était d'abord resté à la lisière de ce haut buisson, se glissa en silence jusqu'à elle, telle une ombre, telle la mort rampant vers la jeunesse insouciante qui se pense immortelle. Il était concentré à l'extrême, comme à chaque moment qui précédait lexécution de ses contrats. Ses sens étaient en alerte. Son odorat percevait désormais le parfum délicat qui se dégageait de la petite brune ; son ouïe devinait le faible souffle qui exhalait de sa bouche ; sa vue se nourrissait de la vision enchanteresse de cette lourde et soyeuse chevelure... Il était à présent dans son dos, immobile durant un instant qui lui parut être une heure. Tel était l'effet de l'adrénaline précédant lexécution dun contrat. C'était cette incomparable sensation, cet éveil inégalable qui lui faisait « apprécier » son métier. Néanmoins, il revint bien vite à la dure réalité. Il allait tuer une frêle et innocente damoiselle afin de contenter un nobliau craintif et haineux, qui se prélassait sûrement dans un agréable bain chaud parfumé à l'heure qu'il était...
Profitant encore un dernier instant du calme, de la sérénité des lieux, l'assassin faillit se prendre à soupirer tant il était de nouveau morose, néanmoins, bien vite, il se reprit et passa subitement à l'acte.
En quelques secondes à peine, sa senestre se plaqua à l'épaule droite de la bonne femme et la fit pivoter face à lui, tandis que sa dextre se colla presque simultanément à la gorge offerte. Lempoignade, aussi vive que brutale, serait fatale, il le savait bien... dautant plus que la surprise de cette strangulation soudaine avait attendri la chair de ce cou déjà si frêle. La belle lâcha la lanterne qui chut sur la tranche - mais demeura toutefois intacte - et, alors que les coruscations vacillantes et orangées dansaient sur le visage de sa future victime, le spadassin put entrevoir ce quil redoutait tant de contempler... Un faciès fin, délicat, paré dune peau opalescente et de grands yeux dune teinte aussi singulière quenvoûtante ; un joli minois déformé par la surprise et lhorreur.
Un instant, sa prise faillit se relâcher, mais aussi soudainement que ce sentiment quel quil fût était arrivé, il repartit dans les tréfonds de son âme tourmentée, son sens du devoir ne laissant jamais place à lindécision. Cependant, la brune commença à sagiter et, en de vaines tentatives, tenta déchapper à létreinte funeste qui, chaque seconde passant, la rapprochait dun trépas pourtant certain.
Ainsi, face à face, reliés par un bras puissant auquel la jeune femme sétait agrippée, ils restèrent quelques poignées de secondes à se dévisager en un silence sépulcral, seulement troublé par quelques râles étouffés et par le faible crissement provenant des ongles de la belle sacharnant sur le cuir des gants qui lui ôtaient la vie.
Celle-ci dailleurs, quittait peu à peu les sombres iris de Catterine, ses menottes abandonnant progressivement leur prise, pour finalement retomber mollement à ses flancs... Elle abdiquait. Enfin.
« À quoi penses-tu, toi qui te meurs ? Penses-tu à ton homme que tu ne reverras plus jamais ? Penses-tu à tout ce que tu n'as jamais fait et que tu aurais dû faire ? As-tu des regrets, belle brune ? »
Devant le regard vitreux et les traits éteints de la jeune femme, l'homme cessa son vain questionnement et, basculant alors le corps quasi-inanimé de sa victime, létendit lentement au sol, la main toujours rivée à son cou. Puis, après un dernier soubresaut, ponctué d'un ultime soupir, l'assassin relâcha son emprise sur la gorge meurtrie de la défunte.
Ne lui restait désormais plus quune chose à accomplir