Anaon
- Les lèvres se serrent quand les doigts s'y posent. Elle n'oublie pas, qu'il y a quelques lunes de cela, c'est à son cou qu'ils se sont pendus. La brutalité de Decize lui revient comme une claque en plein visage. Cet étau autour de la gorge, ce nez qui éclate sous la force de la semelle. Oublier? Non, jamais. Elle s'était livrée à lui, oui, mais lui n'avait pas hésité longtemps avant de lui couper le souffle. S'il avait pu, il l'aurait tuée.
La pensée avorte nette quand l'homme l'entraine soudainement à l'écart. Elle se laisse faire, sans volonté aucune et l'esprit incapable de mener à terme une quelconque réflexion. La chambre est atteinte, l'Anaon est poussée. Elle s'immobilise. Les azurites parcourent platement la pièce alors qu'elle resserre ses bras sur sa poitrine, de marbre. Elle sent, le silence se faire fébrile. Fragile, comme un voile de cristal. Alors la balafrée se retourne, ses bottes froissant la natte du sol dans un bruit plus agaçant qu'une semelle sur des bouts de verre. Les prunelles se posent sur Judas.
Elle y voit le trouble qui fige ses traits. Elle imagine son propre visage, impavide et apathique. Que dire hein... Judas brise pourtant le silence. Les narines de l'Anaon frémissent dans un tic alors que les nacres se serrent. Elle regarde ailleurs. La mercenaire n'a jamais vraiment eu la fibre jalouse. Ou peut être a-elle toujours été des plus tolérantes... ou trop bonne trop conne... ou je-m'en-foutiste... ou prenez donc le terme qu'il vous siéra. "Pas vu, pas pris". Telle a été sa doctrine pendant longtemps. Mais elle n'a jamais été sourde... Et désormais, elle ne peut pas être aveugle à cet anneau qui ceint le doigt de Judas. Par orgueil, elle a toujours balayer ces "autres" d'un revers de pensée... mais "elle"... Cette Isaure... Elle s'impose à elle comme une injure dans son âme.
La dextre attrape l'unique tresse qui pend de son oreille. Elle la lisse. Témoignage de ses réflexions qui s'agitent. Un soupire filtre entre les lèvres qui s'ouvrent.
_ Il est là, Judas... Le problème. Tu t'obstines toujours à croire sans jamais savoir.
La voix est un murmure. Que dire maintenant... Que faire? L'Anaon n'en sait rien. Cet accroc-là n'était pas prévu à la base. D'aveu, il n'aurait jamais du en avoir. Nouveau soupir. Les azurites pivotent pour aller soutenir les prunelles du sybarite.
_ Tu n'aurais pas du le savoir... Tu n'aurais jamais du. Ainsi, je ne te causerais aucun problème.
Les mâchoires de la femme se serrent. "Il s'agit d'un adultère. Et si cela pouvait inciter l'épouse à demander l'annulation, nous pourrions obtenir votre mariage à vous". Le chaperon ne peut retenir un léger rire, aigre, qu'elle étouffe bien vite de sa main qui couvre son visage. Non, ce n'est pas drôle. Mais Yolanda avait été une bien brave gamine dans ces mots-là. Judas est un scandale. Anaon en est la preuve. Oui... Si elle le voulait vraiment, elle pourrait le détruire le Von Frayner, de bien des manière. Ruiner son cur, elle peut encore. Le mettre à terre, face dans la boue et lui faire bouffer sa disgrâce, elle peut le faire. Si sa femme est un tantinet jalouse. Si sa femme est vraiment Femme, son mariage, d'un aveu, elle pourrait le faire voler en éclat. Se serait la parole du seigneur contre la sienne. Celle d'un homme criblé de vice que personne n'ignore, contre une banale mercenaire accompagné de ceux qui ont su, pour eux... Oui, si la crédibilité lui était accordée, sans doute, n'aurait-il plus ni titre ni honneur. Un drame, pour cet homme qui accorda bien plus à sa réussite et à la bienséance plutôt qu'à eux. Plutôt qu'à elle.
Oui, elle pourrait tant... Et pourtant.
De ses doigts, elle a pincé son nez puis sa main s'est échouée sur ses lèvres qu'elle presse. Les yeux sont clos. Elle n'arrive pas à en dire d'avantage. Sa peau s'agite d'un frisson. Des ces frissons qui sont les prémices des larmes qui piquent et des mots imprononçables. La salive a du mal à passer. Pourtant la mercenaire se force à une inspiration profonde. Les paupières s'ouvrent sur les bottes du noble. Et le timbre simule l'assurance.
_ Si tu pars... Tu n'entendras plus jamais parler de moi. Et tu ne le connaitras pas, si tu ne le désire pas...
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Images originales: Victoria Francès, concept art Diablo III -Anaon dit Anaonne[Clik]