Ernst.
Le temps était beau, le ciel d'un bleu clair étincellant. Ernst chavauchait à bride abattue. Son destrier de geai s'élançait, muscles luisants.
Vêtu d'une armure étincelante, le germain portait haut les couleurs de sa noblesse.
Rembobinage du film ...
Le temps était maussade, tout comme son humeur. Le blond marchait en gromellant, l'aime pas la marche le blond.
Ses vêtements portaient la marque d'une route trop longue et trop poussiéreuse.
Le germain se rendait en Bouillon. Il ne comprenait pas pourquoi et s'imaginait des carottes et un jus de viande.
Il avait beaucoup entendu parler du sieur Eusaias ou, plutôt, de son Altesse. Il devait le rencontrer.
Attiré par tout ce qui brille, Ernst se disait qu'une allégence à un Roy, un emploi de tout ou rien, pouvait le mener haut.
Arrivé sur les terre de Bouillon, le germain blond, ou châtain clair suivant les reflets du soleil, se fit indiquer où se rendre.
Il ne compris pas grand chose, encore une fois, mais s'exécuta.
Perdu, debout devant une grand bâtisse, il fit ce qui lui semblait le plus juste. Il gueula.
- Oh hé! Du bateau! Y a quelqu'un?
Jusoor
Des tentures. Et du drap de qualité. Voila ce qu'il manquait à Bouillon. Evidemment tout ceci n'était pas destiné à la salle des gardes, les coffres paternels n'avaient pas été soulagés à cet effet, mais bel et bien pour la chambre que la Blanc-Combaz aînée s'était octroyée.
La journée avait donc été longue d'une échoppe à une autre mais efficace, les commandes avaient été conclues. La Margote qu'elle avait enlevée des cuisines pour la servir ce jour en avait encore les joues roses. Mais pas le souffle court ! Jusoor se massait les tempes, tandis que l'autre jugeait utile de pérorer et peupler le silence qui aurait été le bienvenu dans le carosse. L'aînée glissa son regard vers la portière. Elle soupira de soulagement : Bouillon lui apparaissait déja. Voila qui était de bon augure, dès ce soir la Margote réintègrera la cuisine. Un peu plus, et ça aurait été la Sémois qui aurait accueilli la jeune fille par trop bavarde.
Intention facile mais qu'il aurait bien fallu justifier auprès du paternel et Jusoor doutait que les pialleries féminines soit une cause suffisante... Quoique... le flot de paroles ne tarissait toujours pas.
Tête dans ses mains, luttant contre la migraine qui lui venait, elle distingua le crissement des graviers qui ralentissait enfin sous les roues du carosse et un hoquet de la voiture lui signifia qu'elle était arrivée.
Mais pourquoi diable le cocher n'arrivait pas pour lui ouvrir ? lui aussi était pris d'une migraine aigüe ?
Chut ! D'un regard froid plus que de l'ordre soufflé la péronelle fut muselée. Sans patience elle reprit :
Qu'est-ce donc cocher ? ... Et qu'attends-tu ??!! Bordellerie ! si tu me fait attendre je vais te faire trancher la...
- Oh hé! Du bateau! Y a quelqu'un?
Elle ne put terminer sa phrase et cette fois se pencha à la portière. Un bateau ? Regard porté vers la Sémois. Et qui parle d'abord ? et quel accent ! Si elle n'avait été de si méchante humeur, elle en aurait bien ri. Enfin, elle aperçut l'étranger. Elle jaugea le blond brièvement et descendit du carosse. La Margote voulut bien la retenir, au cas où, mais Jusoor préférait encore un âne mal bâté que sa compagnie nasillarde.
Elle leva légèrement le menton et riva son regard dans celui de l'étranger :
Qui es-tu ? Que fais-tu là ? Tu cherche le baton ?
Jusoor
La Blanc-combaz aînée, en attente d'une réponse, ne put qu'assister au spectacle qui suivit de si près sa question, avec un étonnement dont elle ne laissa rien paraître, pas même un "arquage" de sourcil en règle. Elle s'était attendu à ce que l'étranger bégaye de gêne, ou bien qu'il se confonde en excuses d'être en vie, ou encore qu'il puisse se montrer fol par quelques intentions brutales à son encontre, ou enfin qu'il psalmodie quelques litanies de remerciements à la Providence de l'avoir mise, elle, sur son chemin... Il aurait pu faire tant de choses. Mais non, il ne choisit rien de tout cela. Il avait choisi de battre légèrement en retraite et tenté de se redonner une mise potable.
Hmmm... Marmonnement isolé et dubitatif qui pourtant voulait tant dire : *Serait-il possible que cet étranger crasseux puisse jouir et faire montre de quelque peu d'éducation ? lui au semblant si... si... Si "barbare !"*. La sonorité rugueuse de son accent ne laissait d'ailleurs planer nul doute dans son esprit quant à cette qualité.
Elle l'observa avec plus d'attention, jusqu'à ce qu'il invite sans autorisation son regard dans le sien propre. Elle faillit une seconde. Le voila même qui la saluait avec politesse. Elle gonfla ses poumons d'air et releva à peine le menton, fière et silencieuse. Ses prunelles se raffermirent. L'étranger lui indiqua l'objet de sa présence. Avant de faire cas de cela, elle ne put s'empêcher de le corriger :
Le bon françoys nous fait souhaiter le "bon jour", ou encore, peut être utilisée la locution "le bon jour vous va"...
Quant à cette visite... Ernst, si tu n'es ni homme de mesnie, ni homme de guerre, ni même je le souhaite par amitié aristotélicienne quant à ton salut, quémandeur, j'ignore en quoi tu pourrais être utile ici. Mais tu es dans le vrai : je connais les lieux. Mais je n'en suis point la maîtresse. Ainsi, mon père décidera de ton sort.
A la vue de la nonchalance affichée par une main glissée dans les cheveux, elle ajouta :
S'il y consent... évidemment.
Elle se détourna aussitôt vers la voiture et s'adressa suffisamment fort au cocher pour que l'étranger saisisse ses paroles :
Cocher ! laisse donc le maraud nous suivre. Indique lui l'étable où il pourra se rafraîchir et se faire un peu plus présentable pour se présenter devant mon père. S'il exprime la faim, tu lui donneras une miche de pain. Il ne sera pas dit que Bouillon manque de charité !
Sans plus un regard pour l'un ou l'autre, elle remonta dans le coche et reprit place près de la Margotte qui n'avait pas manqué une miette de l'échange. Echange qui bientôt ferait le tour des cuisines, Jusoor aurait pu le parier.