Scopolie
Je n'avais pas écrit en français depuis de nombreux mois. Quant à écrire dans cette langue barbare dans laquelle je nage et me noie depuis aussi longtemps, cela ne s'est jamais produit. Ils sont incompréhensibles à parler si vite et si fort. Chaque fois que j'en entends deux discuter, j'ai l'impression qu'ils se disputent : leurs grands gestes, l'intonation virulente de leurs phrases, leurs yeux de charognards. Tout le portrait de leurs ancêtres Saxons. Et avec leur sens de l'hospitalité, c'est un miracle s'ils n'ont pas encore mis en place de loi autorisant le massacre des étrangers. Les voies du Seigneur sont impénétrables, mais pas besoin d'avoir étudier au Louvre pour comprendre que le fait d'avoir isoler ces brutes sur leur île est une punition divine.
Au fond, puisque j'avais besoin de me faire oublier par le monde civilisé, j'aurais dû retourner dans la Cour des Miracles. Là-bas, même les pires pervers estropiés me dégoûtent moins que ces nobles gras et benêts qui réclament la condamnation à mort de tout homme soupçonné de brigandage. Soupçonné ? Que dis-je, accusé. Ils sont très forts pour se plaindre. Je suis sûr que le charpentier ne peut même pas tâter les miches de la boulangère d'en face sans que tout le monde le sache.
Il est temps que je quitte Hastings, la bêtise qui se dégage de cette ville portuaire m'étouffe d'avantage que l'odeur de leur poisson. Et puis, je me suis remis de leurs outrages -deux fois condamné à être laissé pour mort sur la place publique, deux fois à souffrir de la bêtise des hommes, à entendre les cris de joie de ces animaux qui ne comprennent rien à la cause supérieure que je sers en prélevant de temps en temps quelques écus dans la bourse de leurs gras bourgeois. Mon regard se porte sur l'horizon où flotte encore le drapeau d'une armée aux portes de la ville. J'entends très régulièrement, au moins une fois par semaine, des gens se plaindre qu'ils ont été brigandé -et pas forcément par des génies du mal ou des brutes épaisses, mais ils racontent quand même qu'ils se sont défendus bec et ongles. Cette armée serait-elle là pour les punir de manière expéditive ? Car une armée aux portes de la ville et immobile depuis un mois ne sert qu'à ça, tuer des passants.
Reste à savoir si ce vaniteux comte a mis ses menaces -en anglais- à exécution et a donné l'ordre que malgré mes cinq procès, l'armée me plante à terre pour de bon. Mais je n'ai pas le choix, aucun bateau battant le drapeau du Royaume de France n'est passé depuis celui qui m'a déposé ici. Je vais devoir remettre mon destin au Très-Haut, aux erreurs administratives et à ma faculté de tromper les benêts en armure. Mais au cas où rien de tout cela ne suffise, je ne veux pas mourir en parfait inconnu. Je veux que mon histoire perdure après mon trépas, même si je préfèrerai ne pas mourir du tout. Armé d'une plume et d'un parchemin, je rappelle à moi un passé si proche à l'échelle de ma vie et qui me semble pourtant si loin de ma nouvelle réalité.
Au fond, puisque j'avais besoin de me faire oublier par le monde civilisé, j'aurais dû retourner dans la Cour des Miracles. Là-bas, même les pires pervers estropiés me dégoûtent moins que ces nobles gras et benêts qui réclament la condamnation à mort de tout homme soupçonné de brigandage. Soupçonné ? Que dis-je, accusé. Ils sont très forts pour se plaindre. Je suis sûr que le charpentier ne peut même pas tâter les miches de la boulangère d'en face sans que tout le monde le sache.
Il est temps que je quitte Hastings, la bêtise qui se dégage de cette ville portuaire m'étouffe d'avantage que l'odeur de leur poisson. Et puis, je me suis remis de leurs outrages -deux fois condamné à être laissé pour mort sur la place publique, deux fois à souffrir de la bêtise des hommes, à entendre les cris de joie de ces animaux qui ne comprennent rien à la cause supérieure que je sers en prélevant de temps en temps quelques écus dans la bourse de leurs gras bourgeois. Mon regard se porte sur l'horizon où flotte encore le drapeau d'une armée aux portes de la ville. J'entends très régulièrement, au moins une fois par semaine, des gens se plaindre qu'ils ont été brigandé -et pas forcément par des génies du mal ou des brutes épaisses, mais ils racontent quand même qu'ils se sont défendus bec et ongles. Cette armée serait-elle là pour les punir de manière expéditive ? Car une armée aux portes de la ville et immobile depuis un mois ne sert qu'à ça, tuer des passants.
Reste à savoir si ce vaniteux comte a mis ses menaces -en anglais- à exécution et a donné l'ordre que malgré mes cinq procès, l'armée me plante à terre pour de bon. Mais je n'ai pas le choix, aucun bateau battant le drapeau du Royaume de France n'est passé depuis celui qui m'a déposé ici. Je vais devoir remettre mon destin au Très-Haut, aux erreurs administratives et à ma faculté de tromper les benêts en armure. Mais au cas où rien de tout cela ne suffise, je ne veux pas mourir en parfait inconnu. Je veux que mon histoire perdure après mon trépas, même si je préfèrerai ne pas mourir du tout. Armé d'une plume et d'un parchemin, je rappelle à moi un passé si proche à l'échelle de ma vie et qui me semble pourtant si loin de ma nouvelle réalité.
Citation:
A ma chère Sorianne,
A la jeune femme avec sa bâtarde mais sans homme, du moins je l'espère,
A ma dévouée suivante qui est sortie de mon ombre protectrice pour honorer par elle-même le cadeau qu'Il lui a fait,
Comme tu le sais, je suis parti loin du climat hostile de notre Royaume. Mon excommunication a été le coup de grâce pour ma foi envers ces gens qui nous gouvernent mais qui nous oppressent pour leur bien personnel. Ça et tes perpétuelles provocations, tes incessantes attaques contre mon autorité spirituelle, tes remises en cause de mon intégrité. Bref, tu l'auras compris, c'est en partie parce que j'avais l'impression de perdre mon temps avec toi, à essayer de t'aider, que je suis parti. L'autre partie, c'est tous les autres.
Cela fait un moment que je songeais à t'écrire. Je me suis exilé en Angleterre et je m'y sens bien seul, tant parce que je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'ils disent tous, que parce que ce Royaume est perverti jusqu'à l'os. L'évêque local m'a interdit de prêcher sous prétexte que je ne lui avais pas demandé, alors que l'idée que j'essayais de transmettre correspondait exactement à celle qu'on trouve dans les livres de leur bibliothèque. Et puis, leur marché n'est pas bien fourni, ce sont les mêmes qui se partagent le pouvoir -du poste de bourgmestre à Comte-. Conséquence de toutes ces causes cumulées, , ils veulent me tuer. C'est pour quoi je t'écris, parce que cette lettre est peut-être la dernière. Quand tu recevras cette lettre, je ne serai peut-être plus de ce monde.
Tu vas te demander ce que j'ai pu faire encore pour m'attirer la haine des gens. Rien de plus que mon devoir envers Lui, tout simplement. Tu le sais, lorsque je veux faire une réprimande, je n'y vais pas par quatre chemins. Et tu sais aussi que les menaces n'ont aucun effet sur moi. Je suis comme Christos, destiné à mourir parce que les Hommes -en particulier ces barbares anglo-saxons- ne sont pas près à recevoir le Message divin. Je n'ai pas peur de la mort, car comme je te l'ai enseigné, ce n'est qu'une porte à franchir pour se retrouver devant Lui. J'y vais le cur léger, car je n'ai rien à me reprocher, mais jaurais aimé te revoir, toi et ton enfant, pour qui je prie tous les jours, pour le salut de son âme. J'aurais aimé voir que j'ai été utile pour autre chose que de réprimander et distribuer des pénitences bien méritées.
Si tu t'es écartée de la voie du péché, si tu es devenue sourde à l'appel du Sans-Nom, alors tu seras ma plus belle réussite, Sorianne. Je t'ai aimé et je t'aime encore comme un Père aime sa Fille, obligé de la punir pour son bien. Malgré tout le mal que tu as pu pensé de moi et de mes moyens pour sauver ton âme, j'espère que tu as retenu mes enseignements.
A très bientôt au Paradis Solaire,
Père Scopolie de Carniole
PS : J'espère que Monseigneur Rouletabille est mort et que Craon a été détruit par l'aura lumineuse de l'astre solaire.
PPS : Et que le juge Tancy est mort de la lèpre.
PPPS : Passe le bonjour à ma cousine et à mon Roy.
Adieu.
A la jeune femme avec sa bâtarde mais sans homme, du moins je l'espère,
A ma dévouée suivante qui est sortie de mon ombre protectrice pour honorer par elle-même le cadeau qu'Il lui a fait,
Comme tu le sais, je suis parti loin du climat hostile de notre Royaume. Mon excommunication a été le coup de grâce pour ma foi envers ces gens qui nous gouvernent mais qui nous oppressent pour leur bien personnel. Ça et tes perpétuelles provocations, tes incessantes attaques contre mon autorité spirituelle, tes remises en cause de mon intégrité. Bref, tu l'auras compris, c'est en partie parce que j'avais l'impression de perdre mon temps avec toi, à essayer de t'aider, que je suis parti. L'autre partie, c'est tous les autres.
Cela fait un moment que je songeais à t'écrire. Je me suis exilé en Angleterre et je m'y sens bien seul, tant parce que je ne comprends pas un traitre mot de ce qu'ils disent tous, que parce que ce Royaume est perverti jusqu'à l'os. L'évêque local m'a interdit de prêcher sous prétexte que je ne lui avais pas demandé, alors que l'idée que j'essayais de transmettre correspondait exactement à celle qu'on trouve dans les livres de leur bibliothèque. Et puis, leur marché n'est pas bien fourni, ce sont les mêmes qui se partagent le pouvoir -du poste de bourgmestre à Comte-. Conséquence de toutes ces causes cumulées, , ils veulent me tuer. C'est pour quoi je t'écris, parce que cette lettre est peut-être la dernière. Quand tu recevras cette lettre, je ne serai peut-être plus de ce monde.
Tu vas te demander ce que j'ai pu faire encore pour m'attirer la haine des gens. Rien de plus que mon devoir envers Lui, tout simplement. Tu le sais, lorsque je veux faire une réprimande, je n'y vais pas par quatre chemins. Et tu sais aussi que les menaces n'ont aucun effet sur moi. Je suis comme Christos, destiné à mourir parce que les Hommes -en particulier ces barbares anglo-saxons- ne sont pas près à recevoir le Message divin. Je n'ai pas peur de la mort, car comme je te l'ai enseigné, ce n'est qu'une porte à franchir pour se retrouver devant Lui. J'y vais le cur léger, car je n'ai rien à me reprocher, mais jaurais aimé te revoir, toi et ton enfant, pour qui je prie tous les jours, pour le salut de son âme. J'aurais aimé voir que j'ai été utile pour autre chose que de réprimander et distribuer des pénitences bien méritées.
Si tu t'es écartée de la voie du péché, si tu es devenue sourde à l'appel du Sans-Nom, alors tu seras ma plus belle réussite, Sorianne. Je t'ai aimé et je t'aime encore comme un Père aime sa Fille, obligé de la punir pour son bien. Malgré tout le mal que tu as pu pensé de moi et de mes moyens pour sauver ton âme, j'espère que tu as retenu mes enseignements.
A très bientôt au Paradis Solaire,
Père Scopolie de Carniole
PS : J'espère que Monseigneur Rouletabille est mort et que Craon a été détruit par l'aura lumineuse de l'astre solaire.
PPS : Et que le juge Tancy est mort de la lèpre.
PPPS : Passe le bonjour à ma cousine et à mon Roy.
Adieu.
La lettre fut remise à un coursier grassement payé. Sûrement enverra-t-il la lettre en France par l'intermédiaire d'une mouette. Nous avons les corbeaux, eux les mouettes. Peut-être que ce seront eux qui viendront picorer les restes de mon corps charnel si je me fais étriper tout à l'heure en voulant passer les portes de la ville avec ma charette pleine de presque 4500 écus prélevés en Son nom, du maïs et de la viande pour se nourrir au coin du feu. J'étais sur le point de mourir, et pourtant, je ne regrettai aucune de mes actions. J'étais en paix avec moi-même, et avec Lui ; mais si je me promis que si je m'en sortais, Sorianne aurait une bonne raison de boiter après nos retrouvailles.
Alea jacta est.
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