Gwennaelle
- Nuit du 21 octobre 1460
- Rrrrh Zzzzzh, RRRhh Zzzzzhh ...
Belle mélodie que celle des ronflements de la jeune suivante. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait le sommeil lourd, presque imperturbable. Une chance puisqu'elle pouvait se vanter de ne pas connaître les longues nuits d'insomnie à se tourner les pouces au fond de sa couche, noyée sous quelques draps plus ou moins rapiécés. Ses amies de couvent l'avaient enviée au cours des interminables soirées d'hiver lorsqu'elle s'endormait si facilement, pourtant entourée de camarades crachant leurs poumons à cause de mauvais rhumes. Alors la jeune fille qu'elle était s'imaginait avoir reçu ce don du Très Haut, et chaque soir, avant de se laisser bercer par Morphée, elle L'en remerciait. Mais ce cadeau était mis à rude épreuve par sa voisine de chambrée : Rose.
Rose, charmante créature à la patience si fragile et à la sympathie la plus absolue. En somme, la parfaite personne pour partager SA chambre. La suivante avait maudit sa maîtresse à l'annonce de l'événement de l'année, puis avait finalement reporté son animosité grandissante sur la Rose Rousse. Et tout cela pourquoi ? Parce que mademoiselle l'intendante était hypothétiquement enceinte selon les maîtres de la maisonnée, et toujours selon eux, c'était à la frigide de suivante de surveiller l'affaire. Et quoi de mieux que de l'observer en simples vêtements de nuits pour enquêter en toute discrétion sur l'état physique de la Rose ? Alors, chaque soir, la suivante tentait d'entrapercevoir un ventre gonflé. Plus vite elle le verrait, plus vite elle serait débarrassée de la corvée.
Car c'était bien une corvée que de dormir avec l'intendante de maison, surtout lorsque l'on ronfle.
- Rrrrh Zzzzzh, RRRhh Zzzzzhh ... Rhh.. Aïïïïïe.
Quelque chose vola à travers la pièce, s'écrasant sur la poitrine gorgée d'air de la domestique. Encore un coup de la Rose. Grognant dans son sommeil, Gwennaelle se retourna sur sa couche, face à l'intendante. Cette dernière faisait d'ailleurs mine de dormir. Étrange coïncidence, n'est-ce pas ? Maudissant une nouvelle fois la rousse, et persuadée qu'elle était à l'origine de tous les maux de cette terre, la suivante toussa un long moment et n'hésita pas à se tourner plusieurs fois dans sa couche dans l'espoir de troubler le sommeil de celle qui osait briser le sien.
Mais au matin, la suivante pourrait s'apercevoir que l'objet responsable des tourments de la nuit n'était autre qu'une petite peinture des parents de Gwennaelle, accrochée par une petite ficelle au-dessus de sa couche...
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